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5 août 2025
PAR Christian Djoko
JE SUIS SUR LINKEDIN, DONC JE SUIS (?)
Le fétichisme de « tu-dois-être-présent-sur-LinkedIn» n’aura de pertinence et de résultats fructueux que parce qu’il aura été préalablement soutenu par un vrai réseau social, construit très souvent dans le labeur et la durée
Il faut dire que je suis particulièrement inspiré ces temps-ci. C’est mon 4ème billet en 3 jours à peine. Je ne sais pas si ce sont les nouvelles habitudes alimentaires (plus de légumes et fruits, moins de viande) auxquelles je m’astreins depuis peu ou le fait d’avoir momentanément désactivé mon compte Facebook qui en est la cause. Toujours est-il que mon état d’esprit est au beau fixe. Je lis et j’écris beaucoup en cette période hivernale. D’ailleurs, mes recherches doctorales avancent considérablement. Mais entre la rédaction de deux chapitres de ma thèse, j’éprouve parfois le besoin d’écrire sur autre chose.
Cette fois ci, je voudrais partager avec vous une petite réflexion à propos du réseautage virtuel. Les réseaux sociaux sont devenus au fil du temps de puissants espaces de réseautage et de mise en scène de soi.
Bienvenue dans l’ère du branding personnel. Tout le monde sur Linkedln est CEO, trilingue, startupeur, humaniste, multicertifié, professionnel, expérimenté, président de quelque chose ( moi le premier hahaha ) et doté de compétences rares et atypiques. Bon OK, j’exagère un peu (rires). En fait, la logique ultra concurrentielle du monde professionnel et les différentes aspirations au bien être et à la réussite sociale nous poussent à développer des stratégies de marketing personnel. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la recommandation aux allures d’appel incantatoire à se doter d’un profil Linkedln. Après tout, il faut bien mettre toutes les chances de son côté si on veut trouver un gagne-pain dans ce monde impitoyable, n’est-ce pas ?
En réalité, loin de moi l’idée de contester cette stratégie. Je veux cependant attirer votre attention sur un fait: jamais un réseau social virtuel ne remplacera un vrai réseautage. Un réseautage virtuel qui se veut dynamique et fécond doit être soutenu par un réseautage réel, celui-là qui prend racine au coeur de nos différentes implications et rencontres à l’Université, au quartier, dans nos différentes associations, dans la communauté et j’en passe.
Impliquez vous. Distinguez vous. À la lumière de ma modeste expérience, je suis définitivement convaincu que c’est à travers l’implication dans son milieu de vie que l’on se construit un vrai réseau d’affaires, de contacts, d’opportunités, etc. Le fétichisme de « tu-dois-être-présent-sur-LinkedIn» n’aura de pertinence et de résultats fructueux que parce qu’il aura été préalablement soutenu par un vrai réseau social, construit très souvent dans le labeur et la durée.
Vous avez beau être la fine fleur, la perle rare selon la description éminemment dithyrambique, panégyrique et un brin poétique de votre profil, mais si votre réseau réel est inexistant, il se peut que vous ayez de la peine à tirer réellement parti de votre identité numérique.
Aussi, il importe de vous assurer d’avoir quelque chose de vrai et pertinent à offrir (compétences, habilités, connaissances, sagacité, carnet d’adresse, éloquence, culture, etc). Rien n’est plus dramatique que de passer à côté d’une opportunité en or ou de détruire une réputation au bout de 5 min d’entrevue…. avec un recruteur qui pensant mettre la main sur la perle rare découvre en réalité un VI (vendeur d’illusion) comme on dit en Côte d’Ivoire. Quelle tristesse chemin faisant de découvrir, au mieux une pâle copie du profil virtuel, au pire une chimère!
Rendez vous incontournable dans la « vraie vie », vous le serez encore plus dans le monde virtuel. Un bon joueur ne manque jamais d’équipe nous dit-on souvent. En clair, travaillez à être bon et non à être vendeur de bonbons virtuels…..De toutes les manières, tôt ou tard les conséquences de notre imposture finissent toujours par nous rattraper (rires). A contrario, on sait de sagesse proverbiale qu’on ne peut cacher la lumière du soleil. Linkedln ne vous rendra pas plus compétent que vous ne l’êtes en réalité. Comme support numérique, il ne fait que jeter un éclairage sur votre talent réel. Et tôt ou tard ça finit toujours par payer. Soyez patients et déterminés. Il paraît que les fruits de la patience sont très sucrés.
À très bientôt. J’ai un Conseil d’administration à préparer. Qui va se négliger? (rires)
"NOUS VOULONS UNE GARANTIE DE LA FRANCE SI TOTAL INVESTIT DANS L'EXPLORATION"
Teodoro Obiang Nguema Mbasogo de la Guinée-Équatoriale, détient le record de longévité au pouvoir en Afrique. Qualifié d’autocrate par ses détracteurs, il semble jouer l’ouverture avec ses opposants et attend des gestes de la France
A la tête d’un groupe de jeunes officiers, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo renversait, en 1979, le sanguinaire Macias Nguema. Il s’est ensuite fait réélire sans discontinuer et détient le record de longévité au pouvoir en Afrique. Qualifié d’autocrate par ses détracteurs, il semble jouer l’ouverture avec ses opposants et attend des gestes de la France.
Dans les années 1980, cet admirateur de François Mitterrand a fait le pari d’intégrer la zone franc et d’adhérer à la Francophonie, puis a fait du français, en 1997, la deuxième langue officielle du pays. Mais la lune de miel n’a pas résisté au procès des « biens mal acquis » qui touche son fils et vice-président du pays, Téodorin, condamné en 2017 par la justice française à trois ans de prison avec sursis et 30 millions d’euros d’amende. Les entreprises françaises n’ont plus le vent en poupe. Le groupe Orange est sorti, à la suite d’un bras de fer financier, du capital de l’opérateur public Getesa. Et les projets d’exploration de Total dans cet eldorado pétrolier et gazier sont suspendus au climat politique. Une mission ministérielle française est attendue prochainement à Malabo, la capitale du pays.
Vous demandez aux exilés politiques de rentrer. Cela fait trente ans que l’on entend parler d’« essai démocratique »...
C’est le moment. Nous avons travaillé à consolider la démocratie. J’ai organisé six sessions de dialogue politique durant les dernières années. La dernière vague de négociations a permis la signature de décrets d’amnistie pour le retour des exilés, des actes de pardon pour libérer les personnes incarcérées. Ce processus est un travail de longue haleine. La démocratie n’est pas acquise. Elle doit être cultivée.
Le Parlement va-t-il vraiment abolir la peine de mort ?
Le gouvernement porte le projet. Nous avons signé un décret pour l’application d’un moratoire. Plus aucune personne ne sera exécutée à l’avenir. Si le Parlement résiste à notre proposition, je présenterai un amendement à la Constitution qui sera soumis à une consultation populaire. Cela va dans le sens des avancées mondiales.
« Nous contestons la dénomination de “biens mal acquis”. Cela ne figure dans aucune législation, ni dans aucun document légal »
La relation avec la France est ternie par le procès des « biens mal acquis ». Comment tourner la page ?
Nous contestons la dénomination de « biens mal acquis ». Cela ne figure dans aucune législation, ni dans aucun document légal. C’est la « transparence » française qui a créé cette dénomination pour des personnes qui blanchissent de l’argent ou qui ne justifient pas de l’usage de leurs ressources provenant de différents pays. Nous avons suffisamment justifié, pour notre part, l’usage de ces ressources. C’est pour cela que nous avons saisi la Cour internationale de justice de La Haye. Nous avons déjà un résultat (NDLR : ce tribunal s’est déclaré compétent pour juger de l’immunité diplomatique du siège de l’ambassade à Paris).
Le vice-président a fait appel de la condamnation. N’est-il pas possible de muer la peine financière en projets de développement ?
Il faudrait d’abord prouver qu’il s’agit d’un « bien mal acquis ». On ne peut prévoir à l’avance que cet argent sera reconverti dans des investissements.
Des charges pèsent sur le Français Dominique Calace de Ferluc, un des cerveaux présumés du putsch avorté contre vous en 2017. La France a-t-elle répondu à votre demande d’entraide judiciaire ?
En vertu de la situation et de la bonne relation entre nos pays, la France aurait dû répondre favorablement à notre demande. Or, le gouvernement français exige d’abord que l’on signe un accord de coopération en matière judiciaire.
Soutenez-vous l’ambition de Total, déjà présent dans la distribution, de se lancer dans l’exploration pétrolière ?
Je n’y vois aucun inconvénient. Total investit dans notre pays et propose de bons services. Nous sommes ouverts aux investissements français. Mais, il y a eu plusieurs conflits avec les sociétés françaises, dont Orange. Nous voulons avoir une garantie de l’Etat français si Total investit dans des blocs d’exploration, comme le gouvernement américain le fait pour les investissements de ses compagnies.
Les dirigeants de la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (Cemac) sont-ils prêts, comme leurs voisins ouest-africains, à abandonner le Franc CFA ?
Pour l’instant, nous n’avons pas abordé la question d’un changement de notre monnaie. Il faudrait déjà entrer en négociation avec la partie française afin qu’elle améliore les transactions économiques des pays de la Cemac.
Quelle est la situation économique avec le déclin des cours du pétrole ?
La crise est générale, mais le climat est assez favorable. Notre pays n’a ni dette externe, ni dette interne. Les projets des entreprises sont directement financés par le gouvernement.
« La Guinée Equatoriale n’est pas une monarchie. Il n’y a pas de succession héréditaire »
Le Cameroun, la Centrafrique et le Tchad sont en proie à l’insécurité. Craignez-vous une contagion à votre pays ?
C’est une préoccupation des dirigeants d’Afrique. L’insécurité s’est installée sans que nous sachions qui finance les terroristes. Ce sont des gens pauvres qui sont dotés d’armes sophistiquées. Les problèmes d’insécurité de pays comme le Niger, le Tchad ou le Mali peuvent avoir des répercussions chez nous.
Après quarante ans de pouvoir, quel héritage voulez-vous laisser ?
Nous sommes en train de léguer un héritage générationnel. Nous aidons beaucoup la jeunesse qui va hériter de la direction politique du pays. Nous formons et nous éduquons. Nous disposons d’un collectif assez compétent qui peut assurer la relève.
Le temps de la succession est-il venu ?
Ce n’est pas à moi de choisir. Il existe des lois et des périodes, par exemple la durée de mon mandat électoral (sept ans) qui va s’achever. C’est le peuple, à travers les partis politiques, qui va décider des candidats à présenter aux prochains scrutins.
Votre fils Téodorin est-il prêt à prendre la relève ?
La Guinée Equatoriale n’est pas une monarchie. Il n’y a pas de succession héréditaire. Mais il est en droit de se présenter. Et si le peuple le soutient, il pourra me succéder légalement et démocratiquement au pouvoir.
Est-il suffisamment aguerri pour la fonction ?
Nous formons, comme je le dis, tous les jeunes. Le vice-président est le leader de toutes les organisations de la jeunesse du pays. Cela me satisfait.
PAR Seydou KA
PENSER L'AFRIQUE NOIRE
Dans cet ouvrage posthume d’Alassane Ndaw qui vient de paraître chez L’Harmattan Sénégal, l’auteur développe l’idée que la philosophie africaine se décline moins comme un fait attesté que comme un programme à réaliser - NOTE DE LECTURE
Dans « Penser l’Afrique noire », l’ouvrage posthume d’Alassane Ndaw qui vient de paraître chez L’Harmattan Sénégal, l’auteur développe l’idée que la philosophie africaine se décline moins comme un fait attesté que comme un programme à réaliser.
Comme dans la vieille tradition hippocratique, l’élève s’est effacé autant que se peut devant la figure paternelle du maître. Ce samedi 6 juillet, devant un parterre de philosophes et d’universitaires présents dans la grande salle de L’Harmattan à Dakar pour la présentation du tome 3 de son ouvrage intitulé « L’heur de philosopher la nuit et le jour. Quand philosopher c’est vivre », Djibril Samb a peu parlé de son livre, préférant axer son intervention sur l’ouvrage posthume d’Alassane Ndaw, son ancien maître. Cet ouvrage intitulé « Penser l’Afrique noire » (L’Harmattan Sénégal, 2019, 292 p.) a été présenté lors de la même cérémonie.
Ce livre est à la fois un hommage et l’aveu d’une mission que l’élève (Djibril Samb) a reçue de son défunt maître (Alassane Ndaw). En effet, comme il le précise dans la préface, c’est en 2010 que le « doyen » lui confia l’édition d’un recueil de ses textes et lui demanda expressément de rédiger, à cet effet, outre une introduction, une préface. « Qui suis-je pour préfacer Alassane Ndaw », s’était écrié l’élève ? Dès lors que Ndaw lui assura qu’il avait toute la liberté de conduire ce travail éditorial et qu’il ne manifesta « la moindre impatience », il était convenu qu’il n’y aurait « aucune contrainte de temps » pour mener ce travail. A vrai dire, confie rétrospectivement Samb, le doyen Ndaw avait « un soupçon de préscience » que cet ouvrage serait posthume. Lui-même (Samb) craignait de ne « jamais pouvoir réaliser ce projet » à cause d’une santé précaire. A l’arrivée, l’élève s’est brillamment acquitté de cette tâche, notamment à travers un substantiel Prologue qui sert de fil conducteur à l’ouvrage et donne une cohérence d’ensemble aux textes qui abordent des thématiques différentes.
Une puissante synthèse entre tradition et modernité
Pour ce projet éditorial, Djibril Samb n’a pas varié dans sa méthode, appliquant le summum de la rigueur : vérifier systématiquement toutes les citations à la source et faire les recherches les plus étendues sur l’auteur afin d’établir une biographie « rigoureusement contrôlée » de celui qui fut le premier philosophe de l’Afrique occidentale française (Aof). L’élève n’hésite pas aussi à remettre certaines choses à l’endroit comme, nous le verrons, à propos de la revendication « indue » de Ndaw pour son appartenance au courant de l’ethnophilosophie. L’ouvrage, « Penser l’Afrique noire », se présente donc comme un ensemble de quatorze textes déjà publiés ou inédits, auxquels s’ajoutent un quinzième constituant l’Épilogue qui fut à l’origine une préface de Ndaw au livre d’art d’Olivier Föllimi, « Hommage à l’Afrique » (Paris, Éditions de la Martinière, 2010, 336 p.). Voilà pour ce qui est de la forme.
Pour le fond, l’ouvrage constitue « une puissante synthèse entre tradition et modernité, entre pensée africaine et philosophie occidentale, en vue d’aboutir à la définition d’une personnalité culturelle capable, en surmontant tout déchirement, de se remembrer ». Autrement dit, créer l’herméneutique (théorie de la lecture, de l’explication et de l’interprétation des textes) en la faisant, c’est-à-dire expliciter et interpréter les traditions culturelles africaines en assumant son double héritage africain et occidental.
Aux négateurs de la philosophie africaine -tout comme à ses partisans-, Ndaw répond que le problème de l’existence d’une philosophie africaine est une question philosophique, « car il faudrait résoudre d’abord le problème de la définition et de l’identité du philosophique » (p. 215). Ainsi, à l’heure des premiers traités de philosophie africaine (Biyogo a rédigé le sien, Djibril Samb est en train de faire de même), l’ouvrage d’Alassane Ndaw apporte une contribution essentielle au débat. Du reste, le débat sur la philosophie africaine, et notamment sur la question de son existence, « en a jeté les fondements », nous expliquait Djibril Samb dans un entretien au « Soleil ». « Les remises en cause de son existence sont, paradoxalement, de la matière fécondante. L’un des charmes de la philosophie africaine, c’est justement sa propension à se placer devant un miroir pour se regarder, avant de se demander si elle ne serait pas plutôt autre chose qu’elle-même ».
C’est donc avec autorité que Ndaw vient, à titre posthume, apporter sa pierre à l’édifice. En effet, à la suite du Belge Franz Grahay, critiquant le livre du Père Tempels (« La philosophie bantoue »), une vive controverse, à propos de l’expression « philosophie africaine », s’engagea entre spécialistes africains.
Rappelons brièvement les positions. Les contempteurs de cette expression (Samuel Hountondji, Marcien Towa) déclarent que la reconstruction d’une vision du monde collective et inconsciente, d’une sagesse informulée, sous-jacente aux coutumes d’une ethnie, à son organisation, à ses coutumes et à ses légendes, voire aux structures de ses langues, ne mérite pas le nom de philosophie. D’autres (notamment Senghor) contestent le caractère étroit d’une philosophie qui se définit exclusivement à travers des concepts abstraits. S’appuyant sur Roger Garaudy, le poète sénégalais défend la thèse selon laquelle la philosophie se fait « à la fois regard jeté sur les devanciers et vue sur les valeurs spirituelles du présent et sur la vie qui se poursuit (Ndaw, p. 217).
Une revendication « indue » à l’ethnophilosophie
Dans ce débat, Ndaw est classé parmi les ethnophilosophes et critiqué comme tel – lui-même ne dédaigne pas une telle classification et semble la revendiquer. Or, souligne Djibril Samb, dans son ouvrage majeur, « La pensée africaine. Recherches sur les fondements de la pensée négro-africaine », Alassane Ndaw « se détourne résolument de l’ethnophilosophie telle qu’elle est communément entendue », c’est-à-dire une tentative d’exhumer une philosophie « déjà là, disséminée dans la conscience collective ».
Sur les raisons de cette revendication « apparemment indue », Samb avance deux pistes d’explication : le contexte polémique d’élaboration de celle-ci et le poids de l’urgence des prises de position sommaires et la « sommation idéologique » de la négritude senghorienne à la recherche d’une onction philosophique authentique.
Dans tous les cas, pour Alassane Ndaw, la philosophie africaine contemporaine ne devrait pas s’épuiser à restituer ou à reconnaître le passé. Sans cesser d’être rétrospective, elle doit être principalement prospective. Toutefois, met en garde l’auteur, dans cette attitude prospective, le philosophe africain évitera de confondre idéologie et philosophie en s’alignant sur un militantisme politique ou une dogmatique religieuse. « Il devra, au contraire, innover chaque fois que l’objet particulier de ses recherches le requiert. » C’est pourquoi, souligne Djibril Samb dans le Prologue, la philosophie africaine n’est pas une donnée « mais une promesse ». Il s’agit d’un travail « d’interprétation et de valorisation, d’élucidation et de déchiffrement des significations des créations spirituelles – ce qui est autre chose qu’établir une sorte d’encyclopédie ».
« Ndaw ne recherche pas un passé mort pour l’ériger en ‘’philosophie’’, mais plutôt un passé vivant pour en faire un objet de confrontation, une épreuve dans son expérience philosophique personnelle » (p. 14). L’approche révèle un caractère plutôt programmatique. « Il n’existe pas ‘’quelque chose’’ qui serait la philosophie africaine. Il est cependant sûrement ‘’quelque chose’’ qui peut être soumis à un déchiffrement de son sens, à une lecture philosophique » (p.15). Ce ‘’quelque chose’’ c’est la culture africaine. Mais il ne peut en être fait « ni lecture philosophique, ni déchiffrement de sens avant la création préalable d’une herméneutique ». C’est donc bien à tort, estime Djibril Samb, qu’un Marcien Towa a pu reprocher à Ndaw, à l’instar de l’ethnophilosophie, de « dilater le concept de philosophie au point de superposer sa compréhension avec celle de culture ».
Une promesse plutôt qu’une donnée
En réaffirmant son double attachement à la tradition philosophique occidentale et à un contenu matériel (la culture africaine), Ndaw reste « sur le même terrain que la tendance critique qui ne dit pas autre chose ». Paradoxalement, en reprochant à Tempels d’avoir « repensé » la philosophie bantu « dans le cadre du thomisme » et d’avoir ainsi échoué à la cerner dans son originalité, Ndaw « se révèle », à travers cette critique même, « tempelsien en ce sens précis, mais capital, qu’il admet moins sa construction théorique – compromise par un outillage inadéquat – que son inspiration fondatrice », souligne Djibril Samb. Aux yeux de Ndaw, l’enjeu programmatique majeur de la philosophie africaine consiste précisément à essayer « de donner un fondement conceptuel à la vision de la réalité propre aux peuples d’Afrique » en s’appuyant sur une réflexion en quelque sorte analogue à l’ontologie, qui prendrait la « force » comme concept moteur dans une perspective herméneutique.
Selon Djibril Samb, bien loin de décerner une attestation d’existence à la philosophie africaine, à l’instar de Senghor, Alassane Ndaw s’efforce plutôt de montrer que le terme philosophie ne peut s’appliquer rigoureusement aux doctrines africaines. Autrement dit, la philosophie africaine n’est pas « déjà là », enfouie dans la culture et la civilisation africaines ; elle est « comme une promesse, comme un possible, qui ne peut cependant advenir d’elle-même dans la mesure où la médiation d’une « instauration thétique » est absolument nécessaire pour passer de « l’intuition du monde au concept philosophique ».
SON TITRE DE SÉJOUR N'EST PAS RENOUVELÉ À CAUSE DE SES POSTS SUR FACEBOOK
L’individu en question tenait un « discours anti-occidental, complotiste et dirigé contre la société française » dans diverses publications sur Facebook, ont estimé les juges d’appel, dans leur décision rendue le 12 juillet dernier
Ce que vous dites sur les réseaux sociaux peut vous coûter cher… Un Marocain âgé de 31 ans en a fait l’expérience. Son titre de séjour n’a pas été renouvelé en raison de ses propos tenus sur Facebook, révèle le site spécialisé NextInpact.
L’individu en question tenait un « discours anti-occidental, complotiste et dirigé contre la société française » dans diverses publications sur Facebook, ont estimé les juges d’appel, dans leur décision rendue le 12 juillet dernier. Son compte Facebook témoignait également de son affiliation « à un nombre important de personnes appartenant à la mouvance islamiste radicale ».
Une « menace à l’ordre public » sur le territoire français
L’affaire remonte à juillet 2018. Le préfet de police avait refusé de renouveler le titre de séjour d’un certain M.B. en raison de « ses propos » sur Facebook, l’obligeant à quitter le territoire dans un délai d’un mois. L’individu avait attaqué en annulation cet arrêté. En novembre 2018, le tribunal administratif avait rejeté sa demande. Mais l’individu avait alors fait appel. La décision de la cour d’appel de Paris a finalement été rendue le 12 juillet dernier.
L’arrêt stipule que l’homme s’est vu refuser son titre de séjour à la suite d’une enquête des services spécialisés du renseignement qui ont alerté sur « son comportement, ses propos et écrits ». « La réalité de la menace à l’ordre public que constitue sa présence sur le territoire français est établie », précise la décision de la cour d’appel.
Comme Hurricane, Eumeu Séne (Mamadou Ngom, son nom à l’état civil) a dû batailler ferme pour se frayer une voie dans un quartier presque hostile à la réussite. Des écueils, il en a rencontré sur son chemin. Ado insouciant, il adorait ramener dans son quartier de Darou à Pikine, des reptiles, qu’il n’hésitait pas à exhiber pour faire peur aux gens. Une enfance atypique. Préférant courir les baptêmes pour se gaver de «lakh», au lieu d’aller user sa culotte sur les bancs de l’école, sa réussite est perçue presque comme un scandale.
A Darou, un quartier populaire situé dans la commune de Pikine-Ouest, son effigie s’affiche à tous les coins de rue. L’enfant du quartier est devenu un modèle de réussite. S’il est désormais adulé, son ascension fulgurante suscite malgré tout bien des interrogations. Comment un garçon sur qui personne ne pouvait se risquer à miser un kopek, s’est-il subitement projeté au-devant de la scène, réussissant à ravir la vedette aux footballeurs et autres grands lutteurs qui ont habité le coin ?
Pour lever le voile sur cet itinéraire improbable, il faut se rendre à «Café gui», un endroit situé à un jet de pierres de la maison familiale de Eumeu et où les amis du futur adversaire de Balla Gaye 2 ont l’habitude de se retrouver pour discuter autour d’une tasse de «café touba». «Mbeur», «Gaïndé», «Doff bi» : ici, les sobriquets par lesquels on aime interpeller Eumeu Séne, font florès. Signe que leur champion est passé par plusieurs étapes. D’une enfance rude aux habits de lumière d’un champion au coups de poing ravageurs. Qui pour oser remettre au grand jour cette enfance tumultueuse ? «L’oncle bien sûr», souffle un ami de Eumeu, conscient que cet oncle, témoin des escapades et des bêtises du neveu, peut raconter à souhait, sans risque d’être rabroué ou de recevoir un uppercut.
L’enregistreur peut alors tourner et Mambaye Thiam de (re) plonger dans ses souvenirs pour extirper de sa mémoire l’image de ce garçon trapu qu’il pouponnait sur ses genoux tous les matins : «Sa mère aimait bien me le confier quand elle allait au marché», confie l’oncle, confident du papa de Eumeu Séne. Dès le jeune âge et comme la plupart des mômes, les bêtises s’accumulent. Au quotidien. Les corrections, les gifles ou les coups de fouet, pour ramener le turbulent Eumeu à la raison, sont sans effet. Stoïque, il encaissait les coups de fouet ou de cravache sans broncher. «Cette image reste encore vivace dans mon esprit. Eumeu ne bougeait pas pendant que les coups pleuvaient. Juste un souffle de lion, mais il ne bronchait pas», témoigne l’oncle. Le souffle de lion est resté collé à ce garçon têtu, fasciné par les reptiles. A son âge ? Hé oui. L’espace semi désertique (disparu du fait de la croissance démographique et qui s’appelle maintenant Guinaw-rails) peuplé juste de quelques arbres, derrière la voie ferrée où personne n’osait s’aventurer, était devenu un terrain de jeu pour le petit Eumeu.
Ignorant le danger, il y conduisait une meute de chiens pour pourchasser les reptiles, qu’il attrapait de ses mains avant de les fourrer dans un sac. Il énervait tout le monde à ce jeu qui consistait pour lui à exhiber les reptiles dans son quartier pour faire peur aux gens. Il s’en tirait toujours avec quelques remontrances et des coups de cravache. Qu’importe, dès le lendemain, il reprenait de plus belle. Puis vint l’adolescence !
Eumeu découvre un autre terrain de jeu et exhibe au grand jour ses talents de fin gourmet. Les baptêmes, il se débrouillait pour les localiser, avant d’y mener (de gré ou de force) sa bande de camarades. Il pouvait parcourir de longues distances, juste pour assister à un baptême et se gaver de ce mélange de bouillie de mil et de lait caillé communément appelé «Laakh». Et le plus marrant, se souvient-on encore au quartier Darou, c’est qu’il utilisait ses biceps pour arracher le bol de «laakh», qu’il mettait sur sa tête, tenant le bol de la main gauche et puisant la bouillie avec l’autre main. Idem pour les aumônes que les vieilles personnes distribuaient aux enfants pour conjurer le mauvais sort.
Le bonhomme se débrouillait toujours pour être servi le premier. Ce n’est que lorsqu’il est repu que le jeune Eumeu accepte alors de baisser la garde pour égayer l’assistance. «C’étaient des tranches de rigolades qui pouvaient durer des heures», témoigne Mambaye. Tout y passait : les chahuts, les imitations… Et à ce jeu, c’est Pape Diop Boston, ancien champion d’Afrique de lutte, le personnage favori, que Eumeu tentait d’imiter. C’est à cette époque, alors qu’il venait de souffler ses quinze bougies, que le jeune Mamadou Ngom (son nom à l’état civil) fait ses premiers pas dans la lutte.
Des pas timides exécutés sous le regard bienveillant de Pape Diop Boston dans un quartier où personne n’est surpris quand des notables, sur le chemin de la mosquée, n’hésitent pas à exécuter un croc-en-jambe ou un «mbott». Eumeu se découvre ainsi une passion à Darou, où on vit de la lutte. L’ascension prend forme. Après une incursion à l’écurie «Boul Falé», Eumeu revient sur ses terres, son fief, Darou, son quartier d’origine, où on ne souhaite plus revivre le jour d’après. Le jour qui a suivi sa confrontation avec Modou Lô. Vivement le 05 avril 2015.
LES SIX DATES QUI ONT FAIT EUMEU SÈNE
Le parcours a été parsemé d’embûches, mais Eumeu Sène s’est frayé un chemin pour se hisser au sommet, parmi les sommités de l’arène
Le parcours a été parsemé d’embûches, mais Eumeu Sène s’est frayé un chemin pour se hisser au sommet, parmi les sommités de l’arène. Six dates clés aident à mieux connaître ce lutteur aux multiples facettes.
Ouza Sow (7 février 1999) : «Passage de grade réussi»
Son premier combat, Eumeu Sène l’a livré le 19 mars 1998 contre Mbodj Diagne. Il s’était soldé par une défaite. Mais celle-ci ne l’a pas empêché de faire son bonhomme de chemin et de saisir sa chance lors de son passage de grade face à Ouza Sow de Fass, le 7 février 1999. C’était un combat très dur : les lutteurs ont échangé des coups de poing sans retenue. Le combat s’est terminé sur une chute spectaculaire. C’est la victoire de Eumeu Sène la plus éclatante et sans doute l’une des plus importantes de sa carrière, parce qu’elle lui a permis de franchir un palier, d’entrer dans la cour des grands.
Nguèye Loum (7 aout 1999) : «Sur les pas de Tyson»
Ce combat, son premier chez les ténors, l’opposait au premier adversaire de son mentor, Tyson. A l’époque, Nguèye Loum, au summum de son art, respirait la forme et était craint de ses adversaires. Tout le monde pensait que Eumeu Sène, qui avait deux handicaps : sa taille et sa jeunesse, ne pouvait pas s’en sortir. Mais Eumeu en a surpris plus d’un ce jour-là. Son adversaire étant plus à l’aise dans la bagarre, il a mis la fougue de côté. Privilégiant la lutte, il a imposé sa force, pour, contre toute attente, sortir vainqueur de ce duel.
Gris Bordeaux (13 juin 2004) : Une pilule amère
C’était le choc entre Pikine et Fass. Un vrai «classico». Eumeu Sène était l’espoir montant de la banlieue, Gris la belle promesse fassoise. Deux lutteurs parmi les plus en vue de leur génération, qui s’affrontaient pour la première fois à Demba Diop. Ce jour-là, Eumeu Sène a fait preuve d’immaturité, en tombant dans le piège de son adversaire. Qui, très affûté, a imposé la bagarre pour prendre à défaut Eumeu, en allant chercher, avec beaucoup de technicité et de culot, les deux jambes du Pikinois.
Balla Gaye 2 (8 février 2009) : Un «Caxabal» d’enfer
Avant ce combat, Balla Gaye 2 avait fait le vide autour de lui. Il avait battu Bathie Seras, Boy Sèye, Tyson Junior (lutteurs de Pikinois), Ousmane Diop, et pris sa revanche sur Issa Pouye (Thiaroye). Eumeu Sène devait laver cet affront face à un adversaire que rien ne semblait pouvoir arrêter. Mais la suite, on la connaît : un «caxabal» d’enfer. Un geste simple, mais difficile à réaliser face à un lutteur de la trempe de Balla Gaye 2. Cette défaite avait freiné BG2, qui visait Tyson à l’époque. Il finira par le croiser, et l’issue de ce combat est l’une des raisons de l’éclatement de l’écurie «Boule Falé». Eumeu a pris son indépendance.
Gris Bordeaux (6 mars 2011) : Le prix du sang
En termes d’intensité et d’endurance, c’est sans doute l’un des meilleurs combats de l’arène ces dernières années. Des coups bien placés, une technique de lutte (placage) savamment exécutée, Gris Bordeaux/Eumeu Sène a été un combat de haute facture. Le Pikinois s’en était sorti blessé à l’œil, mais son blason a été redoré. «Il a démontré toutes ses capacités à lire un combat, en déjouant toutes les stratégies de Gris. Il l’a finalement battu à l’usure. Ce combat a relancé Eumeu et lui a donné un succès fou, une seconde jeunesse.
Bombardier (28 juillet 2018), le cadeau du ciel
Ce jour-là, le ciel tenait à récompenser un lutteur plein de qualités, mais que le destin n’a pas très tôt gâté. Face à Bombardier et ses 150 kg, peu d’amateurs pouvaient parier sur une victoire de Eumeu Sène. Le Pikinois a pris son courage à deux mains pour faire face au B52. Après une bagarre désordonnée, le mastodonte Bombardier s’écroule, Eumeu monte ainsi sur scène. C’est la consécration d’une carrière parsemée d’embûches.
AUDIO
LE WAX EN AFRIQUE, CLICHÉ OU IDENTITÉ DU CONTINENT ?
Souvent associée au continent africain, l’histoire de ce tissu est pourtant plus complexe. Est-il encore massivement porté comme un tissu traditionnel en Afrique ? Comment les Africains se le sont-ils réapproprié ?
Au dernier défilé Dior, la prestigieuse maison a présenté une collection avec plusieurs vêtements et accessoires en wax. Souvent associée au continent africain, l’histoire de ce tissu est pourtant plus complexe. Est-il encore massivement porté comme un tissu traditionnel en Afrique ? Comment les Africains se le sont-ils réapproprié ?
Avec :
- Marie-Jeanne Serbin-Thomas, rédactrice en chef du magazine Brune
- Anne Grosfilley, anthropologue, auteur de Wax 500 tissus (La Martinière)
- Paté Ouedraogo, fondateur de la maison de couture Pathé‘O en Côte d’Ivoire
- Aminata Coumbassa, fondatrice et rédactrice en chef du média Le monde du wax, destiné à tous les amoureux du life style africain.
MODOU LO, UNE CARRIÈRE À REMETTRE SUR LES RAILS
Après sa défaite en janvier face à Balla Gaye, un nouveau revers ce dimanche face à Eumeu Sène, serait lourd de conséquences pour l'enfant des Parcelles Assainies
Dans une discipline sportive normale et normée, Modou Lô qui sort d’une défaite face à Balla Gaye 2, en janvier dernier, n’aurait pu accéder directement au détenteur de la couronne de roi. Mais dans le monde de la lutte, les humeurs des amateurs, les intérêts des promoteurs et l’attractivité de l’affiche priment sur la logique sportive.
Eumeu Sène a réussi là où Modou Lô a échoué le 25 juillet 2015, mais son avance prise à la faveur d’une victoire devant le tenant du titre de roi des arènes, Bombardier, ne l’a pas mis hors de portée du Roc. Battu par Balla Gaye 2, Modou Lô n’a pas eu le temps de digérer sa défaite que son entourage lui a offert un combat royal en guise de consolation. Mais le cadeau pourrait être empoisonné.
Une deuxième défaite de rang, après son humiliation devant Balla Gaye 2, freinera son élan, au moment où de jeunes lutteurs à l’ambition démesurée se sont lancés de toutes leurs forces dans la course à l’entrée dans le cercle des grands. Les conséquences d’une deuxième défaite consécutive, la troisième d’une carrière ornée de 19 victoires et portée par une popularité sans précédent, seraient la fin d’une période de grâce qui commence à durer.
Mbaye Tine, coach écurie Baol Mbollo confirme : «si Modou Lô perd ce combat, le reste de sa carrière risque d’être difficile. Son adversaire numéro un sera alors Ama Baldé. Après, Gris Bordeaux et Lac 2 pourront également prendre leur revanche. S’il rate cette opportunité, il va vers une fin de carrière difficile. Déjà tous les ténors sont plus costauds que lui et il ne peut pas les battre, mais tout le monde connait maintenant sa stratégie.
C’est un lutteur qui attend pour exploiter les failles de l’adversaire. Et aujourd’hui tous les lutteurs qui ont cette stratégie se mettent à dos le public. En cas de victoire, il devient roi et aura la latitude de choisir ses adversaires.» Un revers donnera un sacré coup à sa popularité en veilleuse et remuera à nouveau le couteau dans la plaie ouverte par la deuxième défaite face à Balla Gaye, qui a laissé place à des critiques d’un entourage qui ne reconnait plus son lutteur.
LA FACE SOMBRE DE L'AMÉRIQUE
"Dans leur regard", la nouvelle série choc en 4 épisodes, raconte la véritable histoire des cinq adolescents noirs et latinos accusés de viol, alors qu'ils étaient en réalité innocents
Dans leur regard, «When They See Us » dans son titre original, une mini-série en quatre épisodes réalisée par la toujours excellente Ava DuVernay, réalisatrice de Selma et Middle Of Nowhere, est diffusée actuellement sur Netflix. cinéaste y décrit le processus trop commun par lequel cinq adolescents noirs et latinos ont été condamnés pour un crime qu’ils n’ont pas commis. Surnommés «les Central Park Five», Antron McCray, Kevin Richardson, Yusef Salaam, Raymond Santana Jr. et Korey Wise, dont l’âge variait de 14 à 16 ans à l’époque, ont été accusés d’avoir violé et battu Trisha Meili, 29 ans, qui faisait son jogging dans Central Park le 19 avril 1989. Malgré un interrogatoire d’un jour et demi sans la présence de tuteurs et sans nourriture, sans eau ni sommeil, malgré des aveux contradictoires obtenus sous la contrainte et malgré l’absence totale de preuves matérielles, les cinq garçons ont tous été condamnés et incarcérés. Quatre d’entre eux ont été placés dans des établissements correctionnels pour mineurs. Korey Wise, 16 ans, l’aîné, a été jugé en tant qu’adulte et incarcéré pour adultes, où il a subi d’horribles sévices physiques et psychologiques.
Une série extrêmement difficile à regarder, mais certainement pas par manque de savoir-faire. La direction et l’écriture de DuVernay sont claires et précises, et mettent l’accent sur ce que les garçons et leurs familles ont perdu au cours de leurs décennies d’épreuve. Bradford Young, directeur de la photographie nommé aux Oscars et collaborateur de longue date de DuVernay, apporte sa lumière brute et ses ombres clairs-obscurs caractéristiques pour donner à la série une apparence remarquable, notamment dans des tons bleus froids et avec la lueur chaude et dorée des lampadaires et des lampes des appartements. La distribution, constituée de plus de 100 comédiens, dont Vera Farmiga, Michael Kenneth Williams, Joshua Jackson, Blair Underwood, Felicity Huffman, Suzzanne Douglas, Jharrel Jerome et Kylie Bunbury, est aussi excellente. Ils font tous un travail fantastique avec leurs personnages. On peut ainsi citer Niecy Nash, dans le rôle de la mère de Korey, Aunjanue Ellis, celle de Yusef ou encore John Leguizamo, dans celui du père de Raymond – vous pouvez voir leur zèle pour défendre leurs fils, poussés par un amour profond, une fatigue extrême et une colère vertueuse.
Un déni de justice qui s’inscrit dans l’histoire sociale américaine
Non, en fait ce qui rend difficile à voir Dans leur regard, ce n’est pas seulement la violence infligée aux cinq garçons – qui sont si jeunes et impuissants par rapport aux policiers et à la machine judiciaire et médiatique qui s’abat sur eux – mais parce que vous savez par dessus tout que ces faits s’inscrivent dans une sorte de continuum d’injustice. L’histoire américaine nous renvoie ainsi, entre autres, aux émeutes du Zoot Suit de 1943 à Los Angeles, où des Marines blancs ont violemment attaqué des jeunes Mexicains, Noirs et Philippins ; à l’exécution en 1944 de George Stinney Jr. en Caroline du Sud, 14 ans à peine lorsqu’il a été reconnu coupable du meurtre de deux jeunes filles blanches (dont beaucoup pensent qu’elles ont été assassinées par un homme blanc puissant, George Burke) ; à la mort de Kalief Browder, un jeune homme du Bronx qui s’est suicidé après avoir été détenu à Rikers Island pendant trois ans sans procès pour un sac à dos volé ; et à la mort innombrable de jeunes hommes, femmes, garçons et filles de couleur des mains de membres auto-définis de la société et de policiers racistes et haineux.
Ava DuVernay lance une forme d’appel à l’action. Un appel à se rappeler qu’il ne fait pas continuer à laisser l’histoire se répéter. La population carcérale américaine s’élève actuellement à 2,2 millions de personnes, et 4,5 millions d’autres sont en liberté conditionnelle ou en probation, soit le nombre le plus élevé du monde dit « développé ». Ce sont des millions de familles détenues dans une sorte de purgatoire, des millions de vies détruites, parfois irréparables. Combien d’autres personnes devront vivre ce genre d’expérience avant que les choses cessent ? Oui, aujourd’hui encore aux États-Unis, les noirs américains sont toujours victimes criantes de discrimination.Pour un même crime, une personne noire sera condamnée à une peine dix neuf pour cent plus longue qu’une personne blanche. Si Dans leur regard s’attaque à une affaire bien précise, elle dénonce plus généralement un système judiciaire où l’égalité n’est toujours pas acquise aujourd’hui.
Jean-Luc Gadreau est critique cinéma et attaché de presse du Jury œcuménique au Festival de Cannes. Pasteur et chargé de communication de la Fédération Baptiste (membre de la Fédération Protestante de France et du Conseil National des Évangéliques de France). Artiste, musicien et chanteur depuis le milieu des années 80, il est aussi auteur du livre « Sister Soul - Aretha Franklin sa voix, sa foi, ses combats » édité en Mai 2019 chez Ampélos.
L'AFROTOPIE QUI VIENT
Felwine Sarr nous invite à faire un travail de déconstruction épistémologique radical pour sortir du capitalisme et de l’unimonde néo-libéral, afin de penser le réel à partir du plurivers, des différentes manières de faire l’expérience du monde
Dans cet épisode, on retrouve Felwine Sarr pour un long entretien où l’on prend le temps de parler Afrotopie, des potentialités africaines, des modalités de leur surgissement ; et à travers elles, de notre monde en commun.
Felwine Sarr nous redit l’importance de penser l’utopie, de penser le monde que l’on souhaite habiter pour le faire advenir.
On entrevoit comment les enjeux du présent nous appellent à former une véritable communauté humaine, à dépasser les catégories héritées du vieux monde, pour être en mesure de faire face aux défis du présent. Etats-nation, frontières, identité, figure de l’étranger...etc.
On revisite également les ordres du discours économique dominant.
Felwine Sarr nous invite à faire un travail de déconstruction épistémologique radical pour sortir du capitalisme et de l’unimonde néo-libéral, afin de penser le réel à partir du plurivers, des différentes manières de faire l’expérience du monde, qui s’affirment de plus en plus fortement depuis les Suds.
Le temps de l’insurrection épistémologique est venu.
On découvre comment le moment de réenracinement du patrimoine culturel africain peut soutenir la reconstruction du continent et pourquoi cette réappropriation est une étape essentielle de la reconstitution d’une mémoire longue, pour l’ensemble de la communauté africaine, diasporique et humaine.
Pour habiter le monde en commun, le plus grand défi est peut-être celui d’avoir en partage une mémoire commune de nos histoires plurielles.