LA RETENTION, MAIS QUELLE RETENTION DE CARTES D’ELECTEURS ?
Sur les 6.050.075 cartes issues de la refonte du fichier électoral, autrement dit les cartes ayant servi aux élections législatives de 2017 plus celles qui n’avaient pas pu être produites à l’époque et l’ont été depuis lors, les 5.883.620 ont été retirées

Au moment où ces lignes seront lues, plus que 41 jours sépareront les Sénégalais de la « mère des batailles » version élection présidentielle. Autant dire que les « happy few » qui auront eu la chance de passer le double filtre du Conseil constitutionnel (celui du parrainage et celui des critères juridiques, administratifs et financiers requis) s’apprêtent à emprunter la dernière ligne droite.
Celle qui mène aux urnes. Et si, pour l’essentiel, l’opposition a laissé beaucoup de cadavres sur le champ de bataille des parrainages — 20 candidats éliminés sur 26, le 27ème étant le président sortant ! —, tout n’est cependant pas perdu pour elle à condition, bien sûr, de mettre toutes les chances de son côté. En termes de programmes alternatifs crédibles susceptibles de séduire les électeurs, bien sûr, mais aussi de regroupements, les recalés devant avoir l’esprit de dépassement et l’intelligence de rallier les autres candidats de leur camp qui auront été proclamés définitivement aptes à briguer les suffrages de nos compatriotes. En termes, surtout, de mobilisation de l’électorat pour l’emmener à aller retirer ses cartes d’électeurs et à aller voter le 24 février prochain. Or, à ce niveau, le discours qui est tenu ne correspond pas exactement à la réalité. Il a même des accents de défaitisme quand on entend parler de l’existence de deux ou trois fichiers ou encore de « rétention » de cartes d’électeurs. C’est justement cette dernière question qui nous intéresse ici. En effet, les informations de première main dont nous disposons montrent qu’en réalité, il n’y a point de rétention et que, au contraire, les électeurs ont retiré massivement leurs cartes. Jugez-en : sur les 6.050.075 cartes issues de la refonte du fichier électoral, autrement dit les cartes ayant servi aux élections législatives de 2017 plus celles qui n’avaient pas pu être produites à l’époque et l’ont été depuis lors, les 5.883.620 ont été retirées à la date du 04 janvier dernier. Soit un pourcentage de 97,25 % !
A l’heure actuelle, sur ces cartes issues de la refonte, il ne reste plus que 166.455 qui n’ont pas encore été retirées par leurs propriétaires. Lesquels ont jusqu’à la veille du scrutin pour le faire. Encore que ce soit une mauvaise habitude d’attendre le dernier moment pour se lancer à la recherche de sa précieuse arme électorale. Avec un taux de retrait de 97,25 % — et donc 2,75 % de cartes restantes—on ne peut pas précisément parler de « rétention ». Ou bien alors les mots n’ont plus le même sens selon que l’on soit de l’opposition, de la majorité présidentielle ou de l’administration électorale !
Le pas de tortue des cartes issues de la révision exceptionnelle
En fait, là où les choses avancent plus que lentement, c’est au niveau des cartes issues de la révision exceptionnelle des listes électorales. Là, on ne peut pas dire, effectivement, que les citoyens se pressent dans les centres de distribution pour récupérer leurs documents. Sur les 432.772 cartes issues de cette révision et effectivement produites, en effet, seules 227.323 ont été récupérées, soit à peine une carte sur deux puisque le taux de retrait s’établissait à 54,73 % le 04 janvier de cette année. En tout, 188.057 cartes — soit 45,27 % — dorment encore dans les sous-préfectures et 10 commissariats de police de Dakar ainsi que ceux des chefs lieux de région en attendant de descendre à un échelon administratif inférieur. L’objectif visé est en effet de rapprocher le plus possible ces cartes de leurs propriétaires. Lesquels ont la possibilité de se faire éditer des duplicatas au cas où ils auraient perdu leurs cartes ou de faire rectifier les données erronées qui se trouveraient dessus en cas d’erreurs matérielles. Ils peuvent s’adresser à cette fin au centre d’appels de la Direction de l’Automatisation des fichiers (DAF) ou, pour certains, au commissariat de police de leur lieu de résidence.
Attention : ces chiffres n’incluent pas les 69.574 cartes, concernant des inscriptions nouvelles et des rééditions, produites à ou pour l’étranger. Cela dit, il reste que, si ces dispositions prises par l’administration pour mettre les cartes d’électeurs à la disposition des citoyens inscrits sur les listes électorales sont une bonne chose qui mérite d’être saluée, les élections sont aussi, et plus que tout sans doute, l’affaire des partis et des candidats. Lesquels doivent quand même faire l’effort de mobiliser leurs militants ou électeurs potentiels afin qu’ils aillent récupérer leurs cartes et les aider à les retrouver au cas où ils ne sauraient pas où aller les chercher. Ce qui suppose un travail de sensibilisation. Les candidats retenus devront par dessus tout engager la bataille des programmes et des idées afin de convaincre la grande masse des électeurs indécis, lesquels font souvent basculer les résultats en faveur d’un candidat ou d’un autre.
De ce point de vue, à l’heure où le président sortant, Macky Sall, ne cesse d’égrener — et de nous tympaniser avec ! — un bilan qu’il juge « excellent » pour ne pas dire « éblouissant », il ne serait pas mauvais que les candidats qui vont croiser le fer avec lui non seulement pointent à l’intention de nos compatriotes les faiblesses de son bilan mais encore nous disent ce qu’ils comptent faire pour les Sénégalais dans l’éventualité où ils seraient élus ! Ce qui suppose de déserter les plateaux de télévisions et les studios des radios pour enfin battre campagne dans le pays profond. Et cesser par conséquent de nous rebattre les oreilles des antiennes éculées comme le double voire triple fichier électoral ou encore… la rétention des cartes d’électeurs par l’Administration !