LES JEUNES DE L’OPPOSITION «BRULENT» LES «TALATAY» BOKK GUIS-GUIS
Las d’assister à des conférences de presse et d’entendre des déclarations à n’en plus finir, les jeunes militants de l’opposition ont fait violemment savoir à leurs leaders réunis autour du Front de résistance nationale (Frn) que trop c’est trop.

C’était mardi dernier, au siège de Bok Guis-Guis où ils ont délogé leurs dirigeants pour les jeter dans la rue afin de les pousser à faire face au régime du président Macky Sall. Cette contrainte exercée sur des leaders nous rappelle une conférence à la salle Daniel Brottier dispersée par les jeunes de « Y en a marre » — un mouvement alors naissant — pour pousser les leaders de l’opposition d’alors à aller à la Place de l’Indépendance pour combattre le régime de Me Wade. C’était en juin 2011 !
Les points de presse, les sit-in de l’Obélisque, les déclarations de salon, les communiqués de presse, les débats télévisés et autres « mardis » de Bok Guis-Guis, les recours au niveau des différentes juridictions… les jeunes et militants de l’opposition en ont marre ! Et ils l’ont violemment fait savoir, mardi dernier, au siège de Bok Guis de Pape Diop où se réunissaient les leaders du Front de résistance nationale (Frn) pour un énième plan d’action visant à dénoncer un « hold-up » électoral à travers la décision du Conseil constitutionnel de recaler certains candidats à la présidentielle de 2019. Face à ce qu’ils qualifient de stratégie de « peureux » et « poltrons », les jeunes de l’opposition ont délogé leurs dirigeants pour les contraindre à descendre dans la rue et à transformer leurs mille et un plans en… actions ! Et, surtout, engager un rapport de forces sur le terrain pour faire plier le régime de Macky Sall. Ces « mardis » de Bok Guis-Guis, une façon selon eux d’enfouir la tête dans le sable, les jeunes de l’opposition disent en avoir ras-le-bol et surtout au regard des nombreuses batailles politico-judiciaires que leurs leaders ont lamentablement perdues. Pire, la plupart des recalés membres du Front de résistance nationale (Frn) multiplient les « recours » juridiques synonyme de dilatoire, là où la bataille politique, surtout les manifestations de rue, devrait prendre le relais ! Toujours est-il que ces drôles de « mardis » au siège de Bok Guis-Guis nous rappellent les éternels « mardis » du centre culturel Daniel Brottier situé à la rue Sandiniéry, à quelques mètres de la Place de l’Indépendance à Dakar. Une comparaison des récentes échauffourées entre jeunes de l’opposition et forces de l’ordre sur la Voie de dégagement (Vdn) à Sacré-Cœur, sur injonction et à l’initiative des jeunes du Frn, d’une part, et le délogement de dirigeants de l’opposition suivi d’affrontements sur la place de l’Indépendance, d’autre part, montre que l’Histoire semble se répéter assurément !
Et sous des formes différentes en apparence, ce sont toujours les mêmes méthodes de gouvernance, les mêmes approches électoralistes et les mêmes motivations politiques mais aussi les mêmes dérives constitutionnelles qui sont combattues par des jeunes en colère Comme ce fut le cas de ce fameux soulèvement historique de juin 2011 où un projet de réforme constitutionnelle prévoyait qu’en 2012, les électeurs voteraient pour un « ticket présidentiel », c’est-à-dire feraient un seul vote pour élire à la fois un président et un vice-président sur le modèle américain. Ce projet de loi, rappelons le, avait aussi prévu le seuil minimum des voix nécessaires pour élire dès le premier tour le président de la République à 25 % des suffrages exprimés. Ce au lieu de la majorité qualifiée (50 % plus une voix) fixée par la Constitution. Selon les partis d’opposition, cette réforme électorale appelée « quart bloquant » était une manœuvre pour le président Abdoulaye Wade de rempiler en toute facilité dans l’espoir de transmettre, un jour, le pouvoir à son fils Karim Wade. Pour faire face à cette loi qualifiée d’anti-démocratique et empêcher son vote prévu le 23 juin 2011 à l’Assemblée nationale, les leaders de l’opposition soutenus par la société civile multipliaient les conférences de presse et les réunions de désapprobation.
Notamment au centre Daniel Brottier, un haut lieu culturel qui appartient à l’Eglise. Il est vrai que si le champ d’action de l’opposition ne se limitait qu’à Daniel Brottier, c’est parce que toutes ses manifestations et marches de contestation prévues en centre-ville faisaient l’objet d’une répression brutale de la part des forces de l’ordre du ministre de l’intérieur d’alors, Ousmane Ngom. Pire, les « sit-in » non autorisés que les opposants tentaient d’organiser à la Place de l’Obelisque étaient violemment dispersés par la police. D’où donc le repli à Daniel Brottier. C’est au cours d’une réunion organisée à cet endroit que les jeunes de « Y’en a marre » et les militants de « Benno Siggil Sénégal » ont fait irruption. C’était le 22 juin c’est-à-dire la veille du jour, le fameux 23 juin 2011, où les leaders de l’opposition affûtaient leurs armes destinées à l’Assemblée nationale. Et comme les jeunes en avaient assez, ils ont fini par saccager les locaux de Daniel Brottier et déloger les leaders avant de prendre la direction de la Place de l’Indépendance, histoire de chauffer les rues de DakarPlateau. « Nous ne voulons plus entendre de discours ! C’est fini ! Sortons de la salle et marchons vers le Palais… » s’étranglaient les jeunes de « Y en a marre » parmi lesquels Thiat, Fou malade et Karim Xurum Xax (qui a quitté le mouvement par la suite). Joignant le geste à la parole, ces jeunes rappeurs ont été suivis par la foule en direction de la Place de l’Indépendance.
Entre le « quart bloquant » de Me Abdoulaye Wade et le « quinté partant » de Macky Sall…
A peine sortis de Daniel Brottier, ils ont été chargés par les forces de l’ordre. S‘en étaient suivis des échanges de pierres et de grenades lacrymogènes dans les rues du centre-ville. Localisés et identifiés dans la mêlée et le sauve-qui-peut, Thiat, Fou Malade, Karim Xurum Xax, Kap 2 Seus et Crazy Cool — tous membres de « Y en a marre » sont cueillis, brutalisés, arrêtés et jetés dans le fourgon cellulaire de la police. Huit ans après, Karim Xurum Xakh se souvient de cet épisode : « Ce jour-là, nous en avions marre des réunions de mardi de Daniel Brottier ! Des réunions et conférences de l’opposition à n’en plus finir…Face à cette situation agaçante, Thiat, Fou Malade, Crazy Cool et autres dont moi ont fait irruption dans la salle pour sortir les leaders de l’opposition et les pousser dans la rue. Finalement, la police nous a arrêtés et conduits au commissariat central de Dakar où nous avons passé la nuit » nous rappelle le rappeur animateur Abdou Karim Guèye alias Xhrum Xaq. Il est vrai que comparaison n’est pas raison. Car, entre les mardis de Daniel Brottier et ceux de Bok Guis-Guis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Même si les eaux restent toujours incolores et inodores pour tous les deux régimes dont la principale préoccupation, c’est de sortir vainqueur d’une élection, quitte à étouffer l’opposition pour ne lui laisser aucune marge de survie. Une posture que l’actuelle opposition compte déjouer en appelant à la résistance. Certes, les sages imaginent la révolution et les jeunes la font ! Mais est-ce que les sages de notre opposition sont prêts à l’imaginer sur injonction des jeunes ?
En tout cas, le ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique, Aly Ngouille Ndiaye, n’a pas voilé ses menaces pour sauvegarder l’ordre public. En marge d’un Crd sur la ziarra de la famille Omarienne, il a fait savoir à l’opposition que force restera à la loi « Ce n’est pas la première fois qu’on vit ça, surtout qu’on s’achemine vers la présidentielle. En 2000 et 2012, nous avons aussi connu pareilles situations au Sénégal. Les gens vont revenir à la raison et respecter les lois auxquelles tout le monde va se soumettre » a-t-il prévenu en faisant à l’illusion à l’invalidation de certaines candidatures par le Conseil constitutionnel et à l’appel de l’opposition à la résistance. Entre le « quart bloquant » de Me Abdoulaye Wade d’hier, le « quinté partants » de Macky Sall aujourd’hui, la malheureuse histoire des « retouches » constitutionnelles se dessine. Mais quoi qu’il en soit, la cohésion sociale, la paix et la stabilité politique doivent rester les défis et les enjeux majeurs de la prochaine présidentielle. Malgré les progrès considérables effectués par le régime de Macky Sall, il faut l’avouer, malgré les découvertes pétrolières et gazières faisant espérer des lendemains meilleurs pour notre peuple, sans la paix sociale et la stabilité politique, tout risque de tomber à l’eau !