A MBAO, LE POISSON SE RAREFIE FAUTE DE PECHEURS
Seuls huit pêcheurs sont visibles sur le quai de pêche. Ils attendent leurs collègues partis à la recherche du poisson depuis 6h du matin.

Depuis quelques mois, nombreux sont ceux qui ont embarqué à bord des pirogues pour rallier les Îles Canaries. Les jeunes de Mbao, particulièrement les pêcheurs artisanaux, ont, eux aussi, tenté l’aventure, laissant derrière une communauté dans un trouble profond.
En cette fin d’après-midi, la plage de Mbao s’est vidée de son beau monde. Seuls huit pêcheurs sont visibles sur le quai de pêche. Ils attendent leurs collègues partis à la recherche du poisson depuis 6h du matin. L’ambiance est morose. Ici, chacun est plongé dans ses réflexions, oubliant même le thé qui crame sur le fourneau. D’habitude, les pêcheurs sont connus pour leur joie de vivre. Mais, en cette période de canicule, leurs visages qui dégageaient une certaine gaieté sont affligés par les difficultés auxquelles ils font face.
En plus du manque de poisson qui les inquiète au plus haut point, leurs enfants se sont lancés dans une aventure incertaine (l’émigration clandestine), à la recherche d’un avenir plus radieux. Même s’il ne donne pas raison à ces jeunes, Mbaye Sarr Pouye, le président de l’Union locale des pêcheurs de Mbao, refuse de les critiquer. « Nous n’allons pas juger ces jeunes qui partent, car eux seuls savent ce qui les motives. S’ils avaient l’opportunité de gagner honnêtement leur vie ici en tant que pêcheurs et subvenir à leurs besoins, ils n’auraient pas eu besoin de prendre de tels risques », indique-t-il, soulignant que « même si on les sensibilise », ils n’écouteraient personne parce qu’ « ils sont désespérés ».
M. Pouye invite ainsi les autorités à se réunir autour d’une table pour mieux situer le problème. « Nous, acteurs de la pêche, devons discuter sérieusement de ce problème. Il faut que les autorités sortent de leurs zones de confort pour connaitre les réalités du terrain et stopper ce phénomène. Les pêcheurs ne doivent pas être négligés vu qu’ils contribuent au développement du pays », ajoute-t-il.
Des propos que partage Thierno Kane, coordonnateur du Conseil local de la pêche artisanale (Clpa). « Quand il y a problème, les concernés doivent se réunir autour d’une table pour trouver une solution. Mais, depuis que ce phénomène a commencé, nous n’avons personne à qui parler. Les jeunes n’ont plus l’espoir de réussir au Sénégal. Leur départ a un impact sur notre vécu, car il n’y a plus personne pour aller à la pêche », regrette-t-il.
Thierno plaide pour le réaménagement et une meilleure gestion du marigot de Mbao qui, à son avis, peut offrir beaucoup d’opportunités d’emplois. « Si on l’exploite normalement, il pourra offrir des emplois aux jeunes qui ne songeront plus à partir en pirogue parce qu’ils souhaitent juste réussir », confie-t-il.
Mour Ndoye est pêcheur depuis ses 14 ans. Il vient de débarquer à bord d’une pirogue avec 30 autres collègues. Mais, il n’a entre les mains que deux seaux de poissons. À en juger leurs mines renfrognées, la pêche ne s’est pas passée comme ils l’espéraient, et le sieur Ndoye le confirme. « Nous sommes partis à 6 heures du matin et sommes rentrés à 16 heures avec seulement deux seaux de poissons. En partant, nous avons dépensé 150 000 FCfa en carburant, une somme que nous n’avons pas pu récupérer quand nous avons vendu le poisson. Après la vente, on n’a eu que 1000 FCfa chacun », se désole ce père de famille qui explique qu’il n’a toujours pas inscrit ses enfants à l’école faute de moyens.
Selon M. Ndoye, ce sont ces genres de choses qui incitent les jeunes à quitter le Sénégal. Mais, lui n’a pas l’intention de partir, même s’il fait face à des difficultés. Il ajoute qu’il y a tout de même des personnes qui vivent dans des conditions vraiment désolantes et comprend qu’ « ils veuillent tenter leur chance ailleurs ».
N., un autre pêcheur, confie qu’il n’avait pas pu réunir la somme exigée (400 000 FCfa) pour partir avec ses amis pêcheurs en Europe. Cependant, il affirme que si l’occasion se présente à nouveau, il n’hésitera pas. « Je suis carreleur et pêcheur à mes heures perdues. Il n’y a plus de chantier, donc je remets mon gilet. Nous ne pouvons plus rester à la maison et voir nos épouses et enfants mourir de faim sans pouvoir faire quelque chose. Avant, même si on n’avait pas d’argent, en rentrant de la pêche, on emmenait du poisson que les femmes préparaient et donnaient à la famille. Maintenant ce n’est plus possible, car il n’y a plus rien dans la mer », se désole-t-il.
L’activité des femmes transformatrices affectée
Une autre pirogue débarque cette fois devant le site de transformation de produits halieutiques. Une vingtaine de femmes accourent vers le navire, paniers en main, dans l’espoir de trouver du poisson à sécher ou à fumer. Malheureusement, certaines d’entre elles vont rentrer bredouille. Cette après-midi, seules cinq caisses de poissons sont disponibles et réservées au plus offrant.
Khardiata Diop exerce le métier depuis 1962. Elle révèle n’avoir jamais vécu une situation aussi « désastreuse » depuis près d’un demi-siècle. « Depuis le départ des jeunes, les jours passent et se ressemblent. Il n’y a presque plus de pêcheurs à Mbao et cela a un impact sur notre travail », explique-t-elle.
Mme Diop pense que les jeunes doivent être appuyés si l’on veut qu’ils restent au Sénégal. « Je suis âgée et ne devrais même pas me trouver ici, mais mes enfants sont au chômage. Ils ne peuvent pas prendre en charge les dépenses de la maison. Je suis obligée de venir travailler, sinon on n’aura rien à manger. Il faut qu’on aide les jeunes à avoir un travail décent », souligne-t-elle.
Abdou Tine, charretier de son état, transporte le poisson pour les femmes moyennant 150 FCfa la caisse. Aujourd’hui, il n’a fait qu’un voyage. « Avant, on pouvait faire quatre voyages au quotidien, mais depuis que les pêcheurs sont partis, on peut rester une journée sans travailler. Avec un seul voyage depuis ce matin, je suis obligé de tenter ma chance dans les chantiers », avance-t-il.
Le poisson frais devient un luxe dans certaines familles
Aïta Ndiaye est une femme au foyer. Elle fait ses courses au jour le jour. Depuis quelques temps, elle a du mal à se procurer du poisson frais à un prix abordable. Revenant du marché, calebasse sur la tête, elle se désole que certaines familles ne puissent plus consommer normalement du poisson. « Il n’y a plus de poisson dans le marché pour les familles démunies. Le prix auquel on le vend est exorbitant. Donc, je préfère cuisiner un plat qui ne nécessite pas sa présence, car je n’ai pas les moyens de m’en procurer », regrette-t-elle.
Marième Ndoye, vendeuse de poisson, impute cette cherté à la rareté du poisson. « Si les pêcheurs nous vendent le poisson à des prix exorbitants, nous ne pouvons pas le bazarder en le vendant moins cher. Ce n’est pas de notre faute parce que nous avons plus à perdre du fait que nous avons emprunté de l’argent pour acheter le poisson en quantité », se défend-elle. Une situation qui n’arrange personne.