LE MIRAGE DU PANAFRICANISME 2.0
EXCLUSIF SENEPLUS - Chaque crise internationale est l’occasion d’un flot de vidéos accusatrices, chaque tension diplomatique devient matière à indignation collective. Mais derrière la mise en scène, les réalités africaines demeurent

Spectacle numérique et manipulations géopolitiques
On nous répète à longueur de journées que l’Afrique se réveille. Qu’elle se dresse enfin, fière et souveraine, prête à balayer les vestiges coloniaux d’un revers de main numérique. Ce réveil, paraît-il, s’appelle panafricanisme 2.0. Il s’exprime en hashtags vengeurs, en vidéos virales, en indignations instantanées. On twitte, on tiktoke, on facebooke la révolution à coups de hashtags flamboyants : #AfricaUnite, #Souveraineté, #Décolonisation. Le continent, dit-on, serait enfin debout. Mais ce panafricanisme 2.0 ressemble moins à une renaissance qu’à un spectacle numérique où l’indignation remplace la politique et où la souveraineté se mesure au nombre de vues.
Là où Nkrumah appelait à bâtir un État fédéral africain et Cabral exhortait à allier lutte politique et transformation sociale, nos nouveaux prophètes numériques proposent des lives Instagram, des discours enflammés dans des studios climatisés, et des analyses géopolitiques en 280 caractères. Le drame n’est pas que ces discours existent – après tout, l’expression est une force – mais qu’ils prétendent suffire. Comme si l’indépendance était un logiciel gratuit à télécharger, et que la souveraineté se gagnait à coups de trending topics.
Le panafricanisme 2.0 est avant tout un spectacle. Il est émotionnel, théâtral, immédiat. Chaque crise internationale est l’occasion d’un flot de vidéos accusatrices, chaque tension diplomatique devient matière à indignation collective. Mais derrière la mise en scène, les réalités africaines demeurent : infrastructures délabrées, chômage massif, dépendance alimentaire, fragilité institutionnelle. Jamais un tweet n’a construit une école. Jamais un hashtag n’a réglé une pénurie d’électricité.
Ce néo-panafricanisme est d’autant plus inquiétant qu’il sert souvent de paravent politique. Derrière les grands discours sur la « dignité africaine », certains gouvernants trouvent un outil commode pour masquer leurs propres échecs. Il est toujours plus simple d’accuser un impérialisme extérieur que d’assumer son incapacité à réformer la fiscalité, à moderniser l’agriculture ou à investir dans l’éducation.
Plus préoccupant encore, ce panafricanisme 2.0 s’incarne dans des figures médiatiques qui se posent en « résistants » alors qu’ils sont entretenus par des puissances étrangères. Kémi Séba, par exemple, est présenté comme le tribun des humiliés. Mais faut-il rappeler son passé à la Tribu Ka, dissoute en France pour dérives racistes ? Là où ses « frères » de banlieue attendaient un leader capable de transformer leur révolte en projet politique, il a choisi l’exil africain, plus valorisant pour son égo. Aujourd’hui, ce « résistant incorruptible » multiplie les voyages à Moscou, se laisse relayer par RT et Sputnik, et fréquente des réseaux proches de l’Iran. Son panafricanisme n’est pas une idéologie d’émancipation : c’est une marchandise géopolitique exportée au service de puissances étrangères. Nathalie Yamb, la « Dame de Sotchi », suit le même chemin. Elle a trouvé en Russie une nouvelle scène où sa radicalité est applaudie. Son intervention au Forum Russie-Afrique en 2019 l’a propulsée comme égérie africaine du Kremlin. Ses diatribes séduisent, mais elles masquent mal les contradictions : dénoncer l’ingérence occidentale tout en s’affichant avec les relais médiatiques et financiers de Moscou. Elle se proclame indépendante, mais son discours est sponsorisé. Comment peut-on se présenter comme chantres d’une Afrique souveraine, tout en servant docilement les intérêts géopolitiques d’autrui ? La souveraineté proclamée n’est en réalité qu’une dépendance redéployée.
À force de simplifier l’Histoire en un récit manichéen « Afrique vs Occident », ces nouveaux « idéologues » alimentent un populisme dangereux. Toute voix discordante est vite taxée de traîtrise ou de complicité avec l’ennemi. On oublie que l’Afrique n’a jamais été un bloc homogène, mais une mosaïque de peuples, de langues, de cultures et d’intérêts parfois contradictoires. Prétendre construire une unité africaine en distribuant des étiquettes d’ennemis et d’alliés, c’est condamner l’idéal panafricain à rester un fantasme.
Le vrai panafricanisme, celui de Nkrumah, de Cheikh Anta, de Cabral, de Lumumba et de toute la lignée des chantres de l’Afrique unie, n’était pas une posture mais un projet de civilisation : bâtir des États solides, intégrer les économies, investir dans l’éducation et la recherche, protéger la démocratie et forger une unité réelle. Rien à voir avec ces mises en scène numériques qui confondent influenceurs avec penseurs et slogans viraux avec projets de société.
Ce néo-panafricanisme érige également une méfiance absolue vis-à-vis du monde extérieur. Comme si la dignité africaine se mesurait à la capacité de claquer la porte aux autres nations. Or, aucune région du monde ne s’est développée dans l’isolement. Ni l’Asie, ni l’Europe, ni l’Amérique latine. L’Afrique ne fera pas exception. Refuser des partenariats équilibrés et intelligemment négociés, c’est s’enfermer dans une pauvreté programmée.
Le panafricanisme historique n’était pas une mode, mais un projet de civilisation. Il reposait sur la conviction que seule l’unité politique, économique et culturelle pouvait arracher l’Afrique à la domination. Ce projet exigeait rigueur intellectuelle, vision stratégique et sacrifices concrets. À côté de cela, le panafricanisme 2.0 n’est qu’une parodie : une scène où l’on joue au révolutionnaire en ligne, tout en continuant de consommer passivement les modèles économiques, culturels et technologiques importés. C’est l’art de brandir des poings fermés en public, mais de tendre la main en coulisses.
Si l’Afrique veut réellement s’émanciper, elle n’a pas besoin d’un panafricanisme de façade, mais d’un panafricanisme du réel. Cela passe par des politiques publiques cohérentes et coordonnées, une intégration économique effective, au-delà des discours sur la ZLECAf, des systèmes éducatifs solides qui forment des citoyens compétents et conscients, des institutions stables qui protègent les peuples des dérives autoritaires, et surtout une coopération sincère entre Africains eux-mêmes. Voilà l’héritage de Nyerere, de Sankara, de Mandela, de Machel et de l’ensemble des artisans de l’unité africaine : un panafricanisme de la sueur, de l’intelligence et de l’organisation. Rien à voir avec la mise en scène numérique qui confond influenceurs avec penseurs, et slogans viraux avec projets de société.
En définitive, le panafricanisme 2.0 est une illusion commode. Il offre le frisson de la révolte sans le poids de la responsabilité, la chaleur de l’indignation sans la rigueur de l’action. Mais il est temps d’en sortir. Car la libération ne viendra pas d’un tweet, mais de l’effort patient, de la coopération sincère et du travail concret.
barry.at15@gmail.com, un Africain convaincu que Farafina se construit par l’action, la solidarité et le travail.