QUAND LA QUÊTE DE MINCEUR MET LA SANTÉ EN DANGER
EXCLUSIF SENEPLUS - Les thés minceurs ne font pas maigrir, ils déshydratent. Les pilules amaigrissantes détournent des médicaments contre le diabète. Décryptage d'un marché trompeur qui prospère sur les complexes liés au poids

S’il ne s’agissait que de pratiques commerciales douteuses, nous pourrions nous en remettre uniquement aux autorités de régulation et de veille pharmacologique, qui accomplissent déjà efficacement leur mission malgré les multiples stratagèmes déployés par certains acteurs motivés avant tout par le gain financier, parfois au détriment de la santé des populations.
Comme le dirait ‘’l’autre’’ : « Mon peuple périt faute de connaissance ». Ici, la connaissance est disponible et nous souhaitons la partager avec la population qui, sous l’effet des acrobaties du marketing, fait confiance aux supposés effets de substances quelconques pour atteindre des objectifs certes louables mais avec des séquelles regrettables.
Le surpoids et l’obésité sont en pleine augmentation à l’échelle mondiale. Les données du STEPS 2024 montrent bien cette hausse au niveau du Sénégal. En effet, alors qu’en 2015 le taux de prévalence de l’obésité était de 6,4 %, il est passé à 10,1 % en 2024. C’est clair, on devient de plus en plus gros.
Cette intervention ne vise pas à expliquer le phénomène de l’obésité mais plutôt à attirer une attention particulière sur un danger complexe qui prend de l’ampleur.
Il n’appartient pas au « secret des dieux » de savoir que perdre du poids est généralement difficile. De plus en plus, avec la mondialisation et les critères de beauté qui tendent à s’harmoniser avec le désir d’être de plus en plus « skinny » ou du moins de perdre du poids pour des raisons esthétiques ou de santé.
Face à ces constats, émerge donc un grand nombre d’acteurs commerciaux de thés dits minceurs, des injections et pilules amaigrissantes, des sirops ou des décoctions pour perdre du poids.
Comment fonctionnent les thés minceurs ?
Principalement, trois mécanismes sont retrouvés : l’effet diurétique, l’effet laxatif et la déshydratation.
Effet diurétique
À ce stade de notre réflexion, il convient de rappeler que l’organisme humain est constitué à environ 70 % d’eau. Autrement dit, chez un individu pesant 100 kilogrammes, près de 70 kilogrammes correspondent à la masse hydrique de son corps. L’effet diurétique désigne l’action d’une substance, appelée diurétique, qui favorise l’élimination de l’eau et du sel de l’organisme en augmentant la production d’urine par les reins. Ainsi, si par les urines on arrive à évacuer ne serait-ce qu’un pourcentage d’eau, la balance affichera une perte non négligeable de poids. Ceci n’est qu’un leurre car ce n’est pas de la graisse qui est perdue mais juste de l’eau, et celle-ci sera remplacée lors des prochaines gorgées.
Si cela s’arrêtait à ce mouvement d’eau ça serait bien. Malheureusement, la déshydratation est une urgence médicale. Il est très important pour le milieu intérieur et pour l’homéostasie d’avoir une imbibition correcte sinon des fonctions peuvent être altérées. Les conséquences qui peuvent en découler sont la fatigue, les crampes musculaires, l’hypotension rénale, la perte de sodium, de potassium, et l’insuffisance rénale aiguë. Les thés produisant ces effets sont généralement à base de queues de cerise ou de pissenlit.
Effet laxatif
Les thés ayant des propriétés laxatives sont ceux qui favorisent l’émission de matières fécales, généralement en quantité et liquides. Ces thés contiennent des substances qui ont pour rôle d’irriter la muqueuse intestinale, ce qui stimule les contractions et l’accélération du transit intestinal. Au même moment, on assiste à une diminution de la réabsorption de l’eau et celle-ci reste dans l’intestin avec les selles. Enfin, on note également une sécrétion plus active d’eau et de sodium/potassium vers la lumière intestinale, ce qui induit des diarrhées. Le leurre sur la balance est également observé dans cette action et encore une fois, aucune partie du tissu adipeux n’est éliminée. Les conséquences sont la déshydratation, l’hypokaliémie, l’altération du microbiote et la dépendance à ces produits. Pour ce dernier, l’intestin devient paresseux et à la longue incapable de fonctionner sans laxatif, ce qui est très grave. Les thés proposés sur le marché ayant cet effet laxatif sont généralement à base de séné ou de cascara.
Effet de déshydratation
Cette dernière catégorie est souvent vendue comme « détox » et ce sont des mélanges de diurétiques et de laxatifs. L’action résulte ainsi de la combinaison des mécanismes précédemment décrits, et les répercussions en sont tout aussi cumulatives. Parmi celles-ci, l’on observe notamment divers désordres métaboliques ainsi qu’une augmentation du risque de pathologies cardiovasculaires.
En s’appuyant sur ces trois mécanismes des thés dits « minceurs », on comprend aisément qu’il s’agit d’un artifice qui peut avoir des conséquences graves.
Pilules et injections
Pour ce qui est des pilules ou des injections, nous allons nous limiter à un seul axe afin de maintenir la clarté de ces écrits. L’axe choisi est celui du détournement de molécules curatives. En effet, plusieurs analogues du GLP-1 (en vogue sur les réseaux sociaux ces derniers mois) dont l’exemple le plus connu est l’Ozempic ® sont au prime abord des médicaments pour le diabète. Leur utilisation à des fins de perte de poids expose néanmoins à divers effets indésirables documentés. Sur le plan digestif, des nausées, vomissements, diarrhées, douleurs abdominales et troubles électrolytiques ont été rapportés. Au niveau pancréatique, certains cas d’inflammation ont été décrits. Sur le plan métabolique, des hypoglycémies, palpitations, épisodes de fatigue intense et une fonte musculaire ont été observés. Enfin, sur le plan nutritionnel, l’usage prolongé peut entraîner des déficits en vitamines et minéraux ainsi qu’une diminution de la masse maigre. Des études expérimentales chez l’animal ont par ailleurs soulevé des interrogations quant à un éventuel lien avec certains cancers, bien que ces données nécessitent encore confirmation chez l’être humain.
Le piège du « yoyo »
Dans le meilleur des cas, si l’une de ces techniques marche pour une perte de poids, on assiste à un effet « yoyo » : le poids perdu revient et souvent avec un surplus, ce qui peut amener les utilisateurs dans un cercle vicieux de prise chronique de ces substances.
Le surpoids et l’obésité sont des problèmes de santé publique. Le poids est issu d’un bilan assez simple : si quotidiennement la quantité d’énergie absorbée lors des prises alimentaires est supérieure à celle dépensée par l’individu, l’on grossit. Dans le cas contraire, on maigrit. Apprendre à mieux manger (équilibre alimentaire), manger un peu de tout (diversité alimentaire), faire de l’activité physique et se faire aider par un professionnel de la santé (diététicien ou nutritionniste) sont les bonnes pratiques et attitudes pour perdre du poids. Le processus de perte de poids doit être doux et requiert de la discipline et de la patience. Ce qui a été construit en plusieurs années de vie ne peut pas être enlevé efficacement en deux ou trois mois de régime ou de piqûres. Se faire accompagner est la meilleure option et elle n’est pas aussi chère qu’on le croit. Elle s’avère parfois moins chère que tous ces thés et pilules.
Dr Lebem Togtoga est enseignant-chercheur en Nutrition et alimentation humaine, UFR des Sciences de la Santé, UGB.