QUAND LAMINE LOUM PARLE DE CORRUPTION ET DE BLANCHIMENT D’ARGENT
Mamadou Lamine Loum sort rarement de sa retraite. Le dernier Premier ministre du président Abdou Diouf est un homme taiseux, mais lorsqu’il décide de rompre le silence, c’est toujours pour donner un cours magistral.

Mamadou Lamine Loum sort rarement de sa retraite. Le dernier Premier ministre du président Abdou Diouf est un homme taiseux, mais lorsqu’il décide de rompre le silence, c’est toujours pour donner un cours magistral. Sa lecture froide et profonde des phénomènes de la corruption et du blanchiment d’argent a émerveillé le public qui s’était déplacé, le samedi 30 octobre dernier, lors de la cérémonie de dédicaces du livre de Ngouda Fall Kane « Criminalité financière en Afrique et moyens de lutte, l’exemple du Sénégal ». Honoré d’avoir à ses côtes un hôte aussi illustre, l’ancien IGE et ex-président de la CENTIF a indiqué que « depuis l’époque senghorienne à nos jours, Lamine Loum reste le meilleur cadre administratif de l’administration sénégalaise ».
Lorsqu’il évoque Mamadou Lamine Loum, Ngouda Fall Kane parle de « maître ». « Je voudrais rendre hommage à tous les parents et amis, toutes les personnalités politiques, administratives et universitaires ici présentes. Mais je voudrais rendre de façon plus explicite et remercier M. le Premier ministre Mamadou Lamine Loum, mon maitre, mon maitre qui m’a appris à être un fonctionnaire modèle, un fonctionnaire honnête et loyal, mais aussi un fonctionnaire audacieux. Je le remercie d’avoir accepté de présider cette cérémonie. Depuis l’époque senghorienne, l’administration sénégalaise n’a pas produit un cadre administratif plus pertinent que Lamine Loum.
Je disais une fois à Ousmane Diop que nous sommes les meilleurs, il m’a dit non, nous sommes des meilleurs. Mais Lamine est le meilleur » a confié l’ancien président de la Centif (Cellule nationale de traitement des informations financières) à l’entame de sa communication. Tout cela explique que c’est sous un tonnerre d’applaudissements que le dernier Premier ministre d’Abdou Diouf a pris la parole. « Je remercie Ngouda Fall Kane d’avoir eu le temps, le courage, la patience d’écrire ce livre et lui suggère de tenir compte des observations formulées.
Dans une approche citoyenne, on fait de sorte que l’ensemble des bonnes idées soient ensemencées dans l’esprit et conscience des citoyens, il est bon d’avoir un sens de suivi pour travailler avec les institutions de la société civile, le secteur privé et les pouvoirs publics pour pouvoir en tirer le maximum de profits. Ngouda Fall Kane a centré sur la Centif, le blanchiment et le terrorisme mais il y a tous les autres services de l’Etat, du ministère de la Justice au ministère des Sports qui sont interpelés » souligne Lamine Loum.
Le dernier Premier ministre du président Abdou Diouf a parlé avec une très grande hauteur des questions de corruption, de blanchiment d’argent sans donner l’impression de désigner les responsables pointés du doigt. Il s’est surtout contenté d’évoquer les dysfonctionnements du système. « Aujourd’hui, vous rentrez dans n’importe quel ministère, une bonne analyse vous dit quelle est la phénoménologie dont vous parliez des pratiques qui sont déviantes et autres comment cela se présente, quelle en est l’anatomie, quels sont les éléments d’accrochage… Comment tout cela arrive à devenir une pratique déviante structurante et routinière et qui devient une seconde nature. Je crois que c’est très important et surtout à accoler avec le problème de la banalisation du champ lexical. Il faut que nous arrivions à dénommer, à caractériser ces phénomènes du genre de mots et d’expressions qui expriment une réprobation qui n’a pas de doute et qui doit sonner dans les consciences comme autant de cloches à chaque fois qu’il y a une mauvaise action du genre. Mais si c’est un terme banal, de fils en aiguille, on va aller à une allure routinière, à banaliser ces phénomènes. Il faut qu’on puisse trouver pour la corruption » a expliqué Mamadou Lamine Loum dans un silence de cathédrale.
La phénoménologie internationale
Selon l’un des pères du fameux Plan de rigueur « Sakho-Loum », « il faut que dans cet exercice nous partions de nos propres problèmes. Quand vous regardez aux Etats-Unis, la communauté internationale a commencé à travailler sur les phénomènes de corruption et l’ONU aussi, uniquement parce qu’en 1977, il y a eu l’affaire Lockheed. Les Usa s’en sont saisis pour en faire un scandale énorme qui a amené le « Foreign corrupt tractis act » aux Usa en 1977 qui a été mis à jour en 1988 puis en 1998. Sur dix ans, les Usa se sont arc-boutés à ce problème pour essayer de dénoncer la corruption et de voir comment les racines de celle-ci vont des Usa au reste du monde. Ils ont mis l’ONU là-dans et c’est ce qui a fait que l’affaire est allée plus loin. En Angleterre, le « UK Bribery act » a été créé dans les mêmes conditions. Le scandale de BAE System également est allé trop loin aussi bien avec la corruption d’agents étrangers et c’est là d’ailleurs qu’on a commencé dans les législations nationales à sanctionner la corruption d’agents étrangers.
En France, par contre, on y est arrivé très tard. Ce sont les lois Sapin 1 et Sapin 2 qui ont permis depuis 2014 et 2016 de traiter de ces questions qui, il faut le savoir, entrainent une extra-territorialité des lois américaines, britanniques et françaises. C’est-à-dire à partir du sol même de ces pays, le législateur émet des règles dont on décide illégalement qu’elles auront un effet dans les pays étrangers. C’est la tendance actuelle et cela fait que nos pays doivent travailler dans le cadre du développement multilatéral plutôt que bilatéral pour arriver à faire en sorte que ces questions-là soient également traduites dans nos langues nationales ».
Notion de personnes politiquement exposées « Aujourd’hui, on est dans un pays, le Sénégal, où beaucoup d’autorités ne savent pas ce que c’est la notion de personnes politiquement exposées qui existe depuis vingt voire trente ans. J’ai assisté personnellement à des réunions où des autorités ont posé des questions là-dessus qui prouvaient qu’elles ne connaissaient pas la notion alors qu’elles étaient jugées depuis longtemps à l’étranger sur cette base, que des institutions financières locales les jugent comme PPE. Donc, faisons en sorte que dans l’appréhension de ces problèmes nous partions de nos problèmes. C’est ce que je disais tout à l’heure, les Usa sont partis de l’affaire LOCKHEED, les Britanniques de BAE System. Il faut que nous partions de nos problèmes. Le terrorisme, c’est très important, les questions de drogue et autres aussi, mais nous avons la corruption au jour le jour. Donc partons de la phénoménologie de nos problèmes en faisant leur typologie et tirons les faits caractéristiques de ces pratiques non seulement dans tout le pays, mais dans chaque secteur. Et de cette manière, nous allons en tirer un plan d’actions qui peut aider l’Etat, la société à caractériser ces faits, à les prévenir d’abord, à aller les rechercher à chaque fois que nécessaire et à profiter enfin de la coopération internationale pour essayer de faire en sorte que, lorsque nous prenons des cas concrets quand les fonds nous ont échappés, nous puissions organiser le rapatriement avec les plus grandes chances de succès » a conclu brillamment Mamadou Lamine Loum.