FATOU SOW, PANSEUSE ET PENSEURE RÉSOLUE DU FÉMINISME AFRICAIN
EXCLUSIF SENEPLUS - Rendre hommage à cette militante, qui a défendu les femmes à une époque dystopique, c’est rendre audible et visible la vie plurielle des Sénégalaises. C’est résister à la tyrannie domestique

Il est des dates attendues comme celle consacrée à la célébration de celles qu’on ne célèbre jamais. Une date comme une évidence pour exhumer des vies ensevelies sous une couche d’invisibilité.
Rendre hommage à la professeure Fatou Sow, qui a défendu les femmes à une époque dystopique, c’est rendre audible et visible la vie plurielle des Sénégalaises. C’est vaincre le mythe vermoulu de leur infériorité. C’est battre en brèche leur prétendu statut de subordonnées. C’est résister à la tyrannie domestique. C’est faire face au mur du simplisme. C’est en finir avec le diktat d’un fondamentalisme de bazar qui fait tout pour asservir la gent féminine.
Célébrer cette infatigable militante, c’est l’honorer. C’est la reconnaître à sa dimension humaine et humaniste d’autant plus que la célébration, genre féminin, se conjugue essentiellement au masculin.
Avec sa loupe de sociologue, la pionnière a mis en lumière l’alliage de la politique, de la culture et du religieux, sous-tendu par les médias, pour soumettre les femmes et les réduire au silence.
Dans un contexte académique patriarcal où le féminisme est un mot piégé, Fatou Sow a dû « apprendre à transgresser » et à faire de sa classe un lieu d’émancipation et de liberté pour déconstruire le rapport de domination entre femmes et hommes.
Preuves à l’appui, cette femme de terrain a également transgressé le grand récit national en démystifiant les oripeaux de la fausse bienveillance et l’angle mort des politiques publiques destinées aux habituées absentes. Elle a mis à nu l’exploitation du travail des femmes à travers leur corps (tâches domestiques, éducation des enfants, accompagnement des malades, des hospitalisés, réconfort des familles endeuillées, etc.) et levé le voile sur les mécanismes mis en place pour se décharger sur ces taillables et corvéables à merci. Leur travail peu valorisé, voire minimisé est au fondement même de l’État patriarcal. Sinon comment comprendre l’incroyable décision de samaritains autorisant des femmes à rentrer plus tôt que prévu pour préparer le ndogou du ramadan ? Ces messieurs, servis en tout, mesurent-ils la lourdeur de la charge mentale des Sénégalaises avec ou sans enfant ?
Tout à leur volonté de communiquer, ces hérauts du patriarcat ignorent probablement que cette décision, d’une légèreté confondante, est tout sauf une avancée. Une impéritie sidérante ! Quoi de mieux pour rouiller l’ascenseur professionnel des travailleuses et guérir le syndrome de l’imposteur dont souffrent même les plus compétentes ? Mais, qui se soucient du sort de ces bâtisseuses sociales ployant sous le poids d’une « intersectionnalité » d’obligations ? Certainement pas, des manants se pavanant dans les cimes du pouvoir masculin.
Ce traitement inéquitable dont est victime près de la moitié de la population semble systémique. La défaite de l’équipe nationale de football, celle d’un lutteur ou la visite de l’influenceur italo-sénégalais Khaby Lame semblent avoir plus de portée que la première greffe de la moelle osseuse - de toute l’Afrique subsaharienne francophone - réalisée par la professeure en hématologie, Fatou Samba Diago Ndiaye et son équipe composée à 80% de femmes. Cette prouesse doublée d’une expertise locale au féminin frappe par son éphémérité, sans tambour, ni trompette, à l’exception de quelques lignes glissées dans le communiqué du Conseil des ministres. La minoration de cet exploit témoigne-t-elle d’un mépris de genre ? Parce que ni le président de la République, ni le premier ministre, ni les ministres de la Santé, de l’Enseignement supérieur ou encore de la Famille et des Solidarités, n’ont jugé nécessaire de recevoir ces championnes toutes catégories confondues de la science médicale pour les célébrer.
La célébration est hautement politique et ignorer la force des symboles renforce les stéréotypes de genre. Raison pour laquelle, il faut saluer l’initiative de la Fondation de l’innovation pour la démocratie avec la tenue, à Dakar, du colloque international - La démocratie au féminin. Hommage à la professeure Fatou Sow - pour mettre fin au déni de reconnaissance des femmes et rendre visible l’invisible.
En écoutant les panélistes venu(e)s d’Afrique et d’ailleurs, on ne peut s’abstenir de se poser cette question : « Suis-je une femme ? » pour reprendre le titre de l’excellent ouvrage de Bell Hooks ou plutôt « suis-je considérée comme une personne à part entière ? » Cette question est fondamentale au regard de l’offensive masculiniste désinhibée.
Objectrice de conscience face aux assignations archaïques, la professeure Fatou Sow appelle les femmes à s’affranchir de l’enfermement culturel et religieux, à refuser de s’abîmer dans le conformisme et à démaquiller l’institutionnalisation de la culpabilité comme essence féminine. Il faut plutôt « transgresser pour progresser » conformément à son exhortation.
L’engagement sans concession de cette intellectuelle a semé les graines d’une révolution permettant de « démolir bloc par bloc » le système patriarcal par le savoir, car son impressionnant pedigree ne l’a guère érigée au rang de penseur, un titre essentiellement masculin, dans l’imaginaire collectif. Professeure Fatou Sow, qui a su trouver, par les mots, un remède aux maux des femmes, demeure à la fois une panseuse et une penseure.
Fatoumata Bernadette Sonko est enseignante-chercheure
Cesti-Ucad.