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7 août 2025
PAR CHEIKH TIDIANE MBAYE
SÉNÉGAL, UN PEUPLE ACTIF DANS UN PAYS À L’ARRÊT ?
On valorise l’ingéniosité immédiate, la débrouillardise, le système D. Cela produit de la créativité, certes, mais pas toujours de la durabilité. On préfère souvent "faire avec les moyens du bord" plutôt que de bâtir sur le long terme.
Les Sénégalais sont reconnus pour leur dynamisme. Dans les rues de Dakar comme dans les coins les plus reculés, les initiatives ne manquent pas : petits commerces, systèmes D, mobilisations citoyennes, innovation informelle… Le pays fourmille d’activités, d’énergies, de créativité. Et pourtant, le développement structurel semble piétiner. Le chômage est endémique, l’économie reste dépendante de l’extérieur, les infrastructures peinent à suivre, et les inégalités s’accroissent. Pourquoi tant d’efforts individuels aboutissent-ils à si peu de progrès collectif ? Où va cette énergie sociale ? Et surtout, que manque-t-il pour qu’elle produise un développement véritablement transformateur ?
1. Une activité individuelle intense, mais dispersée
Le Sénégal regorge d’initiatives personnelles :
Des vendeurs ambulants qui bravent la chaleur chaque jour.
Des étudiants qui cumulent études et petits boulots.
Des femmes qui se battent dans les marchés ou dans l’informel.
Des jeunes qui investissent les réseaux sociaux comme espaces économiques.
Mais cette hyperactivité individuelle, souvent dans des cadres précaires et non structurés, n’aboutit pas à un développement collectif. L’économie informelle représente environ 50 à 60% du PIB, mais elle échappe aux circuits de financement, de protection sociale et de fiscalité efficace.
2. Un déficit d'organisation et de vision commune
L’un des grands problèmes est le manque de structuration et de coordination des efforts. Au lieu de se fédérer, les initiatives restent souvent isolées, concurrentes, ou éphémères.
Ce manque de synergie s’explique par :
Un État souvent absent ou mal organisé, qui n’accompagne pas suffisamment les dynamiques populaires.
Un tissu associatif très dense, mais parfois éclaté, politisé ou clientélisé.
Un individualisme croissant, renforcé par la précarité et l’obsession de la réussite personnelle.
Résultat : une énergie diffuse, sans direction stratégique.
3. Une culture de la débrouillardise qui remplace la culture de la planification
Au Sénégal, on valorise l’ingéniosité immédiate, la débrouillardise, le système D. Cela produit de la créativité, certes, mais pas toujours de la durabilité.
On préfère souvent "faire avec les moyens du bord" plutôt que de bâtir sur le long terme.
Ce court-termisme culturel est accentué par :
L’instabilité économique.
L’absence d’accès au crédit.
La faible confiance dans les institutions.
La débrouillardise devient une réponse à la pauvreté, mais elle ne remplace pas la planification structurée, ni les politiques publiques cohérentes.
4. L'État, catalyseur ou frein ?
Dans un pays aussi actif, le rôle de l’État devrait être de canaliser les énergies, investir dans les infrastructures collectives, créer des ponts entre les initiatives individuelles et l’économie structurée.
Mais on observe trop souvent :
Des politiques publiques mal coordonnées.
Des programmes inefficaces ou détournés.
Une dépendance à l’aide extérieure.
Une centralisation qui étouffe les dynamiques locales.
L’État ne joue pas encore pleinement son rôle de chef d’orchestre du développement.
5. Une société en tension : trop d’efforts, peu de résultats
Ce décalage entre l’activité déployée et les fruits récoltés génère :
Cette dissonance entre l'effort et la récompense nourrit un sentiment d’injustice et d’absurde. Comme si "le travail ne payait pas" au Sénégal.
De l’énergie à la stratégie
Le Sénégal n’a pas un problème d’activité. Il a un problème d’organisation, de structuration et de vision collective. L’énergie existe. Mais elle est souvent gâchée faute de politique claire, de leadership stratégique, de confiance mutuelle et d’écosystème économique adapté.
Le développement ne viendra pas uniquement de l’effort individuel. Il viendra d’un projet collectif qui connecte ces efforts, les valorise, les transforme en puissance durable. Il faut passer de la simple activité à l’action organisée, de la débrouillardise à l’intelligence collective.
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LE SÉNÉGAL ÉTOUFFE À LA POMPE
L'essence sénégalaise détient le record peu enviable du carburant le plus cher d'Afrique de l'Ouest. Une situation qui exaspère automobilistes et transporteurs, contraints de voir leurs coûts exploser malgré la baisse des cours mondiaux du pétrole
Dans les stations-service de Dakar, la frustration est palpable. À 990 francs CFA le litre, l'essence sénégalaise détient le triste record du carburant le plus cher d'Afrique de l'Ouest, se classant même au deuxième rang continental, juste derrière la République centrafricaine.
Cette flambée des prix pèse lourdement sur le quotidien des Sénégalais. Les automobilistes voient leurs frais de transport exploser : un trajet qui coûtait 5 000 à 10 000 francs CFA en carburant nécessite désormais 20 000 francs, situation aggravée par les embouteillages urbains.
Le secteur du transport, pilier de l'économie, subit de plein fouet cette hausse. Mamadou, gérant d'une coopérative de camions reliant Dakar aux autres villes de la sous-région, témoigne de cette réalité : ses chauffeurs préfèrent désormais faire le plein au Mali, où l'essence coûte 20% moins cher, paradoxalement alors qu'elle transite par le port de Dakar.
Face à cette situation, les syndicats de transporteurs montent au créneau. Ils réclament une rencontre avec les autorités et brandissent la menace de grève si aucune solution n'est trouvée rapidement.
Leur colère est d'autant plus compréhensible que depuis le début de l'année, les cours mondiaux du pétrole ont chuté de 20%. Si la Côte d'Ivoire et le Mali ont répercuté cette baisse à la pompe, le Sénégal maintient ses tarifs élevés, soulevant des questions sur la politique fiscale gouvernementale.
Le gouvernement sénégalais affirme travailler à une baisse durable des prix du carburant, mais aucun calendrier concret n'a été annoncé. Cette absence de transparence alimente les interrogations des experts et la frustration des usagers, qui espéraient bénéficier de l'exploitation pétrolière nationale pour voir leurs factures diminuer.
L'équation reste complexe pour les autorités : concilier les impératifs budgétaires avec les attentes légitimes d'une population de plus en plus pressée par la cherté de la vie.
AU SÉNÉGAL, DES MANNEQUINS EN FIL ROUGE
Podiums scintillants, créateurs renommés, invités triés sur le volet : la Dakar Fashion Week affiche son succès. Mais derrière cette façade dorée, les mannequins sénégalais peinent à survivre, exploités par un secteur qui les traite "comme des chiffons"
(SenePlus) - La Dakar Fashion Week fait rêver avec ses podiums glamour et ses créateurs venus de tout le continent. Mais derrière cette vitrine scintillante se cache une réalité bien plus sombre : celle de jeunes mannequins sénégalais contraints de travailler dans des conditions extrêmement précaires, sans contrats ni garanties, selon une enquête du site d'information Afrique XXI.
Dans une société sénégalaise encore très ancrée dans des valeurs traditionnelles, le mannequinat reste un métier mal perçu. « Les parents, les amis, ils disent que ce n'est pas un travail. Que ce n'est pas un métier pour les hommes. Pour les femmes, ils disent que ce n'est pas un métier digne non plus. Parce que vous montrez votre corps, que vous le vendez. Ils disent que vous êtes une prostituée », explique Willy Diatta, mannequin de 27 ans, selon Afrique XXI.
Cette stigmatisation pousse parfois les familles au rejet total. Mouha Sow, le plus jeune du groupe de mannequins interrogés, « a été répudié, chassé de la maison par son père qui lui demandait d'arrêter le mannequinat et de se concentrer sur autre chose », rapporte son ami Willy. « Mais Mouha a refusé et il n'avait plus de chez lui pendant des semaines. »
L'un des problèmes majeurs de ce secteur reste l'absence quasi-systématique de contrats. Même Oumy Dione, mannequin expérimentée de 24 ans qui se fait appeler Souphah, avoue ne pas connaître sa rémunération pour la Fashion Week : « Je me dis que ça ira. Avec les années, ils ont l'habitude de bien payer, donc ce n'est pas trop grave de ne pas connaître le cachet exact », confie-t-elle à Afrique XXI.
Cette situation laisse la porte ouverte à tous les abus. « Même pour les grands défilés comme celui de la Fashion Week de Dakar, il n'y a pas de contrat. Et quand vous en demandez un, on vous répond que vous êtes trop compliqué et qu'on peut s'adresser à n'importe qui d'autre », regrette Sam Diatta, jeune mannequin de la banlieue dakaroise.
Des conditions de travail déplorables
Les témoignages recueillis par Afrique XXI dressent un tableau accablant des conditions de travail. Willy Diatta détaille la réalité économique de ses collègues : « Quand vous prenez un transport pour vous rendre à un défilé, vous payez 300 francs CFA pour l'aller, donc ça va. Ensuite, vous ne mangez rien de la journée, et vous avez faim. À la fin du défilé, souvent vers 1 heure du matin, vous devez payer un taxi à près de 4 000 FCFA, voire 6 000 pour des personnes comme nous, qui habitons en banlieue. »
Le bilan financier est souvent catastrophique : « Après le défilé, soit on vous annonce que le cachet est de 15 000 FCFA, soit on vous dit que vous ne serez pas payé. Parfois, le promoteur a simplement disparu ou il ne répond plus à vos appels… Donc finalement, vous n'avez rien gagné. »
Goora Mbaye, mannequin de 24 ans et fondateur de sa propre agence, dénonce ouvertement ce qu'il considère comme une « culture du mépris ». « On nous traite comme des chiffons. Pour un défilé, tu touches 30 000 francs maximum. Donc, la majorité des mannequins à Dakar exerce un autre métier à côté », explique-t-il selon Afrique XXI.
Il pointe également du doigt l'exploitation par des marques internationales : « Un jour, un client étranger est venu me voir pour un shooting avec une enseigne de valises très connue : on me proposait de travailler de 8 heures à 18 heures pour seulement 20 000 francs. Quand j'ai refusé, il s'est énervé et m'a répondu qu'il ferait un "casting sauvage". »
Face à cette situation, certains mannequins tentent de faire évoluer les pratiques. Goora Mbaye a créé sa propre agence avec douze mannequins âgés de 17 à 24 ans, s'imposant comme intermédiaire protecteur : « Je leur pose beaucoup de questions. Ils et elles sont sous ma responsabilité : est-ce qu'on vient te chercher ? Est-ce que tu as le petit-déjeuner ou le dîner ? Et au moindre problème, je dis : "Tu pars." »
Willy Diatta appelle également à une prise de conscience collective : « Si la majorité des mannequins accepte de travailler gratuitement ou dans de mauvaises conditions, rien ne changera. Si nous n'apprenons pas à nous respecter nous-mêmes, comment pouvons-nous espérer que les autres – les directeurs de casting, les agences et leurs agents – nous respectent ? »
TABASKI 2025, DIOMAYE INVITE LES SÉNÉGALAIS À PRÉSERVER LE LA CONCERTATION
À l’occasion de la prière de l’Aïd El Kébir célébrée ce samedi à la Grande Mosquée de Dakar, le chef de l’État a également salué les efforts du gouvernement et des différents acteurs ayant permis le bon déroulement de la fête de la Tabaski.
À l’occasion de la célébration de la Tabaski, ce samedi, le Président de la République, Bassirou Diomaye Faye, a invité les Sénégalais à préserver et à renforcer le dialogue entre les acteurs politiques, les forces vives de la Nation et les citoyens. Il a également salué le travail du gouvernement pour les mesures prises ayant permis le bon déroulement de la fête.
À l’occasion de la fête de la Tabaski célébrée ce samedi, le Président de la République, Bassirou Diomaye Faye, a lancé un appel solennel à la consolidation du dialogue national et au renforcement de la cohésion sociale. Depuis la Grande Mosquée de Dakar, où il a assisté à la prière de l’Aïd El Kébir, le Chef de l’État a invité les Sénégalais à dépasser les divergences pour préserver l’unité du pays.
« Le dialogue doit rester le socle de notre vivre-ensemble », a déclaré le Président Diomaye Faye, entouré de plusieurs membres du gouvernement et d’autorités religieuses, politiques et administratives.
Dans un discours empreint de spiritualité et d’unité, le Président a rappelé les enseignements de la Tabaski, insistant sur les valeurs de solidarité, de générosité et de partage. Il a exhorté les citoyens à incarner ces principes dans leur quotidien, au-delà de la fête.
Un appel à poursuivre l’esprit du dialogue national
Le Chef de l’État a salué les avancées du Dialogue national, ouvert le 28 mai dernier et clôturé le 4 juin, centré sur les réformes politiques et institutionnelles.
« À la suite du dialogue national, j’invite tous les Sénégalais à maintenir l’esprit de concertation, afin que notre pays continue d’avancer dans la concorde et la cohésion », a-t-il souligné.
Bassirou Diomaye Faye a demandé aux guides religieux, imams, maîtres coraniques et à tous les Sénégalais de formuler des prières pour la paix et la stabilité du pays.
« Que Dieu veille sur notre pays, qu’il préserve la paix sociale, renforce notre unité nationale et accorde à chaque famille une bonne célébration de la Tabaski », a-t-il prié.
Le Président de la République a également félicité tous les acteurs ayant contribué au bon déroulement de la fête, en particulier les éleveurs, les transporteurs, les forces de défense et de sécurité, ainsi que les membres du gouvernement. Il s’est réjoui de la bonne organisation de la Tabaski, notamment en ce qui concerne l’approvisionnement du marché en moutons, malgré les défis logistiques habituels.
L'HISTOIRE AFRICAINE REPREND SES DROITS
"Pourquoi apprend-on si peu l'histoire du Sénégal alors qu'on sait tout de celle de l'Europe ?" La question de lycéens sénégalais résume un mouvement continental : le processus de décolonisation des manuels scolaires
(SenePlus) - La question revient chaque année dans la classe de Mamadou Souleymane Sy, enseignant d'histoire-géographie au lycée de Kassack, à Saint-Louis : "Monsieur, pourquoi apprend-on si peu l'histoire du Sénégal alors qu'on sait tout de celle de l'Europe ?", l'interpellent ses élèves, selon Le Monde. Une interrogation qui cristallise un mouvement continental en faveur de la réécriture des programmes d'histoire africains.
"Pourquoi demander à des élèves de maîtriser l'histoire de territoires étrangers quand ils ne maîtrisent pas la leur ?", s'interroge M. Sy, pointant du doigt un déséquilibre flagrant dans les cursus scolaires africains. Au collège, explique-t-il, "on leur parle des civilisations d'Égypte, de Nubie, de la traite négrière, des guerres mondiales… Mais on insiste si peu sur l'histoire des royaumes issus de notre passé !"
Depuis l'arrivée au pouvoir du tandem Bassirou Diomaye Faye-Ousmane Sonko en avril 2024, le Sénégal a fait de la question mémorielle un marqueur emblématique de sa politique, rapporte le quotidien français. Après avoir sanctuarisé le 1er décembre comme jour de commémoration du massacre de Thiaroye perpétré en 1944, le gouvernement sénégalais affiche sa volonté de mettre les contenus des programmes d'histoire "en adéquation avec les valeurs historiques et culturelles de la nation".
Cette réorientation s'appuierait sur le projet colossal d'Histoire générale du Sénégal (HGS), initié en 2014 sous l'égide de l'historien Iba Der Thiam. "Nous avançons vers un programme qui embrasse toute l'histoire du Sénégal, replacée dans le contexte ouest-africain", explique Mamadou Fall, coordinateur du projet HGS, cité par Le Monde. "C'est une nécessité car notre histoire reste captive, toujours prompte à se poser en réaction à un défi venant de l'extérieur, que ce soit les invasions almoravide au XIe siècle, almohade au XIIe ou européenne au XVe", poursuit-il.
Le mouvement dépasse les frontières sénégalaises. Au Niger, les autorités militaires ont chargé en novembre 2024 un comité de chercheurs de "décoloniser le récit national". "Depuis 1968, les enseignements ont peu évolué. Ils font la part belle aux conflits mondiaux, aux grandes puissances, tout en minimisant la contribution de l'Afrique ou notre propre passé", déplore l'historien Souleymane Ali Yero, membre du comité, selon Le Monde.
Le constat est édifiant : "Nos élèves apprennent peu de choses sur notre histoire économique ou nos figures emblématiques. Peu savent qui fut la reine Sarraounia ou l'histoire post-indépendance", souligne M. Yero. Face aux accusations de réécriture idéologique, l'historien se défend : "Nous n'écrirons pas une histoire orientée. Toutes les sources seront exploitées, y compris celles des explorateurs européens du XIXe siècle".
Un défi continental structurel
Au Burkina Faso, dès 2019, l'ex-président Roch Marc Christian Kaboré avait exhorté les chercheurs à réécrire l'histoire du pays, mais le projet est resté en suspens après les putschs de 2022.
Cette vague de réappropriation historique s'appuie sur l'Histoire générale de l'Afrique de l'UNESCO, rédigée entre 1964 et 1999 par 230 historiens africains pour contrer les "biais eurocentriques et coloniaux". Les huit tomes traduits en treize langues constituent un socle, mais leur adaptation aux réalités nationales reste un défi.
"Il s'agit de faire en sorte que la vision décoloniale et transformatrice qui sous-tend l'Histoire générale de l'Afrique permette de repenser les programmes, la formation des enseignants, les pédagogies et même les modes d'évaluation des élèves", explique Cécilia Barbieri, cheffe de la section de l'éducation à la citoyenneté mondiale de l'UNESCO, citée par Le Monde.
Malgré ces initiatives, les défis demeurent considérables. "La vague actuelle réanime le mouvement émancipateur des années 1960", observe Denise Bentrovato, chercheuse à l'université de Pretoria. Mais elle note que "malgré la présence croissante de l'histoire et du patrimoine africains et locaux dans l'enseignement, celui-ci reste souvent marqué par des chronologies liées à la domination européenne".
Les contraintes financières constituent un frein majeur, avec un budget moyen dévolu à l'éducation avoisinant les 3% du PIB dans les pays d'Afrique de l'Ouest et centrale, selon l'article du Monde.
Mouhamadou Moustapha Sow, président de l'Association des historiens du Sénégal, pointe un paradoxe : "Ces initiatives de production d'un récit national et panafricain, bien que louables, butent très souvent sur des difficultés d'ordres épistémologique et historiographique". Il souligne que "certains faits historiques dépassent les frontières héritées de la colonisation" et que "ces projets d'écriture d'histoire nationale entrent en contradiction avec l'idéal panafricain porté par les États".
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L'HISTOIRE OUBLIÉE D'ABDOULAYE TALL
Ce petit-fils d'El Hadj Omar Tall, brillant élève parisien confronté au racisme institutionnel, incarne les contradictions d'une France coloniale dont les promesses d'égalité cachaient une réalité bien plus sombre
En 1890, lors de la conquête de Ségou par les forces coloniales françaises, un enfant de 12 ans change le cours de l'histoire personnelle et collective. Abdoulaye Tall, petit-fils du fondateur de l'Empire toucouleur El Hadj Omar Tall, est capturé par le colonel Archinard et emmené de force en France.
Cette pratique d'enlèvement n'était pas fortuite. Les autorités coloniales arrachaient systématiquement les fils de chefs vaincus pour les placer dans "l'école des otages", visant à effacer leur mémoire culturelle et à en faire de futurs dirigeants favorables à la France. Archinard avait une vision plus radicale : envoyer directement Abdoulaye en métropole pour qu'il devienne "suffisamment français pour ne jamais pouvoir prétendre à autre chose".
Confié à une famille parisienne bourgeoise, Abdoulaye intègre le prestigieux lycée Janson de Sailly où il excelle académiquement. Mais son rêve d'égalité se brise lors d'un voyage au Sénégal en 1897. L'administration coloniale le traite avec mépris, le renvoyant constamment à son statut de "fils de vaincu".
Dans ses lettres poignantes à Archinard, il dénonce avec une lucidité saisissante la violence coloniale : "ils ne sont bons qu'à créer des guerres... massacrer les pauvres noirs... torturer les enfants sans défense".
Malgré sa réussite à l'examen d'entrée de Saint-Cyr, on lui fait comprendre qu'il ne pourra jamais servir dans l'armée française régulière, seulement dans la Légion étrangère. Abdoulaye tombe gravement malade et meurt à Paris en 1900, à seulement 20 ans.
Cette histoire, révélée par la journaliste Taina Tervonen, résonne étrangement avec les problématiques actuelles. Depuis plus de 60 ans, les élites africaines formées en France et les immigrants font face aux mêmes déceptions face aux promesses d'égalité non tenues.
L'histoire d'Abdoulaye Tall illustre comment la colonisation a créé des cycles de déracinement et de désillusion qui perdurent aujourd'hui, questionnant cette relation complexe d'amour-haine entre l'Afrique et son ancienne puissance coloniale.
L'AUBAINE ÉCONOMIQUE DE POPENGUINE
Le pèlerinage souffre d'un déficit structurel qui limite son impact sur l'économie locale. Les retombées profitent davantage aux communes voisines
Le pèlerinage marial de Popenguine, un évènement religieux annuel qui draine des dizaines de milliers de fidèles, constitue une période de développement de l’économie locale, a constaté Frère Prosper Joseph Carvalho, membre du comité local d’organisation.
‘’Le pèlerinage est une aubaine pour les commerçants, les restaurateurs, les vendeurs ambulants, et même pour les familles qui accueillent des pèlerins. Toute la commune en tire profit‘’, a-t-il affirmé lors d’un entretien avec l’APS, en prélude de la 137e édition du pèlerinage marial à Popenguine prévue du samedi au lundi.
Durant cette période, les activités économiques connaissent une forte hausse et des revenus supplémentaires sont générés dans les secteurs de la restauration, du petit commerce, du transport et de l’hébergement informel.
Cette effervescence économique est quelque peu amoindrie par un déficit structurel d’infrastructures d’accueil, a déploré Frère Prosper Joseph Carvalho.
‘’Popenguine est victime de son nom. Tout le monde la connaît, mais il n’y a rien sur place en termes d’accueil. Elle est célèbre dans tout le pays, mais il n’y a presque rien ici pour recevoir dignement les pèlerins‘’, a-t-il fait remarquer.
Selon lui, les rares centres d’hébergement disponibles, comme ceux de Kizuto ou des sœurs, ne peuvent accueillir qu’une centaine de personnes au total. Cela contraint la majorité des visiteurs à loger dans des localités voisines comme Saly ou Mbour, détournant ainsi une part importante des retombées économiques hors de la commune, a-t-il ajouté.
Frère Prosper Carvalho estime que les retombées économiques pourraient être beaucoup plus importantes si des investissements étaient consentis dans des infrastructures d’accueil durables.
‘’Nous n’avons pas la capacité de recevoir tous les pèlerins. Ce sont les communes voisines qui en profitent, alors que tout se passe ici‘’, a-t-il déploré, soulignant la nécessité d’engager une réflexion collective avec la commune et les partenaires, car ’’ce n’est pas à l’Église seule de porter ce fardeau’’.
Malgré ces contraintes, le pèlerinage continue de stimuler fortement le commerce local. ‘’Pendant les grands pèlerinages, tout le monde s’y retrouve : commerçants, restaurateurs, même les habitants qui accueillent des pèlerins dans leurs maisons‘’, s’est-il réjoui, tout en reconnaissant ne pas pouvoir chiffrer précisément l’impact économique global.
En attendant d’éventuelles améliorations structurelles, l’organisation du pèlerinage repose sur un système communautaire fondé sur l’entraide : logement dans les écoles, hébergement par les résidents, mobilisation des chefs de quartier.
‘’Ce n’est pas un marasme total, mais on improvise avec les moyens du bord‘’, relève l’administrateur du sanctuaire marial.
Le comité local d’organisation, en collaboration avec les commissions nationales, assure la préparation des différents aspects du pèlerinage, de l’accueil des délégations étrangères à la gestion des pèlerinages de moindre envergure, qui se déroulent également à Popenguine.
‘’Les préparatifs se font tout au long de l’année, avec une montée en puissance la dernière semaine. Mais sans structures solides, l’impact économique reste limité‘’, a souligné Frère Carvalho.
LA ROUTE SACRÉE DE POPENGUINE
Pour Albert Joseph Sène, président de l'Amicale des jeunes de Notre-Dame de la Délivrande, le pèlerinage représente bien plus qu'une marche : un moment de communion spirituelle où la jeunesse confie ses espoirs d'avenir
La marche-pèlerinage à Popenguine est un moment fort de prière et de communion avec la Vierge Marie, symbole d’espérance, dans une démarche à haute portée spirituelle et personnelle, a souligné le président de l’Amicale des jeunes de la paroisse Notre-Dame de la Délivrande, Albert Joseph Sène.
‘’Les marcheurs ont l’espoir et la foi de vivre un moment intense de prière avec Marie, mère de l’espérance, en cette période de Pentecôte‘’, a-t-il déclaré, dans un entretien à l’APS.
Il a notamment insisté sur la portée symbolique et intime de cette démarche pour la jeunesse, qui y voit l’occasion de confier ses vœux de réussite professionnelle et d’élévation spirituelle, tant sur au niveau personnel que familial.
Le responsable associatif a également souligné le rôle central de la coordination des jeunes catholiques dans la bonne organisation du pèlerinage, en lien avec l’Église, tout en saluant la mobilisation remarquable de la jeunesse musulmane.
‘’Des jeunes musulmans de Popenguine marchent avec ceux de Dakar jusqu’ici, parfois depuis Toubab Dialaw ou Yène. C’est émouvant et très encourageant‘’, a-t-il ajouté.
Alors que cette 137e édition du pèlerinage à Popenguine prévue du samedi au lundi sera marquée par la présence du nouvel archevêque de Dakar, Monseigneur André Gueye.
Albert Joseph Sène a exprimé en ce sens le souhait de voir le président de la République, Bassirou Diomaye Diakhar Faye, prendre part à l’événement.
‘’Sa dernière venue à Popenguine remonte à l’année dernière, à la veille du pèlerinage’’, s’est-il souvenu.
Pour cette édition placée sous le thème ‘’Marie, mère de l’espérance, marche avec nous’’, il exhorte les jeunes à se mobiliser, à bien se préparer physiquement et à faire preuve de vigilance durant la marche, notamment en matière de précaution sécuritaire et sanitaire.
MAME MANDIAYE NIANG, LE SÉNÉGALAIS QUI PILOTE LA CPI EN PLEINE TEMPÊTE
L'ancien juge au Rwanda assure l'intérim de Karim Khan depuis que ce dernier s'est mis en retrait suite à des accusations d'inconduite sexuelle. Une responsabilité cruciale en pleine crise institutionnelle
(SenePlus) - Alors que la Cour pénale internationale (CPI) traverse l'une des crises les plus graves de son histoire, c'est un juriste sénégalais de premier plan qui se retrouve aux commandes de cette institution cruciale de la justice internationale. Mame Mandiaye Niang, procureur adjoint depuis mars 2022, assure désormais l'intérim du procureur principal Karim Khan, contraint de se mettre en retrait suite à des accusations d'inconduite sexuelle.
Cette nomination temporaire place le Sénégalais au cœur des enjeux géopolitiques les plus sensibles. Depuis novembre 2024, la CPI fait face à des sanctions américaines après avoir émis des mandats d'arrêt contre des dirigeants israéliens et des responsables du Hamas. L'administration Trump a pris cette décision en représailles, bien que les États-Unis ne soient pas membres de la Cour.
Le profil de Mame Mandiaye Niang force le respect. Diplômé de l'École nationale d'Administration et de Magistrature de Dakar, il a gravi tous les échelons du système judiciaire sénégalais. De juge au Tribunal régional de Dakar à Procureur général près la Cour d'Appel de Saint-Louis, en passant par la direction des Affaires criminelles au ministère de la Justice, il maîtrise parfaitement les rouages de la justice pénale.
Mais c'est surtout son expérience internationale exceptionnelle qui le distingue. Ancien juriste hors classe et chef de cabinet du Greffier au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), il a également été juge à la Chambre d'Appel du Tribunal pour l'ex-Yougoslavie. Son passage comme Représentant régional de l'Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime pour l'Afrique australe lui a donné une vision continentale des défis judiciaires.
Un tandem pour maintenir le cap
Élu procureur adjoint le 10 décembre 2021 par l'Assemblée des États parties, Niang avait prêté serment quelques mois avant que n'éclatent les premières rumeurs concernant son supérieur hiérarchique.
Mame Mandiaye Niang partage cette responsabilité écrasante avec sa collègue fidjienne Nazhat Khan. Ensemble, ils doivent garantir la continuité des activités de la CPI pendant que l'enquête de l'ONU sur les accusations contre Karim Khan suit son cours. "Le travail de la Cour dans l'intérêt de la justice se poursuivra de manière normale et sans aucune interruption", a assuré la présidente de l'Assemblée des États parties le 18 mai.
Cette situation inédite met en lumière le rôle croissant des juristes africains au sein des institutions internationales. Auteur de plusieurs publications spécialisées et conférencier reconnu dans les universités africaines, Niang incarne cette nouvelle génération de magistrats qui allient expertise locale et vision globale.
L'intérim pourrait durer plusieurs mois, le temps que l'enquête onusienne rende ses conclusions. Pour le juriste sénégalais, membre de l'Union des Magistrats sénégalais et de l'Association internationale de Droit pénal, l'enjeu dépasse la simple gestion administrative : il s'agit de préserver la crédibilité d'une institution déjà fragilisée par les pressions politiques et les critiques récurrentes. Son leadership sera scruté de près, alors que la CPI tente de naviguer entre les écueils diplomatiques et sa mission de justice internationale.
CES MOUTONS STARS DE LA TABASKI
Patchouli pèse 130 kg et vaut 122 000 euros. Ce mouton ladoum illustre la transformation de l'Aïd-el-Kébir au Sénégal, où l'animal de sacrifice devient objet de prestige, creusant un fossé entre riches et pauvres lors de cette fête religieuse
(SenePlus) - Dans les rues de Dakar, à quelques heures de l'Aïd-el-Kébir célébrée ce samedi 7 juin, une valse particulière anime la capitale. Sur les toits des voitures, arrimés avec précaution, des moutons de toutes tailles convergent vers les foyers. Mais parmi ces animaux destinés au sacrifice rituel, une race sort du lot par ses dimensions exceptionnelles et son prix vertigineux : le ladoum.
Dans le quartier de Soumbédioune, les trottoirs jonchés de sable et de foin font office d'enclos éphémères. Ici, les retardataires se pressent pour choisir leur mouton, rapporte Le Monde. « De ce côté, vous pouvez trouver les moutons de race touabire et peul-peul, qui sont les plus vendus car ils sont à un prix accessible », explique un éleveur de la bergerie Khoulam Kane, désignant les ovins les plus modestes dont le prix oscille entre 70 000 et 200 000 francs CFA (100 à 300 euros).
Mais c'est ailleurs que se joue le véritable spectacle. Sous de grandes tentes blanches, quelques dizaines de bêtes imposantes attirent tous les regards. « Ce sont les ladoums, la race la plus noble », poursuit l'éleveur selon Le Monde.
Le ladoum n'est pas le fruit du hasard. Né dans les années 1970 d'un croisement entre le touabire mauritanien et le bali-bali du Mali, cet ovin aux mensurations hors normes est aujourd'hui considéré comme purement sénégalais. Il se distingue par sa robe blanche souvent tachetée de noir, ses cornes enroulées parfaitement symétriques et sa grosse tête incurvée. « Plus la tête est arrondie, plus c'est beau », s'enthousiasme un éleveur cité par Le Monde.
Les chiffres donnent le vertige : ces géants peuvent atteindre jusqu'à 182 kg, soit deux à trois fois le poids d'un mouton ordinaire. Et leur prix suit cette progression spectaculaire. Pour la Tabaski, l'entrée de gamme ladoum démarre autour de 300 000 francs CFA (450 euros), tandis que les spécimens d'exception se négocient à partir de 2 millions de francs CFA. « Nous venons de vendre Hassan II, 165 kg, pour 2,5 millions », souligne le propriétaire de la bergerie Khoulam Kane dans les colonnes du quotidien français.
Cette inflation des prix suscite des critiques. « Aujourd'hui, la Tabaski ressemble trop à une fête pour les riches », fustige le député nationaliste Tahirou Sarr, interrogé par Le Monde. « Du fait de l'envolée des prix sur les moutons et le reste des produits alimentaires, trop de Sénégalais sont en marge des célébrations », regrette l'élu, qui plaide pour l'instauration d'un prix fixé au kilo et maîtrisé par l'État.
Patchouli, la star à 122 000 euros
Le marché le plus lucratif ne se trouve pourtant pas dans l'abattage rituel. « La vocation première des ladoums n'est d'ailleurs pas l'abattage, ceux que vous trouvez sur les marchés pour la Tabaski sont des "vieux" », confirme Samba Sonko, éleveur de 28 ans chez Touba Business Company, selon Le Monde. « À l'origine, les ladoums sont utilisés comme reproducteurs pour embellir d'autres races », explique le jeune homme.
C'est dans cette optique que Patchouli, la vedette absolue de l'élevage, fait sensation. À seulement 21 mois, ce prodige pèse déjà 130 kg, mesure 1,13 mètre au garrot et 1,62 mètre de longueur. Sans avoir atteint sa maturité, il est estimé à 80 millions de francs CFA, soit près de 122 000 euros. « C'est l'un des meilleurs géniteurs en ce moment », se réjouit Samba Sonko auprès du Monde, précisant que l'animal a déjà remporté cinq prix à travers le pays et qu'il est père d'une quinzaine d'agneaux, chacun rapportant entre 2 et 3 millions de francs CFA.
Pour atteindre de tels niveaux, ces moutons d'exception bénéficient d'un traitement princier. « On leur attribue des boxes spacieux, avec une bonne litière, et aérés avec l'aide de ventilateurs. Certains installent même la climatisation », détaille Samba Sonko dans Le Monde, pointant les appareils qui brassent l'air au-dessus de ses protégés. « Il leur faut aussi beaucoup de lumière pour un meilleur apport en vitamine D, qui permet de fixer le calcium. »
Cette passion pour le ladoum dépasse le simple cadre agricole. Les célébrités nationales, comme le lutteur professionnel Reug Reug, n'hésitent pas à se photographier avec ces vedettes à quatre pattes. Certains spécimens possèdent même leurs propres pages sur les réseaux sociaux, rassemblant des dizaines de milliers de fans. Le président Bassirou Diomaye Faye lui-même a rendu visite à ces champions le 1er juin, rencontrant notamment « Joe Biden, âgé de 5 ans et bien portant de 160 kg », estimé à plus de 2 millions de francs CFA, rapporte Le Monde.
Sur les 851 000 moutons disponibles pour la Tabaski 2025, le cheptel national de ladoums ne représente qu'à peine plus de 2%, soit quelque 20 000 ovins XXL. Mais leur production connaît un essor remarquable, témoigne Abou Kane, président de la Fédération nationale des acteurs de la filière ovine, cité par Le Monde. Depuis 2018, le Programme national d'autosuffisance en mouton de Tabaski alloue une large partie de son budget à la promotion de cette race locale.
« Le ladoum est une passion, mais c'est un business avant tout », résume parfaitement Samba Sonko dans Le Monde. Une formule qui illustre à elle seule la transformation d'une tradition religieuse en véritable industrie de luxe, où l'animal sacré devient symbole de réussite sociale dans un pays où le salaire moyen varie entre 90 000 et 150 000 francs CFA selon les études mentionnées par le quotidien.