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6 août 2025
par Mahamadou Lamine Sagna
UNE RÉFLEXION CRITIQUE SUR LE MALAISE POSTCOLONIAL.
EXCLUSIF SENEPLUS - Rarement une œuvre m’aura autant confronté à mes biais cognitifs que Les ressentiments d'Elgas. Les maîtres-accusateurs qu’il désigne, comme Cheikh Anta, Fanon, ou Boris Diop, s’inscrivent dans la contestation d’un ordre encore actif
Tel un funambule suspendu au-dessus d’un abîme, le chercheur chemine entre l’exigence de rigueur et l’audace du doute, avançant sur le fil fragile de la pensée critique. Penser, c’est déconstruire, c’est interroger, c’est embrasser l’instabilité du savoir sans chercher de refuge dans les certitudes. Face aux écueils des biais cognitifs, le chercheur doit toujours chercher à conjuguer méthode et autocritique, convaincu que la critique sociale ne saurait se limiter à l’étude de l’altérité : elle exige aussi un regard lucide sur soi-même. C’est avec cette vigilance que je m’étais forgé, avant même d’ouvrir Les Bons Ressentiments : Une Réflexion Critique sur le Malaise Postcolonial.
Pourquoi ce titre ?
Je reprends ici cette interrogation stimulante de la préfacière Sophie Bessis, qui formule avec justesse dans sa préface :
« Ce qui fait que les deux affluents, du Sud et du Nord, se sont rejoints afin de former un courant assez puissant pour s’imposer dans le débat mondial est le partage de cette passion triste qu’est le ressentiment. » (page 5) Comprendre et dépasser le ressentiment pour une Afrique réinventée
Rarement une œuvre m’aura autant confronté à mes biais cognitifs que Les bons ressentiments d’Elgas. Avant même de lire le texte, j’avais formulé une critique basée sur quelques extraits et interviews, une démarche que je reconnais aujourd’hui comme hâtive. Une lecture attentive de l’essai m’a révélé la profondeur et la richesse des réflexions proposées. Certes, j’ai quelques réserves, mais les questions fondamentales qui sont abordées dans ce livre sont d’une importance capitale, de part et d’autre, lorsqu’on interroge le cadre postcolonial dans des dynamiques universelles.
Dans une prose à la fois acérée et ondoyante, il nous entraîne dans une dialectique vivante, une danse intellectuelle où passé et futur s’entrelacent pour imaginer un monde affranchi des enfermements idéologiques.
Il ébranle nos grilles de lecture, révèle ces structures invisibles qui orientent nos perceptions. Sa réflexion, bien au-delà du ressentiment postcolonial, explore non seulement les méandres de la mémoire, de la justice et des rapports de pouvoir, mais aussi suggère en filigrane une réflexion sur la neutralité axiologique et la notion déconstruction.
Le cœur de l’ouvrage réside dans l’exploration de formes de ressentiment, ce mélange complexe de colère, d’humiliation et de frustration, est comme dans une perspective nietzscheenne[i],une force ambivalente : il peut être à la fois moteur de transformation sociale et piège immobilisant. A l’instar du philosophe allemand, Elgas distingue implicitement un ressentiment actif, porteur d’émancipation, d’un ressentiment passif, enfermé dans la victimisation.
D’un côté, le ressentiment peut révéler les injustices structurelles héritées de la colonisation et nourrir une volonté légitime de transformation. D’un autre, lorsqu’il s’enracine dans une fixation sur le passé, il enferme les sociétés dans une posture victimaire stérile. L’auteur exhorte à transcender la plainte pour transformer l’énergie du ressentiment en un levier de changement constructif. Le ressentiment en tant que symptôme d’un malaise collectif peut être présenté comme des opportunités pour réfléchir sur les dynamiques sociales et intellectuelles. Cette approche critique, Elgas l’effectue dans une analyse approfondie de figures et de dynamiques historiques.
Dans le chapitre Portraits d’aliénés, il convoque des figures telles que l’écrivain malien Yambo Ouologuen, dont les critiques incisives lui ont valu d’être rejeté, parfois même par ses pairs africains. À travers cet exemple, Elgas montre comment la littérature africaine, loin d’être un simple espace d’expression culturelle, devient un champ d’affrontement idéologique. Les accusations portées contre des écrivains jugés trop critiques, voire « afro pessimistes », révèlent une tension profonde entre la volonté de préserver une image valorisée de l’Afrique et la nécessité d’une critique interne. La littérature, dans ce contexte, apparaît comme un lieu où émergent de nouveaux intellectuels révolutionnaires, capables de confronter les contradictions des sociétés africaines.
Cette réflexion se poursuit dans La Fabrique des nouveaux rebelles Chapitre II), où Elgas analyse l’usage du concept de « colonialité » par certains intellectuels africains. Ce terme, central dans les discours décoloniaux, vise à dénoncer les prolongements de la domination coloniale dans les structures actuelles de pouvoir. Rappelons-le, le terme "décolonial" émerge dans les années 1990, porté principalement par des intellectuels latino-américains comme Aníbal Quijano, Walter Mignolo et Enrique Dussel. Ce concept critique l'héritage persistant du colonialisme dans les structures sociales, économiques et culturelles. La "colonialité du pouvoir" de Quijano décrit comment les hiérarchies de domination persistent même après la fin des empires coloniaux. La pensée décoloniale met en lumière la domination épistémologique, économique et culturelle du savoir occidental tout en valorisant les perspectives des cultures colonisées.
Il est important de préciser que les penseurs décoloniaux, qui critiquent l'eurocentrisme et la colonialité du savoir, ont emprunté le concept derridien de « déconstruction » pour construire leur grille théorique. Cette approche consiste à mettre en lumière comment les oppositions binaires (telles que présence/absence, langage/écriture) sous-tendent nos systèmes de pensée et de pouvoir.
Bien que Jacques Derrida[ii] s'attaque aux structures de pensée qui fondent nos catégories de connaissance, la démarche décoloniale va plus loin en dénonçant et en déconstruisant les hiérarchies raciales, culturelles et géopolitiques héritées de la colonisation. Ainsi, les deux approches visent à exposer les structures de domination invisibles et à ouvrir la voie à de nouvelles formes de savoirs et d'interactions sociales.
En somme, la déconstruction derridienne et le décolonial partagent l'objectif de déconstruire des systèmes établis et de proposer des perspectives alternatives. Cependant, le décolonial se distingue par son ancrage spécifique dans les réalités post-coloniales et dans les luttes contre les héritages de la colonisation.
Dans cette perspective, Elgas soumet le concept décolonial à une série de distorsions en interrogeant notamment les rapports de pouvoir et les oppositions binaires qui structurent nos modes de pensée, y compris au sein de ceux qui l’utilisent.
Autrement dit, Elgas soumet la logique critique du mouvement décolonial à une réflexion interne, ce qui permet de remettre en question les hiérarchies implicites et les systèmes de domination présents dans les discours et postures des penseurs décoloniaux. Il critique notamment l'instrumentalisation de ce concept par certains intellectuels qui, en l’utilisant pour légitimer leur place dans les cercles académiques, surtout occidentaux, finissent par en faire un outil de positionnement personnel, s’éloignant dans une certaine mesure de l'objectif initial de transformation sociale.
Cette critique trouve un écho dans les travaux de Michel Foucault[iii]sur le pouvoir et le contrôle des récits. Dans L’Ordre du discours et Surveiller et punir, Foucault analyse comment les discours dominants ne se contentent pas de refléter des vérités historiques, mais les produisent, excluant les récits alternatifs et marginalisant ceux qui contestent l’ordre établi. Il semble qu’Elgas applique cette grille d’analyse aux discours décoloniaux, en démontrant que certains intellectuels africains, tout en critiquant la colonialité, s’inscrivent dans des dynamiques institutionnelles qui reproduisent ces mêmes structures de pouvoir. Par une approche dialectique, Elgas met en lumière la difficulté pour ces intellectuels de concilier leur critique de l'Occident avec leur dépendance à ses réseaux de validation. Il met en évidence un paradoxe majeur : bien que les intellectuels africains dénoncent les injustices du colonialisme, ils demeurent souvent attachés aux réseaux de validation occidentaux. Selon l’auteur, cette contradiction incarne l’enchevêtrement des rapports de pouvoir dans les sociétés postcoloniales.
Dans le chapitre Généalogie du sentiment anti-français et anti-occidental, Elgas interroge la légitimité des ressentiments envers l’Occident, les replaçant dans une perspective historique et morale. Il met en évidence que certaines élites africaines exploitent le passé colonial et les luttes anticoloniales pour légitimer leur pouvoir, tout en détournant l’attention des réformes nécessaires.
Cette situation observée par Elgas, soulève une question essentielle : comment maintenir l'intégrité d’un discours critique quand il est utilisé pour légitimer des positions dans les mêmes systèmes qu’il critique ?
Bien que ces ressentiments soient compréhensibles, Elgas met en garde qu'ils risquent de devenir des obstacles à une transformation constructive s’ils ne sont pas accompagnés d’une réflexion critique. Il soutient la nécessité de dépasser ces ressentiments pour permettre une reconstruction durable des sociétés africaines.
Mais la question que nous nous posons est celle-ci : peut-on réellement se débarrasser de « bons ressentiments » dans un système de domination permanente ? Autrement dit, l’Universel serait-il un espace de rencontre exempt de rapport de pouvoir asymétrique ? L’intellectuel africain peut-il sortir de cet étau que j'appelle "paradigme schizophrénique" ?
Le "paradigme schizophrénique" désigne ici précisément cette contradiction dans laquelle l’intellectuel se trouve : tout en dénonçant les injustices d’un système, il se retrouve néanmoins impliqué dans ce même système, cherchant validation et reconnaissance au sein des structures qu’il prétend critiquer et remettre en question.
Certes, l’intellectuel, en particulier, lorsqu’il adopte une approche pluridisciplinaire, est souvent confronté à une forme de schizophrénie intellectuelle, mais cette situation devient problématique lorsqu’il ne l’accompagne pas d’une réflexion éthique. Sortir de ce paradigme n’est pas seulement un défi moral, mais aussi stratégique.
Face aux injustices, l’adoption d’une posture de neutralité vis-à-vis des structures dominantes pourrait être perçue comme une attitude de complicité. En lisant Les Bons Ressentiments, je perçois en filigrane la question de la neutralité axiologique, un principe formulé par Max Weber, selon lequel le chercheur doit s'abstenir d'introduire ses propres valeurs dans son analyse. Bien que l'objectivité scientifique implique effectivement une certaine neutralité axiologique, cette posture devient problématique lorsqu'on évolue dans un contexte marqué par des injustices ou des inégalités persistantes. Dans de telles circonstances, la volonté de rester neutre peut, paradoxalement, se transformer en une forme de complicité avec les structures de pouvoir existantes, qui perpétuent des rapports de domination et d'oppression. L'engagement intellectuel s'avère donc crucial, notamment dans un contexte où les souffrances collectives sont souvent ignorées et invisibilisées.
Dans de telles situations, non seulement cette neutralité est difficile à maintenir, mais elle peut aussi être perçue comme une forme de complicité. Comme le souligne John Rawls[iv], le ressentiment est une réaction naturelle aux injustices systémiques, et il trouve sa justification morale dans des sociétés où les institutions échouent à respecter les principes d’équité.
Lorsque des rapports de pouvoir sont en jeu, exprimer du ressentiment signifie prendre en compte les enjeux politiques et sociaux sous-jacents aux systèmes de domination.
Dans leurs travaux récents, Khadim Ndiaye et Adam Shatz ont montré, respectivement à travers l’analyse de Cheikh Anta Diop et Frantz Fanon, comment ces deux penseurs ont su, au-delà de leurs postures scientifiques, rejeter la neutralité axiologique lorsqu'il le fallait. Khadim Ndiaye souligne que Diop a toujours intégré dans ses travaux les enjeux politiques et existentiels du colonialisme et de la colonialité dans la production des connaissances. Cette approche épistémologique explique son engagement politique. De même, Adam Shatz met en lumière que Fanon, profondément militant, n’a jamais cherché à rester neutre. Son œuvre doit donc être lue à travers son engagement pour la décolonisation. Ainsi, les œuvres de Diop et de Fanon ne peuvent être interprétées à l’aune de la neutralité axiologique ; il est nécessaire de dépasser cette posture de neutralité.
En réponse au système colonial, Frantz Fanon et Cheikh Anta Diop ont utilisé des renversements dialectiques pour déconstruire non seulement les discours dominants, mais aussi pour mettre en lumière les voies possibles de dépassement des contradictions inhérentes à ces systèmes de domination. Leur engagement intellectuel a permis d’ouvrir des pistes de réflexion sur la transformation des consciences et sur la réinvention des rapports sociaux, culturels et politiques.
Dans cette perspective, les expressions d’agentivité qui imprègnent les sciences sociales africaines trouvent leur légitimité. Même si Elgas semble conscient du risque de trahir cette agentivité en l’associant à une « chasse aux sorcières » (p.84), il est crucial de comprendre que les « maîtres-accusateurs » qu’il désigne, comme Cheikh Anta Diop, Frantz Fanon, ou encore Boubacar Boris Diop, s’inscrivent dans une longue tradition de contestation d’un ordre politique et épistémologique encore actif. Par conséquent, leurs œuvres ne sauraient être réduites à une « pensée vengeresse ». Loin d’une simple analyse des injustices passées, leurs écrits ouvrent des voies inédites pour une transformation des consciences et pour de nouvelles perspectives sociales et politiques. Le CODESRIA, cité par Elgas, ne doit pas être perçu comme un simple foyer anti-occidental. Il incarne une volonté de promouvoir une agentivité africaine. En dépit des critiques, le CODESRIA demeure aujourd'hui l’une des rares institutions académiques sur le continent à mobiliser les sciences sociales pour le développement de l’Afrique.
Cela dit, à travers une critique nuancée de la rhétorique décoloniale et des « maîtres-accusateurs », l’auteur nous pousse à reconnaître les tensions entre l’opposition à l’ordre dominant et la reproduction des structures que l’on cherche à déconstruire. Cette démarche ouvre un espace crucial pour réévaluer nos outils d'analyse des rapports de pouvoir, tout en repensant la manière dont nous construisons, valorisons et dévalorisons les savoirs dans une dynamique d'émancipation intellectuelle et sociale.
Les Bons Ressentiments se transforment ainsi en un appel à une transformation radicale, une réinvention des récits sociaux et politiques, permettant aux voix longtemps marginalisées de résonner enfin dans l’espace public. En somme, même si certaines de ses propositions ne correspondent pas à toutes les visions, ce livre est indispensable à la compréhension des enjeux contemporains de la décolonisation intellectuelle et sociale. Il est essentiel de le lire, non pas pour adhérer à toutes ses idées, mais pour engager une réflexion plus large sur les conditions de possibilité d’un avenir plus juste et plus équitable, libéré des structures héritées du passé.
Elgas. (2023). Les bons ressentiments : Une réflexion critique sur le malaise postcolonial. Paris : Riveneuve, Collection Pépites.
[i] Dans La Généalogie de la morale (1887), Nietzsche distingue deux formes de ressentiment :
Moteur légitime : Réaction naturelle à l’injustice, il peut inverser les valeurs, comme dans la morale chrétienne.
Poison destructeur : Lorsqu’il persiste, il paralyse l’action et nourrit la rancune, créant une « morale des esclaves ».
Nietzsche invite à dépasser ce ressentiment par la création de valeurs affirmatives.
Référence : Nietzsche, Friedrich. La Généalogie de la morale (1887).
[iii] Foucault, Michel. (1971). L'Ordre du discours. Paris: Gallimard.
[iv] Rawls, John. (1971). A Theory of Justice. Cambridge, MA: Harvard University Press.
Derrida, J. (1967). L'écriture et la différence. Paris : Les Éditions de Minuit.
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TIERNO MONÉNEMBO, LA RÉSISTANCE PAR L’ÉCRITURE
L'écrivain guinéen livre un témoignage accablant sur la situation de son pays. Entre répression systématique et vol suspect de son manuscrit, l'auteur dénonce un régime qu'il compare aux "années noires" de Sékou Touré
L'écrivain guinéen Tierno Monénembo a livré un réquisitoire sans concession contre le régime de transition dirigé par Mamadi Doumbuya lors d'une récente interview sur TV5 Monde Afrique. L'auteur dénonce ce qu'il considère comme la sixième tyrannie que connaît la Guinée depuis son indépendance.
Monénembo critique vivement le projet de nouvelle constitution qu'il qualifie de "boubou constitutionnel cousu sur mesure" pour le président de transition. Il dénonce notamment la suppression des articles qui interdisaient aux dirigeants actuels de se présenter aux futures élections présidentielles.
"Je doute du régime lui-même, de sa bonne foi, de son intention", affirme l'écrivain, qui ne croit pas à la tenue des élections promises. Selon lui, le pouvoir cherche à se maintenir "par tous les moyens, surtout par le moyen de la répression".
L'auteur dresse un tableau sombre de la situation actuelle : disparitions quotidiennes, exécutions, interdiction des manifestations et emprisonnement d'opposants. Il compare cette période aux "années noires du temps de Sékou Touré", évoquant un "régime Sékou Touré bis".
En mai 2024, Monénembo a été victime d'un cambriolage particulièrement troublant. Seul son ordinateur, contenant le manuscrit d'un roman sur lequel il travaillait depuis trois ans, a été dérobé. Malgré une récompense de 5000 euros proposée pour récupérer cet ordinateur d'une valeur de 300-400 euros, personne ne s'est manifesté.
L'écrivain soupçonne fortement un lien avec ses positions politiques critiques, d'autant que les autorités n'ont donné aucune suite à l'enquête et n'ont même pas répondu aux sollicitations d'une association créée pour retrouver le manuscrit.
Malgré ce vol et les menaces, Tierno Monénembo continue d'écrire et a déjà rédigé une centaine de pages d'un nouveau roman. "Il faut se battre par tous les moyens", affirme-t-il, privilégiant pour l'instant "le discours politique" et "l'argumentation" pacifique.
L'écrivain maintient son engagement critique, estimant qu'il n'y a "aucune intention de la part du gouvernement d'assouplir sa position" et appelant à trouver des moyens d'interrompre ce qu'il qualifie de "cercle vicieux" tyrannique.
PAR Bassirou Sakho
ANGLETERRE – SÉNÉGAL, SADIO MANÉ L'ABSENT QUI FAIT DU BRUIT
EXCLUSIF SENEPLUS - Quand on est une figure tutélaire du football sénégalais, leader technique et symbole d’une génération dorée, certains choix prennent une dimension nationale. Il y a des instants dans une carrière qu’on ne rattrape pas
Le 10 juin prochain à Nottingham, l'équipe nationale du Sénégal affrontera l'Angleterre dans un match amical très attendu. Une belle affiche sur le papier, une revanche symbolique pour les Lions de la Teranga après leur élimination au Mondial 2022 par les Three Lions. Pourtant, une ombre de taille plane sur cette rencontre : l'absence de Sadio Mané.
Depuis la publication de la liste des joueurs convoqués, l'onde de choc est palpable. Le nom de Mané ne figure pas dans les rangs sénégalais. La raison officielle ? « Raisons personnelles. » Une justification qui laisse sceptique, voire indigné, bon nombre de supporters et observateurs. Car au-delà de la simple décision sportive, c’est une occasion manquée qui fait grincer des dents.
Sadio Mané, c’est l’un des visages africains les plus emblématiques de la Premier League. Il a grandi sous les projecteurs anglais, d’abord à Southampton, puis à Liverpool, où il a connu la gloire : Ligue des champions, Premier League, trophées individuels… L’Angleterre est le théâtre de son ascension, mais aussi de ses épreuves. Depuis son départ de Liverpool en 2022, l’international sénégalais n’a plus remis les pieds sur les pelouses anglaises. Ce match à Nottingham aurait pu être l’occasion d’un retour chargé d’émotions, un moment de communion avec un public anglais qui ne l’a jamais oublié – même après son exil en Bundesliga puis en Arabie Saoudite.
Et surtout, ce match aurait pu lui permettre de tourner la page Liverpool une bonne fois pour toutes. Car son départ des Reds s’est fait dans une certaine froideur, presque dans l’indifférence. Pas d’hommage à la hauteur du joueur qu’il a été, pas de vrai adieu. Une sortie qui ressemble davantage à une mise à l’écart qu’à une reconnaissance.
Mais au-delà de la symbolique, ce match contre l’Angleterre avait tout du défi personnel pour Mané. Lors du dernier Mondial au Qatar, il était forfait, et l’Angleterre s’était imposée 3-0 face à un Sénégal amoindri. Nombreux sont ceux qui pensent que sa présence aurait pu changer l’issue de ce huitième de finale. Revenir défier les Anglais, dans leur pays, c’était une manière de réécrire l’histoire, de prendre sa revanche, sur le terrain.
Et puis, il y a la critique. Celle qui gronde ces derniers temps autour de l’âge de Sadio, de ses performances en baisse, de son avenir en sélection. Certains l’annoncent déjà sur le déclin, pressentent la relève. Ce match aurait pu être une réponse silencieuse mais éclatante à ses détracteurs : un rappel que les grands joueurs ne fuient pas les grands rendez-vous.
Alors oui, tout le monde peut avoir des raisons personnelles. Mais quand on est Sadio Mané, figure tutélaire du football sénégalais, capitaine de cœur, leader technique et symbole d’une génération dorée, certains choix prennent une dimension nationale.
Loin de faire l’unanimité, cette absence risque de nourrir encore un peu plus les tensions, voire les incompréhensions, entre la star et une partie de l'encadrement fédéral. Pourtant, au-delà des désaccords ou des calculs politiques, il y a des instants dans une carrière qu’on ne rattrape pas.
Et celui du 10 juin à Nottingham en fait peut-être partie.
Bassirou Sakho est Conseiller sportif.
Les belles feuilles de notre littérature par Amadou Elimane Kane
LE COLLIER DE PAILLE DE KHADI HANE OU LE TAM-TAM DE ROMANCE
EXCLUSIF SENEPLUS - C’est un roman qui met en scène la confrontation sociale entre les urbains classiquement tournés vers la modernité et les ruraux attachés aux traditions, mais qui soulèvent la question des valeurs africaines
Notre patrimoine littéraire est un espace dense de créativité et de beauté. La littérature est un art qui trouve sa place dans une époque, un contexte historique, un espace culturel, tout en révélant des vérités cachées de la réalité. La littérature est une alchimie entre esthétique et idées. C’est par la littérature que nous construisons notre récit qui s’inscrit dans la mémoire. Ainsi, la littérature africaine existe par sa singularité, son histoire et sa narration particulière. Les belles feuilles de notre littérature ont pour vocation de nous donner rendez-vous avec les créateurs du verbe et de leurs œuvres qui entrent en fusion avec nos talents et nos intelligences.
Le genre de la romance est à l’origine une ancienne chanson espagnol populaire au caractère narratif. Comme dans tout roman d'amour populaire universel, les romances se concentrent sur les relations et l'histoire sentimentale entre deux personnes, tout en parvenant à émouvoir le lecteur et en optant pour une fin heureuse. La romance urbaine, qui est une variante du roman sentimental, relate davantage avec humour et dérision les tribulations de jeunes citadines qui se caractérise par la légèreté de ton, le recours au langage familier et l’accent mis sur les problématiques contemporaines : travail stressant, peur de l’engagement, mépris des traditions familiales.
C’est dans cette atmosphère que débute le roman de Khadi Hane Le collier de paille, avec une tonalité libre et joyeuse. La narratrice est une jeune femme moderne, vivant à Dakar et travaillant pour une ONG. Elle est mariée à Karim depuis cinq ans, et elle semble aimer la vie qu’elle a choisie.
Vivant en harmonie, entre ses parents, sa meilleure amie Claire et sa vie conjugale, elle ne se doute pas que sa stabilité va être bouleversée par un voyage initiatique et amoureux dans un village de Casamance où elle est envoyée pour la construction d’un hôpital.
Le roman est écrit au “je”, comme une confession, et au présent, à l'exception des flash back écrits au passé, qui, peu à peu, laissent entrevoir une autre réalité. Ses confidences se transforment au fur et à mesure du récit, avec les souvenirs qui affluent et la prise de conscience qui alors s’impose comme une vérité qui ne se cache plus derrière des trompe-l’oeil.
Une fois éloignée de son habitat urbain, le roman met en scène le trouble de la jeune femme face à un mode de vie totalement opposé et ignorant du sien. Sa sensibilité est aiguisée par sa disparition sociale qui n’a pas de sens pour les habitants du village de Niakhane. En effet, aux yeux de la communauté sérère où elle se rend pour diriger l’équipe du projet d’implantation d’un dispensaire, elle ne peut pas être une femme active qui commande des hommes et elle est releguée à la case des femmes. Et c’est le premier choc pour la narratrice qui se voit assignée à un rôle qui l’enferme et la contraint. Puis doucement, elle prend la mesure de la distance sociale qui les oppose, tout en étant touchée par l’abnégation de ces femmes du village qui respectent l’éducation qu’elles ont reçues.
C’est aussi un roman qui met en scène la confrontation sociale entre les urbains classiquement tournés vers la modernité et les ruraux attachés aux traditions, mais qui soulèvent la question des valeurs africaines. La narratrice est alors confrontée à plusieurs dilemmes : la liberté des femmes remise en cause, la polygamie, la hiérarchisation des sexes, des castes, le fonctionnement de la communauté paysane.
Les scènes du village sérère laissent apparaître un nouveau paysage tout en lumière, comme un tableau vivant. Celui-ci semble demeurer incompréhensible aux yeux de la narratrice mais en même temps il n’a de cesse de la fasciner. Tout est orchestré par le circulaire africain, les cérémonies, les rituels, les travaux dans les champs, les discussions autour du baobab, l'organisation spatiale, les tam-tams dans la nuit. La narratrice y expérimente sa propre initiation comme une révélation impossible à contrôler. Son mal-être se superpose à ses propres contradictions car elle est frappée, à son insu, par le corps d’un homme du village dont elle ne peut détacher son regard, envoûtée par un amour incontrôlé.
Tous les sens sont sollicités et l'écriture se métamorphose au gré de l’amour qui surgit. Les scènes du village de Niakhane sont écrites avec force et détail et un certain lyrisme qui chasse le narratif pour laisser place au poétique.
Lors d’une cérémonie où les hommes du village s’affrontent en combat de lutte, l’intrigue devient électrique, façonnée par le décor, la scène qui se déroule et les personnages. Les grigris, les griots, la musique et la danse opèrent une sorte de transe pour la narratrice qui se doit de respecter sa place, tout en cédant à son attirance pour Diogoye, l’homme des champs, fils du chef du village et marié à deux femmes, celles-là mêmes qui l’accueillent dans la case des femmes.
Ainsi, la narratrice remet en cause sa propre existence. Confrontée à une forme de déraison amoureuse qui se veut universelle, cet attachement instantané devient le paroxysme de la vérité qui se cache derrière le dessin d’une autre destinée.
De retour à Dakar et voyant approcher son espace originelle, elle ne peut s’empêcher de remettre en cause son mode de vie qui devient, à ses yeux révélés par une autre authenticité, une représentation mensongère de la vie dakaroise
Elle repasse dans son esprit la cérémonie de son mariage avec Karim et ce moment devient une révélation pour le récit car celui-ci est l’expression d’un rite travesti par l’argent et où l’héritage familial transformé en billet devient une sorte de parodie de l’amour, une mascarade douloureuse pour les jeunes mariés.
Ainsi le récit de ce collier de paille, cadeau ultime de Diogoye lors du départ de la narratrice, remplace symboliquement le lourd collier d’or passé autour de son cou lors de son union avec Karim. Et elle se souvient avec force de la promesse imaginaire qu’elle a faite à Diogoye : Nous nous sommes donné rendez-vous derrière l’écume.
De retour chez elle, la narratrice est assaillie par les images de Diogoye, impuissante à révéler son secret qui se transforme, aux yeux de ses proches, en folie, en maladie, en un démon sérère dont elle serait la victime. Et ici la romance prend des allures de tragédie car la résolution amoureuse est impossible et elle est condamnée à renoncer à la vie.
Ainsi, Le collier de paille de Khadi Hane est un roman sensible qui laisse éclore les contradictions existentielles, une dissonance sociale et amoureuse qui parle à toutes et à tous. L’autrice prend habilement le contre-pied du genre de la romance, se donnant le droit d’en explorer tous les clichés pour mieux les dépasser et tout en inscrivant un univers littéraire singulier qui fait naître une voix qu’il est agréable de redécouvrir, d’entendre et de lire.
Amadou Elimane Kane est écrivain, poète.
Le collier de paille, Khadi Hane, roman, éditions Ndzé, Paris-Libreville, 2002
Empêché d'accéder à la présidence tournante par l'opposition de Kinshasa et Bujumbura, Kigali a annoncé son départ définitif de l'organisation, dénonçant un "diktat" congolais
(SenePlus) - Le Rwanda a annoncé samedi son retrait de la Communauté économique des États d'Afrique centrale (CEEAC), dénonçant son "instrumentalisation" par la RDC et le Burundi. Cette décision spectaculaire fait suite au refus des États membres de lui confier la présidence tournante de l'organisation, pourtant prévue selon les statuts.
Les tensions étaient palpables samedi 7 juin lors de la 26e session ordinaire de la CEEAC tenue à Malabo, en Guinée équatoriale. Selon Jeune Afrique, "la Conférence des chefs d'État et gouvernement" a finalement décidé de prolonger "d'une année supplémentaire la présidence de la Guinée équatoriale, sur fond de tensions entre la RDC et le Rwanda".
Le communiqué final du sommet, cité par le magazine, indique que "la Conférence a différé à un autre moment le passage de la présidence en exercice tournante de la communauté à la République du Rwanda et a par conséquent décidé de maintenir Son Excellence Obiang Nguema Mbasogo comme président en exercice de la communauté pour une durée supplémentaire d'une année".
Cette décision constitue un camouflet pour Kigali, qui devait légitimement accéder à cette fonction selon le principe de rotation établi par les textes fondateurs de l'organisation.
Les coulisses de ce sommet révèlent l'ampleur des tensions. Jeune Afrique rapporte qu'un "commissaire de la CEEAC ayant requis l'anonymat" a confié : "C'était chaud entre le ministre rwandais et celui de la RDC, qui dit que si le Rwanda prend la présidence, eux ne pourront pas se rendre au Rwanda pour les activités ou événements de la communauté. Le Burundi est aussi sur la même voie, ce qui retarde les délibérations des chefs d'État."
Cette opposition s'inscrit dans le contexte des tensions persistantes entre le Rwanda et la République démocratique du Congo, liées notamment au conflit dans l'est de la RDC où Kinshasa accuse Kigali de soutenir les rebelles du M23.
Face à ce qu'il perçoit comme un déni de ses droits, le Rwanda n'a pas tardé à réagir. Dans un communiqué du ministère rwandais des Affaires étrangères cité par Jeune Afrique, Kigali "déplore l'instrumentalisation de la CEEAC par la RDC, avec le soutien de certains États membres".
Le texte poursuit avec une virulence rare : "Cette dérive s'est une fois de plus manifestée lors du 26e Sommet ordinaire tenu à Malabo, où le droit du Rwanda à la présidence rotative, telle que stipulée dans l'article 6 du traité, a été délibérément ignoré pour imposer le diktat de la RDC."
La conclusion est sans appel : "Par conséquent, le Rwanda ne voit aucune raison de maintenir son appartenance à une organisation dont le fonctionnement est désormais contraire à ses principes et son utilité."
Malgré ces tensions, la CEEAC a tenté de sauver les apparences en annonçant des avancées. Jeune Afrique note que "lors de cette même session, la Conférence a par ailleurs décidé de lancer la zone de libre-échange de la communauté le 30 août 2025".
Cependant, la représentation au sommet illustrait déjà les difficultés de l'organisation. Selon le magazine, seuls "le Tchad, le Gabon, la RDC, la République du Congo, São Tomé-et-Príncipe étaient représentés par leur président. Le Burundi avait dépêché son vice-président et le Rwanda son Premier ministre" sur les onze États membres.
Le départ du Rwanda porte un coup sévère à une organisation déjà fragilisée par les divisions politiques et les conflits régionaux. Cette crise révèle les limites des mécanismes de gouvernance de la CEEAC et questionne sa capacité à promouvoir l'intégration économique dans une région marquée par les tensions géopolitiques.
Pour Kigali, cette sortie s'inscrit dans une stratégie plus large de repositionnement géographique et politique, le pays étant déjà membre de la Communauté d'Afrique de l'Est (EAC) et ayant rejoint le Commonwealth malgré son passé francophone.
L'ESPRIT SAINT SOUFFLE SUR TOUTES LES ÉGLISES
"Langues de feu", disciples parlant soudain toutes les langues, naissance de l'Église universelle : la Pentecôte reste l'un des événements marquants du christianisme. En 2025, catholiques, protestants et orthodoxes la célèbrent ensemble, un fait rare
(SenePlus) - Ce dimanche 8 juin marque une convergence rare dans le calendrier chrétien : catholiques, protestants et orthodoxes célèbrent simultanément la Pentecôte, événement fondateur symbolisant la naissance de l'Église universelle.
La Pentecôte chrétienne puise ses racines dans la tradition hébraïque. Comme l'explique Le Monde, « la fête chrétienne de la Pentecôte s'inscrit dans une filiation juive ». Les premiers disciples étaient en effet réunis « à l'occasion de la "Pentecôte", nom grec de la fête de Chavouot, à l'occasion de laquelle les juifs se rendaient en pèlerinage à Jérusalem ».
Cette fête juive, initialement agricole pour célébrer « le début des moissons et la récolte des premiers fruits », avait progressivement pris « une dimension religieuse » en étant « associée au don des tables de la Loi fait par Dieu à Moïse sur le mont Sinaï », précise le quotidien.
Selon le Nouveau Testament, la Pentecôte chrétienne commémore un événement extraordinaire : « la "descente de l'Esprit saint", sous la forme de "langues de feu", sur les premiers disciples du Christ réunis à Jérusalem », rapporte Le Monde.
Le journal cite le passage emblématique des Actes des Apôtres : « Le jour de la Pentecôte étant arrivé, ils se trouvaient tous ensemble dans un même lieu, quand, tout à coup, vint du ciel un bruit tel que celui d'un violent coup de vent, qui remplit toute la maison où ils se tenaient. Ils virent apparaître des langues qu'on eût dites de feu ; elles se partageaient, et il s'en posa une sur chacun d'eux. »
Conséquence miraculeuse : « Les disciples se mettent soudainement à parler dans toutes les langues, alors qu'ils ne les connaissaient pas, et peuvent ainsi s'adresser aux "nations", c'est-à-dire à tous les peuples de la Terre – et donc pas uniquement aux juifs. »
Cette capacité soudaine de communication universelle revêt une portée symbolique majeure. Le Monde souligne que « l'Esprit saint donne aussi aux disciples, jusque-là plutôt timorés, le courage de témoigner publiquement du Christ ».
Ainsi, « la fête de la Pentecôte est considérée à la fois comme la fête de l'Esprit saint, l'une des trois "personnes" de la Trinité divine (avec Jésus, "le Fils", et "Dieu le Père"), et comme la célébration de la naissance de l'Église, une Église à visée universaliste, qui se tourne vers l'humanité entière », analyse le quotidien.
Si toutes les confessions chrétiennes partagent cette fête, elles ne lui accordent pas la même importance. Le Monde note que « ce sont toutefois les protestants qui donnent la plus grande place à la Pentecôte ». La Réforme ayant « accordé une grande importance à l'Esprit saint, insistant sur le fait que chaque chrétien peut être inspiré par ce "souffle divin" et ainsi lire et interpréter par lui-même les Écritures sans avoir à se soumettre au clergé ».
Chez les évangéliques pentecôtistes, cette fête acquiert une dimension particulière. Le journal explique qu'ils « font de la Pentecôte l'une des trois grandes fêtes du calendrier avec Noël et Pâques ». Dans ces communautés en « forte expansion », « une importance certaine est ainsi donnée à des phénomènes mystiques que l'on considère comme des manifestations de l'Esprit saint », notamment « la "glossolalie", ou "parler en langues" ».
L'année 2025 présente une particularité remarquable. Habituellement, « la Pentecôte orthodoxe a généralement lieu à une date différente » en raison des différences entre le calendrier julien orthodoxe et le calendrier grégorien utilisé par catholiques et protestants. Mais « en 2025, les deux calendriers coïncident », précise Le Monde.
Cette convergence permet à l'ensemble de la chrétienté de célébrer simultanément ce que beaucoup considèrent comme l'acte de naissance de l'Église universelle, cinquante jours après Pâques, conformément à l'étymologie grecque du terme « pentêkostê » qui signifie « le cinquantième [jour] ».
Une occasion rare de voir toutes les confessions chrétiennes unies dans la commémoration de cet événement fondateur qui, selon la tradition, transforma des disciples craintifs en messagers audacieux d'un message destiné à l'humanité entière.
PENSER LA DÉMOCRATIE AU FÉMININ, UNE URGENCE ET UN IMPÉRATIF
Les critiques face à la simple évocation du mot « féminisme » dans le contexte africain sont connues, attendues, sans surprise: accusation d’endosser et de promouvoir un agenda féministe importé, occidental, une critique d’ailleurs symétrique
« Quand une fille tombe enceinte ou qu’elle avorte, il y a un homme qui est impliqué. Cet homme est impliqué mais ne s’implique pas. Il ne sent pas qu’il est responsable. Je dis que toutes les fois qu’une femme avorte, il y a un homme qui a avorté. Si cet homme avait pris ses responsabilités peut être qu’il n’y aurait pas cet enfant ; parce qu’il aurait pris ses précautions et aurait demandé à la fille de prendre ses précautions. Il y a tout un scandale, c’est la fille qui est toujours blâmée alors que pour l’homme au fond, on vante sa virilité. C’est comme un titre de gloire pour l’homme et pour la fille c’est une honte ».
« Le débat sur les mariages et les grossesses précoces est un débat ancien, mais c’est d’abord un débat des femmes. Ce sont les femmes qui en ont discuté les premières. Parce que ce sont elles qui sont l’objet de ces mariages. Aucun homme n’est marié à 12 ans. »
Ce sont les extraits d’un entretien que la professeure Fatou Sow avait accordé à WATHI il y a déjà six ans, au début de l’année 2019. Nous avions choisi de placer la question de l’amélioration du bien-être des femmes et des filles et de leur prise de parole au cœur du débat public à l’occasion de l’élection présidentielle du 24 février 2019 au Sénégal.
WATHI avait réalisé des entretiens individuels avec 24 Sénégalaises apportant, chacune, un regard particulier sur la condition des filles et des femmes à partir de leurs propres vécus et de leurs observations de la société. Ma collègue Marième Cissé, qui avait piloté ce projet, n’avait pas manqué de solliciter la professeure Fatou Sow, sociologue et pionnière incontestée du féminisme comme engagement et comme objet de recherche scientifique au Sénégal et sur le continent. C’est à travers cet entretien que j’avais découvert le parcours et la contribution remarquable de Fatou Sow à la défense des droits des femmes, indissociable de la défense de la dignité humaine et indissociable de toutes les luttes pour des sociétés en meilleur état.
Née en 1941, Fatou Sow a soutenu une thèse de doctorat sur l’administration centrale du Sénégal indépendant avant de s’intéresser de plus en plus aux rapports sociaux entre les hommes et les femmes. À la fin des années 1980, elle crée le programme d’enseignement du genre au Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique (CODESRIA) et organise en 1999 le deuxième Congrès international des recherches féministes dans la francophonie. Enseignante et chercheure au Sénégal et en France, elle contribue à ancrer les questions de genre dans les institutions de recherche et les universités africaines. Elle est aussi très impliquée auprès des associations des femmes africaines qui portent les luttes au niveau continental et mondial.
Si je parle de Fatou Sow et du féminisme africain cette semaine, c’est parce que la Fondation de l’innovation pour la démocratie eut l’heureuse idée d’organiser à Dakar du 13 au 17 mai dernier, un symposium sur le thème de la « démocratie au féminin » en hommage à la carrière et aux engagements de cette pionnière. Pendant trois jours d’une rare densité, chercheurs dont une majorité de chercheures, militantes et militants, intellectuels, se sont réunis pour penser la démocratie au féminin, entre mémoire, héritages et perspectives. Une leçon magistrale inaugurale par Fatou Sow elle-même, sept autres leçons données par des femmes d’expérience, à la fois universitaires et militantes, cinq tables rondes et huit ateliers thématiques. Ces derniers ont permis à des jeunes chercheures et chercheurs de plusieurs pays du continent de présenter leurs travaux en cours sur une très grande diversité de sujets en lien avec les questions de genre. J’en cite quelques-uns : les métamorphoses de la famille, les savoirs féminins, genres et dispositifs technologiques, corps et sexualités, travail des femmes… Le symposium inaugurait un cycle triennal d’enquêtes et de recherches féministes, à l’initiative de la Fondation de l’innovation pour la démocratie.
Le professeur Achille Mbembé, président de la Fondation de l’innovation pour la démocratie, et son équipe, sont en train de donner un contenu aussi ambitieux que stimulant à cette fondation dont les conditions – franco-africaines - de la naissance pouvaient légitimement susciter certaines réserves. L’ambition de faire émerger un réseau ouvert alliant chercheurs, activistes, des femmes et des hommes de générations différentes, autour de la construction d’une démocratie substantive à l’échelle du continent, est remarquable. Contenu ambitieux alliant recherche universitaire, pensée et action, qui choisit comme une de ses priorités la valorisation des savoirs féminins et l’affirmation de l’égale place des femmes dans le projet démocratique.
Les critiques face à la simple évocation du mot « féminisme » dans le contexte africain sont connues, attendues, sans surprise: accusation d’endosser et de promouvoir un agenda féministe importé, occidental, une critique d’ailleurs symétrique à celle récurrente sur la démocratie importée, sur l’occidentalisation des sociétés africaines, sur les incompatibilités présumées avec la préservation des traditions et des cultures africaines, et des prescriptions des religions dominantes. Fatou Sow et les autres femmes qui ont animé les échanges lors de ce symposium ne s’épuisent plus depuis longtemps à répondre à ce type de critiques nourries avant tout par la volonté pour beaucoup d’hommes de ne pas voir les discriminations de genre, leur ampleur et parfois leur mortelle gravité. Les féministes africaines savent que le patriarcat et ses multiples manifestations ne sont en rien une spécificité africaine. Elles n’ont pas de leçon d’africanité ni d’ailleurs de morale religieuse à recevoir de personne.
« En nous appelant féministes, nous politisons la lutte pour les droits des femmes. Nous remettons en question la légitimité des structures qui maintiennent les femmes assujetties et nous développons des outils en vue d’une analyse et des mesures transformatrices », a déclaré Fatou Sow dans sa leçon magistrale. « Penser la démocratie au féminin est plus qu’une urgence. C’est un impératif », a-t-elle ajouté.
Le média sénégalais Dakaractu a publié un reportage le 23 mai avec ce titre choc, sans doute exagéré mais qui témoigne d’une prise de conscience salutaire: « Violences conjugales : quand les foyers deviennent des mouroirs pour les femmes au Sénégal ». Alors que les féminicides, forme la plus extrême des violences basées sur le genre, font de plus en plus souvent l’actualité au Sénégal, et que beaucoup trop de jeunes filles et de petites filles sont victimes de différentes formes d’agressions dans beaucoup de pays d’Afrique de l’Ouest et au-delà, les réponses politiques claires et fortes préconisées par les intervenantes de ce symposium doivent s’imposer dans les débats publics et les débats politiques nationaux.
Il est de plus évident que l’évolution des cadres familiaux, les rapports entre hommes et femmes dans et en dehors des foyers, l’éducation des filles et celle des garçons, l’assignation de rôles figés aux filles et aux garçons, l’impact des médias traditionnels, des médias et des réseaux sociaux sur la perception des inégalités de genre, ne sont pas des questions accessoires mais des questions essentielles pour l’avenir de nos sociétés.
En audio sur Spotify, Soundcloud, Apple Podcasts et YouTube, Les Voix et voies de WATHI.
(Photo: Fatou Sow lors du symposium sur la démocratie au féminin, Dakar. Photo reprise d'un article publié par Seneplus).
Pour aller plus loin
Les enregistrements des différentes sessions du Symposium international « La démocratie au féminin » en hommage à Fatou Sow, sont accessibles ici : https://www.youtube.com/@fondationinnovationdemoc.../streams
Entretien avec Fatou Sow, sociologue, dans le cadre du projet « Sénégal 2019 : Le bien-être des femmes et des filles au cœur du débat électoral » https://www.wathi.org/.../entretien-avec-fatou-sow.../
Sénégal 2019 : Le bien-être des femmes et des filles au cœur du débat électoral, page du projet, https://www.wathi.org/le-bien-etre-des-femmes-et-des.../
Débats citoyens sur la participation des femmes à la vie politique, économique et sociale au Sénégal, 2021, https://www.wathi.org/debats-citoyens-places-et-roles.../
PAR CHEIKH TIDIANE MBAYE
SÉNÉGAL, UN PEUPLE ACTIF DANS UN PAYS À L’ARRÊT ?
On valorise l’ingéniosité immédiate, la débrouillardise, le système D. Cela produit de la créativité, certes, mais pas toujours de la durabilité. On préfère souvent "faire avec les moyens du bord" plutôt que de bâtir sur le long terme.
Les Sénégalais sont reconnus pour leur dynamisme. Dans les rues de Dakar comme dans les coins les plus reculés, les initiatives ne manquent pas : petits commerces, systèmes D, mobilisations citoyennes, innovation informelle… Le pays fourmille d’activités, d’énergies, de créativité. Et pourtant, le développement structurel semble piétiner. Le chômage est endémique, l’économie reste dépendante de l’extérieur, les infrastructures peinent à suivre, et les inégalités s’accroissent. Pourquoi tant d’efforts individuels aboutissent-ils à si peu de progrès collectif ? Où va cette énergie sociale ? Et surtout, que manque-t-il pour qu’elle produise un développement véritablement transformateur ?
1. Une activité individuelle intense, mais dispersée
Le Sénégal regorge d’initiatives personnelles :
Des vendeurs ambulants qui bravent la chaleur chaque jour.
Des étudiants qui cumulent études et petits boulots.
Des femmes qui se battent dans les marchés ou dans l’informel.
Des jeunes qui investissent les réseaux sociaux comme espaces économiques.
Mais cette hyperactivité individuelle, souvent dans des cadres précaires et non structurés, n’aboutit pas à un développement collectif. L’économie informelle représente environ 50 à 60% du PIB, mais elle échappe aux circuits de financement, de protection sociale et de fiscalité efficace.
2. Un déficit d'organisation et de vision commune
L’un des grands problèmes est le manque de structuration et de coordination des efforts. Au lieu de se fédérer, les initiatives restent souvent isolées, concurrentes, ou éphémères.
Ce manque de synergie s’explique par :
Un État souvent absent ou mal organisé, qui n’accompagne pas suffisamment les dynamiques populaires.
Un tissu associatif très dense, mais parfois éclaté, politisé ou clientélisé.
Un individualisme croissant, renforcé par la précarité et l’obsession de la réussite personnelle.
Résultat : une énergie diffuse, sans direction stratégique.
3. Une culture de la débrouillardise qui remplace la culture de la planification
Au Sénégal, on valorise l’ingéniosité immédiate, la débrouillardise, le système D. Cela produit de la créativité, certes, mais pas toujours de la durabilité.
On préfère souvent "faire avec les moyens du bord" plutôt que de bâtir sur le long terme.
Ce court-termisme culturel est accentué par :
L’instabilité économique.
L’absence d’accès au crédit.
La faible confiance dans les institutions.
La débrouillardise devient une réponse à la pauvreté, mais elle ne remplace pas la planification structurée, ni les politiques publiques cohérentes.
4. L'État, catalyseur ou frein ?
Dans un pays aussi actif, le rôle de l’État devrait être de canaliser les énergies, investir dans les infrastructures collectives, créer des ponts entre les initiatives individuelles et l’économie structurée.
Mais on observe trop souvent :
Des politiques publiques mal coordonnées.
Des programmes inefficaces ou détournés.
Une dépendance à l’aide extérieure.
Une centralisation qui étouffe les dynamiques locales.
L’État ne joue pas encore pleinement son rôle de chef d’orchestre du développement.
5. Une société en tension : trop d’efforts, peu de résultats
Ce décalage entre l’activité déployée et les fruits récoltés génère :
Cette dissonance entre l'effort et la récompense nourrit un sentiment d’injustice et d’absurde. Comme si "le travail ne payait pas" au Sénégal.
De l’énergie à la stratégie
Le Sénégal n’a pas un problème d’activité. Il a un problème d’organisation, de structuration et de vision collective. L’énergie existe. Mais elle est souvent gâchée faute de politique claire, de leadership stratégique, de confiance mutuelle et d’écosystème économique adapté.
Le développement ne viendra pas uniquement de l’effort individuel. Il viendra d’un projet collectif qui connecte ces efforts, les valorise, les transforme en puissance durable. Il faut passer de la simple activité à l’action organisée, de la débrouillardise à l’intelligence collective.
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LE SÉNÉGAL ÉTOUFFE À LA POMPE
L'essence sénégalaise détient le record peu enviable du carburant le plus cher d'Afrique de l'Ouest. Une situation qui exaspère automobilistes et transporteurs, contraints de voir leurs coûts exploser malgré la baisse des cours mondiaux du pétrole
Dans les stations-service de Dakar, la frustration est palpable. À 990 francs CFA le litre, l'essence sénégalaise détient le triste record du carburant le plus cher d'Afrique de l'Ouest, se classant même au deuxième rang continental, juste derrière la République centrafricaine.
Cette flambée des prix pèse lourdement sur le quotidien des Sénégalais. Les automobilistes voient leurs frais de transport exploser : un trajet qui coûtait 5 000 à 10 000 francs CFA en carburant nécessite désormais 20 000 francs, situation aggravée par les embouteillages urbains.
Le secteur du transport, pilier de l'économie, subit de plein fouet cette hausse. Mamadou, gérant d'une coopérative de camions reliant Dakar aux autres villes de la sous-région, témoigne de cette réalité : ses chauffeurs préfèrent désormais faire le plein au Mali, où l'essence coûte 20% moins cher, paradoxalement alors qu'elle transite par le port de Dakar.
Face à cette situation, les syndicats de transporteurs montent au créneau. Ils réclament une rencontre avec les autorités et brandissent la menace de grève si aucune solution n'est trouvée rapidement.
Leur colère est d'autant plus compréhensible que depuis le début de l'année, les cours mondiaux du pétrole ont chuté de 20%. Si la Côte d'Ivoire et le Mali ont répercuté cette baisse à la pompe, le Sénégal maintient ses tarifs élevés, soulevant des questions sur la politique fiscale gouvernementale.
Le gouvernement sénégalais affirme travailler à une baisse durable des prix du carburant, mais aucun calendrier concret n'a été annoncé. Cette absence de transparence alimente les interrogations des experts et la frustration des usagers, qui espéraient bénéficier de l'exploitation pétrolière nationale pour voir leurs factures diminuer.
L'équation reste complexe pour les autorités : concilier les impératifs budgétaires avec les attentes légitimes d'une population de plus en plus pressée par la cherté de la vie.
AU SÉNÉGAL, DES MANNEQUINS EN FIL ROUGE
Podiums scintillants, créateurs renommés, invités triés sur le volet : la Dakar Fashion Week affiche son succès. Mais derrière cette façade dorée, les mannequins sénégalais peinent à survivre, exploités par un secteur qui les traite "comme des chiffons"
(SenePlus) - La Dakar Fashion Week fait rêver avec ses podiums glamour et ses créateurs venus de tout le continent. Mais derrière cette vitrine scintillante se cache une réalité bien plus sombre : celle de jeunes mannequins sénégalais contraints de travailler dans des conditions extrêmement précaires, sans contrats ni garanties, selon une enquête du site d'information Afrique XXI.
Dans une société sénégalaise encore très ancrée dans des valeurs traditionnelles, le mannequinat reste un métier mal perçu. « Les parents, les amis, ils disent que ce n'est pas un travail. Que ce n'est pas un métier pour les hommes. Pour les femmes, ils disent que ce n'est pas un métier digne non plus. Parce que vous montrez votre corps, que vous le vendez. Ils disent que vous êtes une prostituée », explique Willy Diatta, mannequin de 27 ans, selon Afrique XXI.
Cette stigmatisation pousse parfois les familles au rejet total. Mouha Sow, le plus jeune du groupe de mannequins interrogés, « a été répudié, chassé de la maison par son père qui lui demandait d'arrêter le mannequinat et de se concentrer sur autre chose », rapporte son ami Willy. « Mais Mouha a refusé et il n'avait plus de chez lui pendant des semaines. »
L'un des problèmes majeurs de ce secteur reste l'absence quasi-systématique de contrats. Même Oumy Dione, mannequin expérimentée de 24 ans qui se fait appeler Souphah, avoue ne pas connaître sa rémunération pour la Fashion Week : « Je me dis que ça ira. Avec les années, ils ont l'habitude de bien payer, donc ce n'est pas trop grave de ne pas connaître le cachet exact », confie-t-elle à Afrique XXI.
Cette situation laisse la porte ouverte à tous les abus. « Même pour les grands défilés comme celui de la Fashion Week de Dakar, il n'y a pas de contrat. Et quand vous en demandez un, on vous répond que vous êtes trop compliqué et qu'on peut s'adresser à n'importe qui d'autre », regrette Sam Diatta, jeune mannequin de la banlieue dakaroise.
Des conditions de travail déplorables
Les témoignages recueillis par Afrique XXI dressent un tableau accablant des conditions de travail. Willy Diatta détaille la réalité économique de ses collègues : « Quand vous prenez un transport pour vous rendre à un défilé, vous payez 300 francs CFA pour l'aller, donc ça va. Ensuite, vous ne mangez rien de la journée, et vous avez faim. À la fin du défilé, souvent vers 1 heure du matin, vous devez payer un taxi à près de 4 000 FCFA, voire 6 000 pour des personnes comme nous, qui habitons en banlieue. »
Le bilan financier est souvent catastrophique : « Après le défilé, soit on vous annonce que le cachet est de 15 000 FCFA, soit on vous dit que vous ne serez pas payé. Parfois, le promoteur a simplement disparu ou il ne répond plus à vos appels… Donc finalement, vous n'avez rien gagné. »
Goora Mbaye, mannequin de 24 ans et fondateur de sa propre agence, dénonce ouvertement ce qu'il considère comme une « culture du mépris ». « On nous traite comme des chiffons. Pour un défilé, tu touches 30 000 francs maximum. Donc, la majorité des mannequins à Dakar exerce un autre métier à côté », explique-t-il selon Afrique XXI.
Il pointe également du doigt l'exploitation par des marques internationales : « Un jour, un client étranger est venu me voir pour un shooting avec une enseigne de valises très connue : on me proposait de travailler de 8 heures à 18 heures pour seulement 20 000 francs. Quand j'ai refusé, il s'est énervé et m'a répondu qu'il ferait un "casting sauvage". »
Face à cette situation, certains mannequins tentent de faire évoluer les pratiques. Goora Mbaye a créé sa propre agence avec douze mannequins âgés de 17 à 24 ans, s'imposant comme intermédiaire protecteur : « Je leur pose beaucoup de questions. Ils et elles sont sous ma responsabilité : est-ce qu'on vient te chercher ? Est-ce que tu as le petit-déjeuner ou le dîner ? Et au moindre problème, je dis : "Tu pars." »
Willy Diatta appelle également à une prise de conscience collective : « Si la majorité des mannequins accepte de travailler gratuitement ou dans de mauvaises conditions, rien ne changera. Si nous n'apprenons pas à nous respecter nous-mêmes, comment pouvons-nous espérer que les autres – les directeurs de casting, les agences et leurs agents – nous respectent ? »