Le Groupe de Recherche et d’Initiative pour la Libération de l’Afrique évoque les travaux de l'égyptien sur l'accumulation économique mondiale et le développement inégal. Les intervenants évoquent son impact sur le développement intellectuel en Afrique
Retour sur les travaux de Samir Amin, dont ceux portés sur l'accumulation économique mondiale et le développement inégal. Au fil du temps, Amin a élargi sa perspective au-delà du cadre marxiste initial.
Les intervenants mettent en avant son impact sur le développement intellectuel en Afrique et appellent à la préservation et à la diffusion de son héritage.
par El Hadji Cheikh Diop
DE LANGUE À LANGUE : NOTE DE LECTURE SUR UNE ONTOLOGIE DE LA TRADUCTION
Publié en 2022 aux éditions Albin Michel, le texte de Souleymane Bachir Diagne aurait bien pu être dirigé contre cet ésotérisme des expériences subjectivées. Mais l’essai est opposé à une chose autre, clairement nommée : "une ethnologie de la différence"
Écrire sur la traduction est un exercice délicat dans un contexte où les solipsismes individuels et collectifs gagnent en épaisseur et en consistance. En proclamant l’inaccessibilité d’expériences dont les authentiques clés d’interprétation resteraient entre les seules mains des individus et groupes les ayant vécues, les discours solipsistes contemporains font passer les expériences particulières du monde au statut d’intraduisibles. Publié en 2022 aux éditions Albin Michel, le texte de Souleymane Bachir Diagne aurait bien pu être dirigé contre cet ésotérisme des expériences subjectivées. Mais l’essai est opposé à une chose autre, clairement nommée : « une ethnologie de la différence ».
A celle-ci Bachir oppose en effet un « principe de charité » qui est au cœur du travail de traduction. A l’égard des langues, cette charité procède par « mise en rapport ». La traduction apparait ainsi, sous la plume de Bachir, davantage comme un processus relationnel que comme un troisième terme qui viendrait s’ingérer dans les rapports entre deux langues. Le sous-titre de la conclusion (« la langue des langues ») peut donc tromper : la traduction gagne certes sa propre positivité, mais comme relation. Elle est « mise en rapport », créatrice de réciprocité entre langues, mais peut également « manifester » des rapports d’inégalité à l’instar de ceux caractérisant l’espace colonial.
A travers cinq chapitres qui se lisent de façon très fluide, Bachir dénoue magistralement les décisions savantes qui voudraient ériger des barbelés de l’intraduisibilité entre les langues, les cultures. C’est alors tout naturellement « contre l’effet de l’instinct de tribu » que le commentateur de Bergson fait apparaître la nécessité de la traduction comme « rencontre dans une humanité partagée ». La dimension téléologique d’un tel choix paraît assumée, tant l’humanisme qui le fonde transparait de façon explicite au fil des pages.
Logique et langues
C’est le philosophe américain Willard O. Quine que Bachir mobilise dans cette entreprise dès le premier chapitre, pour fragiliser les bases de « l’ethnologie de la différence » et ouvrir la discussion sur le « statut anthropologique de la logique ». Double fragilisation, au moins pour un moment ! Car ni le particulariste de creuset ni l’universaliste de surplomb ne se trouvent rassurés. Ce sera au moment de traiter d’une philosophie de la grammaire qui serait propre à chaque langue que Bachir va se montrer lui-même plus décisif sur le statut de la logique.
A la faveur d’une réflexion sur une querelle emblématique ayant marqué l’histoire de la philosophie islamique, l’auteur revient sur l’opposition entre l’idée d’une logique qui serait propre à chaque langue et l’idée d’une logique inhérente au raisonnement humain de façon générale. Un détour fort utile est l’exemple que constitue l’arabe de ne pas être une langue « à copule » au même titre que le grec.
Quand on attribue, en langue grecque, un prédicat à un sujet, le rôle que joue la copule « est » en grec dans l’exemple « Socrate est philosophe » se voit en quelque sorte rempli en arabe par le pronom personnel « lui », de telle sorte que cette proposition devienne en arabe : « Socrate, lui, philosophe ». C’était en tout cas la traduction préférée par des philosophes arabes comme Matta qui, en procédant de la sorte, transformèrent en une « relation logique entre deux termes » ce qui se présentait en grec sous la forme d’un prédicat intrinsèque (philosophe) à un sujet (Socrate) : « Ainsi (…) la relation qu’établit le pronom personnel indique-t-elle que l’individu "Socrate" appartient à la classe de ceux qui possèdent la propriété "philosophe" ».[i]
Il nous est pourtant permis de douter de la portée ontologique d’une telle transformation. La classification, qui est un mécanisme cognitif pour regrouper et distribuer des choses discrètes dans divers ensembles, est nécessairement fondée sur la similitude des prédicats imputés à celles-ci. En arabe comme en grec, l’opération que décrit Bachir aboutit nécessairement à une classification dès lors que l’on songe à regrouper diverses entités dénommées « philosophe » dans un même ensemble ; la transformation de l’inhérence du prédicat en relation ne menant guère à un assemblage relationnel en tant que tel. Alors que l’opération classificatoire prend appui sur la similitude des attributs intrinsèques, un assemblage relationnel se fonderait plutôt sur la compatibilité des positions, à l’instar des termes de parenté qui en fournissent un bon exemple d’objectivation sociologique.
Et ici, nous nous trouvons bien en face d’une opération classificatoire, car ce qui permet de parler d’une classe des philosophes, ce sont bien les traits intrinsèques similaires que ces derniers sont réputés partager et auxquels sont assujetties les relations entre philosophes. Autrement dit, au sein de la classe, la prévalence des termes sur les relations reste inchangée dans le mouvement de traduction que cite Bachir. La différence serait, au plus, dans la nature intrinsèque ou extrinsèque de la relation sujet-prédicat, et non dans l’opération d’assemblage ou de répartition des existants qui semble pourtant plus décisive tant pour le raisonnement logique que pour les jugements ontologiques.
Il est toutefois important de noter que même s’il estime que traduire d’une langue « à copule » à une autre qui ne l’est pas n’est pas « indifférent », Bachir s’oppose à l’idée que « les philosophies sont (…) des systèmes de pensée séparés, constitués par des langues et des philosophies grammaticales radicalement différentes ».[ii] Cela dit, d’où vient même cette nécessité de faire un détour par les rapports logiques entre termes et relations contenus dans la grammaire, comme si cette dernière donnait à la langue son unité ? L’argument que nous défendons ici, c’est que même en répudiant un relativisme logique qui serait favorisé par les langues, l’auteur se sert du même postulat implicite quant à ce qui fait l’unité d’une langue. En effet, l’un des réquisits de l’amplification de la traduction chez Bachir est de retrouver l’unité de la langue à partir des structures linguistiques qui surplombent les différences culturelles dans les usages d’une langue.
Conséquences analytiques
Gilles Deleuze et Félix Guattari sont allés jusqu’à affirmer une unité politique de la langue est politique.[iii] Ce choix a au moins le mérite de ne contenir aucune pétition de principe. En outre, elle suggère que les représentations du monde partagées au sein d’une communauté politique ne sont pas simplement des facteurs supplémentaires qui influent sur la langue, mais bien des éléments constitutifs de celle-ci. La question fondamentale ici est : comment, dans une analyse qui donne à la traduction une grande amplitude, les continuités et les scansions "politiques" de la langue en viennent-elles à être occultées par une structure abstraite qui, bien que donnant à la langue son unité, en est aussi déduite ? Qu’une telle structure soit syntaxique, phonologique ou lexicale, elle jouit du même privilège de surplomber les différences qui naitraient d’usages culturels dominants ou politiques d’une langue. Dans l’analyse de Bachir, le niveau syntaxique semble bien jouer ce rôle.
Traduire, c’est comparer. Comparer suppose l’existence préalable des choses à comparer. Traduire crée ou maintient donc le caractère discret des choses qu’elle met en rapport. Il n’est d’ailleurs possible de parler d’hybridation qu’au sujet de choses qu’on tient pour séparées ou différentes. De plus, la conséquence de donner une représentation explicite ou une positivité à la traduction (qui n’a pourtant de forme d’expression ou de positivité que dans les langues particulières), c’est de recourir à des termes (langues) dont l’unité parait d’abord syntaxique.
Amplifier la traduction comme relation comparative a dès lors pour conséquence d’amplifier l’unité à partir de laquelle on procède à la découpe des termes à « mettre en rapport ». Une pragmatique de la langue aurait pu par contre envisager la traduction entre usages sociaux différents d’une même langue ou entre discours ontologiques mettant différemment l’accent sur des possibilités logiques universelles. Le concept de schème chez Kant et Bergson, repris ensuite par Piaget, pourrait bien renvoyer à la nature de ces représentations logiques socialement acquises[iv] qu’il s’agirait d’exposer dans le cadre d’une pragmatique de la langue. Cela nous mène vers une question qui prend une allure foucaldienne : quels sont les bords extérieurs de la traduction ?
Le dehors de la traduction
A la question de savoir ce qu’il y a en dehors de la traduction, la lecture de l’essai de Bachir nous renvoie à des choix conscients, réflexifs : l’hospitalité, la charité, l’éthique, la (lutte contre la) domination et les inégalités... En bref, en dehors de la traduction, il y a l’humain conscient, logique, rationnel, charitable, égalitaire. Sans doute ! Mais la première limite de cette échelle d’analyse, c’est que c’est à peine qu’elle est en mesure de rendre compte des pratiques sociales de traduction qui affleurent très peu la conscience et sont incorporées par les agents sociaux sous forme d’automatismes (ou de schèmes pratiques voire d’habitus dans une certaine mesure).
Pourrait-on expliquer la relative stabilité du système de traduction des patronymes maliens et sénégalais, en imaginant seulement des choix conscients ou des délibérations individuelles qui réouvriraient à chaque fois le registre des interprétations collectives ? Comment saisir la relation de la traduction aux rapports économiques ou politiques, aux savoirs formels relativement autonomes, à toutes ces choses situées en dehors d’elle et qui font d’elle une pratique positive supra-individuelle, avec ses modalités dominantes et ses règles de transformation ? Comment la traduction arrive-t-elle à s’autonomiser, à ne plus avoir besoin d’un dehors politique ou économique, à n’être plus que « technique » référée à elle-même ?
L’humanité envisagée comme horizon de la traduction permet sans doute de rendre compte de choix individuels remarquables, à l’instar de certains actes posés par les interprètes indigènes dans l’espace colonial. Usant de la différenciation latourienne entre médiateurs et intermédiaires, Bachir nous dit que ces interprètes sont bien dans le premier lot, car ils ne se contentent pas seulement d’être les véhicules passifs des mots qu’ils rendent dans la langue du colon ou dans la leur. Ils en transforment parfois le sens de façon délibérée, mais en prenant en compte de la totalité de la situation. Acte de sincérité même ! Mais l’on voit toujours mal comment un tel niveau d’analyse permettrait en même temps de rendre compte de la spécificité historique des modalités de la traduction ainsi que des mécanismes qui en sous-tendent la transformation.
Traduire les images
Les « translations de l’art africain classique » sont une occasion pour Bachir de mettre en relief l’impact qu’ont eu sur le cours du modernisme artistique les objets d’art africain dont il dit que « leur vivacité a signifié qu’ils ont trouvé à se loger dans de nouveaux langages, devenant ainsi des médiateurs et faisant de leurs traducteurs aussi des médiateurs ».[v] C’est pourquoi l’auteur ramène au premier plan le langage des formes que parlent ces objets, bien avant la fonction rituelle à laquelle il est commun de les réduire.
Il est vrai qu’on ne saurait accorder une fonction unique à ces images, comme si elles perdraient de leur plénitude sans les contextes ayant vu leur naissance. Cependant, en plus des traits formels, il y a toujours un dispositif par lequel l’objet arrive à signifier, le musée étant lui-même un de ces dispositifs. De plus, les traits formels, parce que limités dans leur combinatoire, n’ouvrent que des possibilités de langage, mais ne parlent aucun langage direct.
On pourrait se servir comme exemple la manière dont la figuration des fondateurs de cercles soufis et des rois-héros nationaux au Sénégal correspond schématiquement à la différence panofskienne entre la fonction commémorative et la fonction glorifiante des images (portraits). S’il est commun de représenter le héros (comme Lat Dior) de profil, le guide-fondateur est souvent représenté sous une vue de face. Que certaines images des fondateurs de cercles soufis soient photographiques n’a pas beaucoup d’importance ici, dans la mesure où même dans la photographie, la façon dont on traite le champ, sa profondeur, sa mise en relief et son animation fait l’objet de choix figuratifs.
Les images de Lat Dior, bien moins présentes dans les maisons sénégalaises que les portraits des fondateurs de cercles soufis, sont souvent chargées de détails contextuels. Lat Dior est non seulement souvent représenté de profil, mais parfois aussi accompagné de son cheval, avec un aide à côté et bien des objets qui enrichissent la scène figurée. Les choix formels permettent ainsi de contenir les relations (les interactions) dans l’image.
Or, la relative neutralité du fond de l’image la plus utilisée de Cheikh Ahmadou Bamba, qui est de surcroît représenté sous une vue de face, ouvre la possibilité d’une relation (d’une interaction) entre l’observateur et l’image. Là où l’image de Lat Dior peut remplir une fonction commémorative, celle du fondateur du mouridisme ouvre, de par le face-à-face intersubjectif qu’elle permet, la possibilité d’une vénération. La fonction glorifiante d’une telle image est, en outre, renforcée par une idéalisation du modèle, facilitée dans ce cas par le turban maure du cheikh qui couvre la moitié du visage, réduisant ainsi le nombre de traits à imiter et laissant peu de place à un décalage important entre les diverses reproductions.
Cela dit, il arrive bien que les figurations de fondateurs de cercles soufis ou de rois-héros nationaux donnent à voir des fonctions différentes de celles qu’elles remplissent de façon habituelle. Dans les cercles soufis par exemple, le recours à l’image commémorative n’est pas rare, mais sert surtout de medium pour établir des prescriptions normatives quant aux rapports entre le guide religieux et le disciple, à l’importance de la patience dans le cheminement du soufi etc. Cependant, la distribution sociale de ces images commémoratives des fondateurs de cercles soufis parait très limitée.
La différence dans la façon de figurer fondateurs de cercles soufis et rois-héros nationaux est tout à fait envisageable à partir de la différence des régimes d’existence post-mortem dans lesquels se trouvent les deux types de personnages. Car si les rois-héros nationaux sont littéralement des figures historiques, les fondateurs de cercles soufis sont, en général, des êtres dont la présence continue à être actualisée grâce, entre autres, à ces images dont les traits formels leur permettent d’entrer dans le dispositif relationnel extérieur à la toile ou à la photo. La question fondamentale consiste donc moins à se demander si l’objet d’art ou l’image de manière générale garde une « vivacité » sans le dispositif qui l’a vu naitre, que de savoir la variabilité logique et réelle de la relation entre l’objet et un dispositif auquel il est forcément inséré.
Ainsi est-il peu certain que le transfert du célèbre portrait de Cheikh Ahmadou Bamba dans un musée d’ici ou d’ailleurs puisse conserver cette fonction dite « glorifiante » sans le dispositif et les codes d’interprétation qui permettent à l’observateur d’établir la relation intersubjective avec l’image. De l’autre côté, avec des relations contenues dans le cadre, l’image de Lat Dior garderait plus ou moins sa fonction commémorative dans un mouvement de translation similaire. Dans un cas, le pouvoir de l’image est relatif (au sens que ce qualificatif a dans "pronom relatif") ; dans l’autre, le pouvoir de l’image lui est intrinsèque.
Il faut enfin reconnaître que Bachir ne soutient guère l’idée que toutes les traductions se valent, mais c’est une question que nous étions bien amené à nous poser au cours de la lecture. La conclusion y apporte une réponse ferme, notamment lorsque l’auteur oppose les traductions violentes aux traductions hospitalières, « qui ont le souci de la fidélité par véritable souci de connaissance de l’autre ».[vi] Nous espérons que la présente traduction aura reflété ce souci, malgré le fait qu’elle amplifie quelques traits de l’ouvrage et en contracte bien d’autres.
[i] Diagne, Souleymane B. De langue à langue. L’hospitalité de la traduction (Albin Michel, 2022), 121-22.
[iii] Deleuze, Gilles, et Félix Guattari. Mille Plateaux (Éditions de Minuit, 1980), 109.
[iv] Il est important de souligner que le fait de relever le caractère acquis des représentations logiques ne veut pas dire que celles-ci puissent être exclusives à un groupe social. Au contraire, un « acquis » est à entendre comme un « nécessaire » de la cognition humaine.
EXCLUSIF SENEPLUS - Dans quelle démocratie élimine-t-on du jeu le parti le plus représentatif ? Les évènements récents en Casamance sont inacceptables. Pour nos sociétés, un désir de rupture avec un pacte colonial et ratifié par l’État postcolonial
Le président de la République du Sénégal avait promis de réduire son opposition politique à sa plus simple expression. Le ministre de l’Intérieur, en publiant le 31 juillet 2023 un décret signé par sa main et dissolvant le Pastef ; et le doyen des juges en mettant le leader de cette formation politique en prison, viennent au nom de la République d’accomplir formellement ce dessein. En agissant ainsi, le gouvernement du Sénégal a porté un grand coup à la démocratie sénégalaise. Fille d’une longue et lente construction faite de soubresauts, d’épreuves et de luttes, les beaux jours de la démocratie sénégalaise, dans sa réalité substantielle, auront vécu. Pas qu’elle fut sans défaut ; elle avait ses limites et ses dimensions à parfaire, mais l’essentiel était préservé, c’est-à-dire, le refus de l’arbitraire le plus absolu et la possibilité pour les citoyennes et citoyens de coconstruire le destin collectif de la nation. L’horizon demeurait ouvert avec ses chantiers en perspective. Nous allions aux urnes, votions en paix et choisissions nos représentants. Les dernières interdictions de partis politiques dans notre histoire politique datent des années 1960 ; celle du Parti Africain de l’Indépendance (PAI) en 1960 sous le régime de Senghor ; celles du Bloc des Masses Sénégalaises (BMS) en 1963 et du Front National Sénégalais (FNS) de Cheikh Anta Diop en 1964, dans une époque et un contexte politique différents. Depuis, nous avions fait du chemin pensions-nous ; multipartisme limité à trois courants en 1976, à quatre en 1978, intégral sous l’ère de Abdou Diouf ; environ 339 partis politiques enregistrés au total dont 151 durant cette dernière décennie ; une vie syndicale et associative, une liberté d’expression que l’on nous enviait dans la sous-région.
Le Sénégal a connu sous Senghor, Diouf et Wade des joutes politiques dures. Celles-ci furent verbales et parfois émaillées de violences. Maître Wade fut même accusé du meurtre d’un juge, président du Conseil constitutionnel, Maître Babacar Sèye. Son parti politique ne fut pas pour autant dissous et interdit. Depuis l’ère senghorienne, nous ne connaissions plus cette forme de déni démocratique. Le sentiment qui nous habite est celui d’un retour à contretemps d’une histoire passée et d’une véritable régression démocratique.
Le parti qui vient d’être interdit est celui dont le message recueille l’adhésion de la majorité de la jeunesse sénégalaise (70 % de la population) des classes laborieuses et d’une masse silencieuse qui aspire à un profond changement de mode de gouvernance. C’est un fait simple, visible, indubitable ; une évidence que la bonne foi ne peut nier, que l’on adhère ou pas à la vision politique du Pastef, il suffit d’ouvrir les yeux. Dans quelle démocratie élimine-t-on formellement du jeu le parti le plus représentatif du moment ? Que fait-on de l’aspiration de centaines de milliers de personnes à une expression politique républicaine et à la participation aux décisions qui configurent leur destin ? Lui intime-t-on l’ordre de rentrer chez elle sagement, à cette aspiration ? Si elle ne peut s’exprimer démocratiquement, comment s’exprimera-t-elle ?
Depuis quelques temps, il ne reste de notre démocratie que l’élégance du terme et ses reflets de naguère. Elle est devenue une catégorie que l’on a inexorablement vidée de son sens véritable. La démocratie, plus qu’un régime politique est un état de la communauté politique. Est démocratique, une société fondée sur la Justice. Celle-ci est devenue sous nos cieux l’instrument d’une répression politique dirigée contre les opposants ou tout simplement contre ceux qui ont une position critique. L’appareil judiciaire a ces derniers temps abusé d’une rhétorique autour de la sûreté de l’État, du respect des Institutions, du maintien de l’ordre public, pour organiser la répression systématique des opposants, leur intimidation et leur emprisonnement ; ainsi que la mise sous silence des voix dissidentes et des esprits épris de justice. Il n’est nullement besoin de revenir sur les arguments kafkaïens parfois convoqués et les situations ubuesques créées pour arriver à cette fin. Dans ce pays, un opposant a été séquestré et son quartier barricadé par les forces de police pendant 55 jours sans aucune base légale ; ses partisans traqués, pourchassés et arrêtés sous nos regards médusés. C’est sous ce ciel que nous nous agitons. Les derniers évènements que nous avons vécus, nous ont appris que la vérité des faits et leur massivité, ne suffisaient hélas pas à tous nous édifier sur la texture de notre nouvelle réalité. Encore faut-il vouloir (pouvoir) les regarder en face, ces faits ; avoir le courage de les admettre, leur accorder le poids qui leur sied, être en mesure de dépasser ses propres biais et ses aveuglements ; entendre ce qu’ils nous disent, et pas seulement à l’oreille, mais à nos corps et à nos tripes, lorsqu’ils nous réveillent au milieu de la nuit.
La réalité nue est que nous vivons sous un régime qui piétine allègrement le droit auquel il est censé être soumis ; un régime qui ne respecte pas ceux des citoyens qui s’opposent à lui. Un État qui se dresse contre sa société, la violente et utilise la puissance publique pour préserver les intérêts d’une classe et ceux de ses propres clientèles. Sa Justice politique s’est octroyée un monopole de la qualification des faits, hors de tout contrôle du sens et de leur véracité. Elle peut décider sans avoir à s’en expliquer qu’un emoji, un article d’opinion, ou une phrase sortie de son contexte de performativité, est une menace à la sureté de l’État et déclencher ainsi l’appareil répressif et coercitif. L’État a ainsi créé des citoyens de différentes catégories. Ceux qui peuvent ouvertement et impunément appeler au meurtre sur les plateaux de télé et ceux qui pour un émoticône, un mot de travers, un post Facebook, une opinion critique, se retrouvent en prison ou en exil. Il suffit d’appartenir, ou de se faire identifier comme appartenant au bon ou au mauvais camp, pour que les jugements de cour vous fassent ange ou démon.
La question de fond qui se pose pour nos sociétés est celle d’un désir profond de justice sociale, d’équité, de rupture avec un pacte issu du temps colonial et ratifié par l’État postcolonial africain, qui consiste en une iniquité structurelle dans le partage du bien-être et des possibilités d’une vie décente. Pour cela, une gouvernance véritablement démocratique est le prérequis. Ce n’est pas seulement un désir de changement qui souffle au Sénégal et en Afrique de l’Ouest en général, mais un désir de révolution politique, sociale et économique ; c’est-à-dire de changement radical de paradigme du vivre-ensemble, des termes du contrat social, des conditions du partage de la prospérité et des fondements de notre communauté politique.
C’est cette aspiration que l’État néo-patrimonial et ses clientèles souhaitent briser parce que remettant en cause les privilèges de leur rente de situation. Le postulat d’un État tourné vers le bien-être du plus grand nombre échoue sous nos cieux sur la banquise de ses pratiques. L’État postcolonial est un appareil de commande et de contrôle qui prélève les ressources communes de la nation, les redistribue prioritairement à ses clientèles et laisse des miettes aux citoyens. Pour se préserver, il utilise la puissance publique et les institutions censées garantir la paix et l’équilibre contre les individus et concourt ainsi à produire de l’a-citoyenneté. Sa démarche consiste, durant ces jours pluvieux que nous vivons, à nous habituer à la petite oppression quotidienne, qui petit à petit enfle et devient grande. Des arrestations de militants, de journalistes, de voix critiques et leur emprisonnement. Un processus vertigineux de normalisation d’un État de non-droit et d’iniquité, dont le corollaire est l’accroissement de notre tolérance à l’arbitraire. Une fabrique progressive du consentement à l’oppression en repoussant chaque jour les limites de l’acceptable et en élimant notre capacité d’indignation.
Pour cela, il s’agit de miser sur la capacité d’accommodement naturelle des individus à toute situation, qui est un réflexe de survie ; mais aussi sur la peur, parfois la lâcheté, et surtout chez ceux qui n’adhèrent pas à un tel état de fait, sur un sentiment d’impuissance devant les évènements. Tout ceci nous obligeant à consentir et à nous associer à la ruine morale en cours, en faisant de nous les spectateurs passifs de l’injustice. Silence, on réprime, on emprisonne, on force à l’exil ! Surtout ne dites rien et détournez le regard. Les civilisations pourrissent par le cœur. Aucun combat pour le futur ne saurait faire l’impasse sur l’oppression présente.
C’est à cette nuit qu’il nous faut refuser de consentir. D’abord comprendre ce qui nous arrive. Un monde même affreux, lorsqu’on l’éclaire on le domine. Mener inlassablement la bataille du sens. Refuser les opérations de brouillage de celui-ci. La ruse de l’oppression est de nous amener au déni de sa réalité ; car il ne faut pas s’y méprendre, ce n’est pas seulement une formation politique et ses membres qui sont visés, mais l’idée que collectivement nous nous faisons de la liberté, de la dignité et de la justice ainsi que notre idéal d’une communauté juste qui sont sous assaut. Au préalable, nos corps furent vulnérabilisés afin de les rendre plus facilement capturables pour tenter d’y éteindre la flamme de l’esprit et la conscience de notre inaliénable dignité.
Il nous faut continuer à nommer les choses, leur abjection, et nous dresser lorsqu’apparait leur visage inacceptable. En attendant, garder l’espoir en lieu sûr et raviver la lumière qui nous anime. Cette saison que nous traversons prendra fin. Maintenir allumé le point d’or de notre courage et de notre refus de la nuit. La bataille qu’il faudra mener quand cette saison sèche de la démocratie sera passée, est celle de la refondation de nos institutions. Elle est impérieuse. Repérer ce qui les a rendus corruptibles et y remédier radicalement.
Récemment le traitement particulier d’une région du pays, la Casamance, doit nous alerter. Voici une région qui fut pendant des semaines sous embargo, ses voies de communication obstruées (bateau arrêté, routes nationales fermées à certaines heures, trafic des bus Dakar Dem Dikk réduit) parce qu’elle est acquise au leader du Pastef. Pendant presque 40 ans, une rébellion s’y est faite jour, avec comme revendication, l’indépendance. L’un des ressorts de cette demande fut le manque de reconnaissance ressenti par une frange de sa population, comme pleinement appartenant à la communauté nationale sénégalaise. A cette demande de reconnaissance, nous devons collectivement répondre en consolidant le sentiment et la réalité de l’appartenance symbolique, effective, affective et pratique de la Casamance à la communauté nationale. Ces actes ont pour effet de cisailler à nouveau le pacte national et républicain et de raviver une plaie qui a du mal à cicatriser. Les évènements récents en Casamance de jeunes encore tués par balles, et le tribut particulier que paye cette région du pays à cette crise, sont inacceptables. La responsabilité du régime actuel est de ne pas nous entrainer dans une aventure dont nous mettrons des décennies à nous relever.
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AUX TROUSSES DES HARCELEURS DU WEB
AfricTivistes a initié une grande campagne d'information et de plaidoyer visant à sensibiliser les populations, intitulée « TaxawTemm! Aar Suñu Bopp », en vue de lutter contre les violences en ligne.
AfricTivistes a initié une grande campagne d'information et de plaidoyer visant à sensibiliser les populations, intitulée « TaxawTemm! Aar Suñu Bopp », en vue de lutter contre les violences en ligne.
La campagne a démarré par un atelier de formation tenu récemment avec les médias avec d’autres acteurs de la société civiles afin d’attaquer de manière frontale le phénomène qui touche le plus généralement les femmes et les enfants. AfricaGlobe Tv vous donne un extrait de l’ouverture de l’atelier.
«Toute augmentation de notre capacité d’action augmente notre capacité de nuire», disait Louis de Broglie. En d’autres termes, chaque fois que la science ou les technologie font un bon en avant pour le bonheur de l’humanité, cela s’accompagne inexorablement avec un inconvénient.
Ainsi internet avec la myriade d’opportunités et de facilités qu’il nous offre a aussi son côté hideux : c’est le cas harcèlement en ligne et plus globalement la cybercriminalité dans son acceptation la plus large.
Chaque jour et partout dans le monde, beaucoup de personnes se font harceler par des individus tapis derrière leurs écrans de téléphone ou d’ordinateur. Ce qui conduit les victimes au suicide.
L’Afrique et le Sénégal ne sont pas exemptés du phénomène étant donné qu’internet ne connaît pas de frontières.
Chaque pays essaie de s’organiser autant qu’il peut pour réprimer le phénomène que ce soit sur le plan législatif ou en matière d’enquête policière ou de lutte contre cyber criminalité. Mais sur le plan social, il y a aussi du travail à faire en direction des populations et de certains acteurs.
Au Sénégal, la société civile, en l’occurrence AfricTiviste a décidé de lancer l’assaut contre ces harceleurs 2.0 qui se croient inatteignables ou inattaquables derrière leurs écrans.
L’association a ainsi lancé récemment une campagne y en associant quelques partenaires comme l’Association des juristes sénégalaises, des médias, etc. pour sensibiliser, faire un plaidoyer afin que chaque acteur de la société puissent jouer sa participation : police, justices, parlementaires, citoyens, etc.
MAMOUDOU IBRA KANE DÉCLARE SA CANDIDATURE À LA PRÉSIDENTIELLE
L’annonce a été faite lors de l’émission Jury du Dimanche sur les ondes de la 90.3 Iradio. « Oui je suis candidat », a-t-il répondu à une des questions de la journaliste Aïssata Ndiath Fall
ix mois seulement après le lancement de son mouvement « Demain c’est maintenant », Mamoudou Ibra Kane a déclaré sa candidature pour l’élection présidentielle de février 2024. L’annonce a été faite lors de l’émission Jury du Dimanche sur les ondes de la 90.3 Iradio. « Oui je suis candidat », a-t-il répondu à une des questions de la journaliste Aïssata Ndiath Fall.
Il explique : « je travaille pour que cette candidature soit une candidature victorieuse. Avec les membres du mouvement « Demain c’est maintenant », mais au-delà du mouvement les sénégalais et les sénégalaises pour dire qu’aujourd’hui il faut que nous nous engagions résolument vers un pays où règne la paix, un pays qui s’appelle le Sénégal où règne la stabilité. Parce que nous pensons aujourd’hui que la façon de faire la politique chez nous ne mène pas dans cette voie-là. Oui nous sommes candidats et nous travaillons à remplir les conditions de cette candidature. Comme vous le savez il y’a le parrainage et nous y travaillons. Nous travaillons également sur d’autres étapes du processus électoral pour que cette candidature soit recevable et que nous puissions participer à la compétition le 24 février 2024 ».
« Une fois élu président quelles seront vos priorités ? » Pour répondre à cette interrogation, Mamoudou Ibra Kane a indiqué : « j’ai envie de dire nourrir les sénégalais convenablement, les éduquer convenablement, les soigner convenablement, assurer la stabilité de ce pays, stabilité sans laquelle rien de durable ne peut être construit ». Il développe : « nourrir les sénégalais c’est l’autosuffisance. Vous ne pouvez pas penser émerger un pays si vous ne réglez pas au préalable la question de l’autosuffisance. On ne peut pas passer notre temps à dire que nous ne sommes pas autosuffisants en riz, nous ne sommes pas autosuffisants en farine, nous ne sommes pas autosuffisants en mouton, nous ne pouvons pas donc avoir un tel discours et penser qu’on peut faire émerger le pays. Je pense qu’il faut attaquer cette question de l’autosuffisance. Cette question cache l’enjeu de l’industrialisation, l’enjeu de la transformation ». L’autre priorité, ajoute le leader du mouvement « Demain c’est maintenant », c’est l’emploi mais également la diaspora. « C’est pour cela que nous préconisons parmi les mesures phares que nous allons prendre si les sénégalais nous accordent leur confiance ce que nous appelons les assises nationales de la diaspora et la migration. Assises nationales qui seront ouvertes à nos compatriotes qui vivent à l’étranger, aux partenaires du Sénégal mais aussi aux pays d’accueil et cela va être sanctionnées par un ministère des affaires étrangères et de la diaspora. Parce que la diaspora est plus large dans la mesure où elle prend en compte les gens qui vivent à l’étranger et qui ont la fibre sénégalaise », a-t-il souligné.
Pour la migration irrégulière, il a suivi le lancement par le gouvernement de la stratégie nationale de lutte contre la migration irrégulière mais, s’interroge-t-il : « est-ce que l’évaluation qui devrait être faite l’a été ? » « Je crois qu’il faut avoir le courage de dire que les choses n’ont pas marché. Une fois que vous êtes à ce niveau de réflexion, ça veut dire que vous reconnaissez vos erreurs. C’est pourquoi nous pensons que parmi les actions à entreprendre il y’a la rectification d’un certain nombre d’erreurs commises par nos gouvernants dans plusieurs domaines y compris le domaine de la migration. Il faut donc redonner de l’espoir à ces jeunes qui prennent des embarcations de fortune, leur faire comprendre qu’il est possible de se réaliser ici si les conditions de cet épanouissement sont créées. Il y’a également la responsabilité de la société en générale. Les familles cotisent et est-ce qu’avec cet argent et l’appui de l’Etat avec les conditions qui seront créées nous ne pourrions pas être en mesure de permettre aux jeunes qui n’ont pas de travail d’en avoir mais aussi les pousser à promouvoir l’auto emploi », a également soutenu MIK.
LE PAPE APPELLE À UNE SOLUTION PACIFIQUE AU NIGER
Le pape François a appelé dimanche à une solution diplomatique à la crise au Niger, où les militaires ont pris le pouvoir fin juillet menaçant la stabilité de la région
"Je suis avec inquiétude ce qui se passe au Niger et je me joins à l'appel des évêques en faveur de la paix dans le pays et de la stabilité au Sahel", a déclaré le pontife de 86 ans après la prière hebdomadaire de l'Angélus.
"Je m'associe par la prière aux efforts de la communauté internationale pour trouver une solution pacifique le plus tôt possible pour le bien de tous", a-t-il ajouté. Le 26 juillet, une junte a renversé le président Mohamed Bazoum au Niger, quatrième pays d'Afrique de l'Ouest à subir un coup d'Etat depuis 2020.
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OBJECTION AVEC CHOGUEL KOKALLA MAIGA
Le Premier ministre malien de transition évoque l'actualité sociopolitique internationale dans l'émission dominicale de Sud FM