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20 juin 2025
MIRAGE D’UN «SENEGAL PLUS PROPRE»
«Cleaning days» et «bësup setal», des années après lancement, Un râteau ou balai dans une main, une pelle dans l’autre, le président de la République, Macky Sall, a présidé la première édition des journées nationales de nettoiement, le samedi 4 janvier 20
Des «Cleaning days» aux «Bësup Setal», deux appellations d’un même programme présidentiel pour un «Sénégal plus propre», notre pays peine toujours à réaliser son ambition. L’éradication de l’encombrement urbain, des occupations illégales de l’espace public, des constructions anarchiques et de l’insalubrité, pour réussir un Sénégal «zéro déchet», reste encore un vœu. Les nombreuses initiatives dans ce sens, même salutaires, échouant toujours à cause du manque de suivi.
Un râteau ou balai dans une main, une pelle dans l’autre, le président de la République, Macky Sall, a présidé la première édition des journées nationales de nettoiement, le samedi 4 janvier 2020. Depuis le seuil de sa villa, au quartier de Mermoz, à Dakar, il venait ainsi de lancer son programme dénommé «Clining days». C’était la matérialisation d’un de ses engagements, suite à sa réélection dès le premier tour de la présidentielle du 24 février 2019, consistant à instituer «une journée de nettoiement» par mois pour un «Sénégal propre» voire «plus propre». Il revenait à Abdou Karim Fofana, alors ministre de l’Urbanisme, du Logement et de l’Hygiène publique, de dérouler cette volonté présidentielle.
Pour la pérennité de ce programme, Macky Sall, qui a fait du désencombrement de Dakar et des grandes villes une priorité de son second mandat, a appelé les populations à se mobiliser une journée par mois, en l’occurrence le premier samedi de chaque mois, pour débarrasser leurs quartiers des déchets. C’est l’objectif de ces journées nationales de nettoiement - les «Cleaning days» - lancées, le samedi 4 janvier 2020, par le chef de l’État. «Il faut que nous changions de comportement. Le plastique a fait trop de mal à l’environnement. On ne peut pas continuer à faire comme si de rien n’était», avait déclaré le chef de l’Etat qui avait déjà annoncé la couleur au lendemain de son investiture, pour un second mandat présidentiel, en avril 2019. «Il y a urgence à mettre fin à l’encombrement urbain, à l’insalubrité, aux occupations illégales de l’espace public et aux constructions anarchiques», avait-il prévenu, promettant des «mesures vigoureuses» afin de nettoyer le pays, «sans délai».
Seulement, appelé à se répéter le premier samedi de chaque mois, avec l’objectif affiché d’inciter les citoyens à nettoyer eux-mêmes leurs quartiers, il ne resterait de ce projet qu’une opération de communication, une sorte de mise en scène… traduisant en acte la volonté du chef de l’État d’aboutir à un «Sénégal zéro déchet». Car, après quelques mois d’engoue ment, le cadre de vie agréable qu’attendaient les Sénégalais de ces «Clining days» a semblé encore bien loin. Hélas !
Pis, l’espoir nourri par le peuple que les choses allaient enfin bouger dans le bons sens et pour de bon et que son cadre de vie connaîtrait d’énormes améliorations, après les échecs des initiatives citoyennes antérieures restées sporadiques, a été plombé par la survenue de la pandémie du coronavirus (Covid-19). Entre confinement, couvre-feu et autres mesures de restrictions et barrières imposées dans le cadre de la lutte contre la Covid-19, ce projet de Macky Sall ne réussira pas à produire des résultats escomptés. A l’image d’autres projets…
Conséquence, Dakar et sa banlieue et les autres grandes villes renouent avec leur insalubrité et encombrement d’avant. Surtout que, malgré les efforts de l’Unité de coordination de la gestion des déchets solides (UCG, aujourd’hui remplacée par la SONAGED.SA), l’absence de poubelles dans les rues de Dakar, du centre-ville et des quartiers, ne facilitait pas la matérialisation de la volonté étatique de faire de la capitale, Dakar, et alentours, une vitrine propre et attrayante du Sénégal.
JOURNEES NATIONALES DE NETTOIEMENT : PLUS D’UNE DIZAINE D’EDITIONS, SANS RESULTATS PATENTS
Des mois après, alors que Dakar replongeait dans ses désordres, le président de la République décide à nouveau de reprendre les choses en main, en ressuscitant son programme de journées nationales mensuelles de nettoiement. Mais, cette foisci, sous une nouvelle appellation, toujours avec le même objectif : les «Bësup Setal». C’est ainsi que Macky Sall a présidé la cérémonie de lancement de ces journées de «Clining days» sous leur nouvelle formule, le samedi 4 décembre 2021, au lycée d’excellence Sergent Malamine Camara de Dakar.
Cette version de l’initiative lancée en janvier 2020 et suspendue à cause de la Covid-19, a vu une participation massive de la population, des élèves et de l’UCG. A l’occasion, le président Macky Sall a invité l’actuel ministre de l’Urbanisme, du Logement et de l’Hygiène publique, Abdoulaye Saydou Sow, à continuer le travail de désencombrement pour libérer les artères de la capitale. Non sans souligner la nécessité de l’implication de toutes les forces vives de la nation pour l’amélioration du cadre de vie, tout en insistant sur le bien-fondé de ces journées de propreté et d’hygiène et surtout l’importance d’en faire une préoccupation citoyenne.
Rebelote ! Après un peu plus d’une dizaine d’éditions déroulées à Dakar et sa banlieue et dans certaines régions dont, entre autres, Kaolack, Saint-Louis, Thiès, Sédhiou, Louga et Kédougou qui a accueilli la douzième édition des «Bësup Setal», tout semble revenir à la case départ ou presque. Notamment en matière d’encombrement des espaces, emprises des routes et axes principaux et les places publiques.
Contrairement à l’UCG puis la SONAGED.SA qui s’efforcent à jouer leur partition pour rendre le «Sénégal propre», grâce aux éléments du programme «Xëyu Ndaw Ni» qui font un travail non négligeable, l’occupation anarchique des espaces, trottoirs et voies publics… est plus que jamais d’actualité. Toutes les zones qui ont respiré, après les passages des bulldozers, pelles mécaniques, camions bennes et autres agents du ministère de l’Urbanisme, du Logement et de l’Hygiène publique, étouffent encore. Parce qu’envahies à nouveau par les anciens et de nouveaux occupants, du fait du manque de suivi des opérations menées, au grand dam des riverains et des usagers. Quid de la situation de la décharge, à ciel ouvert, de Mbeubeuss, en banlieue de Dakar qui ne cesse de déborder ? Celle-ci réceptionne quotidiennement environ 2200 tonnes d’ordures de toutes sortes, sans tri, et continue de s’étendre, faute de politiques publiques efficaces. Dès lors, si le ramassage des déchets constitue toujours un premier défi à relever par les autorités au Sénégal, principalement en période d’hivernage, leur traitement en est un autre. Les nombreuses initiatives vendues aux populations depuis des décennies peinant encore à prendre forme. Ce qui laisse toujours les programmes pour un «Sénégal plus propre» à l’état d’illusion !
LE PHENOMENE DE L'OCCUPATION ANARCHIQUE DE L'ESPACE PUBLIC REPREND SON ENVOL AU CŒUR DE DAKAR !
Des opérations «Dakar ville propre», «Cleaning days», «Bësup Setal»… lancées par les autorités n’y feront rien. L’occupation anarchique de la voie publique refait surface.
Des opérations «Dakar ville propre», «Cleaning days», «Bësup Setal»… lancées par les autorités n’y feront rien. L’occupation anarchique de la voie publique refait surface. Dans plusieurs endroits où les opérations de déguerpissement/désengorgement avaient eu lieu, les anciens occupants sont aujourd’hui en train d’effectuer progressivement leur retour. Sud Quotidien s’est rendu sur des lieux concernés de la Médina et de l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad) de Dakar, pour le constater.
Des opérations de déguerpissement/désengorgement avaient permis de désencombrer plusieurs endroits de la capitale sénégalaise. Seulement, des mois après le passage des bulldozers et autres pelles mécaniques, aux abords de l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad) de Dakar, par exemple, la majorité des anciens occupants qui avaient été déguerpis se sont réinstallée. En atteste le long de l’avenue Cheikh Anta Diop, non loin de l’entrée du célèbre «Couloir de la mort», les vendeurs de matériels didactiques, de livres d’occasion, de chaussures, d’habits ou encore de fruits sont redevenus maîtres des lieux.
Pour A.D, vendeur de livres, certes ils sont de retour, mais plus organisés qu’avant. «Sur volonté des autorités, nous avions quitté ce lieu qui est, pour nous, notre bureau. On a vécu le calvaire, car ce n’est pas facile pour un soutien de famille de rester une certaine durée sans travailler normalement. On espère qu’elles (les autorités) vont nous laisser tranquilles maintenant, d’autant plus qu’il y a eu une meilleure organisation à notre niveau», déclare le trentenaire. Ce dernier invite les dirigeants à faire preuve de compréhension. Selon lui, c’est inadmissible de vouloir rendre propre la ville, en les déguerpissant, au risque d’aggraver la situation du chômage au Sénégal.
A quelques encablures, se trouve S.B. Ce jeune homme originaire de la Guinée vend des chaussures pour femme. Contrairement à A.D, lui il est venu après les opérations de déguerpissement. «Je suis venu récemment, j’entends dire que l’endroit est interdit aux vendeurs. Mais, on est obligé de rester là, car on n’a pas où aller. De toutes les façons, moi je m’attends tous les jours à ce qu’on nous chasse d’ici», lance-t-il, le sourire aux lèvres.
Au «Couloir de la mort», du nom de cette route, très fréquentée par les étudiants, personnels et autres usagers, qui relie l’avenue Cheikh Anta Diop au campus pédagogique de l’Ucad, les anciens occupants effectuent timidement leur retour. Sauf que les quelques occupants trouvés sur place disent n’y rester que pour quelques heures et loin des portes de l’université. Astou, une vendeuse de jus, vient souvent après le déjeuner. «Depuis des mois, je viens ici chaque après-midi pour vendre du jus aux étudiants. Au début, les agents du Coud (Centre des œuvres universitaires de Dakar) m’interdisaient de poser ma glacière. Mais maintenant, ils ne me disent plus rien», déclare la résidante de Fass.
A L’IMAGE DES ABORDS DE L’UCAD, LA MEDINA RENOUE AVEC LES OCCUPATIONS IRREGULIERES
Ce n’est pas qu’aux abords de l’Ucad et sur l’avenue Cheikh Anta Diop que les occupants qui avaient été déguerpis ont effectué le retour. Suite aux opérations de désencombrement qui avaient été menées par les autorités étatiques et la mairie de la Médina, en 2020, les occupants qui avaient transformé des rues périphériques du marché Tilène en lieux de commerce, sont revenus sur la voie publique.
Moussa, trouvé à la rue 20X21, fait partie des récalcitrants. Le vendeur de pain de singe, mil et oseille, explique pourquoi il est revenu sur ce lieu d’où il a été chassé par les agents de la mairie. «J’ai regagné ma place, car la mairie nous avait promis un site de recasement et jusqu’à présent, on n’a rien vu. Nous sommes des pères de famille, nous ne pouvons pas ne pas travailler, nous avons des bouches à nourrir», dit-il. L’homme, originaire de Baba Garage, regrette certains comportements des agents municipaux. Selon lui, lors des opérations de déguerpissement, ils (les agents) détruisent les biens des commerçants.
L’occupation de la voie publique est différemment appréciée par les populations. Pour Mohamed, riverain du marché Tilène, les vendeurs se croient permis d’installer leurs tables n’importe où. Pour lui, les autorités doivent agir de temps en temps pour les rappeler à l’ordre.
Anta Sall, riveraine elle aussi, quant à elle, considère que les dirigeants doivent se montrer plus cléments vis-à-vis de «ces soutiens de familles, qui méritent plus d’être accompagnés que d’être chassés de leurs lieux de gagne-pain».
L’amélioration du cadre de vie des Sénégalais a été définie comme l’une des nouvelles priorités du gouvernement du Sénégal. C’est dans ce sillage que, depuis 2020 de vastes opérations de déguerpissement ont été engagées pour désencombrer la capitale. Mais, les occupants de la voie publique semblent n’être prêts à coopérer au projet.
LE RETOUR DES «BANNIS»
Il y a de cela quelques années, les abords du stade Léopold Sédar Senghor avaient été nettoyés. Ses occupants délogés pour irrégularité. Le suivi faisant défaut, ils sont revenus, replongeant les lieux dans un désordre notoire.
Il y a de cela quelques années, les abords du stade Léopold Sédar Senghor avaient été nettoyés. Ses occupants délogés pour irrégularité. Le suivi faisant défaut, ils sont revenus, replongeant les lieux dans un désordre notoire.
«Il y a urgence à mettre fin à l’encombrement urbain, à l’insalubrité, aux occupations illégales de l’espace public et aux constructions anarchiques», déclarait le président de la République, Macky Sall, au lendemain de son investiture en 2019, faisant ainsi montre de sa volonté de faire de Dakar une capitale où il fait bon vivre. C’est suite à cette ambition présidentielle que le ministre de l’Urbanisme, du Logement et de l’Hygiène publique d’alors, Abdou Karim Fofana, avait enfilé ses bottes et investi le terrain. Les opérations de déguerpissement et de désencombrement/désengorgement se sont multipliées.
C’est dans ce cadre que, entre autres espaces, les abords du stade Léopold Sédar Senghor, occupés par des automobilistes, des mécaniciens et de petits commerces, des tabliers, gargotes, etc. avaient été nettoyés. Une vaste opération de désencombrement du parking et de l’emprise du stade Léopold Sédar Senghor a eu lieu, d’abord en août 2019 et ensuite en décembre 2021. La réussite de ces opérations fut de taille. Le désordre aux allures d’un bazar avait laissé place à une organisation qui n’autorisait, comme activités, que le seul apprentissage de la conduite automobile, de motos ou une partie de football et autres loisirs pratiqués par des jeunes de quartiers riverains.
Les épaves de voitures laissées par des mécaniciens, qui se réfugient derrière la recherche du gagne-pain pour investir les lieux, étaient enlevées et mises en fourrière. Aussi la gare routière de fortune érigée par les «Ndiaga Ndiaye» en partance pour Keur Massar, Keur Mbaye Fall, Rufisque, Fass Mbao, Sicap Mbao, Diamagueune, Poste Thiaroye, dans la banlieue, Thiès et d’autres destinations, s’était déplacée.
Il en était de même pour les minicars et taxis clandos qui desservaient Yoff et Ngor, via l’aéroport de Dakar. A ces moyens de transport en commun viennent s’ajouter les dizaines de bus horaires desservant différentes localités reculées des trois régions naturelles de la Casamance (Ziguinchor, Kolda et Sédhiou) délogés de garage Bignona, en face du bassin de rétention de la zone de captage, pour des raisons de travaux de réhabilitation de ce réceptacle d’eaux pluviales. Seulement, entre 2019, 2021 et 2023, seules quelques années se sont écoulées, le suivi faisant défaut, l’esplanade du stade Léopold Sédar Senghor a retrouvé ses vieilles habitudes. L’ordre et la propriété y sont un ancien souvenir.
LA HANTISE DE L’OPERATION TABASKI CHEZ LES LAVEURS DE VOITURES
En cette matinée du samedi, la chaleur qui commence petit à petit à s’installer dans la capitale sénégalaise se lit sur les visages des riverains. Ils s’activent avec ardeur à leurs différentes tâches. Ils sont d’âges différents. Gora, un jeune laveur de voiture est parmi ces derniers. Son chiffre d’affaire fait jaser. «Il y a 2 sortes de nettoyage ici : le nettoyage simple c’est-à-dire l’intérieur du véhicule n’est pas concerné et c’est à 2000 F CFA ; et l’autre, il est complet, on nettoie complètement la voiture, on entre dedans pour nettoyer tout et c’est à 10 000 F CFA cette séance pour chacune», explique-t-il.
Sachant que sa présence sur les lieux n’est pas légale, Gora se fait déjà des soucis pour la Tabaski. Les abords du stade est l’un des points de vente normalisés, autorisés de moutons de Tabaski. Pour ce faire, toutes les activités seront suspendues. «Chaque année, avant les 10 jours de la fête de Tabaski, on nous chasse d’ici. Ce sont les vendeurs de moutons qui vont l’occuper. Quand ce moment arrive, on ’est obligé de retourner au village», dit-il, résigné. Cependant, quitter les lieux de manière définitive ou une vacance beaucoup plus longue, il ne l’envisage pas. «Nous reviendrons après la fête. On n’a pas autre part où aller», indique-t-il.
A côté du lavage de voitures, d’autres activités s’illustrent. Des voitures en réparation sont éparpillées un peu partout. Mécaniciens et peintres sont à pied d’œuvre. Au milieu de ce tohu-bohu aussi, des dames s’activent dans le petit commerce. Café Touba, sachets d’eau, des plats de riz au niveau de gargotes de fortune ; tout s’offre à une clientèle qui n’en a cure de la salubrité. Et Khady Diallo, une vendeuse, ne se plaint pas. «La vente nous sourit. On achète le paquet à 800 F CFA et il contient 30 sachets d’eau de 50 F CFA. Après revente, on se retrouve avec 1500 F CFA», soit 700 F CFA de bénéfice pour chaque paquet de sachets d’eaux, se réjouit-elle. Auparavant, un taximan qui venait de se désaltérer lui a laissé quelques pièces, en guise de cadeau
A l’image de l’emprise de ce stade, plusieurs autres espaces déguerpis sont aujourd’hui réoccupés. C’est le cas à la Patte d’Oie où les ambulants règnent en maître. Pis, ici, la passerelle enjambant la route de l’aéroport de Dakar, en face de Nabil Choucair, est transformé en minimarché par ces vendeurs à la sauvette, au grand dam des piétions obligés de procéder parfois à de la gymnastique pour se frayer un passage
Même constat au rond-point de Liberté VI où ambulants, tabliers, et autres occupants illégaux déguerpis ont repris du service. Ce, malgré les risques et autres dangers pouvant venir du trafic routier danse et saturé à ce niveau mais aussi des engins et autres travaux des chantiers du Bus rapid transit (BRT) en cours. Quid de la route nationale, de Bountou Pikine à Sicap Mbao, et même au-delà, jusqu’à Rufisque, en passant par Poste Thiaroye, Diamagueune, entre autres localités ?
Par Vieux SAVANÉ
LE PARI DE L’ÉCOLE
Version remaniée et actualisée de sa thèse soutenue à l’université Paris VII, l’ ouvrage de Céline Labrune Badiane, s’est attachée à identifier les dynamiques politiques, économiques et sociales
Une histoire de l’institution scolaire en Casamance 1860-1960
On retrouve dans cet ouvrage tous les enjeux de la scolarisation dans les pays sous domination coloniale, avec la volonté de former des cadres supplétifs, susceptibles de répondre aux besoins de la puissance impériale. C’est ainsi qu’au Sénégal, la première charte de l’enseignement pilotée en 1903 par le lieutenant-gouverneur, Camille Guy, était « essentiellement pratique et professionnel », avec un contenu tenant compte essentiellement des potentialités du milieu.
Faisant « office de colonie d’avant-garde dans le processus de scolarisation », le Sénégal a bénéficié d’un ensemble d’infrastructures post primaires, à travers notamment l’implantation de l’Ecole Normale d’Instituteurs et d’autres structures professionnelles. Les quatre communes qu’étaient Gorée, Rufisque , StLouis, Dakar, ont grandement profité de l’ offre scolaire coloniale du fait de leur statut particulier. L’auteure établit ainsi, qu’à partir de 1895, dans le cadre de la communauté de l’Afrique occidentale française (Aof) , s’était fait sentir en plus d’un maillage administratif, un besoin de formation d’agents locaux subalternes.
Pour ce qui est de la Casamance, objet d’étude de cet ouvrage, seuls les centres administratifs ont été dotés d’écoles dont les premières ont été ouvertes à Sédhiou, Carabane et Ziguinchor. Ces implantations ont correspondu à des « localités où la France disposait de garnisons, d’une administration et de maisons de commerce ». Dans cette mission d’éducation, il est à relever le rôle primordial dévolu à l’Eglise, avec des missionnaires beaucoup plus soucieux de propager la religion catholique. Toutefois ce rôle important dans la construction et le développement de l’œuvre scolaire en Casamance, sera quelque peu freiné par le combat anticlérical remporté en 1903 en métropole par les Républicains. Vu que le processus de scolarisation était principalement assuré par les congrégations religieuses, il s’en est suivi un contrôle exclusif par l’administration coloniale de l’instruction publique, du fait de l’inadéquation entre les objectifs, les méthodes des écoles congréganistes et la politique coloniale en matière d’enseignement.
On y retrouve aussi des disparités de genre dans le processus de scolarisation. Alors qu’il était « d’une fille pour 3 garçons scolarisés avant la laïcisation de l’enseignement » l’écart s’était considérablement creusé. Il y avait une mauvaise fréquentation des écoles du fait des tâches domestiques, économiques, liées à la culture des terres. Les absences étaient pour beaucoup en rapport avec le calendrier agricole de même qu’aux structures éducatives parallèles comme l’école coranique.
Ce n’est qu’après la seconde guerre mondiale que les effectifs féminins ont commencé à décoller.
L’école avait aussi un impact économique avec la formation de futurs consommateurs et producteurs. Il ressort comme l’a noté le Pr Ibrahima Thioub, qu’au-delà du rôle de la langue française comme véhicule de la culture coloniale, l’école agit « nécessairement sur l’identité, l’être , le corps et le destin de ceux qui l’ont fréquentée ». Aussi « avec la scolarisation ont émergé de nouvelles formes de sociabilités, de nouvelles habitudes de consommation, de nouvelles pratiques culturelles (théâtre, dancing », de nouvelles modes vestimentaires propres aux « jeunes » scolarisés ». Céline Labrune Badiane souligne par ailleurs plusieurs liens entre l’école et le conflit casamançais avec notamment à partir des années 1970, l’impasse dans laquelle s’engageait l’école en n’offrant plus les débouchés espérés. Il est aussi question des luttes de pouvoirs autour de l’école dont le refus est vécu comme la manifestation d’une défiance vis-à-vis du système colonial ou alors son attractivité comme moyen d’ascension sociale. Et ont défilé des noms qui continuent d’avoir une certaine résonnance dans la région, notamment Arfang Sonko, qui a contribué au développement de l’école dans le Boulouf, contrairement à Benjamin Diatta, chef de la province d’Oussouye, qui n’avait créé aucune école au cours de son règne. Parler de l’école en Casamance, c’est aussi forcément faire un clin d’œil à des exemples de réussite qui ont eu un impact sur la scolarisation en Casamance. Emile Badiane, sorti en 1935, major de sa promotion de l’Ecole Normale William Ponty. Assane Seck, universitaire et homme d’Etat, ancien Pontain. Paul Ignace Coly..
Version remaniée et actualisée de sa thèse soutenue à l’université Paris VII, l’ ouvrage de Céline Labrune Badiane, maîtresse de conférence en histoire contemporaine à l’Université Assane Seck de Ziguinchor, s’est attachée à identifier avec brio les dynamiques politiques, économiques et sociales qui permettent d’appréhender les logiques qui ont prévalu dans les politiques de scolarisation dans les pays sous domination coloniale.