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23 mai 2025
Par Pr Abdoulaye SAKHO
COMMENT FAIRE PROFITER LE FOOTBALL AFRICAIN ?
Mettre l’humain au cœur du sport- L’équité dans la répartition des richesses du football-Améliorer la gouvernance du football-Une justice sportive de proximité-Régler les litiges du football africain en Afrique.Le football est un fait économique et social
Quelques idées (4 précisément) que j’estime importantes pour le développement du football africain qui évolue de manière positive sur le plan des résultats de terrain (une réelle compétivité sportive de nos équipes nationales est à signaler lors des coupes du monde de football), mais qui semble marquer le pas dès lors qu’on s’intéresse aux questions liées à sa compétivité économique au regard du marché mondialisé qui regroupe les activités autour du football.
Ces quatre questions reposent sur le constat que le football est un fait économique et social. Il est soumis aux mêmes influences que l’ensemble des autres secteurs d’activités économiques. En conséquence, les buts monumentaux que poursuit l’humanité se retrouvent aussi au cœur du monde du football : droits de l’homme, lutte contre le racisme, contre la corruption, le blanchiment et le financement du terrorisme, lutte pour la préservation de l’environnement et contre la dégradation du climat … Ainsi indissociable de la marche du monde contemporain, l’organisation du football ne peut échapper ni aux influences qui traversent ce monde, ni à la recherche de ces objectifs et buts monumentaux dont l’atteinte est supposée permettre à l’homme de vivre en harmonie sur la surface du globe.
Aussi, les développements réglementaires et décisions juridiques, dont certains sont déjà dans les textes de la FIFA, portent la marque de ces influences qui permettent au football de ne pas donner l’impression de fonctionner comme un électron libre dans ce monde d’interdépendance et de quête de ce graal qu’est le « vivre en commun » proclamé partout mais très difficile à réaliser.
Au final, je crois que le sport comme phénomène économique et social n’ayant pas encore fini sa mutation, le droit du sport n’a pas encore fini de se construire !
PREMIÈRE IDÉE. METTRE L’HUMAIN AU CŒUR DU SPORT.
On assiste de plus en plus à des évolutions qui permettent de réaliser un plus grand ancrage du sport comme une activité économique partie intégrante de la société. En conséquence, ces normes, malgré la spécificité de l’activité sportive, doivent se conformer aux valeurs cardinales de notre « vivre ensemble », qui exige des valeurs et normes communes de base, le socle de notre harmonie.
Prenons la dernière en date de ces évolutions : la décision de justice rendue par la Cour Européenne de Justice sur la désormais très célèbre affaire Lassana Diarra qui est sur les traces de la toute aussi célèbre affaire Bosman. Les travailleurs, dans l’activité économique qu’est le football professionnel, sont des êtres humains. Ils doivent donc bénéficier de toutes les garanties qu’offre le système juridique, en particulier la liberté d’aller, de venir, de travailler dans le pays de son choix et avec l’employeur de son choix …
Malheureusement le mode de fonctionnement du sport contemporain a tendance à oublier l’humanité au profit du business. C’est le cas dans le football professionnel. Le système des transferts de la FIFA était fait de telle sorte qu’il devenait impossible de rompre son contrat de travail de footballeur. En tout cas, le footballeur Diarra, désireux de quitter un club (Lokomotiv Moscou), n’a pas pu se faire recruter par un club belge (Charleroi) qui craignant qu’on le condamne à payer la très importante indemnité pour rupture abusive mise sur la tête du joueur, a finalement renoncé au recrutement de Diarra, désormais condamné au chômage.
C’est ce système reposant sur la réglementation FIFA du transfert des joueurs qui a été considérée par la Cour de Justice de l’Europe (CJCE) «de nature à entraver la liberté de circulation des footballeurs professionnels », en faisant « peser sur ces joueurs et sur les clubs souhaitant les engager des risques juridiques importants, des risques financiers imprévisibles et potentiellement très élevés ainsi que des risques sportifs majeurs qui, pris ensemble, sont de nature à entraver le transfert international des joueurs ». La décision du juge repose sur le droit européen de la concurrence qui consacre par son Traité, la libre circulation des hommes et des biens.
La FIFA, prenant acte de la décision de justice, a modifié suite à une consultation mondiale avant le mercato d’hiver (https://inside.fifa.com/fr/tr ansfer-system/news/la-fifalance-une-concertation-mondiale-sur-larticle-17-du-reglement-du statut et du transfert des joueurs ), son règlement sur les transferts internationaux de joueurs par une Circulaire n° 191 en date du 23 décembre 2024 instaurant un cadre temporaire qui « permettra à la FIFA de continuer à garantir l’application uniforme de règles partout dans le monde et à ce que les clubs du monde entier soient soumis à des normes réglementaires cohérentes en matière de composition des équipes, de stabilité contractuelle et de transferts internationaux de joueurs ». Du point de vue contenu, ce cadre porte sur les règles régissant les indemnités pour rupture de contrat, la responsabilité conjointe et solidaire, les incitations à la rupture de contrat, les Certificats Internationaux de Transferts et les procédures devant le Tribunal du football. Il vise à instaurer davantage de clarté et de stabilité en vue des périodes d’enregistrement à venir ainsi qu’à maintenir des règles universelles (https://inside.fifa.com/fr/tr ansfer-system/news/le-bureau-du-conseil-adopte-un-cadre-reglementaire-temporairepour-le ). On sait que cette modification et son processus, n’ont pas fait l’unanimité car, le syndicat des footballeurs français (UNFP) n’avalise pas du tout la totalité des mesures de la FIFA. Soulignant que la régulation du marché du travail ne peut à l’avenir résulter que d’une négociation collective entre les partenaires sociaux européens, il réclame une sorte de dialogue social à l’échelle européenne comme cela se fait dans les autres secteurs activités entre partenaires sociaux.
DEUXIÈME IDÉE. L’ÉQUITÉ DANS LA RÉPARTITION DES RICHESSES DU FOOTBALL GRÂCE À UNE MEILLEURE VALORISATION DES DROITS DE PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE EN VUE DE CONTRIBUER AU FINANCEMENT DES FÉDÉRATIONS ET DES CLUBS AFRICAINS.
Il n’est un secret pour personne que, dans le football africain surtout celui au sud du Sahara, il y a des conflits récurrents entre les fédérations et les Etats. Ces derniers estimant qu’ils financent se considèrent légitimes pour décider. Par contre, les premières arguent souvent de l’autonomie du mouvement sportif pour résister ou s’opposer. Ce conflit essentiellement d’origine financière, est arbitré par la FIFA qui n’hésite pas à brandir la menace soit de suspension des Etats de toute participation à ses activités pour cause d’ingérence, soit celle de la mise en place d’un comité provisoire de gestion du foot. La solution pourrait se trouver dans une plus grande autonomie financière des fédérations. Malheureusement, le marché africain du foot n’a pas encore atteint une suffisante maturité pour générer toutes les ressources nécessaires à son propre développement. En attendant explorons quelques pistes dont certaines font partie des mesures récentes de gestion du foot mondial.
Une première piste a été ouverte par la très opportune décision de la FIFA d’augmenter le nombre des équipes nationales africaines dans les phases finales des coupes du monde de football. Aujourd’hui, on est passé à 9 plus une place de barrage. Avec deux participations successives dont une avec une qualification au deuxième tour, la fédération de foot du Sénégal a pu engranger des moyens supplémentaires pour ses différentes missions. Toutefois, malgré les efforts de la FIFA, la mesure d’augmentation du nombre de pays africains à la coupe de monde, une excellente chose, n’est pas suffisante car, il y a ces niches non explorées que sont les compétitions de clubs en Europe et en Asie qui génèrent d’importantes ressources.
Une seconde piste doit donc s’ouvrir : faire en sorte que toute présence africaine dans les grandes manifestations du football puisse générer des ressources spécifiques pour le club d’origine du joueur qui y participe. Ce n’est d’ailleurs pas étonnant que les plus grands clubs du monde, en particulier ceux de l’Europe, essaient de créer leur propres compétitions à coté de celles de l’UEFA. Cet état de fait n’est certainement pas étranger à la nouvelle formule de la ligue des champions UEFA qui tente de faire participer le maximum de clubs possibles. L’idée de base de cette seconde piste est de mettre en œuvre une stratégie consistant à rémunérer les clubs d’origine sur tous les spectacles de football dans lesquels les joueurs de nationalité d’un pays africain sont parties prenantes. Ce sera dans le prolongement de la fameuse indemnité de solidarité que la FIFA a créée pour que les clubs professionnels riches puissent être solidaires des clubs pauvres desquels sont issus certains joueurs. Cette obligation de solidarité trouve une assise textuelle à l’article 21 du règlement Fifa du statut et du transfert des joueurs rédigé comme suit : «si un joueur professionnel est transféré avant l’échéance de son contrat, tout club ayant participé à la formation et à l’éducation du joueur recevra une proportion de l’indemnité versée à l’ancien club»
Une troisième piste est du domaine du possible. Elle permettrait l’augmentation des ressources des clubs par une meilleure maitrise sur la mobilité ou les transferts. Ici, l’Idée c’est que les transferts doivent profiter aux clubs et non pas seulement aux intermédiaires et aux joueurs. Pour cela, il faut organiser la transparence autour des opérations financières pour non seulement en faire bénéficier le club d’origine du joueur mais aussi éviter les flux financiers illicites, le blanchiment et la corruption. En ce sens, imposer la présence d’un intermédiaire et d’une banque du pays d’origine du joueur dans les opérations de transfert me semble une réelle garantie pour la transparence envers le club d’origine.
TROISIÈME IDÉE. AMÉLIORER LA GOUVERNANCE DU FOOTBALL.
Améliorer la gouvernance du football africain par la formation. Dans le monde d’aujourd’hui, la formation est devenu un outil essentiel pour la conformité des actes de tout opérateur aux règles juridiques et éthiques qui lui sont applicables. Quand on connait, on applique mieux : c’est le leitmotiv de la compliance et, il faut que dans la gouvernance du football, cela devienne un réflexe chez les dirigeants car au-delà de la dimension purement éducative de la formation, il y a l’aspect diminution des risques et donc accroissement de la performance.
Concernant le football africain, si au plan des résultats du terrain, il est devenu très compétitif, il reste beaucoup à faire pour la gouvernance. En ce sens, l’atout majeur dans l’atteinte des bons résultats sportifs est la formation : les entraineurs africains ayant bénéficié de la formation CAF ont brillé en coupe du monde et ont placé leur équipe au premier rang du classement FIFA (Sénégal et Maroc).
Aussi, le programme de Certificat Exécutif en Gestion du Football de la CAF, en partenariat avec les Universités africaine mérite d’être saluée et surtout, bien accueillie par les associations membres (une session s’est déjà déroulée avec l’université du Cap en Afrique du Sud). Il s’agit d’un programme exécutif conçu pour offrir aux cadres supérieurs et dirigeants du football africain les connaissances stratégiques et les outils nécessaires pour évoluer dans le paysage complexe du football moderne. Il y a donc lieu de féliciter et surtout d’encourager la CAF à persévérer dans cette voie.
Améliorer la gouvernance du football par un cadre institutionnel plus inclusif et moins clivant qui permet l’inclusion de toutes les parties prenantes dans les décisions du football
Cela suppose dépasser la cogestion qui est un mode de gestion hérité du droit français par la quasi-totalité des pays francophones au sud du Sahara. Il faut donc, dans ces pays, inventer de nouvelles structures de gestion du sport en s’inspirant de ce qu’il y eu comme évolutions dans d’autres secteurs et dans d’autres pays.
A ce propos, le modèle de gouvernance qui est en train de s’imposer est celui qui tend à l’inclusion totale avec une plus forte implication des sportifs et surtout, des anciens sportifs qui ne sont plus seulement considérés comme des « légendes » à honorer de temps en temps. Ils sont au contraire de plus en placé au cœur du management et de la décision. Ainsi, dans plusieurs pays, l’évolution institutionnelle se réalise avec l’objectif de la « coconstruction » des politiques sportives au niveau aussi bien étatique que fédéral
Aujourd’hui, un pays comme la France, de pure tradition administrative napoléonienne, c’est-à-dire centralisée et hiérarchisée, a préféré faire gérer son sport par une structure qui relègue la technique de cogestion, technique contractuelle de la délégation de pouvoirs, au rang de vieille relique à ranger dans les greniers. Cette structure, c’est celle structure dénommée Agence Nationale du Sport qui, bien que n’ayant pas fait l’unanimité dans ce pays, ne me semble pas totalement étrangère aux excellents résultats organisationnels et sportifs obtenus par cette nation cette nation, ces dernières années et, particulièrement, lors des JO de 2024. Dans cette structure, tout le volet « sport de haut niveau » est confié au coach français qui a gagné toutes les compétitions de sa discipline au niveau mondial, européen et national (Claude Onesta). Au final, la structure a permis de « garantir la collégialité nécessaire à la coconstruction d’une dynamique commune respectueuse des politiques de chacun des acteurs du sport : l’État, le mouvement sportif, les collectivités territoriales et le monde économique ».
QUATRIÈME IDÉE. UNE JUSTICE SPORTIVE DE PROXIMITÉ. RÉGLER LES LITIGES DU FOOTBALL AFRICAIN EN AFRIQUE.
Suite à la circulaire FIFA prise après l’affaire Lassana Diarra, le syndicat des footballeurs professionnels français (UNFP) a semblé remettre en cause le monopole du tribunal arbitral du sport (TAS) sur le règlement de la quasi-totalité des litiges du sport. Ce qui est une vieille revendication du mouvement sportif africain. Le syndicat français n’est pas seul car ailleurs, notamment dans la justice belge et dans la justice européenne, le recours forcé à l’arbitrage n’est pas admis. Du coup, l’exclusivité du TAS est souvent remise en cause par certaines décisions de justice. En Afrique, on fonctionne comme si le règlement des litiges du sport et du football est l’apanage du exclusif TAS. Il n’en est rien, car ce n’est pas du tout obligatoire. En effet, le recours au TAS n’est ni exclusif ni obligatoire. D’ailleurs, en réglementation même du football, rien n’empêche de prévoir la possibilité d’un arbitrage indépendant pour les litiges sportifs dans les pays africains. Ce n’est pas du tout un rejet du TAS mais plutôt une mise en place d’une justice de proximité du fait de l’éloignement et des coûts attachés au TAS. La FSF a exploité cette possibilité récemment en mettant en place un tribunal arbitral. Mais j’avoue que je n’ai pas de nouvelles quant à son opérationnalisation.
Les règlements généraux de la Fédération sénégalaise de football (p. 86, édition de la Fédération) prévoient, en reprenant les dispositions de la CAF/FIFA : « Les litiges nationaux sont traités conformément aux règlements de le FSF et au droit sénégalais. Lorsque cela est possible, ils sont tranchés par un tribunal arbitral paritaire indépendant.
Les litiges internationaux sont traités par les organes idoines de la CAF et de la FIFA et, le cas échéant, par le Tribunal arbitral du sport »
Les statuts de la FSF prévoient expressément, dans l’article 64 : « Le Tribunal arbitral prévu par les règlements de la FSF, traite de tous les litiges nationaux internes entre la FSF, ses membres, les joueurs, les officiels et les agents de joueurs et de matches qui ne tombent pas sous la juridiction de ses organes juridictionnels »
Ces mêmes statuts (article 67 in fine) excluent la compétence du TAS pour se prononcer sur un recours relatif à une décision d’un tribunal arbitral d’une association ou d’une confédération indépendant et régulièrement constitué. Cela signifie qu’il est possible qu’une décision relative à un litige dans le football interne soit prise en charge par une juridiction arbitrale interne qui n’est pas le TAS (art. 81, code disciplinaire). Au final, à côté de la justice étatique qui admet la justice fédérale, il y a bien de la place pour une juridiction arbitrale du football.
PROFESSEUR ABDOULAYE SAKHO
Par Vieux SAVANE
S’AJUSTER PAR L’EXEMPLE
La meilleure manière de mobiliser les troupes, c’est de se mettre en première ligne. On jette tout le clinquant et le m’as-tu vu qui coûtent cher au trésor public et n’apportent aucune plus-value.
«Ce qui s’est passé est inadmissible, incompréhensible et porte préjudice au Sénégal », a indiqué Ahmadou Al Aminou Lô, Ministre, Secrétaire général du Gouvernement, en commentant hier dimanche, le rapport de la Cour des comptes sur la gestion des finances publiques pour la période 2019- 2024. Et de préciser qu’« il va falloir serrer la ceinture, en commençant par l’Etat », avec une suppression d’agences, une rationalisation des subventions, des dépenses de transfert, des exonérations.
Selon le ministre, « L’heure est extrêmement grave parce que des gens investis de la confiance du peuple ont eu à avoir des comportements qui ont consisté à fausser les comptes ». Aussi a-t-il indiqué : "Si on écoute tout le monde dans ses revendications, c'est un naufrage collectif qui nous attend".
On veut bien le croire, mais à lui et au gouvernement auquel il appartient, de convaincre en donnant l’exemple. La meilleure manière de mobiliser les troupes, c’est de se mettre en première ligne. On jette les costumes, on baisse les salaires des ministres, on rationalise les agences, on en finit avec ces longs cortèges de voiture rutilantes, les voyages en première classe aux frais de la princesse. En un mot avec tout le clinquant et le m’as-tu vu qui coûtent cher au trésor public et n’apportent aucune plus-value.
On l’aura compris, il appartiendra au gouvernement d’être soucieux au premier chef de la bonne gestion de l’argent public, de montrer de la sobriété, de l’engagement. Il se doit de délivrer un message fort à savoir qu’on n’accède pas au pouvoir pour bénéficier de privilèges qui grugent le trésor public mais pour se mettre au service des populations. C’est la manière la plus probante d’opérer un changement de paradigme susceptible de ruisseler sur des pans entiers de la population et d’entrainer l’adhésion de la plupart des Sénégalais et de les amener à consentir à faire des sacrifices, même s’ils n’arrivent pas à joindre les deux bouts.
A l’endroit de l’ancien régime, le ministre dit avoir personnellement alerté, en tant qu'ancien directeur national de la BCEAO, sur les dangers de sa gestion hasardeuse. Ce que viendrait conforter les révélations accablantes contenues dans le rapport de la Cour des comptes, relativement à l'endettement du Sénégal qui atteint désormais 99,65% du PIB, pulvérisant le plafond de 70% fixé par les normes communautaires.
Mais cela ne saurait être un argument suffisant pour la simple raison que tout pouvoir « hérite du passif comme de l’actif » du régime qui l’a précédé.
Habitués en effet aux beaux discours non suivis d’effets, les Sénégalais veulent à coup sûr sortir de l’ère de la communication tous azimuts pour entrer de plain-pied dans le monde de la concrétude. Ils veulent que s’édifie une gouvernance respectueuse des lois et règlements, avec des autorités exemplaires qui ne profitent pas de leurs positions pour se la couler douce mais se positionnent plutôt comme des modèles en arrivant les premiers au bureau et en ressortant les derniers.
Il est essentiel d'assumer pleinement les responsabilités du pouvoir en mettant en œuvre des politiques inclusives et efficaces. La stabilité d'un pays repose en effet sur la cohésion sociale et l'équité dans la gestion des affaires publiques. Seules la transparence, la justice et la rigueur permettront de surmonter les défis et de bâtir un État fort et respecté.
A l’évidence tout le monde a conscience que durs sont les temps d’aujourd’hui, comme l’attestent toute cette vague de jeunes gens et de jeunes filles prêts à tout pour s’exiler, sous la couverture de la migration circulaire ou à leurs risques et périls, à la recherche de champs d’avenir à cultiver. Les centrales et fédérations syndicales qui se sont réunies vendredi dernier à la Bourse du travail de la Cnts (Keur Madia) et affirmé leur intention de déclencher une grève générale pour la défense des intérêts de leurs mandants seront certainement plus enclines à entendre un gouvernement qui met sur la table les sacrifices auxquels il va consentir en premier.
C’est dire que ce vent de fronde qui semble vouloir souffler appelle à instaurer au plus vite des relations de confiance avec les partenaires sociaux et les citoyens. Aussi, la publication du rapport définitif de la Cour des Comptes mercredi dernier, invite-t-elle au contraire à nous garder de toute conjecture pour nous inscrire dans un véritable et fécond débat de fond. Celui qui convoque l’esprit critique avec l’objectif d’identifier, étape par étape, les goulots d’étranglements qui compriment le Sénégal depuis près de 65 ans, l’empêchant d’afficher la ferme volonté d’avancer vers une gestion vertueuse des deniers publics, piétinant comme interdit de mouvement, sous peine de se voir aspirer par les sables mouvants de la mal gouvernance. Au-delà de toute mise en scène, il revient au président de la République Bassirou Diomaye Faye, au Premier ministre Ousmane Sonko, aux ministres et à l’ensemble du gouvernement de prendre la pleine mesure de leurs responsabilités. Aux partenaires sociaux, à la société civile, aux médias, de rester vigilants et sans concession dans la consolidation d’un Etat de droit soucieux de la bonne gestion des deniers publics. Plus que jamais, le leadership doit s'incarner dans une action efficace, guidée par la responsabilité et la justice. Il en va de notre vitalité démocratique.
Par Papa Macoumba GAYE
RAPPELER LES FAITS SUR LA CRISE DE LA RADIOTHERAPIE
Nous nous inclinons devant la mémoire de centaines de patients partis prématurément pour n’avoir pas bénéficié de traitement adéquat. Nous devons nous prononcer, au nom des autres qui souffrent en silence dans l’attente de radiothérapie.
Nous nous inclinons devant la mémoire de centaines de patients partis prématurément pour n’avoir pas bénéficié de traitement adéquat. Nous devons nous prononcer, au nom des autres qui souffrent en silence dans l’attente de radiothérapie.
L'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) estime à 12 000 le nombre de nouveaux cas de cancer annuels au Sénégal, dont seulement 3 000 sont pris en charge dans les structures sanitaires. Or, la radiothérapie est indispensable pour environ 80 % de ces patients. Entre 2017 et 2021, des efforts significatifs ont été consentis par l'État du Sénégal, avec plus de 10 milliards de francs investis dans des équipements. Ces avancées ont permis d’augmenter le nombre de patients traités dans les structures publiques de 350 en 2017 à 1 200 en 2021. Par ailleurs, le pays est passé de 3 médecins spécialistes en 2017 à 17 radiothérapeutes diplômés en 2024, faisant du Sénégal un centre formateur reconnu par l'Agence Internationale de l'Énergie Atomique (AIEA).
Une situation paradoxale et alarmante
Malgré ces progrès, nous faisons aujourd'hui face à une crise grave : une seule unité de radiothérapie fonctionne à travers tout le pays. Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Plusieurs facteurs sont en cause. L'augmentation du nombre de patients atteints de cancer, couplée à l'insuffisance des infrastructures et du personnel, a engendré une liste d'attente de plusieurs mois, mettant en péril la vie de nombreux malades.
La planification et l'optimisation des projets de cancérologie doivent être améliorées. Il semble utile d'avoir un cadre de coordination impliquant tous les acteurs afin d'assurer une cohérence entre les volets médicaux, infrastructurels, équipementiers et humains. La mise en place d'un Programme National Cancer, à l'image de ceux existant pour le paludisme ou la tuberculose, est une nécessité impérieuse.
Erreurs stratégiques et manque de concertation
Nous payons aussi le prix des erreurs initiales commises dans le choix des équipements, auquel les spécialistes pas été associés. L'exemple de l'appareil de radiothérapie de Touba, inadapté au traitement des cancers ORL qui constituent 25 % du recrutement, en est une démonstration flagrante. Pour autant, aucun des deux professeurs de radiothérapie du Sénégal n'est actuellement associé au suivi du projet du Centre National d'Oncologie de Diamniadio ! Cela n’explique pasque nos hôpitaux soient moins bien équipés que les services radiothérapie de pays frères comme la Mauritanie, le Mali, le Burkina ou la Côte d’ivoire ?Si rien n'est fait, nous risquons de perdre le statut de centre formateur de l'AIEA en 2025.
Les problèmes techniques du CHU Dalal Jamm
Le CHU Dalal Jamm, souffre de problèmes structurels graves, notamment en matière de stabilité électrique. Ces soucis sontconnus depuis plusieurs années. Un des accélérateurs ( appareil de traitement complexe) a subi 35 chocs électriques en trois ans, causant des dommages importants. La continuité des activités du service est compromisesi une solution pérenne n’est pas envisagée avec la SENELEC. Les mesures transitoires apportées pour la reprise immédiate des activités seront insuffisantes pour protéger durablement l’installation.Le risque de devoir encore arrêter les traitements, après les avoirs repris, pointe à l’horizon.
Parallélement , l’obsolescence du réseau informatique, indépendamment de l’environnement et du voisinage de l’océan, a accentué ces difficultés. Elle a entrainé un ralentissementdes traitements et des pertes de données critiques. Quatre mois après l’arrêt complet des activités du service, une solution a enfin été trouvée.
Un immobilisme qui perdure
Le coût supporté par l’hôpital pour la radiothérapie d’un cancer du col de l’utérus, est d’environ 700 000 F. Le patient paie 150 000 F. Par ailleurs, les hôpitaux utilisent 25 % de leurs recettes, à la motivation du personnel avant déduction des charges. Ils ne peuvent dès lors pas trouver, en interne, les moyensd’entretenir les équipements et les renouveler.
Après l'arrêt du service de radiothérapie du CHU Le Dantec en août 2022, les mesures jugées « urgentes » ne sont pas mises en œuvre à ce jour ; notamment l‘acquisition d’un nouveau système de planification de la dose à délivrer ; et l’achat de consoles dites de contourage, qui permettent la délimitation précise zones à traiter : 3 consoles sont disponibles pour 12 médecins spécialistes et 12 autres en formation. Cela oblige les praticiens à se relayer jusqu’ à des heures tardives de la nuit pour préparer les traitements. Les listes d’attente resteront longues si aucune mesure d’accompagnement n’est prise.Le ministère s’est tout de même engagé à y remédier.
En Juin 2024, la liste d’attenteatteignait 540 malades et les délais de traitement3 mois, avec un risque vital pour certains patients. Lesdécisionsà prendre pour éviter l’arrêt du recrutement de patients étaient listées. Les mesures requises ne sont pas toutes effectives, à ce jour. Les responsabilités sont partagées.
La responsabilité des médecins
La responsabilité des médecins est aussi engagée. Il existe un centre privé de radiothérapie à Dakar. Il permet d’amoindrir les effets de la crise liée l’activité discontinue du service dans le public. Ses tarifs élevésne sont pas subventionnés par l’Etat : 1 500 000 F pour traiter un cancer du sein contre 150 000 F dans le public !La régulation de l’activité privéeest nécessaire. Celle de médecins fonctionnaires est ainsi tolérée, en marge de la légalité. Il faudrait trouver un cadre réglementaire approprié pour organiser le privé et mettre les médecins dans les conditions adéquates de travail dans les structures publiques.
Les médecins radiothérapeutes du CHU Dalal Jamm exercent dans des conditions précaires. Ils n’ont même pas de bureau dans le service: ils s'entassent avec leurs étudiants dans une salle unique. Les aménagements prévus pour eux, depuis 2022, ne sont pas encore faits. Ces spécialistes, diplômés après 12 années d'études, pourraient s'expatrier sans difficulté. Les physiciens médicaux, maillon essentiel dans la planification des traitements, et denrée rare dans le monde, pourraient également les suivre.
La physique médicale : véritable talon d’Achille
Selon l’AIEA, il faut quatre physiciens médicaux par appareil de radiothérapie. L’hôpital Dalal Jamm en compte deux pour deux machines de traitement. Il a fallu dégarnir les services de Dakar qui souffraient déjà̀ d’un manque de personnel pour ouvrir le service de Touba. Qu’en sera-t-il pour le nouveau centre de Diamniadio ou l’Hôpital Principal quand on sait qu’il faut deux années pour recruter un master en physique et en faire un physicien médical ou une année pour faire d’un technicien en radiologie un manipulateur de radiothérapie. Si le parc des équipements augmente sans que l’on ait formé d’autres physiciens et manipulateurs, nous ne traiterons pas plus de malades et la qualité pourrait même baisser du fait de la surcharge de travail liée au contrôle journalier des machines.
Arrêtons-nous sur la situation des physiciens médicaux qui sont indispensables au fonctionnement des services .Il ont un niveau Bac +7. (Master II en physique + 2 ans de spécialisation en physique médicale). Ils n’ont pas de statut dans la fonction publique. Après plusieurs années de revendications, il leur avait été promis un traitement urgent de la question. Cela n’estpas effectif plus de deux années après. Ce n’est pas très motivant pourles physiciens médicaux de la diaspora qui envisagent un retour. Il faudra bien trouver une solution pour garantir la continuité et le développement des services. Seuls les physiciens peuvent nous assurer de la qualité des faisceaux de rayonnement produits par les machines de traitement.
Le temps des charlatans et rebouteux
Dans l’attente de la reprise de l’activité normale dans les services publics , les pauvres patients démunis continueront à subir les assauts publicitaires de rebouteux et charlatans ayant une activité médicale strictement illégale, en toute impunité. Et cela n‘a rien à avoir avec la médecine traditionnelle autorisée qui regorge de trésors que nous devons explorer avec une parfaite rigueur scientifique dans le cadre de projets de recherche que les universités doivent mettre en forme. Cependant, cela ne nous dédouane pas de permettre aux patients d’accéder à des soins de qualité, répondant aux normes internationales .
Se concerter et agir
Devant les problèmes récurrents, et après quatre mois d’arrêt du recrutement de nouveaux patients,le moment est propice à une réflexion sérieuse, inclusive, à l’échellenationale sur la radiothérapie. Il faudrait mettre tous les acteurs autour d’une table pour envisager:
La reprise urgente d’une activité optimale et continue du service de radiothérapie de l’hôpital Dalal Jamm. Elle passe par la mise à niveau de l’installation électrique en accord avec la SENELEC et l’achat des consoles de contourage autant que des logiciels de planification, prévus depuis 2022 ;
L’acquisition sans délai des équipements prévus pour l’hôpital de Touba, notamment le upgrading des logiciels et l’installation de la technique de curiethérapie, indispensable au traitement des cancers du col de l’utérus ;
La programmation de l’achat de nouveaux accélérateurs en 2026 (ceux de Dalal Jamm sont âgés de 10 ans);
Le plan d’urgence de formation des ressources humaines en physique médicale ;
La remise en état de l’ancien service du CHU Le Dantec (Institut Curie) où des équipements devenus inopérationnels sont encore installés dans le bâtiment désaffecté. Il pourrait être un centre de formation des physiciens et techniciens, géré conjointement par l’Institut de Technologie Nucléaire appliquée (ITNA) et l’Institut du Cancer de l’université de Dakar qui y était anciennementlogé ;
La rédaction de nouveaux contrats avec les fournisseurs intégrantla mise à jour automatique des logiciels.
Tous ces éléments peuvent être pris en compte par un Programme National Cancer, plus ambitieux qu’un plan stratégique. La radiothérapie, à côté de la chirurgie, la chimiothérapie et des nouveaux traitements, en est une composante , au même titre que la prévention, l’éducation et la formation, ou la mobilisation des ressources budgétaires. Notre pays dispose de toutes les compétences pour y réfléchir sous l’égide du ministère de la Santé.
MULTIPLE PHOTOS
LES UNES DE LA PRESSE DE CE LUNDI 17 FECRIER 2025
Sud Quotidien, Walf Quotidien, Yoor-Yoor Bi, L'Observateur, Libération, Le Quotidien, Enquête, Vox Populi, Le Verdict News, L'As, Record, Le Soleil, Le Témoin Quotidien
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Au Festival du livre africain de Marrakech, l'auteur de "La plus secrète mémoire des hommes" s'est livré sur sa conception de la littérature, son processus créatif et l'importance du dialogue culturel entre les différentes régions d'Afrique
Dans un entretien accordé à Afrique Magazine lors de la 3ème édition du Festival du livre africain de Marrakech organisé du 30 janvier au 2 février 2025, Mohamed Mbougar Sarr, lauréat du Prix Goncourt 2021 pour "La plus secrète mémoire des hommes" (traduit en 38 langues), livre une réflexion profonde sur la littérature africaine et le processus créatif.
L'écrivain sénégalais s'est d'abord exprimé sur l'importance du festival, né d'une initiative de Mai Binbin face au constat d'un paradoxe : le peu d'échanges entre auteurs subsahariens et maghrébins. Ce qui était au départ une démarche individuelle s'est transformée en un événement culturel majeur, créant un espace de dialogue entre écrivains et artistes du continent.
Revenant sur son parcours personnel, Sarr évoque l'influence déterminante des contes de sa grand-mère et de la littérature dans sa formation. Ces récits ont nourri sa quête précoce de réponses aux questions existentielles qui l'habitaient, établissant un pont entre la fiction et la vie réelle.
Pour l'auteur, la littérature offre une exploration unique de la complexité humaine. Les romans, contrairement aux jugements hâtifs du quotidien, invitent à une réflexion plus nuancée et à une introspection nécessaire. Cette expérience de lecture, distincte de celle des médias modernes, crée selon lui une temporalité particulière qui engage différemment notre cerveau et cultive l'empathie.
Sarr conclut en dévoilant sa méthode d'écriture, qu'il compare à l'exploration d'un labyrinthe. Sans plan préétabli, guidé par des intuitions parfois vagues, il s'engage dans une création où coexistent risques et découvertes. C'est cette approche qui a notamment donné naissance à "La plus secrète mémoire des hommes", transformant l'acte d'écriture en une aventure aussi périlleuse que fascinante.
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AL AMINOU LO PRÔNE LA FIN DES LARGESSES
Face aux finances publiques dans le rouge, le ministre secrétaire général du gouvernement appelle à la responsabilité collective. Plus question de céder aux revendications populistes ni de maintenir un train de vie dispendieux
Dans un entretien accordé ce dimanche 16 février 2025 à l'émission "Point de Vue" sur la RTS, le ministre secrétaire général du gouvernement, Ahmadou Al Aminou Lo, a dressé un tableau particulièrement sombre des finances publiques sénégalaises, tout en appelant à une prise de conscience collective face à l'ampleur de la crise.
L'intervention fait suite à la publication du rapport de la Cour des comptes sur la gestion des finances publiques pour la période 2019-2024. Les révélations sont accablantes : l'endettement du Sénégal atteint désormais 99,65% du PIB, pulvérisant le plafond de 70% fixé par les normes communautaires.
Face aux revendications des partenaires sociaux, le message du ministre est sans ambiguïté : "Si on écoute tout le monde dans ses revendications, c'est un naufrage collectif qui nous attend." Il a notamment évoqué le poids des subventions à l'énergie, qui ont coûté 2000 milliards de francs CFA sur trois ans, "sans aucun ciblage".
Le ministre a toutefois voulu rassurer quant aux intentions du gouvernement : pas de licenciements massifs ni de baisses de salaires en vue. "Ce régime est suffisamment responsable", a-t-il affirmé, tout en annonçant des plans sociaux ciblés, notamment dans certaines entreprises publiques comme l'AIBD.
Pour sortir de l'ornière, le gouvernement mise sur deux leviers principaux. D'abord, une réduction drastique du train de vie de l'État, avec notamment une rationalisation du nombre d'agences publiques. Ensuite, une meilleure mobilisation des recettes, particulièrement en matière d'impôt foncier et d'impôt sur le revenu.
À l'adresse de l'ancien régime, le message est cinglant. Le ministre révèle avoir personnellement alerté, en tant qu'ancien directeur national de la BCEAO, sur les dangers de cette gestion hasardeuse. "Les signaux ont été lancés à plusieurs reprises", a-t-il souligné, évoquant même des situations où "le Trésor public devait rembourser des dettes dont il n'était pas au courant".
Pour l'avenir, le ministre esquisse une vision basée sur la souveraineté alimentaire, le développement de logements sociaux et la décentralisation de Dakar. "La situation est extrêmement grave, mais nous pouvons la redresser ensemble", a-t-il conclu, appelant les Sénégalais à se retrouver autour de leurs valeurs ancestrales et religieuses.
Les belles feuilles de notre littérature par Amadou Elimane Kane
MURAMBI, LE LIVRE DES OSSEMENTS OU LE RÉCIT HISTORIQUE D’UN MASSACRE
EXCLUSIF SENEPLUS - Boubacar Boris Diop nous convie à échafauder notre récit africain, sans atermoiement, arriver à reconsidérer notre civilisation dans ses fondements historiques, culturels et sociaux, en n’écartant aucune vérité
Notre patrimoine littéraire est un espace dense de créativité et de beauté. La littérature est un art qui trouve sa place dans une époque, un contexte historique, un espace culturel, tout en révélant des vérités cachées de la réalité. La littérature est une alchimie entre esthétique et idées. C’est par la littérature que nous construisons notre récit qui s’inscrit dans la mémoire. Ainsi, la littérature africaine existe par sa singularité, son histoire et sa narration particulière. Les belles feuilles de notre littérature ont pour vocation de nous donner rendez-vous avec les créateurs du verbe et de leurs œuvres qui entrent en fusion avec nos talents et nos intelligences.
La littérature, au-delà de son caractère esthétique, est aussi la manifestation qui offre une ressource ultime pour dire et révéler à la lumière l’histoire, aussi tragique soit-elle. Comme il est des livres dont il est difficile d’en écrire la chronique tant la révolte qui nous tenaille est si forte que le risque est de laisser échapper l’essentiel. Murumbi, lelivredesossements de Boubacar Boris Diop est de ceux-là. Une oeuvre littéraire unique dans le paysage littéraire contemporain et dont la genèse s’inscrit tel un dyptique millénaire. Car tout en étant une production majeure de l’histoire africaine contemporaine, il est aussi la démonstration d’une construction narrative qui cherche à témoigner, tout en s’appuyant sur la création littéraire.
Publié en 2000 aux éditions Stock, cet ouvrage est le récit réel de la longue descente aux enfers, celle des cent jours du génocide des Tutsi au Rwanda. Six ans donc après cet évènement, dont la souffrance demeure insupportable, Boubacar Boris Diop revient sur les traces de la tragédie macabre, que l’on a voulu ensevelir dans l’indifférence la plus totale et le mépris le plus barbare. Dans sa postface, Boubacar Boris Diop évoque que certains d’entre nous ont même voulu minimiser l’ampleur du massacre, repoussant l’horreur inqualifiable dans les limbes de la catastrophe humaine.
Quand on lit le récit, on est impressionné par les secrets implacables et insoutenables que Boubacar Boris Diop nous révèle. Car il le fait simplement, sans pathos ni maniérisme romanesque, à travers les témoignages qu’il a recueillis, en se rendant au Rwanda en 1998, dans le cadre d’une résidence d’écriture. Il donne chair à des personnages, non pas fictionnels, mais à des êtres que l’on a voulu effacer de l’Humanité et dont on a voulu taire la parole. Avouant lui-même son ignorance au moment des faits, il puise dans le regard de ceux qu’il rencontre pour bâtir son récit, une histoire qui changera plusieurs fois de formes, tant le sujet est traumatisant qu’il en devient obsédant. Ainsi, son regard d’écrivain, de journaliste, d’homme en est profondément modifié. Comment ne pas l’être ? Personne n’est préparé à un tel cataclysme inhumain. Pourtant, Boubacar Boris Diop fait jaillir la lumière, en contraste avec les ténèbres du génocide, il donne à entendre l’éclat de la vérité. La parole bâillonnée est ainsi libérée de la hantise de la mort putréfiée et donne à revivre l'incarnation des visages d’un peuple martyrisé.
Écrire une chronique sur un tel récit est aussi en quelque sorte une épreuve car au-delà des qualités littéraires et humaines du livre, l’esprit est au bord de la nausée, pris par le dégoût à la lecture des pages ensanglantées et par l’ampleur de ses émotions. Car l’individu dénué de haine ne peut comprendre, ne peut accepter une telle ignominie sanguinaire. Seule la littérature pouvait rendre justice aux femmes et aux hommes, dont les yeux portent des images insurmontables, avec comme seule boussole la vérité dans toutes ses dimensions sanguinaires.
Car oui, Boubacar Boris Diop a su rendre voix, à travers une sorte de fiction épurée très documentée des évènements rwandais, à la réalité du génocide, tout en bâtissant une espèce d’arcane littéraire cohérente, juste, respectueuse de ces êtres massacrés pour rien, dans une rage inimaginable par des bourreaux, certes aveuglés par le sang mais responsables de leurs actes. Armés jusqu’aux dents par une épouvante sidérale et par des complices abjectes, les hommes d’État africains et le gouvernement français, les hommes du Hutu Power s’apparentent aux exterminateurs ultimes de la fin du XXe siècle.
Ce qui est sans doute le plus édifiant dans ce récit est le mensonge orchestré par les nations complices, dans les plus hautes sphères du pouvoir, pour déjouer la vérité du génocide des Tutsi au Rwanda, comme si cela n’avait au fond guère d’importance. Cette usurpation de l’histoire est malheureusement à rapprocher de l’étendue massacrante du récit africain, falsifié depuis des siècles par les forces de l’empire colonial qui cherche à imposer son idéologie impitoyable, jusque dans l’effacement de la réalité de l’hécatombe du Rwanda.
Pour les États coloniaux et néo-coloniaux, l’histoire du continent africain est reléguée, sous-estimée, écrasée sous l’emprise des intérêts extérieurs et du capital financier. L’extermination de milliers d’individus ne représente rien dans ce marché du carnage, dans l'obsession du pouvoir qui conduit les génocidaires.
Pour certains encore, le génocide des Tutsi au Rwanda est un détail de l’histoire ou que l’on explique froidement par une violence ancestrale qui existerait entre les Hutu et les Tutsi. Les négationnistes agissent depuis des siècles sur la véritable histoire de l’Afrique. Alors un mensonge de plus en efface bien un autre.
C’est pourquoi le livre de Boubacar Boris Diop fait œuvre de manière considérable, car il délivre cette injonction capitale, celle d’écrire notre propre histoire. Il s’agit maintenant de refuser tout ce qui nous caricature, tout ce qui nous submerge pour nous noyer dans les profondeurs d’une histoire qui ne nous appartient pas. Écrire pour que la vérité soit faite, pour que celle-ci ne soit plus spoliée par des marchands de génocides. Si nous ne le faisons pas, nous serons toujours méprisés, écrasés et massacrés dans une indifférence monstrueuse.
Ce que nous inspire Murambi, le livre des ossements est qu’il faut réussir à échafauder notre récit africain, sans atermoiement, arriver à reconsidérer notre civilisation dans ses fondements historiques, culturels et sociaux, en n’écartant aucune vérité, mais en nous installant sur une échelle historique authentique pour donner au monde une vision de notre existence, de nos souffrances et de nos forces qui sont immenses. Ce socle qui nous revient doit être aujourd’hui notre bandoulière pour ne plus avoir à subir les tueries dévastatrices.
Cette prise de conscience est fondatrice de notre renaissance et du devenir africain. La décolonisation mentale doit nous guider dans nos actes et dans la construction de notre histoire pour faire que nous puissions reconquérir l’estime de nous-mêmes et l’assurance de notre culture et de nos valeurs profondément humaines qui caractérisent l’imaginaire africain.
Amadou Elimane Kane est écrivain, poète.
Murambi, le livre des ossements, Boubacar Boris Diop, roman, éditions Stock, Paris, 2000, réédition en 2011 aux éditions Zulma.
Alors que le Sénégal traverse une crise des finances, Felwine Sarr insiste : les infrastructures et la croissance économique ne sont pas des fins en soi. Il suggère la production 'd'une fabrique de l'humain', au-delà des seuls indicateurs de performance
Dans un entretien accordé ce dimanche 16 février 2025 à l'émission "Objection" de Sud FM, l'économiste et enseignant-chercheur à Duke University, Felwine Sarr, a livré une analyse percutante sur la nécessité de repenser fondamentalement la théorie économique depuis une perspective africaine. Alors que le Sénégal traverse une crise financière majeure, avec une dette publique avoisinant les 100% du PIB, le penseur sénégalais appelle à une refondation complète de la pensée économique africaine.
L'universitaire développe une critique fondamentale du modèle économique actuel, plaidant pour l'émergence d'une "économie politique de la dignité". Cette approche, explique-t-il, doit dépasser la simple poursuite de biens matériels et ce qu'il qualifie de "modernité de seconde zone". "Le développement devrait être un espace où on construit les humains à tous les étages de l'être", affirme-t-il, appelant à repenser les finalités mêmes de l'activité économique.
L'invité de Baye Omar Guèye dénonce ce qu'il considère comme une crise profonde de la vision du développement en Afrique. Pour lui, les infrastructures et la croissance économique ne sont pas des fins en soi, mais doivent servir à "construire l'humanité" et "produire une fabrique de l'humain". Cette approche implique une redéfinition radicale des priorités et de l'allocation des ressources.
L'investissement dans le capital humain constitue, selon Felwine Sarr, la priorité absolue pour les pays africains. Il rappelle l'exemple historique du Sénégal sous Senghor, où 30% du budget était alloué à l'éducation - un choix critiqué à l'époque mais dont la pertinence s'est révélée avec le temps. Pour l'économiste, la jeunesse représente "la ressource la plus importante" et nécessite une "grande ambition de formation".
Cette vision implique une répartition équitable des opportunités sur l'ensemble du territoire. L'auteur d'Afrotopia insiste sur l'importance des "facteurs de conversion" - infrastructures, accès à l'éducation, à la santé - permettant aux individus de développer leurs "capabilités", selon la théorie d'Amartya Sen. Il dénonce les disparités actuelles qui créent des "problématiques de déliaison sociale" et un sentiment d'abandon dans certaines régions.
L'analyste pointe plusieurs faiblesses structurelles dans les politiques publiques africaines. Il critique notamment l'absence d'autonomie dans la conception des politiques économiques depuis les indépendances, appelant à "sortir du mimétisme" et à "prendre le destin économique en main".
Sur la question des ressources naturelles, il plaide pour une approche stratégique de long terme, suggérant même que les pays devraient parfois différer l'exploitation de leurs ressources jusqu'à ce qu'ils puissent en tirer le meilleur profit. Il souligne l'urgence de développer une autonomie dans les secteurs stratégiques, citant l'exemple révélateur de la dépendance pharmaceutique révélée pendant la pandémie.
Pour Felwine Sarr, les intellectuels africains ont une responsabilité particulière dans ce processus de transformation. Il les appelle à "créer des idées, des doctrines, des visions du monde" adaptées aux réalités africaines. "C'est à partir de l'Afrique qu'on doit repenser l'économie africaine, mais surtout l'économie du monde", affirme-t-il, positionnant le continent comme un possible laboratoire de solutions innovantes.
Cette mission intellectuelle implique de "reconnecter la recherche" avec les réalités locales et de développer une véritable autonomie de pensée. Sarr insiste sur le fait que cette autonomie intellectuelle ne signifie pas un repli sur soi, mais plutôt la capacité à "produire des réponses adaptées à nos situations".
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UN RAPPORT ORDINAIRE TRANSFORMÉ EN ARME POLITIQUE
Un document qui devait éclairer mais qui fini par aveugler. C'est le paradoxe soulevé par Moussa Tine concernant les conclusions de la Cour des comptes. Le juriste dénonce ce dimanche, une instrumentalisation qui dessert la justice
Invité ce dimanche 16 février 2025 au "Grand Jury" de RFM, Moussa Tine, juriste et président de l'Alliance démocratique Pencoo, a livré une analyse approfondie de la controverse entourant le récent rapport de la Cour des comptes.
L'ancien parlementaire insiste sur la nécessité de remplacer ce document dans son contexte institutionnel : "Il s'agit d'un rapport ordinaire, prévu par les textes et produit par une institution qui en a la charge". Il s'interroge sur la pertinence de mener ce débat sur la place publique, estimant que cela risque de nuire au travail judiciaire à venir.
Pour Moussa Tine, deux questions fondamentales se posent : l'existence avérée d'écarts dans les chiffres et la possibilité d'actes délictuels. Il appelle à laisser les autorités judiciaires compétentes mener leurs enquêtes sans interférence politique. "À chaque fois qu'il ya eu une volonté manifestée de politiser ces questions, cela a fini par biaiser le débat", souligne-t-il.
Le juriste rappelle également le rôle crucial des fonctionnaires qui, selon lui, "ont souvent fait des sacrifices et travaillé pour l'État sans même connaître les partis politiques". Il met en garde contre une instrumentalisation politique qui pourrait occulter les véritables enjeux de gouvernance.
Concernant les procédures, Moussa Tine soulève la question des moyens accordés à la Cour des comptes pour approfondir ses enquêtes. Il note que l'institution s'est limitée à l'examen des rapports d'exécution des lois de finances 2019-2021, suggérant qu'une analyse plus large aurait pu être bénéfique.
En conclusion, l'ancien parlementaire appelle à une réforme des mécanismes de contrôle pour prévenir les détournements de fonds publics. "Le véritable défi n'est pas tant de savoir combien a été détourné, mais comment rendre ces détournements impossibles à l'avenir", affirme-t-il.