LA REMISE DES PRIX NOBEL, UNE HUMILIATION ANNUELLE
À quelques rares exceptions exprès, les Africains ne figurent jamais parmi les lauréats scientifiques du prix Nobel. Si le continent ne manque pas de matière grise, il doit investir davantage dans l’éducation et le savoir
Jeune Afrique |
Fouad Laroui |
Publication 12/10/2021
Au moment où vous lirez ces lignes, l’humiliation rituelle, annuelle, aura eu lieu ou aura tout juste commencé. C’est chaque année la même chose. L’automne arrive, puis le mois d’octobre, et nous autres ressortissants des pays arabes, des terres d’Islam ou d’Afrique, nous baissons la tête, nous nous faisons tout petits… Les prix Nobel scientifiques sont proclamés, égrenés plutôt puisque – sadisme supplémentaire – ils ne sont pas tous révélés le même jour. Médecine, physique, chimie, économie (même si ce n’est pas un « vrai » Nobel)… Les récipiendaires sont aussitôt célébrés, fêtés, photographiés sous tous les angles… et pas un ne porte un nom qui ressemble même vaguement aux nôtres. Mamadou, prix Nobel de physique ? Abdallah, chimiste d’élite ? Stuff ! répondent les Suédois, c’est-à-dire : « balivernes! »
Pas moins futés
Et pourtant nous ne manquons pas de matière grise. J’ai participé il y a quelques temps à une réunion de travail à Paris, pour la préparation d’un colloque qui aura lieu du côté de Marrakech en novembre. Autour de la table, cinq Maghrébins : un ancien de Normale Sup, un prof au Collège de France, un brillant double docteur en physique et philosophie, un ingénieur de haut vol et votre serviteur. La conversation volait haut. Nous ne sommes pas moins futés que d’autres. Chaque pays d’Afrique, chaque pays de ce qu’on appelait autrefois le Tiers-Monde peut aligner des cerveaux.
Alors pourquoi ce gouffre béant entre eux et nous ? Il est tout de même stupéfiant que les minuscules Pays-Bas aient obtenu pas moins de dix fois le Nobel de physique (dont deux des trois premiers avec Zeeman et Lorentz), quatre fois celui de chimie (dont le tout-premier en 1901 avec J. H. van’t Hoff), trois fois celui de médecine… et l’Afrique et le monde arabo-musulman, presque rien.
LES AFRICAINS VEULENT RÉPÉTER L'ERREUR COMMISE PAR L'EUROPE EN CALQUANT LEUR PROJET DE MONNAIE UNIQUE SUR L'EURO
Le FMI est une agence du coloniaslisme. Nous n’avons pas de monnaies nationales dans le Sud. Il y a, dans les pays en voie de développement, beaucoup d’illusions sur une politique de crédit offensive - Entretien avec Samir Amin
Le texte ci-dessous est une version éditée d’une interview de Samir Amin (1932-2018) que Ndongo Samba Sylla a menée en préparation de son livre sur le franc CFA coécrit avec la journaliste française Fanny Pigeaud. L’entretien a duré un peu plus d’une heure (une version audio est disponible). Les échanges ont porté principalement sur la proposition de réforme du franc CFA en Afrique de l’Ouest que Samir Amin avait élaborée à la demande du président nigérien Hamani Diori à partir de 19693.
Parmi les sujets connexes abordés dans ce riche entretien : l’expérience du Mali en dehors de la zone franc (1962-1967), le projet d’intégration économique entre le Mali, la Guinée et le Ghana au début des années 1960, les limites de la monnaie unique de la CEDEAO et de l’euro dont elle s’inspire, la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), le rôle jusque-là plutôt passif des intellectuels africains francophones dans la lutte pour l’émancipation économique et monétaire, etc.
Eu égard aux débats actuels sur le franc CFA et l’intégration monétaire en Afrique de l’Ouest, nous pouvons retenir la leçon suivante de Samir Amin : « On ne résout pas les problèmes économiques par des moyens monétaires. On ne résout pas la question des moyens économiques sans disposer de l’outil monétaire. La monnaie n’est pas la clé du problème. C’est un outil. La clé, ce sont les choix en matière de politique économique et sociale. La monnaie est au service de ces choix. Si elle est au service des choix libéraux, c’est autre chose. »
Première partie.
Peux-tu revenir sur le projet de réforme que tu avais soumis à Hamani Diori ?
Hamani Diori connaissait mes écrits au sujet des États africains nouvellement indépendants. Il m’avait invité à échanger avec lui. Sa question a été la suivante : est-ce que la zone CFA [en Afrique de l’Ouest] ne devrait pas et ne pourrait pas être réformée de manière que les États africains puissent avoir une marge leur permettant de contrôler le crédit et de l’orienter vers des activités que nous jugeons plus utiles au développement ?Ma réponse a été : des réformes sont toujours possibles, elles sont presque toujours souhaitables ; aucun système n’est parfait et celui-là bien moins que d’autres. Ce système est un système colonial. Je n’utilise pas ce terme pour être méchant avec les Français. Ce système n’a rien changé à celui qui existait à l’époque coloniale, à savoir que la BCEAO (Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest) est un institut d’émission, mais pas une banque centrale, même si on a changé son nom.
D’un côté, l’institut d’émission émet des CFA uniquement contre des francs, ce qui signifie que le franc CFA n’est rien d’autre que du franc français avec un dessin différent. D’un autre côté, les pays qui utilisent le franc CFA sont totalement intégrés avec l’économie française. Ils ont hérité cela de l’époque coloniale, avec l’installation de banques françaises. La situation demeure, même s’il est aujourd’hui autorisé à d’autres banques de s’installer dans la zone. Mais ce sont pratiquement de grandes banques françaises qui continuent de dominer le paysage bancaire. À l’époque, elles n’avaient pas de succursales africaines et commençaient tout juste à en avoir, comme avec Bicis/BNP. Par conséquent, elles n’ont aucun problème de liquidités parce que si elles en manquent, elles les font venir de leur siège français. Et si elles ont trop de liquidités, elles les envoient en France. Donc, aucune politique de crédit n’est possible, aucune politique nationale de crédit. Et ne pouvoir faire aucune politique n’est pas une bonne chose.Maintenant, attention aux illusions.
On peut faire une bonne politique de crédit ou faire une mauvaise politique de crédit – ai-je dit à Hamani en rigolant. De même qu’on peut faire une bonne politique quand on a un État indépendant, on peut aussi faire une mauvaise politique intérieure ou internationale. Mais vous avez le droit d’être indépendant. Vous l’avez conquis. Vous avez donc le droit de faire la politique que vous voulez, même mauvaise.J’ai aussi fait savoir à Hamani que je suis de ceux qui ne croient pas à l’efficacité prétendue des politiques de crédit que la théorie économique conventionnelle postule. La théorie économique conventionnelle donne aux politiques de crédit une puissance qu’elle n’a pas, à mon avis, dans le capitalisme. Nous sommes dans le capitalisme. Je ne parle pas d’un autre système imaginaire. Parce qu’il n’y a pas une offre et une demande de monnaie indépendantes l’une de l’autre, comme on pourrait imaginer qu’il y en a pour l’offre et la demande de mil ou de bicyclettes. La demande de monnaie crée son offre et c’est la raison pour laquelle le quantitativisme a toujours été scientifiquement sans fondement.
L’économie conventionnelle, pour ne pas dire bourgeoise, est une économie qui cherche à déterminer les prix relatifs des biens les uns par rapport aux autres, en fonction des techniques de production, des équations de production et des équations de la demande, sans monnaie. La monnaie, comme elle existe, doit être introduite. Elle est introduite après coup, sous sa forme la plus bête, c’est-à-dire quantitativiste. Keynes, que l’on considère comme non conventionnel, reste tout à fait conventionnel. Il ajoute simplement une demande particulière : la demande pour la liquidité.Pour Keynes, mieux vaut avoir un bien liquide qu’un bien négociable, comme tous les biens, mais dont le prix est incertain. D’où le prix de la liquidité. Il a donné au taux d’intérêt une raison double.
D’une part, c’est la rémunération du risque de l’investissement et d’autre part, c’est la perte de la préférence pour la liquidité. Mais cela reste une théorie quantitative.Marx a dit et répété que la demande de monnaie est une demande objective. Entre le moment de la production et le moment de la réalisation de leur production, c’est-à-dire celui où ils récupèrent leurs sous, les capitalistes ont besoin de disposer d’un crédit qui leur permette de traverser ce temps. Cette masse calculable, à l’époque, je ne l’avais pas calculée. J’avais juste affirmé dans ma thèse de doctorat en 1957 qu’elle était calculable. Depuis, je l’ai quantifiée dans un modèle très simple, dans La Loi de la valeur4 et surtout dans La Loi de la valeur mondialisée5. On peut donc calculer la masse de crédits nécessaires.Donc, voilà un autre point que j’ai abordé avec Hamani. Je voulais rester sur un langage relativement simple. Hamani n’était pas un économiste.
Quel était et quel est le type de politique de crédit souhaitable ?
Il y a, dans les pays en voie de développement, beaucoup d’illusions sur une politique de crédit offensive,
avec une optique du genre : nous allons affecter les crédits à l’industrialisation, à l’amélioration de la production agricole, à construire des infrastructures, etc. En fait, une politique de crédit doit être véritablement indépendante de la situation de l’économie mondiale. On peut limiter ses effets sur les importations induites en faisant attention à ne pas faire des investissements qui entraînent des importations dépassant nos capacités d’exportation, et qui créent donc un déficit extérieur. On peut également limiter ses effets sur les finances publiques.
Poursuivant, j’ai abordé le cas des pays africains qui ont, semble-t-il, une monnaie nationale, c’est-à-dire une apparence de banque centrale qui s’appelle Banque centrale du Ghana, Banque centrale du Nigeria ou Banque centrale du Kenya, et qui émet une monnaie qui a un nom quelconque et est considérée comme une monnaie nationale. Cette apparence est confortée par le fait que la banque centrale est une institution publique, appartenant à l’État, et qui est théoriquement en relation étroite avec le ministère des Finances, même si son gouverneur a du pouvoir. Mais ce n’est qu’une apparence. Cet aspect était moins visible à l’époque. Il l’est davantage aujourd’hui.
Pourquoi utilises-tu les guillemets quand tu parles des monnaies de ces pays ?
Ces monnaies apparemment nationales fonctionnent dans des pays où les portes sont relativement ouvertes (à l’époque, ce n’était pas tout à fait complètement ouvert) ; avec des banques étrangères qui s’établissent, à l’image des banques anglaises comme la Barclays au Ghana, au Nigeria et au Kenya. Celles-ci sont dans la même situation que les banques françaises en zone franc. Elles peuvent exporter et importer librement. Parfois, il y a des limites : elles doivent déclarer et donner le motif des exportations et des importations, mais on ne les en empêche pas. Et par conséquent, si elles disent « nous avons trop de liquidités ici, nous ne savons pas quoi faire. Nous allons les placer ailleurs », on les laisse faire. Et inversement, si elles n’ont pas assez de liquidités sur place, elles peuvent les trouver en métropole. Par exemple, au Kenya, il peut être rentable pour les banques anglaises de soutenir les éleveurs blancs ou les éleveurs noirs qui veulent améliorer leurs ranchs. Si les liquidités leur font défaut, elles peuvent les importer depuis l’Angleterre.
La situation n’a-t-elle pas évolué depuis lors ?
Aujourd’hui, le Fonds monétaire international (FMI) est ce que j’appelle l’Agence du colonialisme, de l’impérialisme mondial de gestion des monnaies du tiers-monde. Ce n’est rien d’autre. Le FMI ne s’occupe pas des relations entre le dollar, la livre sterling, le deutschemark ou le franc français à l’époque, l’euro aujourd’hui, ou le yen.Ces monnaies sont laissées à la gestion des politiques monétaires de ces pays et à leurs éventuelles négociations entre eux. Ou ces pays se font une guerre monétaire ou ils font la paix monétaire. Ce sont eux qui en décident. Le FMI n’a rien à voir là-dedans. Il ne fait qu’enregistrer leurs décisions. Par contre, concernant les monnaies des pays du Sud, il les gère exactement comme la Banque de France gère le CFA. C’est-à-dire qu’au lieu d’un colonialisme français, il y a un colonialisme général. Et aujourd’hui, le FMI impose l’ouverture totale au motif qu’elle va faire venir les investissements. Ça ne les fait pas venir, sauf pour piller.
Tu veux dire, si je comprends bien, que les pays africains n’ont pas le contrôle de leurs monnaies ?
Oui, nous n’avons pas de monnaies nationales dans le Sud. Nous avons des monnaies coloniales. Est-ce à dire que rien ne peut être fait avant que nous ayons un autre régime politique représentant un autre système que nous appelons socialiste (on l’appellera comme on voudra) ? Dans le cadre d’un tel système, nous aurions une indépendance monétaire, comme nous aurions une indépendance économique et comme nous aurions une indépendance politique. C’est mon opinion. Je l’ai dit à Hamani : c’est ce à quoi nous devrions aspirer, mais nous ne l’aurons pas demain. Je ne suis pas de ceux qui pensent qu’on peut avoir, par une révolution miraculeuse, un pouvoir qui peut assurer tout ça tout de suite. Des réformes sont possibles.
Je lui ai promis d’y réfléchir et de lui envoyer une proposition et une vision sur des réformes possibles.
Quelle a été ta proposition ?
Ma proposition de réforme était fondée d’abord sur la reconnaissance du fait que nous, en zone CFA, ne dépendons pas seulement de la France, mais de l’Europe. Ensuite, nous voulons faciliter et affermir l’intégration intra-africaine, pas seulement des anciennes colonies françaises, d’une part, et des autres, d’autre part, mais des deux, sur une base sous-régionale peut-être, dans une perspective panafricaine. Enfin, nous voulons avoir une marge de politique de crédit dans l’espoir que nous l’utiliserons intelligemment et bien. Nous avons le droit à l’erreur comme les autres. Voilà l’histoire de cette proposition.
À suivre...
par Jean-Claude Djéréké
LE COMBAT DOIT SE MENER EN AFRIQUE
EXCLUSIF SENEPLUS - La France a beau remplacer “Françafrique” par “Afrique-France”, elle a beau effrayer les autorités maliennes ou dénigrer la Russie, elle aura du mal à empêcher l’Afrique de prendre son destin en main
Une dizaine de jeunes africains ont discuté avec Emmanuel Macron, le 8 octobre 2021. Si certaines personnes se réjouissent que ces jeunes aient parlé sans fard au président français, d'autres se posent les questions suivantes : les interlocuteurs de Macron sont-ils représentatifs de la jeunesse africaine de plus en plus consciente des crimes et coups tordus de l’ancienne puissance colonisatrice ? Qui les a mandatés ? Quel est leur pouvoir de décision ? Qui a pris en charge leurs billets d’avion, hébergement et repas ? Savent-ils que la jeunesse chinoise, russe, indienne ou coréenne n’a jamais eu une causerie de ce genre avec un dirigeant britannique, espagnol, portugais ou allemand ?
Je n’empêche personne de rencontrer Macron, de poser fièrement avec lui ou de croire qu’on est devenu important parce qu’on lui a serré la main et mangé avec lui. Mais, que nous soyons jeunes ou moins jeunes, nous devons comprendre une chose : un esclave ne demande pas à son maître de l’affranchir mais se libère lui-même. Ce n’est pas en participant à des rencontres bidon avec tel ou tel dirigeant français que nous allons nous libérer de la France. C’est plutôt en Afrique que nous devons briser le joug de l’occupation et de l’exploitation qui pèse sur nos pays depuis 1960. La jeunesse peut faire beaucoup dans ce combat à condition qu’elle ne se laisse pas tromper par des gens en perte de vitesse, à condition qu’elle se concerte et qu’elle mutualise ses idées et stratégies. La République centrafricaine et le Mali ont commencé à se libérer de la tutelle française, ce qui provoque panique et colère chez les dirigeants français. Consciente que sa présence sur le continent est de plus en plus contestée par la jeunesse africaine, la France espère éteindre le feu en invitant des jeunes triés sur le volet, en proférant menaces et insultes mais c’est peine perdue parce que “le coassement des grenouilles n’empêche pas l’éléphant de boire” (proverbe africain).
La France a beau remplacer “Françafrique” par “Afrique-France”, elle a beau effrayer les autorités maliennes ou dénigrer la Russie, elle aura du mal à empêcher l’Afrique de prendre son destin en main. Les Africains sérieux et lucides n’étaient pas présents à Montpellier parce qu’ils avaient conscience que se rendre à Montpellier, c’est aller à Canossa, que la France ne cèderait pas sur les problèmes de fond (fermeture des bases militaires françaises, disparition du franc CFA, non-immixtion dans les affaires internes) et que cette mascarade “ne servirait qu’à renforcer la domination économique des pays riches et, en particulier, celle de la France sur les pays du continent africain” (CGT).
LÉGALISATION DE L'AVORTEMENT MÉDICALISÉ, UNE PILULE QUI PASSE MAL
Plusieurs organisations de la société civile s’activent pour que l’avortement soit autorisé au Sénégal en cas de viol, d’inceste ou d’atteinte à la vie de la mère. Une initiative contre laquelle d'aucuns s'érigent en boucliers
Julien Mbesse Sène et Aliou Diouf |
Publication 12/10/2021
La légalisation de l’avortement médicalisé continue de susciter des controverses au Sénégal où le débat a été posé depuis les années 70. Les religieux et une partie des Sénégalais soutiennent que l’interruption thérapeutique de la grossesse est contraire à nos réalités socioculturelles. Alors que pour la taskforce qui rappelle le Protocole de Maputo signé par notre pays, il y a mille et une raisons de légaliser l’avortement médicalisé au Sénégal.
Une vieille controverse
La controverse sur l’avortement médicalisé ne laisse pas insensibles les populations. Catégoriques, certains estiment qu’il doit être interdit sous toutes ses formes. D’autres pensent qu’il doit être autorisé dans des cas bien précis.
Le débat sur l’avortement médicalisé refait rage au Sénégal. Plusieurs organisations de la société civile, notamment celles défendant les femmes, s’activent pour que l’avortement soit autorisé au Sénégal en cas de viol, d’inceste ou d’atteinte à la vie de la mère. Face à ces associations, d’autres organisations comme le Comité de défense des valeurs morales, le Syndicat des travailleurs de la santé, l’Union nationale des parents d’élèves et d’étudiants du Sénégal… s’érigent en bouclier afin qu’une loi légalisant l’avortement médicalisé ne soit jamais appliquée au Sénégal. On retrouve chez la population les mêmes confrontations d’idées notées sur les plateaux de télé, les radios, les réseaux sociaux. À Keur Massar, la question intéresse au plus haut point les habitants qui suivent l’actualité. Au quartier Serigne Mansour, Babacar Diop, la soixantaine mais toujours très actif, s’oppose totalement à l’avortement. « On est à la fin des temps. Il est plus difficile d’être dans la vérité que de tenir des braises entre ses mains. On ne peut pas cautionner l’avortement médicalisé dans un pays religieux comme le Sénégal. C’est même impensable. Je ne suis pas du tout d’accord avec ceux qui veulent légaliser l’avortement au Sénégal », lâche-t-il d’emblée. Si une loi autorisant l’avortement médicalisé était appliquée, ce serait la porte ouverte à toute sorte de dérive, estime M. Diop. Dans ce cas, « une fille peut aller faire tout ce qu’elle veut. En cas de grossesse, elle peut accuser faussement quelqu’un de l’avoir violée pour avoir le droit d’avorter. Un innocent peut même être accusé de viol et cela mènerait vers d’autres problèmes. Si jamais l’avortement médicalisé était autorisé, ce serait une porte ouverte pour ceux qui envisagent de dépénaliser l’homosexualité », assène-t-il. D’après lui, l’avortement médicalisé ne doit être autorisé qu’en cas de force majeure. « Cet avortement ne doit être autorisé que si la santé et la vie de la mère sont en danger. Ce sont des forces venues de l’extérieur qui veulent nous imposer des lois qui ne sont pas en accord avec nos réalités sociales et culturelles », ajoute Babacar Diop.
Barka Niang convoque aussi la religion pour rejeter toute légalisation. « Il faut seulement appliquer ce que Dieu nous a ordonné de faire. On peut tout changer sur cette terre sauf les lois de Dieu », dit-il. Il encourage le retour aux enseignements religieux pour éviter les mauvaises influences « venues de l’extérieur ». « Je suis foncièrement contre l’avortement médicalisé. C’est mauvais. Si c’est autorisé au Sénégal, on se rendra très vite compte des conséquences néfastes que cela provoquerait », avertit-il.
Même son de cloche auprès d’Amadou Diop. « Nous sommes dans un pays de croyants. Nous ne pouvons donc pas être d’accord avec l’avortement. Il n’est pas normal pour une femme de traîner dans les rues jusqu’à contracter une grossesse et décider de mettre un terme à celle-ci en avortant. Musulmans et Chrétiens ne sont pas d’accord. Si les catastrophes ont augmenté dans ce pays, c’est aussi à cause de la dégradation des mœurs », soutient-il. Aliou Lô fustige également les influences extérieures et crie à l’infamie. « Ce sont des pays occidentaux qui veulent nous l’imposer mais ce n’est pas en accord avec nos valeurs. L’avortement est un crime. L’Islam a parlé des différentes étapes de la grossesse et du moment où l’âme est insufflée au fœtus. Oser s’attaquer à ce fœtus est une infamie », répond-il, tout en alertant les familles religieuses « à réagir et condamner avec la dernière énergie l’envie de certaines personnes de légaliser l’avortement au Sénégal ».
Pour Amy Sow, célibataire de près d’une trentaine d’années, autoriser l’avortement médicalisé peut-être un « précédent dangereux ». « Nous avons nos propres réalités sociales et religieuses. Il est bien de s’ouvrir au monde mais il est tout aussi dangereux de prendre toutes les influences étrangères. À mon humble avis, l’avortement ne devrait être autorisé que si la grossesse est susceptible de mettre en danger la vie de la mère. D’ailleurs, c’est à cette seule condition que l’Islam l’autorise », dit-elle.
Rencontrée au Point E, Aïda Sall, tout en évitant de cautionner l’avortement, demande aux autorités étatiques d’aider davantage les jeunes mères victimes de viol ou d’inceste. Elle plaide pour la prise en charge des victimes et des enfants incestueux. Qu’il soit médicalisé ou clandestin, l’avortement est un meurtre aux yeux d’Abdoulaye Sène, informaticien. « Ce sont les féministes qui nous tympanisent avec la légalisation de l’avortement. Cela ne se fera jamais dans ce pays. Nous ne sommes pas des Blancs, nous sommes des musulmans. Si on avait respecté les préceptes de l’Islam, on n’aurait pas connu tous ces maux qui gangrènent la société », sermonne l’homme au physique athlétique.
L’étudiante Seynabou Dieng rame à contre-courant, indiquant qu’elle est favorable à l’autorisation de l’avortement dans certains cas. Selon elle, si la grossesse est issue d’un inceste ou d’un viol, l’avortement doit être autorisé au cas où la victime le solliciterait. « Le viol est quelque chose de très cruel. On vole à la femme ce qu’elle a de plus chère dans sa vie ; donc si elle en tombe enceinte, c’est sûr qu’elle ne va jamais aimer l’enfant, qui va toujours lui rappeler ces moments atroces. Donc, dans de pareils cas, l’avortement doit être autorisé », a-t-elle soutenu. Avant de faire savoir que ce sont ces victimes qui, très souvent, commettent l’infanticide. Parce que, regrette-t-elle, « il n’y a pas de structures de référence pour prendre en charge les victimes d’abus sexuels qui sont livrées à elles-mêmes ». Abou Faye, croisé non loin de la piscine olympique, abonde dans le même sens. À son avis, on peut permettre l’avortement si la grossesse est le fruit d’un viol avéré.
LES PASSAGERS VACCINÉS À DESTINATION DU SÉNÉGAL DISPENSÉS DE TEST PCR
Cette décision, expliquent les services du ministre Alioune Sarr, entre dans le cadre du «processus graduel de levée des restrictions pesant sur les voyageurs à destination du pays
Les passagers vaccinés à destination du Sénégal sont dispensés de test Rt-Pcr, a annoncé hier le ministère du Tourisme et des transports aériens.
Le ministère du Tourisme et des transports aériens informe de la signature et de l’entrée en vigueur de la circulaire du lundi 11 octobre 2021 dispensant de test Pcr les passagers vaccinés à destination du Sénégal. Laquelle abroge et remplace les circulaires du 1er septembre 2021 et celle 28 septembre 2021. Cette décision, expliquent les services du ministre Alioune Sarr, entre dans le cadre du «processus graduel de levée des restrictions pesant sur les voyageurs à destination du Sénégal, consacrant ainsi l’ouverture progressive des frontières aériennes, à travers deux circulaires précisant les conditions de prise de trafic des compagnies aériennes desservant le Sénégal».
En effet, note le ministère du Tourisme et des transports aériens dans un communiqué, «la circulaire 1626 /Mtta/Dg/Anacim du lundi 11 octobre 2021 renforce la dynamique de levée des restrictions qui pesaient sur les voyageurs à destination du Sénégal. Par conséquent, les compagnies aériennes dont les programmes d’exploitation ont été approuvés par l’Autorité de l’Aviation civile ou qui disposent d’une autorisation ponctuelle, sont autorisées à embarquer ou débarquer leurs passagers sur présentation d’un test Rt-Pcr Covid-19 négatif datant de moins de cinq jours ou d’un «pass sanitaire» dûment délivré par les services compétents».
Le «pass sanitaire», précise-t-on, «devra attester que les passagers ont reçu les doses requises de vaccin au moins quatorze jours avant la date du voyage. Seuls les vaccins homologués par l’Organisation mondiale de la santé sont acceptés. Toutefois, les présentes dispositions sont sans préjudice des formalités d’immigration et des conditions sanitaires en vigueur».
LE SOMMET AFRIQUE-FRANCE : SEANCE THERAPEUTIQUE OU VOLONTE DE REPARTIR SUR DE NOUVELLES BASES
Le sommet Afrique-France, qui s’est tenu cette semaine, est une grande première dans l’histoire des relations franco-africaines
Le sommet Afrique-France, qui s’est tenu cette semaine, est une grande première dans l’histoire des relations franco-africaines. C’est pour la première fois dans les annales de l’histoire africaine qu’un Président français fait face à une jeunesse africaine, lui tend une oreille attentive patiemment et s’adonne à de fructueux échanges sur un éventail de sujets d’actualité.
Ainsi, du colonialisme à l’esclavage en passant par la brûlante question monétaire du Cfa et les interventions de la France en Libye et au Mali, presque tout était sur le menu. Nonobstant le scepticisme, les appréhensions et les spéculations qui vont faire feu de tout bois dans les réseaux sociaux ces semaines, mois ou années à venir, nous jugeons que le jeu de série de questions en valait la chandelle des réponses directes et parfois réfléchies. Cela va sans dire que tout sommet d’une ancienne puissance coloniale et son ancienne colonie peut faire l’objet de levées de boucliers, de balivernes, de quiproquos qui tiennent parfois lieu de l’état psychologique de la profondeur des blessures coloniales vécues. A travers cette contribution, nous ne nous étendrons outre-mesure sur le contenu de ce sommet, mais nous essayons plutôt d’en donner un sens et en tirer un très court bilan.
Quel sens donner à ce sommet Afrique-France ?
Nous ne devons pas perdre de vue que la France, plus que l’Afrique, avait besoin d’un sommet d’une telle envergue pendant très longtemps. Pour la simple raison qu’avant, durant et après 1960, beaucoup d’eau avait coulé sous les ponts dans les relations entre l’Afrique et la France. Par exemple, de politiques intérieures d’immigration forcées déportant pas mal d’Africains vers leurs pays d’origine, de discriminations d’Africains dans l’emploi et dans l’habitat sur le sol français, jusqu’aux massacres de noirs sur le même sol français, la France était déjà entrée dans une phase de dépression très aiguë.
En sus, avec la recrudescence de politiques extérieures d’ingérence et d’invasion d’Etats souverains en l’occurrence la Lybie, le Mali, la République française était presque au bout de la schizophrénie. Elle avait fondamentalement besoin de ce sommet comme une sorte de séance thérapeutique digne de Freud pour exorciser les blessures psychologiques de la colonisation et de l’esclavage qui pèsent lourdement sur sa conscience historique.
Pour ce faire, il fallait avoir un jeune charismatique du nom de Emmanuel Macro pour s’acquitter de cette tâche au nom la France et un brillant intellectuel africain du nom de Achille MBembé pour plaider pour le continent africain. Timidité ou volonté délibérée de ne pas décevoir ses pairs, ce refus catégorique de Achille MBembé de ne pas vouloir tenir le crachoir pour partager avec l’audience le peu de choses concoctées dans le rapport soumis au Président Macron en dit long sur la complexité qui entoure la relation Afrique-France. Tout compte fait, il faut cependant reconnaître à ces deux hommes leur témérité et leur volonté d’écrire de nouvelles pages dans cette relation Afrique-France. Au regard des projecteurs et de l’enthousiasme de l’audience, tout porte à croire que ce dialogue semblait être facile pour le chef de l’Etat français, mais au tréfonds de sa conscience, le poids historique pesait très lourd sur ses épaules frêles.
Autrement dit, le poids d’écouter l’Afrique, à travers sa jeunesse, de refouiller les poubelles de l’histoire coloniale française pour ensuite croiser le fer avec cette armée de jeunes femmes et d’hommes qui osaient dire des choses que la plupart des dirigeants africains ne diraient jamais publiquement fut une difficile pilule à avaler. Jamais un chef d’Etat français n’a-t-il eu ce courage, cette témérité et cette capacité d’écoute très rare chez les puissances mondiales. Ne serait-ce que sur le plan symbolique, l’homme Macron aura déjà inscrit son nom dans les annales de l’histoire africaine et celle-ci le jugera plus positivement que tous les autres présidents français. N’en déplaise au qu’en-dirat-on, il nous semble que ce sommet fut également une séance thérapeutique pour l’Afrique pour avoir chargé à une partie de sa jeunesse d’exprimer sa colère contre la France et nommer les maux auxquels l’Afrique a eu à faire face depuis fort longtemps. Il nous semble que nommer les choses est un acte à caractère thérapeutique pour l’Afrique pour mieux se soigner des séquelles des blessures psychologiques du colonialisme exacerbées récemment par le discours raciste prononcé par Nicolas Sarkozy à Dakar en 2008.
Quel bilan faut-il en tirer pour ce sommet ?
A bien l’analyser et à bien le comprendre, ce sommet Afrique-France a été une belle réussite sur le plan de la forme. Au fond, malgré tous ces efforts consentis pour réclamer de nouveaux paradigmes dans la relation Afrique-France, ces jeunes africains se sont malheureusement trompés d’interlocuteur dans une illusion d’optique. Ils ont certes bien mené leur barque de revendications à bon port, mais il se trouve que cette barque navigue souvent dans des eaux troubles d’appareil judiciaire et de règlementations étatiques qui échappent souvent au contrôle du chef de l’Etat français, Macron. Comme Obama d’Amérique, le Macron de cette République française est bon et veut faire du bien avec l’Afrique pour le compte de la France, mais il n’as pas le pouvoir car le vrai pouvoir, ce n’est pas le pouvoir, mais ce sont les forces qui entourent le pouvoir. Pour faire simple, les propos de l’ancien chef d’Etat français, Charles de Gaulle, tombent comme un couperet et semblent trahir cette volonté pour la France de repartir sur des nouvelles bases : «Les Etats n’ont pas d’amis ; ils n’ont que des intérêts.» La question est de savoir si ces propos qu’on attribuerait à Charles de Gaulle résisteraient au test du temps ou non pour enfin valider cette volonté pour la France de repartir sur de nouvelles bases avec l’Afrique ? A word to the wise !
Dr. Moustapha FALL,
Enseignant-Chercheur, UGB
LA SEMAF-SA SUR UN FLEUVE CALME
Serigne Mbaye Thiam ramène le calme à la Société d’exploitation de Manantali et Félou (Semaf-Sa) en procédant au remplacement de son directeur dont la tête est réclamée depuis quelques jours par les syndicalistes
Serigne Mbaye Thiam ramène le calme à la Société d’exploitation de Manantali et Félou (Semaf-Sa) en procédant au remplacement de son directeur dont la tête est réclamée depuis quelques jours par les syndicalistes.
Serigne Mbaye Thiam, président du Conseil des ministres de l’Omvs, a été expéditif : il a pris hier la décision de remplacer le Directeur général de la Société d’exploitation de Manantali et Félou (Semaf-Sa), Yahya Bocar Ba. De nationalité mauritanienne, il sera remplacé par le Sénégalais, Abdoulaye Dia, ingénieur-électromécanicien. C’est la fin d’un feuilleton. Depuis une semaine, le comité syndical de la Semaf-Sa est en guerre contre le Directeur général, Yahya Bocar Ba, accusé de «mauvaise gestion».
Dans un communiqué, les syndicalistes informent que cette société, chargée de l’exploitation des barrages de Manantali, Félou et bientôt Gouina, «est presque dans l’agonie du fait de la mauvaise gestion de son Directeur général actuel». La Semaf-Sa, créée en 2014, est une filiale de la Société de gestion de Manantali (Sogem) appartenant toutes deux à l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (Omvs), qui est gérée depuis quatre (4) ans successivement par des Mauritaniens. «Rien ne va plus depuis l’arrivée de M. Ba comme Directeur général de la Semaf Sa.
Du jamais vu dans cette société privée de droit malien appartenant entièrement à la Sogem qui, elle, est une société inter-étatique du système de l’Omvs», relate le comité syndical de la Semaf Sa. Selon les plaignants, depuis sa nomination en janvier 2020, le Dg «ne cesse de violer les textes réglementaires de ladite société allant même jusqu’à ignorer les mises en demeure de l’Inspection du travail de Kayes (Mali), ce qui constitue une réelle menace pour la survie de l’entreprise». Le comité syndical d’ajouter : «A cela s’ajoute la mauvaise gestion des installations qui si rien n’est fait, les pays de l’Omvs, le Mali, la Mauritanie et le Sénégal, risquent de ne plus bénéficier de la production des centrales de Manantali et de Felou.
Les prémices de cette mauvaise gestion sont en train d’être enregistrées par des incidents au niveau des installations, les coupures d’électricité dans les sites…» Ces travailleurs de la Semaf font savoir que toutes les tentatives de conciliation initiées par le comité syndical depuis son arrivée sont restées vaines. Ce qui avait conduit à un premier mot d’ordre de grève le 1er octobre 2020 (chose inédite depuis la création de l’Omvs) qui a entrainé l’arrêt de toute la production des centrales de Manantali et Felou.
Par la suite, un protocole d’accord a été signé entre le Dg et le comité syndical. «Mais constatant le refus de respecter les termes du protocole, un second préavis de grève a été déposé à l’Inspection du travail. Ce qui a entraîné plusieurs médiations infructueuses, sans compter les intimidations du Dg à l’endroit de certains délégués du personnel et membres du comité syndical au niveau du Mali», déplore le comité syndical précisant que le personnel de la société travaillant au Mali est composé de Maliens, Mauritaniens et Sénégalais pour l’essentiel. Après plusieurs tentatives de conciliation infructueuses pour régler l’ensemble des revendications relatives au non-respect des dispositions légales en matière de droit du travail sur le territoire malien, rapporte le syndicat, l’Inspection régionale du travail de Kayes a adressé une mise en demeure au Dg pour régler l’ensemble des revendications relatives au droit des travailleurs. «Le nonrespect de cette mise en demeure a entraîné une plainte qui a été déposée le 22 juin 2021 par le Directeur régional du travail de Kayes auprès du procureur de la République près le Tribunal de Grande instance de Kita (Mali)», renseigne le communiqué.
Les travailleurs s’émeuvent : «Grands sont actuellement l’étonnement et la stupéfaction des employés de la Semaf-Sa quand comme par magie, la plainte a été retirée après une rencontre entre le Dg de la Semaf et la Direction régionale du travail de Kayes sans qu’aucune action allant au règlement des droits des travailleurs ne soit entreprise. Et cerise sur le gâteau, le paiement de tout ou partie de l’amende de 20 millions de francs Cfa qui avait été infligée à la société, a été effectif sans que les droits principaux des revendications, fait générateur de ladite amende, n’aient été payés.»
Le Comité syndical de la Semaf Sa demande aux autorités de l’Omvs, à savoir «le président du Conseil des ministres, Monsieur Serigne Mbaye Thiam, ministre de l’Eau et de l’assainissement du Sénégal, et les différents ministres de tutelle, la désignation par l’Etat du Sénégal du remplaçant de Yahya Bocar Ba dont le mandat est arrivé à expiration depuis le 27 septembre 2021 à minuit et le règlement sans délai de tous les points de droit listés dans la plainte du Directeur régional du travail de Kayes».
TENSION À LA FACULTÉ DE DROIT
Peut-on éviter une session unique au niveau de la Faculté des sciences juridiques et politiques (Fsjp) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar ?
Peut-on éviter une session unique au niveau de la Faculté des sciences juridiques et politiques (Fsjp) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar ? Après une année universitaire mouvementée, il n’y a pas eu encore de compromis entre les étudiants et les autorités administratives de la Fsjp. En attendant, ils rejettent l’idée d’une session unique qui reviendrait à «sacrifier» leurs camarades.
A moins d’un mois de la reprise des cours à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, les étudiants mettent la pression sur les autorités. Il y a déjà un premier avertissement adressé aux responsables de l’Ucad, notamment de la Faculté des sciences juridiques et politiques, qui préparent la rentrée : face à la presse hier, la liste Orange Renaissance Fsjp a marqué son désaccord avec les autorités de la Faculté de droit qui voudraient faire une session unique pour achever l’année universitaire 2020-2021. «Avec le faible taux de réussite à la Fsjp et le peu d’étudiants qui valident les semestres, ils y arrivent très difficilement même avec les deux sessions, faire une session unique à la faculté de droit constituerait à sacrifier les étudiants», assure Victor Biaye, porte-parole des étudiants.
Selon lui, la session unique est une décision «infondée et discriminatoire». Il impute cette décision au Syndicat autonome de l’enseignement supérieur (Saes), qui avait opéré un arrêt des cours pendant plus 12 jours, occasionnant ainsi le «chamboulement» du calendrier universitaire. «Nous dénonçons le caractère discriminatoire de la décision de l’administration de la Fsjp. Etant donné que les perturbations ayant causé le retard ont été subies par toutes les facultés, qui d’ailleurs ne sont pas moins en retard que la Fac de droit. Alors pourquoi une session unique seulement à la Fsjp et non dans les autres facultés ?», s’interroge-t-il.
Par ailleurs, la liste Orange Renaissance Fsjp est revenue sur le dossier des étudiants «injustement sacrifiés» par le Conseil de discipline de l’Ucad. Et il n’a pas «bougé d’un iota malgré les pourparlers entrepris avec l’autorité compétente». Après avoir émis le vœu d’une session normale pour l’année universitaire 2020- 2021, la liste Orange Renaissance Fsjp informe qu’elle restera campée sur sa position de «refus» et «rejette catégoriquement cette décision de l’administration de la Fsjp, consistant à n’organiser qu’une seule session d’examen».
Par Hamidou ANNE
REVOIR UN PRINTEMPS
Le doute des jeunes africains se réinstalle, cette fois il est visible et audible grâce à internet et à l’ingéniosité militante qui s’est développée chez eux. Les adversaires se nomment : nos dirigeants, la France, les multinationales
Les récriminations, les doutes et le ras-le-bol général des jeunesses sur l’état de l’Afrique disent quelque chose de la façon dont elles sont gouvernées. Les autoritarismes persistent sur le continent, les alternances politiques n’apportent que peu de transformation sociale et la jeunesse, majoritaire dans les pays africains, a le sentiment général d’être éloignée de la gestion du présent et de l’identification des pistes de transformation de l’avenir.
Des fora, aux réseaux sociaux, la colère gronde contre la mal gouvernance, la corruption, l’irrespect et l’incapacité à transformer le réel. La défiance vis-à-vis des élites dirigeantes est si grande qu’une frange importante de la jeunesse salue les moments où celles-ci perdent le monopole de la puissance. Les images de foules en liesse devant les cortèges de présidents déchus par l’Armée sont des symboles forts de leur relation avec ces dirigeants qui perdent le pouvoir.
La foule a hué Ibrahim Boubacar Keïta conduit manu militari au camp de Kati par les hommes du colonel Assimi Goïta. Cette même foule, quelques kilomètres plus loin, a salué la chute de Alpha Condé, qui s’était attribué un troisième bail au Palais Sekhoutoureya. A-t-elle raison à chaque fois ? Non. Les coups d’Etat constituent une balafre sur le visage d’une Nation. Surtout que les soldats sauveurs se transforment régulièrement en bourreaux des aspirations à la liberté et à la démocratie des jeunesses.
Cette décennie qui s’est achevée est symptomatique des rendez-vous manqués en Afrique, où les aspirations à un mieux-être se heurtent à la dure réalité de l’impossibilité à changer la vie des gens. Il y a soixante ans, les jeunes qui s’engagèrent pour la fin de la colonisation, souvent armés de la pensée révolutionnaire issue des rangs de la gauche, ont vite déchanté.
Les régimes post-indépendance n’ont pas réussi, pour diverses raisons, à tenir les promesses de l’aube de nos nations. Certains dirigeants ont sombré dans une folie destructrice comme en Guinée ou en Ouganda ; d’autres ont vite été renversés par des militaires, provoquant un cycle sans fin de ruptures antidémocratiques.
Les rares pays qui ont échappé aux putschs militaires sont restés englués dans la pauvreté, avec des modèles de gouvernance faibles et sans grande consistance. Les années qui ont suivi nous ont laissés dans le creux de la vague des politiques publiques inefficaces, des injonctions des institutions de Bretton Woods, de la corruption, des guerres civiles, des famines, entre autres défis… J’ai eu beaucoup foi en la dernière décennie.
Au plan économique, la croissance était au rendez-vous, les coups d’Etat ont drastiquement baissé, les conflits inter-Etats ont disparu, la résurgence d’une dignité et d’une volonté de transformer le réel devenait un projet, les diasporas prenaient le chemin du retour sur le continent pour tracer un nouvel horizon. Puis sont survenus les printemps arabes, où une jeunesse diplômée, ouverte et progressiste a investi la rue pour faire face aux dictatures en Tunisie et en Egypte avec comme mot d’ordre «Dégage !». Ben Ali et Moubarak furent chassés devant une opinion internationale médusée par la maturité et la politisation de cette jeunesse, qui a utilisé le web 2.0 pour chasser ces autocrates. Le Printemps arabe fut un moment de ferveur politique et intellectuelle sans précédent sur le continent. L’armure des autoritarismes a été fendue dans des pays où personne n’imaginait que des petites mains armées de smartphones puissent venir à bout de puissants régimes.
A la suite, au Maroc, en Libye, au Sénégal, au Burkina Faso, les jeunes faisaient leur «révolution» pour exiger soit le départ de dirigeants soit des réformes de la gouvernance. Puis un nouveau rendez-vous manqué.
Les Printemps arabes ont accouché de régimes islamistes, puis dans le cas de l’Egypte, l’Armée a déposé les Frères musulmans et installé un pouvoir militaire encore plus autoritaire. En Afrique de l’Ouest, les dirigeants élus à la suite de moments de ferveur militante sont vite conspués du fait de leur incapacité à changer positivement la vie d’une jeunesse dont une partie importante continue à rêver d’ailleurs ; parfois en étant prêt à sacrifier sa vie. Le doute des jeunes africains se réinstalle, cette fois il est visible et audible grâce à internet et à l’ingéniosité militante qui s’est développée chez eux. Les adversaires se nomment «nos dirigeants», «la France», «les multinationales», les «Ong» et toutes sortes de cibles plus ou moins identifiées.
L’hiver est là, lourd de défis et de ressentiments. En attendant de revoir un printemps et les feuillages de liberté qu’il promettra aux jeunes, de Dakar à Tunis …