LA GENTRIFICATION DE LA PRESSION FONCIÈRE AU SÉNÉGAL
EXCLUSIF SENEPLUS - C'est la course à l'accession à la propriété immobilière urbaine, avec des montées de fièvre récurrentes encore illustrée par des litiges fonciers - Aux USA comme au Sénégal, les cas de Covid augmentent de manière exponentielle
Réalisation et montage Boubacar Badji |
Publication 01/07/2020
Lu Bees avec René Lake à Washington et Ousseynou Nar Gueye à Dakar : Pression foncière immobilière continue au Sénégal et regain de la pandémie Covid-19 aux USA avec une riposte contrastée selon les États
Dans ce numéro de Lu Bees, Ousseynou Nar Gueye pointe la "gentrification" de la pression foncière au Sénégal, poussée par les bourgeoisie moyenne et haute qui font la course à l'accession à la propriété immobilière urbaine, avec des montées de fièvre récurrentes encore illustrée par les litiges fonciers concernant le littoral dakarois, Gadaye dans la banlieue dakaroise ou Ndingler dans la région de Mbour. Tous les Sénégalais peuvent t-ils raisonnablement aspirer à posséder un toit en milieu urbain ou faut-il revenir à une politique locative d'un parc de logements à loyer modéré promu par les villes ?
Du côté de l'Amérique, René Lake souligne ce paradoxe du nouveau continent qui, avec 5% de la population mondiale, fournit 25% du contingent d'infectés au Coronavirus au plan international. Les réponses des États de l'Union sont diverses et souvent opposées, balançant entre retour au confinement strict et rejet du port obligatoire du masque barrière. Il fait le parallèle avec la récente levée du couvre-feu au Sénégal, alors que la courbe des contaminations ne baisse pas, pas plus quaux États-unis.
Lu Bees, un partenariat audiovisuel hebdomadaire du mercredi entre Seneplus et Tract.sn. Réalisation et montage assurés par Boubacar Badji.
L'EUROPE RECHIGNE À ACCUEILLIR LES AFRICAINS
Les 27 Etats européens ne comptent accepter, pour l'heure, que quatre pays africains sur leur sol. Et ce sont ceux de l’Afrique du Nord
Le Sénégal compte rouvrir ses frontières aériennes dès le 15 juillet prochain. Visiblement, sans restrictions vis-à-vis de certains pays. Pourtant, l'Union européenne, réunie vendredi dernier, a retenu 14 pays qui pourraient être autorisés à atterrir sur son sol, s'ils ouvrent leurs frontières. Cette sélection comprend seulement quatre pays africains : le Maroc, le Rwanda, l'Algérie et la Tunisie. Si ces pays présentent des statistiques plus élevées en termes d'infection en Afrique, plusieurs critères établis par l'UE jouent en leur faveur.
Il s'agit, entre autres, de la capacité de réaliser des tests en nombre, des règles de prévention en vigueur et leur respect, ainsi que le taux de nouvelles contaminations. Sur le dernier point, les Européens se sont accordés sur un chiffre en deçà de 16 pour 100 000 habitants, sur les 14 derniers jours. Les 27 Etats européens comptent réviser cette liste toutes les deux semaines. En outre, un pays de l'UE peut refuser de recevoir l'un de ces pays listés, mais ne doit en aucun cas accepter les ressortissants d'autres pays en dehors de cette liste. Ce projet a été soumis au vote, hier, et selon la présidente de l'UE, aucun problème de fond ne s’oppose à son adoption.
Le continent africain est moins impacté, en termes d'infection et de décès, mais n'est visiblement pas le bienvenu en Europe. En effet, pendant que la France, l'Italie et l'Espagne totalisent plus de 92 000 morts, l'ensemble du continent a perdu environ 9 000 personnes, depuis le début de la pandémie et le taux de guérison est des plus élevés. Vu sous ce rapport, l'Afrique ne devrait-elle pas appliquer également le principe de la réciprocité ?
Pour l’instant pas, si on en croit le Directeur des Sénégalais de l'extérieur qui tempère : "malgré la fermeture des frontières, le Sénégal continuait à bénéficier d'autorisations pour les vols spéciaux. Donc, je pense qu'il n'y a pas vraiment de problème à ce niveau. Le Président vient d'annoncer la réouverture de nos frontières le 15 juillet. Et j'ai reçu récemment une autorisation du gouvernement italien pour des compatriotes qui sont encore bloqués au Sénégal. Il en est de même pour le gouvernement espagnol. Donc, je précise que la fermeture concerne les vols commerciaux. Néanmoins, il y a des vols spéciaux qui sont organisés et dont les autorisations sont souvent délivrées".
Toutefois, les frontières européennes restent fermées aux Américains, aux Turcs et aux Russes ainsi qu'à l'Arabie saoudite, en raison d'une situation épidémiologique jugée plus grave qu'en Europe. La Chine, par contre, ne sera acceptée sur le sol européen que lorsqu'elle va appliquer le principe de la réciprocité.
par Achille Mbembe
QUE FAIRE DES STATUES ET MONUMENTS COLONIAUX ?
Il y a quelque chose de profondément offensant à voir ces masques d’un potentat racial (le potentat colonial) trôner au centre de nos villes africaines, parfois même sur la Place de l’Indépendance, si longtemps après notre prétendue émancipation
Le texte ci-dessous a été préalablement publié en 2006 dans le quotidien camerounais, Le Messager.
Les mêmes toujours les mêmes qui refusent d’entendre diront qu’il y a des choses plus urgentes à faire que de se préoccuper, maintenant, des reliques, effigies et autres monuments laissés par la colonisation. Les mêmes feront valoir que le passé est passé et qu’il faut le restituer au passé. Ils affirmeront qu’au lieu de s’en prendre aux statues érigées par l’État colonial, les Africains feraient mieux de s’attaquer aux » vraies » questions, celles que leur impose le présent la production agricole, la bonne gouvernance, les finances, les nouvelles technologies, ou encore la santé, la nutrition et l’éducation, bref ce que, depuis près d’un demi-siècle, les Nègres s’échinent, souvent sans réfléchir, à épeler : le » dé-ve-lo-ppe-ment « . D’autres encore iront plus loin. Ils diront que si et seulement si les indigènes s’étaient montrés capables de préserver le peu que la colonisation leur a laissé, ils se porteraient sans doute mieux aujourd’hui. Or, à peine leurs anciens maîtres partis, ils se sont attelés à détruire l’héritage que ces derniers leur ont si gracieusement légué.
Zélotes de l’amnésie
De tels raisonnements auxquels d’ailleurs de nombreux Africains souscrivent – ont toutes les apparences du bon sens. Ils reposent pourtant sur de fallacieux présupposés.
Et d’abord, ceux qui préconisent l’amnésie sont incapables de nommer la sorte d’oubli qu’ils nous recommandent. S’agit-il d’un oubli sélectif ou s’agit-il vraiment de tout oublier du passé tout le passé ? À quelle autre communauté humaine cela a-t-il jamais été prescrit ? Supposons, un instant, que cela soit possible : comment, dans de telles conditions d’amnésie radicale, pourrons-nous répondre de notre nom, c’est-à-dire assumer, en toute connaissance de cause, notre part de responsabilité et d’implication dans ce qu’a été notre histoire ? Par quels signes reconnaîtrons-nous ce que notre présent est capable de signifier ? Car, même s’il est vrai qu’une distance relative par rapport au passé est absolument nécessaire pour » faire la paix avec le passé » et ouvrir le futur, le passé n’appartient jamais qu’au seul passé.
C’est l’une des raisons pour lesquelles la plupart des sociétés humaines portent un tel souci pour leur histoire et mettent tant de soin à s’en souvenir à travers des commémorations et, davantage encore, par la mise en place de maintes institutions chargées d’activer la créativité culturelle et de gérer le patrimoine national (musées, archives, bibliothèques, académies). Au demeurant, il n’existe de communauté proprement humaine que là où la relation au passé a fait l’objet d’un travail conscient et réfléchi de symbolisation. Plutôt que d’oublier tout le passé, c’est ce travail (critique) de symbolisation du passé (et donc de soi-même) que les Africains sont invités à effectuer.
Deuxièmement, les zélotes de l’amnésie se méprennent sur les multiples significations des statues et monuments coloniaux qui occupent encore les devants des places publiques africaines longtemps après la proclamation des indépendances. L’on sait que pour être durable, toute domination doit s’inscrire non seulement sur les corps de ses sujets, mais aussi laisser des marques sur l’espace qu’ils habitent et des traces indélébiles dans leur imaginaire. Elle doit envelopper l’assujetti et le maintenir dans un état plus ou moins permanent de transe, d’intoxication et de convulsion – incapable de réfléchir pour soi, en toute clarté.
C’est seulement ainsi qu’elle peut l’amener à penser, à agir et à se conduire comme s’il était irrévocablement pris dans les rets d’un insondable sortilège. La sujétion doit également être inscrite dans la routine de la vie de tous les jours et dans les structures de l’inconscient. Le potentat doit habiter le sujet de manière telle que ce dernier ne puisse désormais exercer sa faculté de voir, d’entendre, de sentir, de toucher, de bouger, de parler, de se déplacer, d’imaginer, voire ne puisse plus travailler et rêver qu’en référence au signifiant-maître qui, désormais, le surplombe et l’oblige à bégayer et à tituber.
Le potentat colonial ne dérogea guère à cette règle. À toutes les étapes de sa vie de tous les jours, le colonisé fut astreint à une série de rituels de la soumission les uns toujours plus prosaïques que les autres. Il pouvait, par exemple, lui être demandé de tressaillir, de crier et de trembler, de se prosterner en frémissant dans la poussière, d’aller de lieu en lieu, chantant, dansant et vivant sa domination comme une providentielle nécessité. La conscience négative (cette conscience de n’être rien sans son maître, de tout devoir à son maître pris, à l’occasion, pour un parent) cette conscience devait pouvoir gouverner tous les moments de sa vie et vider celle-ci de toute manifestation de la libre volonté.
L’on comprend que dans ce contexte, les statues et monuments coloniaux n’étaient pas d’abord des artefacts esthétiques destinés à l’embellissement des villes ou du cadre de vie en général. Il s’agissait, de bout en bout, de manifestations de l’arbitraire absolu. Puissances de travestissement, ils étaient l’extension sculpturale d’une forme de terreur raciale. En même temps, ils étaient l’expression spectaculaire du pouvoir de destruction et d’escamotage qui, du début jusqu’à la fin, anima le projet colonial.
Mais surtout il n’y a pas de domination sans une manière de culte des esprits dans ce cas l’esprit-chien, l’esprit-porc, l’esprit-canaille si caractéristique de tout impérialisme, hier comme aujourd’hui. À son tour, le culte des esprits nécessite, de bout en bout, une manière d’évocation des morts une nécromancie et une géomancie. De ce point de vue, les statues et monuments coloniaux appartiennent bel et bien à ce double univers de la nécromancie et de la géomancie. Ils constituent, à proprement parler, des emphases caricaturales de cet esprit-chien, de cet esprit-porc, de cet esprit-canaille qui anima le racisme colonial et le pouvoir du même nom comme, du reste, tout ce qui vient après : la postcolonie. Ils constituent l’ombre ou le graphe qui découpe son profil dans un espace (l’espace africain) que l’on ne se priva jamais de violer et de mépriser.
Car, à voir ces visages de » la mort sans résurrection « , il est facile de comprendre ce que fut le pouvoir colonial – un pouvoir typiquement funéraire tant il avait tendance à réifier la mort des Africains et à dénier à leur vie toute espèce de valeur. La plupart de ces statues représentent en effet d’anciens morts des guerres de conquête, d’occupation et de » pacification » des morts funestes, élevés par de vaines croyances païennes au rang de divinités tutélaires. La présence de ces morts funestes dans notre espace public a pour but de faire en sorte que le principe du meurtre et de cruauté qu’ils ont personnifié continue de hanter notre mémoire, de saturer notre imaginaire et nos espaces de vie, provoquant ainsi en nous une étrange éclipse de la conscience et nous empêchant, ipso facto, de penser en toute clarté.
Le rôle des statues et monuments coloniaux est donc de faire resurgir sur la scène du présent des morts qui, de leur vivant, ont tourmenté, souvent par le glaive, l’existence des Africains. Ces statues fonctionnent à la manière de rites d’évocation de défunts aux yeux desquels notre humanité compta pour rien – raison pour laquelle ils n’avaient aucun scrupule à verser, pour un rien, notre sang, comme du reste on le voit aujourd’hui encore, de la Palestine à l’Iraq en passant par la Tchétchénie et d’autres culs-de-sac de notre planète.
C’est la raison pour laquelle il y a quelque chose de profondément offensant à voir ces masques d’un potentat racial (le potentat colonial) trôner au centre de nos villes africaines, parfois même sur la Place de l’Indépendance, si longtemps après notre prétendue émancipation, alors même que du fait de notre complicité, les vaincus de notre propre histoire n’ont bénéficié d’aucune sépulture digne de ce nom, encore moins d’un ensevelissement à hauteur de notre prétention à être-homme.
À cause de ces masques de terreur maquillés en visages humains, nous continuons donc de vivre, ici même, chez nous, à l’ombre du racisme colonial dont on sait que l’idée première faisait de nos pays des contrées peuplées par une » sous-humanité « . Ces statues célèbrent, chaque matin de notre vie, le fait que dans la logique coloniale, faire la guerre aux » races inférieures » était nécessaire à l’avancée de la » civilisation « . Qu’autant de ces monuments soient consacrés à la gloire des soldats et des militaires indique à quel niveau de profondeur gît désormais, dans notre inconscient collectif, l’accoutumance au massacre. Tout y est donc, dans ces monuments de notre défaite : la célébration d’un nationalisme étranger guerrier et conquérant ; celle des valeurs conservatrices héritées des contre-Lumières et qui trouvent un terrain d’expérimentation privilégié dans les colonies ; celle des idéologies inégalitaires nées avec le darwinisme social ; celle de la mort réifiée qui accompagna l’ensemble ; et, aujourd’hui, l’abjection qui, partout nous poursuit, sans repos ni pitié, à l’étranger comme ici même, chez nous.
La réalité est que rien n’a été simple ni univoque dans l’attitude des nationalismes africains postcoloniaux à l’égard des reliques du colonialisme. Trois types de réponses ont vu le jour. Et d’abord, dans la foulée des conflits liés à la décolonisation ou encore à la faveur des bouleversements politiques dont ils ont fait l’expérience dans les années soixante-dix et quatre-vingt notamment, un certain nombre de pays ont cherché à se libérer des symboles de la domination européenne et à imaginer d’autres modes d’organisation de leur espace public. Pour bien marquer leur nouveau statut au sein de l’humanité, ils ont commencé par l’abandon des noms mêmes qui leur furent affublés au moment de la conquête et de l’occupation.
L’affaire du "nom propre "
L’idée était qu’en commençant par le nom, ils redevenaient non seulement propriétaires d’eux-mêmes, mais aussi propriétaires d’un monde dont ils avaient été expropriés. Au passage, ils renouaient les lignes de continuité avec une histoire longue que la parenthèse coloniale avait interrompue. En octroyant à l’ancienne entité coloniale de la Gold Coast le nouveau prénom de Ghana (ancien empire ouest-africain) ou encore en passant de la Rhodésie au Zimbabwe, voire de la Haute Volta au Burkina Faso, le nationalisme africain cherche, avant tout, à reconquérir des droits sur soi-même et sur le monde et, au passage, à précipiter l’avènement du "dieu" caché en nous.
Mais l’on sait également que ce souci du "nom propre" n’est pas allé sans ambiguïté. Pour des raisons plus ou moins apparentes, le Dahomey (nom d’un ancien royaume esclavagiste de la côte ouest-africaine), par exemple, est devenu le Bénin. D’autres pays ont cherché à redessiner leurs paysages urbains en rebaptisant certaines de leurs villes. Salisbury est devenu Harare au Zimbabwe. Maputo s’est substitué à Lourenço Marques au Mozambique. Léopoldville est devenu Kinshasa. De Fort Lamy, l’on est passé à Ndjamena, tandis que Fort Fourreau est devenu Kousseri, et ainsi de suite.
De manière générale cependant, l’on a conservé les grands repères architecturaux de la période coloniale. Ainsi, l’on peut se promener aujourd’hui sur l’avenue Lumumba à Maputo tout en admirant, dans le même geste, les bâtiments en bordure de l’avenue et qui constituent la parfaite expression de l’Art Déco transplanté dans leur colonie par le Portugal. La cathédrale catholique est, quant à elle, l’indice même d’une acculturation religieuse qui n’a guère empêché l’émergence d’un syncrétisme culturel des plus marqués. Ainsi, à Maputo par exemple, Karl Marx, Mao Tse Tung, Lénine cohabitent avec Nyerere, Nkrumah, et d’autres prophètes de la libération noire. Si la révocation des signes coloniaux a bel et bien eu lieu, celle-ci a donc toujours été sélective.
Mais c’est dans l’ex-Congo Belge que l’enchâssement des formes coloniales et nationalistes a atteint le plus haut degré d’ambiguïté. Ici, le » nativisme » s’est substitué à la logique raciste tout en récupérant, au passage, les idiomes principaux du discours colonial et en les ordonnant à la même économie symbolique : celle de l’adoration mortifère du potentat mais cette fois, du potentat postcolonial. D’abord, sous prétexte d’authenticité, le pays a été affublé d’un nouveau nom, le Zaïre. Paradoxalement, les origines de ce nom sont à chercher, non dans quelque tradition ancestrale, mais de la présence portugaise dans la région.
Ensuite, pour pénétrer l’univers onirique de ses sujets afin de mieux les tourmenter, le potentat postcolonial a décidé qu’il devait, tout comme le Bula Matari (l’État colonial) qui l’avait précédé, être pétri et sculpté. Le culte laïc voué à l’autocrate n’a pas seulement pris la forme d’énormes statues, puissances grotesques dans un métal de cruauté. Il s’est aussi traduit par la mise en place de toute une économie émotionnelle, mélange de séduction et de terreur, modulant à volonté le viril et l’amorphe, le vrai et le faux, utilisant l’il et l’oreille à la manière d’orifices dont la fonction est d’ouvrir, de manière viscérale, le corps tout entier au discours d’un » pouvoir africain » lui aussi habité, comme le pouvoir colonial, par l’esprit-chien, l’esprit-porc et l’esprit-canaille.
Une autre configuration, mélange de créativité et d’inertie, est l’Afrique du Sud, pays sans doute le plus urbanisé du continent, et où a sévi, jusque très récemment, le dernier racisme d’État au monde, après la Seconde Guerre mondiale. Depuis la fin de la suprématie blanche en 1994, les noms officiels des rivières, des montagnes, des vallées, des bourgades et des grandes métropoles ont peu changé. Il en est de même des places publiques, des boulevards et des avenues. Aujourd’hui encore, l’on peut rejoindre son lieu de travail en remontant l’avenue Verwoerd (l’architecte de l’apartheid) pour rejoindre son bureau, aller dîner dans un restaurant situé le long du boulevard John Vorster, rouler le long de l’avenue Louis Botha, se rendre à la messe dans une église située à l’angle de deux rues portant, chacune, le nom de quelque lugubre personnage des années de fer du régime raciste. Montés sur de grands chevaux, l’armée sinistre et rougeoyante des Kruger, Cecil Rhodes, Lord Kitchener, Malan et autres dispose toujours de statues sur les grandes places des grandes villes. Des universités, voire de petites bourgades portent leurs noms. Sur l’une des collines de Pretoria, capitale du pays, trône toujours le Vortrekker Monument, sorte de cénotaphe aussi baroque que grandiose érigé à la gloire du tribalisme Boer et célébrant le mariage de la Bible et du racisme.
De fait, il n’y a pas un seul petit aventurier blanc, creuseur d’or ou de diamants, pirate, tortionnaire, chasseur, ex-préposé à l’administration bantoue, ex-régisseur de prison, qui ne dispose d’une ruelle en son nom dans l’une ou l’autre des nombreuses bourgades du pays. Tous ces esprits vraiment infâmes et fangeux, habitués de leur vivant à toujours pencher vers ce qui est bas et abject (le racisme), aujourd’hui traînent dans tout le pays et jonchent sa surface, tel des âmes errantes et des ombres décevantes que l’histoire a pourtant rejeté. Ils ont tous laissé des traces ici, tantôt sur les corps des Africains qu’ils ont visités de brûlures et de flagellations (un oeil arraché par-ci, une jambe cassée par-là, au gré des mutilations, des répressions, des incarcérations, des tortures et des massacres), tantôt dans la mémoire des veuves et des orphelins qui ont survécu à tant de violence et de brutalité.
La toponymie est telle qu’à se fier aux noms des villes et de nombreuses bourgades, l’on se croirait non en terre africaine, mais dans quelque contrée obscure de la Hollande, de l’Angleterre, du Pays de galles, de l’Écosse, de l’Irlande ou de l’Allemagne. Une partie des motifs architecturaux post-apartheid prolonge cette logique du dépaysement, comme l’indique bien la course à des modèles pseudo-toscans. Pis, de nombreux autres noms constituent, littéralement, autant d’insultes contre les habitants originaires du pays (Boesman-ceci, Hottentot-cela, et plus loin, Kaffir-et-consorts). La longue humiliation des Noirs et leur invisibilité sont encore écrites en lettres d’or sur toute la surface du territoire, voire dans certains musées.
Paradoxalement, le maintien de ces vieux repères coloniaux ne signifie pas absence de transformation du paysage symbolique sud-africain. En fait, ce maintien est allé de pair avec l’une des expériences contemporaines les plus frappantes de travail sur la mémoire et la réconciliation. De tous les pays africains, l’Afrique du Sud est en effet celui où la réflexion la plus systématique sur les rapports entre mémoire et oubli ; vérité, réconciliation avec le passé et réparation a été la plus poussée. L’idée, ici, est non pas de détruire nécessairement les monuments dont la fonction, autrefois, était de diminuer l’humanité des autres, mais d’assumer le passé comme une base pour créer un futur nouveau et différent.
Ceci suppose que les bourreaux qui, dans le passé, furent aveugles à la terrible souffrance qu’ils infligèrent à leurs victimes s’engagent aujourd’hui à dire la vérité au sujet de ce qui s’est passé – et donc à renoncer explicitement à la dissimulation, au refoulement ou au déni en contrepartie du pardon. D’autre part, ceci suppose de la part des » victimes » l’acceptation du fait que la réaffirmation de la puissance de la vie dans la culture et dans la pratique des institutions et du pouvoir est la meilleure manière de célébrer la victoire sur un passé d’injustice et de cruauté.
Tel est, au demeurant, le sens des processus de mémorialisation en cours. Ceux-ci se traduisent par l’ensevelissement approprié des ossements de ceux qui ont péri en luttant ; l’érection de stèles funéraires sur les lieux mêmes où ils sont tombés ; la consécration de rituels religieux trado-chrétiens destinés à » guérir » les survivants de la colère et du désir de vengeance ; la création de très nombreux musées (le Musée de l’Apartheid, le Hector Peterson Museum) et de parcs destinés à célébrer une commune humanité (Freedom Park) ; la floraison des arts (musique, fiction, biographies, poésie) ; la promotion de nouvelles formes architecturales (Constitution Hill) et, surtout, les efforts de traduction de l’une des constitutions les plus libérales au monde en acte de vie, dans le quotidien.
L’on aurait pu ajouter, aux figures qui précèdent, celle du Cameroun. Pris dans une commotion orgiaque depuis plus d’un quart de siècle, ce pays représente, pour sa part, l’anti-modèle de la relation d’une communauté avec ses trépassés et notamment ceux dont la mort est la conséquence directe des actes par lesquels ils s’efforçaient de changer l’histoire. Tel est, par exemple, le cas de Ruben Um Nyobè, Félix Moumié, Ernest Ouandié, Abel Kingue, Osende Afana et plusieurs autres. C’est que, ici, la conscience du temps est le dernier souci de l’État, voire de la société elle-même. Pressés par les impératifs de survie et minés par la corruption et la vénalité, beaucoup, ici, ne voient pas que cette conscience du temps et de l’histoire constitue une caractéristique fondamentale de notre être-humain. Ils ne voient pas qu’un pays qui » s’en fout » de ses morts ne peut pas nourrir une politique de la vie. Il ne peut promouvoir qu’une vie mutilée une vie en sursis.
Penser et lutter
La mémoire de la colonisation n’a pas toujours été une mémoire heureuse. Mais, contrairement à une tradition très ancrée dans la conscience africaine de la victimisation, de l’uvre coloniale il n’y eut pas que destruction. La colonisation elle-même fut loin d’être une machine infernale. De toute évidence, elle fut partout travaillée par des lignes de fuite. Le régime colonial consacra la plupart de ses énergies tantôt à vouloir contrôler ces fuites, tantôt à les utiliser comme une dimension constitutive, voire décisive, de son autorégulation. On ne comprend rien à la manière dont le système colonial fut mis en place, comment il se désarticula, comment il fut partiellement détruit ou se métamorphosa en autre chose si l’on ne saisit point ces fuites comme la forme même que prit le conflit. C’est ce que comprirent, à leur époque, ceux que le potentat postcolonial a relégués au statut de » rebelles « , » morts en surplus de l’histoire » (Um Nyobè, Lumumba et bien d’autres) et privés, à ce titre, de sépulture digne de ce nom.
La question, aujourd’hui, est de savoir préciser les lieux depuis lesquels il est encore possible de penser et de lutter. Comme on le voit en Afrique du Sud, ceci commence par une méditation sur la manière de transformer en présence intérieure l’absence physique de ceux qui ont été perdus, rendus à la poussière par le soleil du langage. Il nous faut donc méditer sur cette absence et donner, ce faisant, toute sa force au thème du sépulcre, c’est-à-dire du supplément de vie nécessaire au relèvement des morts, au sein d’une culture neuve qui ne doit plus jamais oublier les vaincus.
À cause de notre situation actuelle, une très grande partie de cette lutte porte, de nécessité, sur la critique de l’ordre général des significations dominantes dans nos sociétés. Car, face au désoeuvrement, il est facile de disqualifier ceux qui s’acharnent à penser de manière critique les conditions de réalisation de l’existence africaine, sous le prétexte qu’il faut en priorité nourrir les affamés et soigner les malades. L’accouchement d’une nouvelle conscience dépendra en effet de notre capacité à produire chaque fois de nouvelles significations. Il faut donc reprendre, comme tâche centrale d’une pensée toujours ouverte sur l’avenir, la question des valeurs non mesurables, de la valeur absolue celle qui ne peut jamais être réduite à l’équivalent général qu’est l’argent ou la force pure.
Car ce que, paradoxalement, nous enseignent la colonisation et ses reliques, c’est que l’humanité de l’homme n’est pas donnée. Elle se crée. Et il ne faut rien céder sur la dénonciation de la domination et de l’injustice, surtout lorsque celle-ci est désormais perpétrée par soi-même à l’ère du fratricide, c’est-à-dire cette époque où le potentat postcolonial n’a rien à proposer d’autre que l’évidence nue d’une existence dénudée. L’enjeu symbolique et politique de la présence des statues et monuments coloniaux sur les places publiques africaines ne peut donc être sous-estimé.
Que faire, finalement ? Je propose que dans chaque pays africain, l’on procède immédiatement à une collecte aussi minutieuse que possible des statues et monuments coloniaux. Qu’on les rassemble tous dans un parc unique, qui servira en même temps de musée pour les générations à venir. Ce parc-musée panafricain servira de sépulture symbolique au colonialisme sur ce continent. Une fois cet ensevelissement effectué, qu’il ne nous soit plus jamais permis d’utiliser la colonisation comme prétexte de nos malheurs dans le présent. Dans la foulée, que l’on se promette de ne plus jamais ériger de statues à qui que ce soit. Et qu’au contraire, fleurissent partout bibliothèques, théâtres, ateliers culturels tout ce qui nourrira, dès à présent, la créativité culturelle de demain.
LE GOUVERNEMENT FRANÇAIS VEUT INCITER LES MAIRES À DONNER AUX RUES DES NOMS DE SOLDATS AFRICAINS
Un livret rassemblant les parcours de cent combattants de la seconde guerre mondiale issus des colonies doit être remis mercredi à un groupe de parlementaires
Le Monde Afrique |
Pierre Lepidi |
Publication 30/06/2020
« La France a une part d’Afrique en elle. Notre gratitude doit être impérissable. Je lance un appel aux maires de France pour qu’ils fassent vivre par le nom de nos rues et de nos places la mémoire des combattants africains », avait annoncé Emmanuel Macron, le 15 août 2019 à Saint-Raphaël (Var), lors des commémorations du 75e anniversaire du débarquement de Provence.
Trois jours après le second tour des élections municipales, Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’Etat auprès de la ministre des armées, doit remettre à un groupe de parlementaires, mercredi 1er juillet, un livret intitulé Aux combattants d’Afrique, la patrie reconnaissante. Cet ouvrage de 210 pages publié par le ministère des armées, que Le Monde Afrique s’est procuré, a pour but d’inciter les maires à rebaptiser des rues, des places ou des jardins publics du nom de combattants africains morts pour la France au cours de la seconde guerre mondiale.
« En mélangeant leur sang à notre terre, ils ont payé un lourd tribut au combat contre le nazisme », écrit dans la préface Mme Darrieussecq, qui remettra elle-même l’ouvrage, lors d’une cérémonie prévue à midi à l’hôtel de Brienne, aux députés de la commission défense nationale et aux sénateurs du groupe d’études anciens combattants : « Morts pour la France, morts pour notre idéal, ces combattants méritent la reconnaissance pleine et entière de la Nation. »
Publié dans le cadre d’une convention avec l’Association des maires de France, le livret rappelle que, dès août 1940, l’Afrique a envoyé des premiers contingents de soldats à la France libre du Général de Gaulle. En Afrique subsaharienne, plus de 70 000 hommes se sont engagés. Près de 400 000 autres venaient d’Algérie, de Tunisie et du Maroc. Qu’ils soient tirailleurs, goumiers, zouaves ou spahis, les Africains ont représenté plus de 80 % des effectifs qui ont débarqué en Europe. « Et pourtant, qui d’entre nous se souvient aujourd’hui de leurs noms, de leurs visages ? », s’interrogeait Emmanuel Macron à Saint-Raphaël.
Un destin souvent tragique
Les parcours militaires de 100 combattants africains morts pour la France sont retracés dans le livret. Ils ont été rédigés conjointement par l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG) et le Service historique de la défense (SHD). Julien Fargettas, historien et auteur de plusieurs ouvrages sur les tirailleurs, a également contribué à la rédaction de ces fiches biographiques qui permettent de montrer que derrière chaque nom, il y a un homme avec une histoire et un destin souvent tragique.
Le Sénégal se singularise par son hospitalité légendaire et la cohabitation harmonieuse des différentes obédiences religieuses. Cette exception est gravement menacée, actuellement, par l’enracinement de nouvelles mœurs qui sapent cette unité
Le Sénégal se singularise par son hospitalité légendaire et la cohabitation harmonieuse des différentes obédiences religieuses. Cette exception est gravement menacée, actuellement, par l’enracinement de nouvelles mœurs qui sapent cette unité. Les causes en sont multiples et les motivations insidieuses.
Dans sa livraison de ce week-end, le quotidien ‘’Vox Popilu’’ a rapporté des menaces de la famille omarienne contre une Sénégalaise établie à l’étranger. Cette dernière, d’après les descendants de Cheikh Oumar Foutiyou Tall, n’a trouvé mieux que d’insulter leur guide religieux, à travers les réseaux sociaux. Pire, rapportent les confrères, la dame en question appartient à un groupe d’expatriés qui n’épargnent aucune figure religieuse dans leurs posts. ‘’Ils semblent avoir une autre idée de la religion et de l’organisation de notre pays’’, s’indigne-t-on.
Dernièrement, on a assisté au refus de l’inhumation d’un salafiste ou ‘’ibadou’’ dans le cimetière du village de Keur Niang, à Touba. Les raisons évoquées en cette circonstance sont, entre autres, la non-appartenance du défunt à la communauté mouride, même s’il est musulman.
Ces exemples traduisent-elles une intolérance ou une nouvelle conception de la religion basée sur des principes identitaires ? Emmanuel Kant disait que ‘’la religion sans la conscience morale n’est qu’un culte superstitieux’’.
L’urgence d’éduquer les disciples
Pour le socio-anthropologue des religions, Pape Serigne Sylla, ces agissements ‘’sont symptomatiques d’une agonie de l’altérité confessionnelle dans notre pays qui tient de différents facteurs. D’un côté, la déification des figures symboliques traditionnelles (fondateurs des confréries) a provoqué chez les disciples, de part et d’autre, une attitude exclusiviste et un sentiment de supériorité. D’un autre côté, la démystification croissante des dépositaires actuels de l’autorité (khalifes généraux) a favorisé les dissidences comportementales chez certains disciples qui n’hésitent plus, à titre d’exemple, à ne pas souscrire au ‘ndigël’’’.
A cette analyse, M. Sylla rajoute l’existence d’un phénomène plus récent, qui est celui, dit-il, de la confrontation grandissante qui s’est opérée dans l’espace religieux sénégalais, entre les adeptes des rigueurs scripturaires de la ‘’Loi’’, communément appelés ‘’ibadou’’, et les partisans des subtilités spirituelles de la ‘’Voie’’, à travers les ordres soufis.
‘’Ceci constitue une véritable menace pour l’équilibre social et l’harmonisation des croyances. Nous avons ici une nouvelle tendance d’un islam de culte, sans culture, qui interpelle sur l’urgence d’éduquer les disciples à davantage de tolérance et d’ouverture. Il est certainement urgent de sortir des clôtures dogmatiques qui contreviennent à la possibilité de vivre ensemble et de bâtir une identité religieuse fidèle aux traditions fédératrices de l’islam dans notre pays’’, indique le socio-anthropologue des religions.
Cependant, la situation va au-delà de ces exemples. Le problème est même plus profond. En effet, au-delà du virtuel, il peut squatter l’espace public. Les adeptes des émissions nocturnes diffusées ces dernières années durant le mois de ramadan, ont quelquefois apprécié ou fustigé les positions radicales prises, dans certaines chaines télévisées, en faveur d’une communauté ou d’un guide religieux. La suite de ces séquences ‘’déplorables’’ s’est jouée, le plus souvent, sur les réseaux sociaux où les commentaires désobligeants se sont multipliés.
En octobre 2019 déjà, le Cadre unitaire de l’islam au Sénégal alertait sur les menaces qui pèsent sur le modèle du vivre ensemble sénégalais. ‘’Le vivre ensemble sénégalais a une réputation mondiale de solidité et de résilience. Cependant, les escarmouches et autres manifestations de la crise du vivre ensemble se multiplient entre soufis et non soufis, entre musulmans et chrétiens, à l'intérieur même des confréries soufies, parfois de même obédience’’, constatait le président du Cadre unitaire de l'islam, Cheikh Ahmet Tidiane Sy, dans une publication du site rfi.fr.
Ce qui fait dire au socio-anthropologue des religions, Pape Serigne Sylla, que les formes modernes d’expression de la religiosité au Sénégal se manifestent aujourd’hui par une adhésion de masse qui ne repose guère sur des rites d’initiation. Cela a pour conséquence, dit-il, la ‘’folklorisation’’ des pratiques cultuelles et le recours à la confrérie comme une construction idéologique. ‘’L’expression de la religion dans notre pays est devenue éminemment politique, ces dernières années. Sa dimension ésotérique est atrophiée au profit de polémiques, querelles identitaires et allusions calomnieuses. Derrière la posture affichée de solidarité et d’apaisement chez quelques marabouts, se cache une hostilité grandissante et sans concession entre les disciples’’, relève M. Sylla.
Les médias n’ont pas le droit de créer des tensions
Cependant, l’on est tenté d’interroger le rôle des médias dans ces dérives susceptibles de créer des tensions et remettre en cause la stabilité nationale. A ce propos, le journaliste-formateur Ibrahima Bakhoum est d’avis qu’il est difficile d’aborder l’histoire de nos figures religieuses au Sénégal. Car, dit-il, ‘’si vous mettez en exergue quelqu’un, il y a une tendance à penser que vous êtes en train d’affaiblir d’autres, alors que cela ne devrait pas se passer comme ça. Les gens ne sont pas des rivaux. Ce sont des personnalités sénégalaises. Chacune a son histoire et tout est lié à la religion’’.
Seulement, précise le professionnel des médias, les problèmes surviennent lorsqu’on essaye de comparer deux figures religieuses. Ce qui entraine, le plus souvent, avertit-il, des soulèvements.
‘’En invitant les gens dans une émission, on doit leur préciser que c’est pour faire de l’histoire à l’endroit de tous les Sénégalais. Les médias n’ont pas le droit de créer des tensions. La mission d’une télévision ou d’une radio n’est pas d’opposer des confréries ou des gens qui sont sur le même espace religieux. Ils doivent travailler à l’équilibre de la société, à la pacification de l’espace politique’’, poursuit le Pr. Bakhoum. Ce dernier estime, par conséquent, qu’il revient à l’animateur d’ériger des garde-fous, afin d’éviter les dérives.
Le socio-anthropologue des religions, Pape Serigne Sylla, lui, est d’avis que le phénomène de compétition observé entre différentes obédiences néo-confrériques, durant le mois de ramadan, ne relève pas d’une simple contingence télévisuelle. Bien au contraire, explique le spécialiste, ‘’il s’agit d’une expression médiatique de la mort imminente de l’altérité confessionnelle au Sénégal. Si l’on considère ces groupes, dans un cadre d’analyse interactionniste propre au sociologue Erving Goffman, ces dernières années laissent apparaitre et s’accroitre une concurrence de valeur sociale positive dans laquelle aucune confrérie ne veut perdre la face’’.
Ibrahima Bakhoum pense, d’ailleurs, qu’il ne s’agit pas toujours de débordements, mais plutôt de faits racontés et qui n’arrangent pas toujours toute l’opinion. ‘’Quand quelqu’un raconte une histoire avec précision, est-ce que nous préférons, au nom de la coexistence, passer outre ces faits ? Si on les ignore, on ne fait plus de l’histoire. Si nous ne parlons pas de notre histoire, nous allons continuer de parler de De Gaulle, de Charlemagne… C’est notre histoire qui est compliquée et parler de nous renvoie à des oppositions parmi nous, alors que les figures qu’on évoque dans les débats ne se sont jamais fait la guerre’’, se désole le journaliste-formateur.
Réseaux sociaux, les dynamiteurs
Dans cette guerre des mots, les réseaux sociaux jouent un rôle central. En plus de contribuer à l’amplification des messages diffusés, c’est le lieu des invectives et autres polémiques. Le relatif anonymat y libère la parole. C’est ainsi que des organisations islamiques et des familles religieuses sont montées au créneau, en 2019, pour fustiger les injures et autres messages outrageants véhiculés à travers ces plateformes numériques.
La convergence Taxawu Ndonoy Makni a ainsi choisi de se dresser ‘’contre le fléau anti-islam (…) qui se dessine, non plus sous les formes hideuses d’exactions à l’actif de l’extrême droite occidentale islamophobe, mais surgissant des rangs même de la Oumah islamique, d’où émergent depuis quelque temps d’obscures individualités qui semblent s’être fixé pour seul et unique objectif de détruire le dernier bastion censé préserver notre cher pays contre l’intolérance religieuse et l’extrémisme violent…’’. L’organisation, mise sur pied par Mame Makhtar Guèye et Cie dénonce un nouveau challenge consistant à collecter un maximum de followers censés être convertibles en ‘’espèces sonnantes et trébuchantes’’, au détriment de la stabilité sociale du pays.
‘’Il ne se passe pas rarement un mois, voire une semaine sans que nos honorables personnalités religieuses, toutes confréries confondues, ne fassent l’objet d’inadmissibles irrévérences publiques, risquant de mettre en péril notre légendaire bonne convivialité inter-confrérique’’, s’indignaient les membres de la convergence.
Le consultant-formateur spécialisé en nouveaux médias précise toutefois que les réseaux sociaux ne créent ni une façon de voir les choses, encore moins un nouveau mode de vie, mais amplifie le fonctionnement de la société. ‘’Ils permettent de donner une visibilité exponentielle à un message ou un débat dans une communauté. Sur Internet, la parole est libérée, contrairement à ce qui se passe avec les médias classiques où seuls les professionnels peuvent s’y exprimer. Avec les réseaux sociaux, n’importe qui a la possibilité de prendre une position et de faire en sorte qu’elle soit diffusée massivement’’, explique Mountaga Cissé.
Par rapport aux dérives notées dans ces réseaux, le formateur reconnait qu’il y a des efforts à faire dans la régulation. ‘’Sur les réseaux sociaux, il existe une régulation ou modération à postériori. Des insultes peuvent être signalées à Facebook afin qu’on les retire, mais cela risque de prendre du temps. Les promoteurs de Facebook ne sont pas des Sénégalais, donc nous n’avons pas la même réalité’’, fait savoir M. Cissé.
‘’Leur seul objectif est de créer des divergences entre ‘tarikha’…’’
D’après son constat, le terme ‘’liberté d’expression’’ peut parfois déboucher sur des dérives. Mountaga Cissé en veut pour preuve les insultes proférées à l’encontre de certaines institutions ou personnalités religieuses. ‘’Il y a des gens tapis dans l’ombre qui se réclament mourides, alors qu’ils ne le sont pas et qui insultent les tidianes. Et vice-versa. Leur seul objectif est de créer des divergences entre ‘tarikha’ ou religions…‘’, relève-t-il.
Monsieur Cissé regrette cependant qu’il soit difficile de réguler les réseaux sociaux, au regard du nombre important d’utilisateurs. ‘’Sur les réseaux sociaux, il m’arrive de dire aux gens : si vous voyez ces types de contenu, il faut les signaler, même si c’est en langue wolof. Il suffit d’avoir un certain nombre de signalements sur un contenu pour que celui-ci soit bloqué ou l’utilisateur lui-même pour quelques jours ou définitivement’’, indique le consultant-formateur. Avant de souligner qu’il faut mettre l’accent sur l’éducation et la sensibilisation, afin de venir à bout de cette situation. ‘’Les organisations de la société civile doivent faire en sorte que le message positif soit diffusé. Mais, malheureusement, sur les nouveaux médias ou Internet, une fausse information peut être très virale et distribuée massivement, alors qu’une information d’intérêt général a du mal à faire le tour du monde. C’est la personnalité humaine qui est comme ça, qui cherche tout ce qui est scandale, tout ce qui est buzz, insulte, dénigrement’’, regrette-t-il.
Monsieur Cissé pense ainsi que les spécialistes des nouveaux médias doivent jouer un rôle dans la sensibilisation. ‘’Ils ne doivent pas seulement chercher à générer de l’audience ou un grand nombre de visiteurs, mais faire en sorte que certains contenus négatifs soient supprimés, quitte à perdre des visiteurs’’.
Un retour à l’orthodoxie
Aux yeux d’Ibrahima Bakhoum, les réseaux sociaux influent d’ailleurs dans les émissions médiatiques. En effet, fait remarquer le formateur, aussi bien l’invité que l’animateur donnent l’impression d’être orientés par rapport aux débats virtuels. ‘’Si l’invité utilise son temps d’antenne pour répondre aux gens qui ont écrit des choses sur lui, le message est faussé, car celui qui n’a pas lu les réseaux sociaux ne peut pas comprendre ce que la personne en face est en train de dire. On ne répond pas à des ombres’’, souligne le journaliste.
Un retour à l’orthodoxie pourrait peut-être faire l’affaire, dans cette nouvelle ère marquée par l’ascension du numérique et la propagation des messages radicaux à travers ces supports. Le formateur spécialisé en nouveaux médias pense, d’ailleurs, que les pouvoirs publics, comme la population, ont un rôle à jouer à travers l’éducation et la sensibilisation, afin de privilégier la diffusion des messages positifs.
Le chercheur Cheikh Guèye, Secrétaire général du Cadre unitaire de l’islam, invitait, à l’époque, à un retour vers les enseignements des différents guides religieux. ‘’Tous les enseignements de paix, de cohabitation pacifique de nos grandes figures religieuses ne sont pas enseignés dans nos écoles. Il est très important que nos élèves, nos étudiants soient imprégnés de ces enseignements qui représentent des ressorts qui leur sont proches, qui peuvent, beaucoup plus que d'autres, les convaincre que l'exceptionnalité du vivre ensemble sénégalais doit être promu et sauvegardé’’. Un discours qui mérite d’être intériorisé.
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LE G5 SAHEL ET LA FRANCE SE RÉUNISSENT EN MAURITANIE POUR LUTTER CONTRE LE JIHADISME
Les pays du G5 Sahel et la France se réunissent ce mardi à Nouakchott pour faire le point sur leur combat contre les jihadistes, six mois après avoir décidé d'intensifier l'effort commun pour reconquérir le terrain perdu dans la région.
Les pays du G5 Sahel et la France se réunissent ce mardi à Nouakchott pour faire le point sur leur combat contre les jihadistes, six mois après avoir décidé d'intensifier l'effort commun pour reconquérir le terrain perdu dans la région.
Emmanuel Macron et les chefs d'État de Mauritanie, du Mali, du Burkina Faso, du Niger et du Tchad se retrouvent, mardi 30 juin, à Nouakchott, la capitale mauritanienne, six mois après les promesses échangées à Pau. Le président français ainsi que le président du gouvernement espagnol Pedro Sanchez effectuent à cette occasion leur premier déplacement en Afrique depuis la crise du coronavirus à l'occasion de ce sommet du G5 Sahel .
Le 13 janvier dernier, le sommet de Pau avait été organisé après une série de revers des armées de la région face aux jihadistes, de la mort de 13 soldats français en opération et de remises en question de l'intervention française. Les chefs d'État du G5 Sahel et l'allié français avaient alors décidé de concentrer leur action contre l'organisation État islamique dans la "zone des trois frontières" (Mali, Burkina, Niger), sous un commandement conjoint de la force française Barkhane et de la Force antijihadiste du G5 Sahel.
DES MAGISTRATS FONT TOUT POUR QUE LE TEXTE NE SOIT PAS PUBLIÉE
Me Malick Sall. Me Aya Boun Malick Diop, secrétaire général du Sytjust, accuse des magistrats en service au ministère d’être à l’origine des blocages dans la publication des décrets signés par Macky Sall, comme l’instauration du Fonds commun des greffes
Le Syndicat des travailleurs de la justice (Sytjust) n’est pas près d’abandonner le combat qui l’oppose au ministre de la Justice, Me Malick Sall. Me Aya Boun Malick Diop, secrétaire général du Sytjust, accuse des magistrats en service au ministère d’être à l’origine des blocages dans la publication des décrets signés par le Président Macky Sall, comme l’instauration du Fonds commun des greffes.
Quel bilan tirez-vous du mouvement de grève de votre syndicat ?
Il faut remarquer que c’est un mouvement largement suivi, presque je dirai à 99%. Il y a une petite défaillance du fait qu’il y a certaines personnes qui se disent qu’elles ne se reconnaissent plus de ce syndicat, donc à part ça c’est un mouvement très suivi. Aujourd’hui, les travailleurs de la justice dans leur majorité sont déterminés plus que jamais à défendre les fruits de leur lutte qui sont devenus maintenant des réformes actées par des décrets du président de la République qui, malheureusement, ne sont pas mises en œuvre par la Chancellerie.
En réalité, c’est le ministre de la Justice qui, depuis son accession à la tête du département de la Justice, peine à mettre en œuvre ces réformes. Parce qu’en réalité, on s’est rendu compte que la mise en œuvre de ces réformes est à la périphérie de son agenda. Mais maintenant, la lutte a pris une autre dimension parce qu’on s’est rendu compte que le ministre est dans une position de combat contre les travailleurs de la justice. Parce que depuis que nous nous sommes mis à le dénoncer, il s’est mis dans une posture de pourfendre tout ce que nous avons comme acquis.
En quoi faisant ? En dressant un argumentaire qu’il a exposé au gouvernement et au président de la République pour revenir sur l’ensemble de nos acquis. Donc, c’est conscient de tous ces enjeux que les travailleurs de la justice se sont mobilisés pour préserver leurs acquis qui, en réalité, sont les acquis même du service public de la justice, parce qu’avec des travailleurs motivés, on ne peut délivrer qu’un service public de qualité.
Avez-vous tenté de rencontrer le ministre de la justice Me Malick Sall ?
Il est là depuis 14 mois. Nous l’avons rencontré à deux reprises. Le Bureau exécutif national l’a rencontré à deux reprises. Nous l’avons sensibilisé, nous l’avons observé, nous avons pris le temps de voir qu’est-ce qu’il veut exactement. Lorsqu’on s’est rendu compte qu’il n’était pas dans les dispositions de mettre en œuvre les réformes qu’il a trouvées sur place, on a déposé un préavis de grève depuis le 6 février 2019.
On a attendu jusqu’à juin. On a débuté la grève le 15 juin. Mais avant d’aller en grève le 15 juin, on a fait des sorties dans le domaine public pour critiquer sa façon de faire à partir du 2 juin, 9 juin, 22, 24 et 28 juin. Donc, il avait tout le temps pour nous faire l’économie de cette crise.
D’où viennent les ressources du fonds commun que vous réclamez ?
Le fonds commun des greffes existe depuis 1993. Il est alimenté par les frais de délivrance des actes de justice (casier, jugement, arrêt). Maintenant, il y a de nouveaux décrets qui prennent en charge de nouvelles recettes. Ce sont ces décrets-là que le ministre de la Justice refuse de faire publier. Pour ces recettes, il y a de nouvelles niches. Par exemple les amendes et les consignations, certains droits ont été un peu augmentés.
Donc depuis que ces décrets ont été signés en 2018, le ministre refuse de les publier pour la simple raison qu’il y a des personnes qui veulent créer leur propre fonds commun, c’est le fonds commun des magistrats puisque les amendes et consignations alimentaient le fonds commun des magistrats qui a été créé en 2011. Mais lorsque le Président Macky Sall est venu, il a dit qu’un magistrat ne peut pas juger et prendre l’argent des amendes et des consignations et le mettre dans sa poche.
Donc il a éliminé le fonds commun des magistrats le 30 août 2012. C’est Abdoulaye Wade qui l’avait créé le 1er décembre 2011. Les amendes et consignations qui devaient alimenter ce fonds commun des magistrats ont été versées dans le fonds commun des greffiers en 2018. C’est ce que certains magistrats du ministère de la Justice n’arrivent pas à gober. Mieux, ils proposent maintenant au ministre de la Justice de créer le fonds commun de la justice pour que les magistrats bénéficient de ces amendes et consignations. Ce qui est inadmissible. C’est pour cela qu’ils ont bloqué la publication des décrets.
Donc ce sont des collaborateurs du ministre, notamment des magistrats, qui sont à l’origine du blocage ?
Mais il est entré dans leur jeu. Ils l’ont convaincu à prendre fait et cause pour eux. Depuis que le décret est sorti, ceux qui sont au ministère de la Justice, de connivence avec ceux qui sont au secrétariat général du gouvernement qui est chargé de la publication, il y a des magistrats là-bas, ils ont fait tout pour que le texte ne soit pas publié dans l’éventualité de créer leur fonds afin de reprendre les recettes qui nous ont été allouées.
Les justiciables souffrent de cette grève. Jusqu’où le Sytjust est prêt à aller ?
Ce n’est pas la bonne question. La bonne question c’est jusqu’où le ministre de la Justice est prêt à aller. Parce que tant qu’il s’emmure dans un silence alors que c’est lui le responsable du bon fonctionnement des Cours et tribunaux, tant qu’il refuse le dialogue, nous sommes obligés de nous battre parce qu’on ne va pas accepter de travailler pour ne pas jouir de notre travail.
Dans la justice, il y a des travailleurs pauvres, c’est nous. Notre fonds commun est moribond. Nous avons des salaires indécents, nous n’avons même pas de plan de carrière.
Tant que le ministre sera dans cette posture, nous serons obligés de défendre nos intérêts matériels et moraux. C’est vrai, c’est regrettable qu’il y avait des dommages collatéraux auprès des justiciables, mais on n’y peut rien. L’unique comptable, c’est le ministre de la Justice qui essaye de nous châtier en représailles à notre témérité de l’avoir dénoncé publiquement.
LA CAN REPORTÉE À 2022
Comme pour l'Euro et les JO, le calendrier original de la CAN-2021 n'aura pas résisté à la crise sanitaire liée au Covid-19. La prochaine Coupe d'Afrique des nations, initialement programmée en janvier au Cameroun, s'y tiendra finalement un an plus tard
Il n'y aura donc pas eu de miracle. Au même titre que l'Euro, la Copa America ou encore les Jeux olympiques, la Coupe d'Afrique des nations 2021 n'aura pu échapper à un report. La décision a été prise, mardi 30 juin, par la Confédération africaine de football (CAF).
Le comité exécutif de la CAF, réuni en visioconférence en raison de la pandémie de Covid-19, était invité à se prononcer sur la reprise des compétitions africaines dans les prochaines semaines. Tournoi phare du continent, la CAN-2021 a finalement été décalée d'un an. Elle se tiendra donc en janvier 2022, toujours au Cameroun.
Qualifications toujours en cours
Une décision globalement attendue puisque les qualification de la prochaine CAN n'avaient même pas pu être menées à leur terme en raison de la crise sanitaire. L'option d'une conclusion en octobre-novembre avait un temps été évoquée.
L'Algérie, tenante du titre après son triomphe en Égypte à l'été 2019, conservera symboliquement la couronne continentale un an de plus.