René Lake analyse dans l'émission Washington Forum de VOA TV, le début du procès en destitution Trump, avec un camp démocrate qui se heurte pour l'instant, à un Sénat acquis à la cause du président américain
Au deuxième jour du procès, les procureurs démocrates ont poursuivi leur double objectif : justifier la légitimité de la mise en accusation et affaiblir préventivement la défense du président des Etats-Unis, dont les avocats doivent prendre la parole samedi.
Invité de l'émission Washington Forum sur VOA TV présentée par Abdourakhman Dia en compagnie de Julien Toureille et de Henry Francisque, l'analyste politique René Lake, lève le voile sur la stratégie déployée par chaque camp.
IDRISSA GUEYE, LE NORD MASSIF
À 30 ans, le Sénégalais n'a eu besoin que de quelques semaines pour s'imposer comme une évidence au PSG. Tuchel est sous le charme, comme tous ses homologues avant lui. Mais pourquoi Gana ne débarque-t-il au très haut niveau que maintenant ?
So Foot |
ERIC CARPENTIER ET MATHIEU ROLLINGER |
Publication 24/01/2020
À 30 ans, Idrissa Gueye n'a eu besoin que de quelques semaines pour s'imposer comme une évidence dans le milieu du PSG. Thomas Tuchel est sous le charme, comme tous ses homologues avant lui. Mais alors, pourquoi Gana ne débarque-t-il au très haut niveau que maintenant ? La réponse est à chercher dans ses débuts, quelque part entre le Sénégal et le Nord-Pas-de-Calais.
Daniel Percheron peut avoir des regrets. À la présidence du conseil régional du Nord-Pas-de-Calais pendant 14 ans, ce « grand supporter du Racing Club de Lens » est passé tout près d’offrir un diamant brut à son club de cœur. En 2003, l’association Diambars, dont le siège social français est établi à Arras, voit le jour en partie grâce à un financement régional, validé par l’ex-sénateur socialiste. Cinq ans plus tard, une première pépite sort de l’académie sénégalaise : elle s’appelle Idrissa Gueye et signe au LOSC. « Effectivement, la région Nord-Pas-de-Calais a été la première à croire en notre projet et à nous accompagner financièrement, acquiesce Jimmy Adjovi-Boco, monument Sang et Or et cofondateur du projet. Et personnellement ça ne m’aurait pas déplu qu’Idrissa signe au RC Lens. » De fait, les premiers contacts avec la région penchent vers le pays minier. Ce sont les "tournées Baobab" : chaque année depuis 2004, la délégation sénégalaise passe un mois dans le Nord, pour s’entraîner et participer à des tournois, mais aussi pour visiter les mines et les brasseries du coin. Le tout sous les attentions bienveillantes de familles locales.
Ch'ti Gana
Patrick Wastiaux faisait partie de ce comité d’accueil. « Ce sont des amis médecins, supporters du RC Lens, qui m’ont parlé de ce projet, resitue ce retraité du monde des assurances. Il se trouve que nous, on a eu Idrissa. Tout de suite, ça a bien fonctionné dans la mesure où on a un garçon qui a le même âge que lui et qui était passionné de foot. » Avec la famille Wastiaux, Gueye profite de quelques sorties à vélo, se prend de passion pour les lasagnes maison, passe des heures à jouer au ping-pong sur la pelouse et quelques nuits blanches sur la console. « Mais quand ils étaient là, ils avaient entraînement tous les jours et des matchs les week-ends, recadre Patrick. C’était assez rigoureux, ce n’était pas vraiment des vacances pour eux. » Car le but de ces voyages est surtout de pouvoir caresser un rêve : celui d’une carrière européenne.
Pour Gueye, le rêve prend forme au printemps 2008. Et alors qu’il avait été jusqu’ici choyé par des cœurs Sang et Or, ce sont les Lillois qui mettent le grappin sur le gamin de Dakar. « À chaque printemps, Diambars venait avec un groupe de 22-24 joueurs susceptibles d'être recrutés. Cette fois-ci, ils sont venus au domaine de Luchin pour faire deux test-matchs, raconte Jean-Michel Vandamme, le directeur du centre de formation. Là, il y en a un qui est fracassant, c'est Pape Souaré. Idrissa est beaucoup moins en vue, mais il ne surjoue pas et fait merveilleusement bien tout ce qu'il doit faire. Et ça, c'est un signe d'intelligence. Donc je les invite tous les deux au tournoi de Pentecôte, à Croix, où on les fait jouer avec notre équipe. » Souaré et Gueye sont intégrés avec les U18 du LOSC. Une réussite. Trois ans plus tard, Pape et Idrissa, mais aussi Omar Wade, seront champions de France. L’opération Baobab est un succès, l’institut Diambars tient son modèle.
Diambars et ça repart
Ce n’est pas un hasard si, au moment de se souvenir des débuts du projet, Jimmy Adjovi-Boco choisit avec soin ses deux premières pierres. D’abord celle posée avec les cofondateurs du projet Diambars — Patrick Vieira, Bernard Lama et Saer Secke — à Saly, à 90 bornes de Dakar et « au milieu de 15 hectares de sable » . Ensuite celle extraite la même année lors d’une détection au Terrain de la Piscine, lieu de repère pour tous les gamins à ballon de la capitale : Idrissa Gana Gueye. Membre de la promo inaugurale, composée de 32 garçons nés en 1989 et 1990, Gueye est « un symbole pour Diambars » , assure Adjovi-Boco. « C’est lui qui a réussi la plus belle carrière d’un point de vue footballistique, et celui qui est le plus représentatif en matière de valeurs et de travail dans ce qu’on a essayé de mettre en place il y a 20 ans. » Une fierté, surtout, parce qu’il n’a jamais été question de prédestination pour Idrissa Gueye, mais bien de construction.
La promesse des Diambars — « les guerriers » en wolof — se résume en un slogan : « faire du foot passion, un moteur pour l’éducation » .
Chez Idrissa, la passion se manifeste dans les navétanes, ces tournois de quartier rythmant les week-ends à la Médina de Dakar. D’abord simple observateur, il est propulsé sur le devant de la scène à 11 ans, lorsqu'un entraîneur lui demande de remplacer au pied levé un joueur blessé. Idrissa n’a pas de chaussures, ne pratique le foot que dans la confidentialité, mais il termine le match à quatre buts et deux passes décisives. Trois ans plus tard, cette passion devient un vrai projet quand il s’agit de quitter le foyer familial pour essuyer les plâtres à Saly. « Les premières années, on logeait dans un petit hôtel qu’on avait trouvé en location et on avait aménagé une maison pour faire des salles de classe, décrit Adjovi-Boco. C’était des conditions assez rudimentaires, mais si vous en parlez aux jeunes, ils en ont certainement gardé un bon souvenir. » C’est le cas pour Omar Wade, qui voyait son grand pote Idrissa Gueye s’incruster dans sa chambre au moment de la sieste : « De temps en temps, on partait jouer à la plage, on allait à la piscine... mais surtout, on ne pensait qu’à jouer au foot ! »
De 14 à 19 ans, Idrissa s’épanouit dans ce cadre. « C'est là que j'ai appris à presser, à courir avec le ballon et à être agressif en possession du ballon » , reconnaissait-il au Guardian en 2016. Jimmy Adjovi-Boco retient lui que ce « petit gabarit » — surnommé par Wade et ses camarades « "Bop Pik", parce qu’il avait une grosse tête et un petit corps » — n’était « ni la plus forte personnalité, ni le meilleur joueur » . En revanche, le milieu possède un autre atout : son éducation, qui lui permet d’être rapidement désigné capitaine de sa promo. « On n’a fait qu’affiner ce qui avait été fait par ses parents, continue Adjovi-Boco. Chez lui, on a très vite vu que le travail d’éducation était parfait. Idrissa était et est toujours d’une correction incroyable. » Coupé de son père, tapissier de profession, et de ses frères aînés qu’il ne voit qu’une seule fois par mois, le garçon va se servir de cette absence pour s’affirmer. « Ce n’était pas facile au départ, mais il s’est rapidement forgé un caractère pour devenir un vrai meneur. Ce qu’il est aujourd’hui, c’est le fruit de son travail et de son sérieux. » Ces mêmes ingrédients qui le conduisent en 2008 au LOSC, à qui les Diambars confient le bâton de l’éducation.
Arrêt « gars du Nord »
À Lille, François Vitali prévient d'entrée : « Si vous voulez des choses croustillantes, vous n'êtes peut-être pas sur le meilleur personnage » . En revanche, comme aux Diambars, Idrissa Gueye symbolise une stratégie réfléchie bien plus qu'un coup de chance. Une approche détaillée par celui qui travaillait à l'époque sur le recrutement des jeunes pousses du club : « Des profils comme lui, comme Cabaye, comme Debuchy, comme Stéphane Dumont avant, c’était la marque de fabrique du LOSC. Des joueurs talentueux, pas forcément les plus fantastiques, mais des garçons avec une éducation, une discipline. » « Que des garçons avec des profils psychologiques très au-dessus de la moyenne dans leur catégorie, renchérit Rachid Chihab, qui a entraîné Gueye pendant ses deux dernières années avec la réserve. Ils n'ont pas forcément eu le même parcours, mais ils ont tous fait carrière. »
Le charme discret de son talent est pourtant ce qui a fait douter la direction lilloise au moment de faire confiance au Sénégalais. « Pape Souaré a eu un contrat plus long, mais tout le monde n’était pas convaincu par ce que pouvait donner Idrissa, remet Vitali. Il a fallu trouver une solution. » Il faudra alors que Claude Puel soit sollicité pour confirmer l’analyse de ses collègues de la formation, donner son aval et convaincre le président Seydoux. C’est ensuite la carte Diambars qui l’emporte. « C’est là que les très bonnes relations de Jean-Michel Vandamme avec Jimmy, et le financement des Diambars par la région, ont permis une discussion intelligente entre toutes les parties » , continue Vitali. Pour Claude Puel, Idrissa Gueye sera comme un cadeau d’adieu : deux semaines avant le début du contrat du milieu à Lille, l’entraîneur signe à Lyon.
La suite appartient aux formateurs, au premier rang desquels Rachid Chihab et Pascal Plancque, qui a eu Gueye lors de sa première saison dans le Nord. Mais à les entendre, le job était facile, presque trop. « Nous, on a juste la chance de le détecter et de l’accompagner » , s'efface le premier. « Idrissa, en matière de mentalité de travail, c’était magnifique » , encense le second. Qui ne rejoue pas pour autant la carrière a posteriori : « Je me disais : "J'espère qu'il va y arriver !", parce que des mecs comme ça, on a envie qu’ils réussissent. Mais tu n’es pas sûr. Un Eden Hazard, on peut dire à 14-15 ans que ça va être un top joueur. Pas Idrissa. » Une idée reprise par Brian Obino, partenaire de Gueye lors de sa première saison en formation : « On avait un groupe de petits phénomènes ! On avait Eden, Yannis Salibur, Omar Benzerga, Badis Lebbihi... Et en second plan, il y avait des joueurs comme Idrissa. Il ne faisait pas de bruit, mais il a toujours été constant, rigoureux, et on s’est rendu compte que c’était une valeur sûre. »
L’art de prendre
Si « le travail est le père, et la nature la mère de toute chose » (William Petty), alors une carrière fondée sur le travail et l’éducation doit prendre le temps de grandir. C’est en tout cas ce que pense Jean-Michel Vandamme à propos d’Idrissa Gueye : « Avec le temps, il fera du dépassement de fonction, quand il aura compris qu’il a le niveau. Mais d'abord, il est tellement respectueux, tellement soucieux de répondre au bon de commande qui lui est fait, que sa réponse est une merveille pour un entraîneur, mais que, parfois, il ne se met pas assez en valeur. » Autrement dit, Idrissa Gueye n’est pas du genre à se faire mousser pour passer devant le concurrent. Mais comme le prévient Rachid Chihab, « on sent que dès que la porte va s’ouvrir, il va saisir l’opportunité et ne va pas décevoir » .
« Il disait tout le temps : "Ne t’inquiète pas, notre jour viendra, on sera bientôt là-bas", se souvient Omar Wade, hébergé un temps par son copain d’enfance lorsqu'il l’a rejoint en 2009 chez les Dogues. Mais à l’époque, il y avait Mavuba, Balmont, Cabaye... Ce n’était pas facile de se faire une place ! » Alors Gueye patiente. Et apprend. « Mais il a bien appris parce qu’il a eu des bons mentors, son capitaine par exemple ! » se marre Rio Mavuba. Si le capitaine se rappelle que le LOSC s’était fait sortir de Coupe de France par Colmar pour la première de Gueye en pro, un samedi de janvier 2010, il garde également en mémoire un mec qui « quand il est arrivé, n’était pas là pour rigoler. Il taffait, il taffait, il taffait ! Et sincèrement, il comprenait très vite. » Une semaine avant le titre de champion de France 2011, une première récompense va se présenter, sous la forme d’une titularisation en finale de Coupe de France.
Ce soir-là, on retrouvera Gueye, cravate desserrée au VIP Room après le match. Le trimeur relâche. Mais n’oublie pas les collègues devant la caméra du club : « On dédicace aux jeunes de Diambars, tu vois. C'est possible, on l'a fait. [...] On sort de Diambars, il y a Souaré, il y a Omar, il y a mon gars qui est là, j'ai joué titulaire, c'est merveilleux, on en profite ! » Une exclamation rare dans une carrière menée sous le signe de la modestie. Si pour trouver un appartement en ville, il a pu compter sur Patrick Wastiaux, son logeur arrageois toujours prompt à filer un coup de main à son « troisième fils » , le guerrier s’est construit pendant sept saisons une petite vie calme et sereine dans la capitale des Flandres, entouré de ses anciens compères de Diambars. « On allait souvent dans un resto sénégalais, le Toucouleurs(aujourd’hui fermé, N.D.L.R.), on y avait emmené Eden Hazard, Moussa Sow et Gervinho, se souvient Wade, aujourd'hui joueur du FC Gueugnon. Des cinés, du karting aussi. » François Vitali avait raison : peu de coups d’éclat remontent lorsqu'on aborde le sujet Gueye. Plutôt une impression générale, toujours excellente. Il n’y a guère que Rio Mavuba pour dessiner un moment aussi précis que précieux pour cerner le personnage. La scène se joue dans les couloirs du Stade de France, quelques heures avant le VIP Room : « Je me souviens du calme qu’il avait avant le coup d’envoi. Il était tout jeune, il allait commencer une finale de Coupe de France, mais il restait parfaitement calme. C’est Idrissa Gueye, quoi. Un sage. »
"ON NE PEUT PAS ÊTRE INSOLVABLE DANS SA PROPRE MONNAIE"
Ndongo Samba Sylla met en garde contre toute précipitation dans la mise en place de l’Eco et brûle le franc Cfa qui a installé, selon lui, la plupart des populations concernées dans la misère. Entretien !
Spécialiste ayant fait beaucoup de travaux sur les questions monétaires, coauteur de ‘’L’arme invisible de la Françafrique, une histoire du franc CFA’’, Ndongo Samba Sylla dissèque la monnaie dans toutes ses facettes. Panafricaniste convaincu, il met en garde contre toute précipitation dans la mise en place de l’Eco, brûle le franc Cfa qui a installé, selon lui, la plupart des populations concernées dans la misère et vante les mille et une vertus de la souveraineté monétaire pour un pays. Entretien !
Le projet de monnaie unique de la CEDEAO suscite beaucoup d’enthousiasme. Mais vous, vous semblez moins emballé. Pouvez-vous revenir sur les raisons qui font que vous êtes moins enthousiaste ?
Beaucoup de personnes veulent l’unité de l’Afrique et elles ont raison de penser que c’est à travers cette unité que le continent pourra se développer et assumer sa présence dans le monde. Mais la question qui se pose est de savoir à partir de quel fondement il faut créer cette unité. Selon Cheikh Anta Diop et Kwame Nkrumah, c’est à partir de l’intégration politique qu’on peut mettre en place l’intégration économique. Cela veut dire : avoir une armée continentale, un gouvernement fédéral, un ministre des Affaires étrangères commun, un ministre des Finances commun, etc. A défaut, il faut avoir une politique coordonnée dans ces différents domaines.
Aujourd’hui, beaucoup pensent que la monnaie unique CEDEAO pourrait être un début pour l’unité politique. Cette idée me semble non étayée. Il faut regarder l’histoire de l’humanité. Il n’existe aucun exemple de partage de monnaie unique, entre des pays souverains, qui ne soit basé sur une structure fédérale. Le seul exemple, c’est la Zone euro et elle ne marche pas. La plupart des pays qui la composent se sont appauvris. Prenez l’exemple de la Grèce. Elle va retrouver son niveau économique de 2008 en 2034. Elle perd ainsi une génération. Les Européens, eux-mêmes, se rendent compte que l’euro ne marche pas, puisqu’ils n’ont pas mis les préalables politiques et économiques nécessaires.
Quels sont ces préalables qu’il faut mettre en place pour qu’une zone monétaire unique puisse être performante ?
Il faut avoir un gouvernement politique, un fédéralisme budgétaire - c’est-à-dire un trésor fédéral qui dispose d’un budget conséquent - une harmonisation des politiques fiscales et budgétaires, une harmonisation de la législation bancaire, etc. Les Européens reconnaissent maintenant que si l’euro ne marche pas, c’est parce que tous ces préalables n’ont pas été mis en place. Je ne comprends donc pas pourquoi nous, qui avons la chance d’observer tout ça, nous voulons résolument répéter les mêmes erreurs. Sans gouvernement politique fédéral, il n’y a pas d’intérêt à aller vers une monnaie unique. D’ailleurs, aucun travail économique ne montre que la CEDEAO constitue une zone monétaire optimale, c’est-à-dire que les pays qui la composent ont avantage à partager une même monnaie.
Quels sont les critères d’une zone monétaire optimale ?
Il faut que la zone soit très intégrée sur le plan commercial, c’est-à-dire que les pays qui la composent commercent beaucoup entre eux. Il faut aussi que les cycles économiques soient synchrones, c’est-à-dire que les pays aient des conjonctures économiques similaires. Il faut aussi un minimum de fédéralisme budgétaire. Dans ces conditions, une monnaie unique peut marcher. Sinon, c’est compliqué. Et dans le cas des pays de la Zone franc, en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, il n’y a aucun travail qui montre qu’on est dans une zone monétaire optimale. Cela veut dire que ces huit pays de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) ne devraient pas partager la même monnaie. Maintenant, on veut l’élargir à un plus grand ensemble où le commerce régional est faible (10 % environ) et au sein duquel le Nigeria pèse plus de 2/3 du PIB, est exportateur net de pétrole là où les autres, pour la plupart, en importent. Cela pose d’énormes difficultés.
Peut-on en déduire que l’Eco CEDEAO risque d’être plus catastrophique que le CFA UEMOA, si l’on sait que les huit pays présentent moins de disparités ?
Je ne parlerai pas de catastrophe. Je ne fais pas de pronostic, parce qu’il y a beaucoup d’autres facteurs qu’il faut prendre en compte. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y a pas, pour l’instant, d’arguments économiques solides permettant de justifier la désirabilité d’une monnaie unique CEDEAO. Si nous voulons une monnaie unique pour doper le commerce interafricain, il y a des alternatives plus pratiques. Au-delà de la Zone de libre-échange continental - un projet problématique également - nous pouvons songer à mettre en place un système de paiements et de règlement continental. Ce qui nous permettra de commercer dans nos propres monnaies, en lieu et place des devises dominantes.
Afreximbank porte déjà ce projet. Si nous voulons une monnaie unique afin d’être plus solidaire entre nous, nous pouvons mettre en place un fonds monétaire africain qui gèrera une proportion donnée de nos réserves de change. Si nous voulons plus de coordination monétaire, nous pouvons décider de fixer nos taux de change les uns vis-à-vis des autres avec des marges de fluctuation et de faire de l’Eco une unité de compte commune (et non pas une monnaie unique). Cette démarche serait beaucoup plus cohérente que de faire le saut directement vers une monnaie unique. La vraie convergence serait obtenue beaucoup plus facilement avec ces approches alternatives et gradualistes.
Justement, cette monnaie était initialement prévue pour 2020. Vous dites que ce n’est pas possible, car la plupart des Etats ne respectent pas les critères de convergence. Pouvez-vous rappeler ces critères ?
Je ne peux pas commenter ces chiffres dont je ne dispose pas. Ce que je sais, c’est qu’en juin 2019, la CEDEAO a publié un rapport pour dire qu’aucun pays ne remplissait les critères de convergence en 2018. Pour 2019, apparemment, seul le Togo remplirait tous les critères. Ce qu’il faut savoir, c’est que ces critères ont été importés de la Zone euro. Ils ont été imposés par l’Allemagne qui était réticente, au départ, quant à son adhésion à la Zone euro. Pour y entrer, les Allemands ont exigé des garanties. Ils ne souhaitaient pas se retrouver dans la position d’avoir à payer les déficits des pays voisins qui auraient des problèmes budgétaires.
Les critères de convergence étaient la réponse aux garanties exigées par l’Allemagne. Et nous, nous les avons reproduits bêtement. Je dis bien bêtement, car il n’y a aucun sens à vouloir limiter le plafond d’endettement à 70 % ou à limiter le déficit public à 3 ou 4 %. Pourquoi ? Prenons l’exemple du déficit public. Il correspond exactement au surplus du secteur non gouvernemental. Quand le gouvernement est en déficit de moins 3 % du PIB, le secteur non gouvernemental a exactement plus 3 %. Du point de vue de la théorie économique, ce qu’on appelle la finance fonctionnelle, le bon niveau de déficit est celui qui permet à tout un chacun de trouver un emploi.
En réalité, dans le cas des pays africains, les prétendus critères de convergence ont été mis en place pour s’assurer que leurs Etats ne vont pas faire des dérapages budgétaires qui compromettraient leur capacité à rembourser la dette. Ils n’ont donc pas été mis en place pour permettre aux Etats d’avoir une certaine marge de manœuvre sur le plan de la politique budgétaire, pour faire une politique de développement. Ce ne sont donc pas des critères économiques, mais des critères financiers.
Le paradoxe est donc que les Africains ont repris, comme condition de leur association monétaire, des critères que l’Allemagne a exigés pour se dispenser d’être solidaire avec ses voisins.
Pourtant, l’esprit de solidarité panafricaniste est aussi brandi comme un des arguments militant en faveur d’une zone monétaire unique…
C’est d’ailleurs ce qui est ironique. Nous disons que nous allons vers l’unité et en même temps, nous reprenons des critères européens qui présupposent une absence de solidarité et de confiance entre nous. Vous voyez à quel point c’est problématique. Pourtant, des alternatives plus porteuses et moins risquées sont là. Il s’agit de mettre en place un fonds monétaire africain, une unité de compte commune, un système de paiements et de règlement continental, fixer si c’est possible nos monnaies les unes les autres pour aller vers la vraie convergence, la véritable unité politique dans la solidarité.
Vous dites que certains plafonds, notamment pour ce qui est de la dette, n’ont pas de sens. Est-ce à dire que vous ne voyez pas d’inconvénient par rapport au niveau de la dette du Sénégal ?
Je dis que le ratio dette/PIB en lui-même ne veut rien dire sur le plan économique. Le Japon a une dette de 250 % par rapport au PIB. Les taux d’intérêt sont à 0 % et son économie est au plein emploi. Ce qu’il faut voir, c’est si l’Etat émet sa monnaie ou s’il est un utilisateur de monnaie, comme c’est le cas du Sénégal et des autres pays de la Zone franc. L’autre question est de savoir si on s’endette dans sa propre monnaie ou dans une monnaie étrangère. Quand on s’endette dans une monnaie étrangère, c’est toujours compliqué. Mais quand on le fait dans sa propre monnaie, il y a moins de danger. Si le Japon est à 250 %, c’est parce qu’il s’endette dans sa propre monnaie.
Au Sénégal, le niveau de dette est préoccupant, parce que la dette est essentiellement libellée en monnaie étrangère. Cela veut dire que, tôt ou tard, nous allons la rembourser en termes de ressource réelle. Si on voit le gouvernement supprimer des subventions, augmenter des taxes, c’est parce qu’il faut payer la dette contractée en monnaie étrangère. Si notre gouvernement pouvait s’endetter dans sa propre monnaie nationale, il n’aurait pas eu besoin d’infliger des politiques d’austérité. L’endettement en monnaie étrangère est donc toujours dangereux. Un gouvernement qui aspire à un minimum d’indépendance financière doit tout faire pour ne pas s’endetter en monnaie étrangère.
Vous parlez souvent de la notion de souveraineté monétaire. Pouvez-vous revenir sur ses implications ?
D’abord, la souveraineté monétaire traduit l’indépendance financière de l’Etat. Cela veut dire que l’Etat peut réaliser toutes ses dépenses sans contrainte financière. Pour que ce soit possible, il faut que l’Etat ait sa propre monnaie ; qu’il ait la capacité de taxer l’économie ; qu’il ait un contrôle sur le secteur bancaire (la banque centrale et les banques commerciales) et qu’il ait la souveraineté sur ses ressources économiques (les terres, la main-d’œuvre, les ressources naturelles, etc.). Si ces conditions sont réunies et que l’endettement est effectué en monnaie nationale, cet Etat peut financer tout ce qu’il a envie de financer et il ne peut jamais être insolvable. On ne peut jamais être insolvable dans sa propre monnaie.
Mais quels sont les risques relatifs au fait de battre sa propre monnaie ?
Il n’y a pas de risques particuliers. Les risques, ce sont ceux qui sont inhérents à la politique économique. Et la monnaie, en elle-même, n’est pas l’instrument le plus important. L’instrument le plus important, c’est le budget.
Pourtant, on parle souvent de risques comme l’inflation…
Ce qu’il faut dire, c’est que dans les pays qui utilisent le CFA, les niveaux d’inflation sont beaucoup trop faibles, par rapport à la norme, pour des pays aussi pauvres. Ce sont les travaux scientifiques qui l’établissent. La deuxième chose, c’est qu’est-ce qu’on entend par inflation ? Il faut comprendre que si l’Etat dépense pour augmenter les capacités productives, il n’y a pas d’inflation. Mais si on crée de l’argent pour certaines dépenses qui n’augmentent pas les capacités productives, cela crée de l’inflation. En fait, le problème fondamental est que beaucoup parlent de la monnaie, mais peu comprennent ce que c’est véritablement. Certains spécialistes vous diront ses fonctions : unité de compte, moyen de paiement et réserve de valeur.
Ce qui ne nous avance pas. Quelle est la nature de la monnaie ? C’est d’être une dette de l’Etat. Quand vous tenez un billet de 1 dollar par exemple, c’est une dette de l’Etat américain à l’égard de celui qui détient ce billet. Quand vous avez votre monnaie, vous pouvez créer autant d’argent que vous voulez pour financer tout ce qui peut s’acheter au sein de votre économie. Vous avez la possibilité de créer directement des emplois pour les jeunes au chômage. C’est ce qu’on appelle les programmes de ‘’garantie d’emplois’’. Si vous n’avez pas de souveraineté monétaire, vous ne pouvez pas mettre fin au chômage des jeunes ; vous ne pouvez pas réduire le sous-emploi, etc. C’est pourquoi je dis que sans un minimum de souveraineté monétaire, pas de développement possible. Par exemple, si on a des professeurs qui sont au chômage et des jeunes dont les parents n’ont pas les moyens de les envoyer à l’école, c’est une faillite de l’Etat. Car un Etat souverain sur le plan monétaire ne peut jamais manquer d’argent pour financer ce qui est utile à la société.
Mais nous ne vivons pas en vase clos. Nous commerçons avec l’extérieur et il y a des étrangers qui sont établis dans nos pays. N’y a-t-il pas de risques à ce niveau ?
En fait, il faut avoir une politique cohérente. Est-ce qu’on a besoin de dépenser chaque année plus d’un milliard d’euros pour acheter des produits alimentaires ? Est-ce qu’on a besoin d’importer du riz de Thaïlande, alors que nous pouvons le produire ici. Ce sont des choix à faire. Si nous voulons la prospérité pour tous, il faut partir des ressources que nous avons. Mais si nous voulons que 20 % s’en sortent et que tout le reste tire le diable par la queue, laissons tout venir entrer dans notre marché. Quelques privilégiés vont vivre comme des Européens, mais la grande majorité croupira dans la misère.
Récemment, le FMI a procédé à une réévaluation des risques par rapport à l’endettement du Sénégal. On est passé de risque de surendettement faible à risque de surendettement modéré. Qu’est-ce à dire ?
Ce n’est pas spécifique au Sénégal. Les pays africains, en général, sont très exposés à la conjoncture mondiale. Quand il y a eu la crise financière en 2008, les capitaux ne pouvaient plus s’employer de manière profitable dans les pays riches. Les investisseurs se sont donc réorientés vers les marchés émergents. Parce qu’à l’époque, et c’est toujours le cas, les banques centrales avaient des politiques de taux d’intérêt nul. Donc, quand vous aviez vos capitaux, vous ne pouviez ni les investir dans l’économie réelle qui était morose ni les placer, puisque les taux d’intérêt étaient faibles. Raison pour laquelle ils étaient allés vers les pays émergents et les pays pauvres. Nos économies en ont donc profité. Mais, depuis 2012, le niveau de la dette est allé croissant. Cela a plus que doublé (il est passé de 2 700 milliards en 2012 à 8 076,6 milliards de francs CFA, NDLR).
A votre avis, le Sénégal s’endette-il bien ?
Pour moi, une bonne politique économique consiste à faire le maximum pour ne pas s’endetter dans une monnaie étrangère. Et le franc CFA est une monnaie étrangère, car nous ne l’émettons pas. Nous nous endettons surtout en euro et en dollar. Et, tôt ou tard, nous devrons payer cette dette en ressources réelles. Nous devrons exporter des ressources réelles - du pétrole, du gaz, de l’arachide, etc., - pour obtenir des devises en vue de payer la dette ou nous endetter à nouveau. Par exemple, les eurobonds qu’on a émis en 2018 ont une maturité de dix ans. D’ici là, on devra payer environ 1 milliard d’euros au titre des intérêts. Et ce sont les citoyens qui paient tout ça à travers les impôts et taxes, mais aussi à travers les ressources réelles. C’est cela le sous-développement. Ce qui est accumulé chez vous va vers l’étranger. Il faut changer de cap, réinvestir ce que nous accumulons sur place pour avoir un effet multiplicateur, un cercle vertueux. Malheureusement, ici, on accumule et on transfère sous forme de profits rapatriés ou sous forme de paiement des intérêts de la dette.
Il y a aussi les politiques de gratuité de l’Etat, les bourses de sécurité familiale, la couverture maladie universelle dont l’efficacité peut être contestée. L’Etat a-t-il les moyens de ces politiques ?
On peut avoir des réserves par rapport à la manière dont ces politiques sont menées. Mais, pour moi, un Etat soucieux du développement de son économie doit veiller à la santé de ses populations. La couverture maladie universelle est importante, mais elle n’est pas, pour le moment, effective. Pour les bourses de sécurité, je comprends la logique, mais je préfère un programme de garantie d’emploi. Par exemple, l’Etat va dans une commune particulière où il y a des besoins essentiels (assainissement, sécurité, éducation, etc.) ; il paie un salaire minimum à tous ceux qui sont prêts à travailler dans ces secteurs. Aussi, ce qu’il faut savoir, c’est qu’un Etat qui a la souveraineté monétaire a toujours les moyens de sa politique. La seule limite, c’est la disponibilité des ressources réelles (terres, main-d’œuvre, ressources naturelles, etc.). Le Sénégal n’a pas les moyens de sa politique, parce qu’il n’est pas souverain d’un point de vue monétaire.
Si vous aviez à noter les performances du franc CFA, quelle serait la note ?
C’est difficile. Pour moi, c’est une monnaie dont il faudrait se débarrasser au plus vite. Et le Sénégal, pour moi, doit battre sa monnaie nationale rapidement.
Concrètement, quels sont les signaux qui montrent que le CFA n’est pas de nature à favoriser les conditions d’un développement de nos pays ?
Il faut regarder les performances économiques sur le long terme. En 2016, le Sénégal avait un revenu réel par habitant du même ordre qu’en 1960. Pour la Côte d’Ivoire, son revenu réel par habitant de 2016 était inférieur d’1/3 à celui de 1978. Pour les pays d’Afrique centrale, prenez le Cameroun, le Congo-Brazzaville, le Gabon qui sont les trois pays les plus importants sur le plan économique. Leur niveau de revenu réel par habitant est inférieur par rapport aux années 1980.
Donc, vous êtes dans une zone, où la grande majorité des populations est dans une pauvreté absolue. A quoi nous a alors servi cette zone ? Je ne veux pas dire que le sous-développement que l’on voit un peu partout est exclusivement dû à la gestion monétaire. Néanmoins, tant que nous maintenons cette monnaie, tant que les banques continuent de fonctionner comme elles fonctionnent, je ne dis pas que le développement est improbable, c’est impossible.
Quelle lecture faites-vous de la déclaration récente des pays de la Zone monétaire de l’Afrique de l’Ouest ?
C’était prévisible et c’est normal. La CEDEAO avait sa feuille de route. En juin 2019, ils ont dit qu’ils ont choisi Eco comme nom de la monnaie unique de cet espace régional ; un taux de change adossé à un panier de monnaies pas seulement à l’euro ; une banque centrale de type fédéral. Ils s’étaient aussi mis d’accord sur le fait que l’Eco ne doit être mis en place que par les pays qui sont prêts. C’est-à-dire les pays qui remplissent les critères de convergence. Ce qui n’est pas le cas pour les pays de l’UEMOA, à l’exception du Togo et ce dernier ne peut pas lancer la zone seule. Macron et Ouattara ne peuvent donc pas venir nous dire qu’ils vont renommer le CFA Eco. Et le communiqué de la Zmao est très clair et sobre, en appelant à un respect de la feuille de route préalablement défini.
Quid de l’échéance 2020 qui a été fixée ? L’Eco peut-elle être effective à cette date ?
Je ne sais pas. Mais si l’on maintient la méthodologie des critères de convergence et si le principe de l’adhésion sur une base individuelle – pays par pays - est maintenu, je peux vous dire qu’on va rester encore 30, 40 ans à parler encore du lancement de l’Eco. Pourquoi ? Prenez un pays comme le Cap-Vert ; son taux d’endettement est de plus de 100 %. Pour respecter le critère prévu, il lui faudra au moins 20 ans. Et il ne peut le faire qu’en s’appauvrissant, ce qui est aberrant. Même chose pour la Gambie. Pour les pays comme le Liberia, la Sierra Leone, le Nigeria et la Guinée, ce sont des pays qui ont un taux d’inflation à 2 chiffres. Pour eux aussi, il faudra des politiques d’austérité, c’est-à-dire s’appauvrir pour arriver à respecter les critères de convergence. Aussi, on nous dit qu’il faut entrer un par un. Et si, dans l’UEMOA, par exemple, tous les pays sont prêts sauf le Sénégal, qu’est-ce qu’il va faire ? Battre sa propre monnaie ? S’y ajoutent les problèmes politiques. Si le Nigeria, qui représente plus de 2/3 du PIB de l’Afrique de l’Ouest, n’est pas conforté dans son rôle de leader, il n’y aura pas d’Eco avec le Nigeria.
Justement, où en est ce pays avec le respect des critères de convergence ?
Non, il ne les respecte pas. Il a même beaucoup de problèmes. Il faudra auditer les comptes de la Banque centrale nigériane. Cela va prendre au moins deux ans et ça n’a pas été fait. Aussi, la principale organisation qui rassemble les patrons dans le secteur industriel a émis des réserves par rapport à l’entrée du Nigeria dans la zone Eco. Il y a donc des problèmes réels de faisabilité. Selon moi, la voie la plus réaliste est d’aller vers des solutions alternatives. Les Etats peuvent commencer par fixer les taux de change ; mettre ensemble leurs réserves de change ; adopter des politiques communes d’autosuffisance alimentaire et énergétique ; un système de paiements et de règlement. Voilà des choses simples qu’on peut faire, si les gens tiennent vraiment à faire avancer la solidarité entre Africains.
Si je parle ainsi, ce n’est pas parce que je suis contre les monnaies uniques de manière inconditionnelle. Je dis : allons-y doucement en mettant les préalables. En plus, on parle de zone monétaire, alors qu’il n’y a même pas encore de traité d’union monétaire, pas de statut de la Banque centrale, pas d’harmonisation du secteur bancaire, etc. J’ai l’impression que les gens ne savent pas à quel point c’est complexe de mettre en place une monnaie unique. Cela demande une certaine homogénéité. Dans tous les espaces unifiés sur le plan monétaire, il a fallu préalablement unifier l’espace politique : mêmes lois, mêmes règlements, même culture, etc. Quand vous avez des pays très hétérogènes, où les leaders ne sont pas très engagés pour la cause panafricaniste, c’est très compliqué. Il faut y aller pas à pas.
Y-a-t-il des risques de s’acheminer vers une querelle autour du nom ?
Je ne le pense pas. Eco, c’est juste le diminutif d’Ecowas - CEDEAO en anglais. Les pays de l’UEMOA ne peuvent pas se quereller dessus.
par Mamoudou Ibra Kane
VIDEO
LE CHAHUT DE LONDRES ET LA LEÇON "SOULEYMANE JULES DIOP"
Comme Me Wade, il y a 10 ans, Macky Sall a désormais son "Souleymane Jules Diop" en la jeune Mbayang Camara. Attention à la portée de ces chahuts, fussent-ils cas isolés. Quelle portée accorder à ce genre d’actes politiquement symboliques ?
Dans sa chronique de ce vendredi, 24 janvier 2020, Mamoudou Ibra Kane rebondit sur la mésaventure londonienne du président Macky Sall, hué par une dame en signe de protestation à l’emprisonnement de Guy Marius Sagna. Et c’est pour revisiter les souvenirs de faits similaires vécus par d’anciens chefs d’Etat d’ici et d’ailleurs.
Comme Me Wade, il y a 10 ans, Macky Sall a désormais son "Souleymane Jules Diop" en la jeune Mbayang Camara. Attention à la portée de ces chahuts, fussent-ils cas isolés. Quelle portée accorder à ce genre d’actes politiquement symboliques ? Le journaliste se demande ainsi si les destinataires de ces faits démocratiques réussissent à bien les interpréter, s’ils ne font pas l’erreur de les banaliser.
Autre lecture : la générosité de la diaspora sénégalaise, à l’amorce de changements politiques majeurs. Dynamique, cette sève nourricière a une telle influence sur la population qu’un élu attentif ne devrait l’ignorer...
Par Mamadou Oumar NDIAYE
«JUSTICES» EXÉCUTRICES DE CHALLENGERS !
En Afrique, les chefs d’Etat au pouvoir sont décidément passés maîtres, ces dernières années, dans l’art d’activer leurs « justices » pour neutraliser des opposants dangereux qui auraient l’outrecuidance de les défier aux urnes
Guillaume Soro ne sera pas candidat à l’élection présidentielle ivoirienne de la fin de cette année. Motif : la « justice » éburnéenne a lancé contre lui un mandat d’arrêt international pour tentative de déstabilisation du pays. Plus exactement, le qualificatif retenu par le procureur Adou richard, c’est : « tentative d’atteinte à l’autorité de l’Etat et à l’intégrité du territoire national ». pas moins ! Et défense de rire…
Des faits qui remonteraient à 2017 et dont la glorieuse « justice » du pays des Eléphants ne s’est saisie qu’il y a quelques mois, lorsque des négociations de la dernière chance ont échoué et qu’il est devenu certain que l’ancien président de l’Assemblée nationale n’allait pas soutenir le dauphin présumé du président Alassane Dramane ouattara. C’est-à-dire son actuel vice-président Amadou Gon Coulibaly. passe encore que l’ « insolent » Soro ait refusé d’adhérer au rHDp (rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la paix) créé au forceps par le président ouattara et regroupant, outre son parti, le rDr, des transfuges du parti démocratique de Côte d’ivoire (pDCi), parti de son ex-allié au pouvoir, l’ancien président Henry Konan Bédié, plus quelques partis cabines téléphoniques. Mais refuser de soutenir le candidat du président ouattara et même envisager de se présenter contre lui !
C’était là un casus belli, assurément, et il fallait faire payer très cher à l’ex-patron de la rébellion armée des Forces nouvelles cet affront. D’où l’invention de cette « tentative de déstabilisation » pour suspendre l’épée de Damoclès d’un emprisonnement sur la tête de Soro au cas où il s’aviserait de se promener sur les bords de la Lagune Ebrié d’ici décembre prochain. Car après les élections — et la victoire souhaitée de Gon Coulibaly — tout sera toujours possible au nom d’une énième réconciliation nationale… Sénégal : Comme le facteur du film, le Président Macky (empri) sonne toujours deux fois !
En Afrique, les chefs d’Etat au pouvoir sont décidément passés maîtres, ces dernières années, dans l’art d’activer leurs « justices » pour neutraliser des opposants dangereux qui auraient l’outrecuidance de les défier aux urnes. Dans ces cas, à la « justice » de jouer et de neutraliser ces empêcheurs d’être réélus les doigts dans le nez ! Charité bien ordonnée…
Débutons ce petit tour d’horizon des présidents emprisonneurs par notre beau pays. pour mettre toutes les chances de son côté à l’élection présidentielle de février dernier, le candidat Macky Sall n’a pas eu d’états d’âme : il a actionné sa « justice » pour jeter en prison Karim Meïssa Wade et Khalifa Sall, présentés comme devant être ses plus redoutables challengers.
il lui a suffi d’emprisonner le premier pour « enrichissement illicite » avant de l’exiler chez les émirs du Golfe, et le second pour escroquerie sur les deniers de sa mairie et le tour était joué ! D’ailleurs, à voir le féroce procureur de la république de Côte d’ivoire exposer gravement les faits d’atteinte à l’autorité de l’Etat dont se serait rendu coupable le pauvre Guillaume Soro — qui avait pourtant porté Ouattara au pouvoir ! —, on se croirait en face de son alter ego sénégalais, Serigne Bassirou Guèye, en train de charger Karim ou Khalifa Sall ! réélu — à vaincre sans péril… —, Macky Sall a gracié le second et engagé des négociations avec le père du premier. L’essentiel, c’était de rempiler !
Trafic de bébés et escroquerie immobilière
Pour rester dans la sous-région ouest-africaine, dans l’espace uemoa si l’on préfère, faisons escale au niger. où, sans autre forme de procès, le président de la république, Mahamadou issoufou, pour écarter son plus sérieux rival à la dernière présidentielle, Hama Amadou, a actionné lui aussi sa « justice » qui n’a pas cherché loin pour trouver un « crime » à reprocher à l’ancien président de l’Assemblée nationale de ce vaste pays sahélien. Ce « crime », c’est celui de « trafic de bébés » en provenance du nigeria et il a suffi pour jeter au gnouf l’infortuné Hama Amadou ! Malgré tout, étant donné que sa candidature avait été validée par l’instance chargée des élections, il avait pu, du fond de sa cellule, mettre le président en exercice en ballotage ! Autrement dit, il avait réussi à se qualifier pour le second tour. n’ayant pas pu battre campagne et négocier des alliances, Hama avait finalement été battu à l’issue du second tour par le sortant. il purge actuellement le restant de sa peine après être parti se réfugier à paris… Là aussi, on prête au très démocrate Issoufou l’intention de le gracier ! Direction l’Afrique centrale où l’ancien président Joseph Kabila, n’étant pas très sûr de remporter l’élection à multiples prolongations — qui s’est finalement tenue en décembre 2018 et qu’il a perdue — et ayant surtout peur de la popularité de l’ex-gouverneur de la richissime province du Katanga, Moïse Katumbi, également propriétaire du grand club de football tout-puissant Mazembé, Joseph Kabila, donc, a lui aussi fait emprisonner Moïse Katumbi par sa « justice ». Motif : une « escroquerie immobilière » au détriment d’un mystérieux propriétaire grec actionné pour les besoins de la cause. D’ailleurs, avant le verdict de ce procès rocambolesque, la juge en charge du dossier avait reçu une visite « amicale » du patron de la très redoutée Agence nationale de renseignement (Anr) venue la « conseiller » sur la sentence à rendre. Elle avait été obligée de prononcer une peine ferme à l’encontre de l’opposant ! Depuis lors, d’ailleurs, elle a fui le pays. Après Katumbi qui n’avait pas attendu l’issue de ce procès pour se faire la malle. D’autant plus qu’une autre affaire judiciaire, de « recrutement de mercenaires » cette fois-ci, lui pendait sur la tête !
Des juges qui ne perdent pas le Nord…
Mais que ceux qui avaient tendance à croire que ces persécutions politico-judiciaires contre des opposants — en tout cas des challengers de présidents au pouvoir — n’avaient cours que de ce côté-ci du continent se détrompent : en Afrique du nord, aussi, elles existent ! A preuve par la Tunisie où, durant l’élection présidentielle d’il y a quelques mois, le candidat Nabil Karaoui, présenté par les sondages comme devant être le plus sérieux rival de l’alors premier ministre Youssef Chahed (le président en exercice est mort juste avant la fin de son mandat), s’est retrouvé au cachot à deux semaines à peine du démarrage de la campagne électorale. Ce sous l’accusation de « fraude fiscale ». Là également, la glorieuse « justice » tunisienne était entrée en action ! Sans avoir pu aller à la rencontre des tunisiens, Karaoui avait néanmoins réussi à se qualifier pour le second tour à l’issue duquel il avait été battu par l’homme qui préside désormais aux destinées du pays : Kaïs Saïed. Ce petit tour d’horizon — qui n’est pas exhaustif — juste pour montrer combien le fait d’être challenger des présidents en exercice sur notre continent peut être suicidaire. Et à quel point nos « justices » peuvent être sévères pour ces impertinents qui veulent déboulonner les présidents qui les ont mises en place. ou, du moins, ont nommé les juges obséquieux qui trônent à la tête de ces juridictions. retour à la case départ, c’est-à-dire en Côte d’ivoire où, comme c’est curieux, Alassane Ouattara qui vient d’actionner sa « justice » contre son ancien allié Soro Guillaume, avait pourtant été victime des mêmes pratiques qu’il met en œuvre aujourd’hui contre un rival de son dauphin présumé. A l’époque — Bédié était président…—, on lui avait tout simplement dénié la nationalité ivoirienne. Et on avait dit qu’il était un Burkinabé ! pour laver l’affront, Soro avait déclenché la lutte armée à partir du…Burkina pour permettre à Ouattara de prendre le pouvoir. Et voilà qu’il est accusé aujourd’hui de déstabiliser le pays par devinez qui ? Le même Alassane Ouattara qu’il avait porté au pouvoir !
Par Moustapha BOYE
POURQUOI LE SENEGAL RESTE DANS LA ZONE ROUGE
Le Sénégal est un pays de corruption. Telle est la lecture simpliste… qu’il ne faudrait pas avoir par rapport aux résultats 2019 de l’Indice de Perception de la Corruption (IPC).
Le Sénégal est un pays de corruption. Telle est la lecture simpliste… qu’il ne faudrait pas avoir par rapport aux résultats 2019 de l’Indice de Perception de la Corruption (IPC). Néanmoins, notre pays est toujours dans la zone rouge puisqu’il a conservé son score de 45 sur 100 selon le rapport de Transparency International publié hier. Malgré les discours vigoureux du président de la République contre le fléau et sa promesse d’une « gouvernance sobre et vertueuse », le Sénégal a cessé de progresser dans sa lutte contre la corruption. Pour dire le moins !
Le slogan « Gouvernance sobre et vertueuse » sonne assurément comme un voeu pieu. Le peu d’efforts faits dans la lutte contre la corruption remonte à l’année où l’actuel chef de l’Etat a accédé au pouvoir puisqu’en 2012, le Sénégal avait obtenu son meilleur classement dans l’ipC avec un score de 36/100. Le temps de goûter aux délices du pouvoir, de favoriser le copinage dans l’attribution des marchés publics, le Sénégal a commencé à plonger dans la zone rouge. Le tableau de la régression est sans équivoque. 41/100 en 2013, 43/100 en 2014, 44 en 2015.
Le Sénégal a cessé de progresser dans son score. En 2019, il a conservé son score de 45 sur 100 et reste dans la zone rouge à l’instar de tous les pays de l’Uemoa et de ceux de la Cedeao sauf le Cap-Vert qui a obtenu une note de 58/100.par conséquent, le Cap-Vert est 1er de la zone économique de la Cedeao note le Forum Civil, section sénégalaise de transparency international qui présentait hier à la presse les résultats de l’indice de perception de la Corruption (ipC) 2019. pourquoi, malgré les moulinets et les discours martiaux contre le fléau du président Macky Sall le Sénégal est-il resté dans la zone rouge ? Birahim Seck et Cie expliquent cette stagnation par « un affaiblissement réel de la volonté politique de lutter contre la corruption mais aussi à une situation de mal gouvernance, actée par un déficit criard de reddition des comptes ainsi qu’un accroissement de l’impunité ».
Selon transparency international, le mécanisme opératoire du système de corruption au Sénégal s’articule à divers niveaux. Le Forum Civil pointe le refus de la Cour des comptes et de l’Ige de publier leurs rapports de contrôle sur la gestion des ressources publiques et du patrimoine. il y a aussi l’inertie du président de la république face à la non publication des rapports et au refus d’un membre du Gouvernement de répondre à la justice : cas de l’ancien sous-ministre de la Microfinance entretemps promu ministre « plein » chargé de l’industrie.
La non transmission d’affaires relevées par les organes de contrôle à la justice, des dossiers que le président dit mettre son coude. Le déficit d’indépendance de la justice noté d’ailleurs par les acteurs du secteur. Le maintien de l’illégalité au sein d’instances de régulation (ArMp, CEnA etc.) qui affaiblit l’exercice de leurs domaines de compétence. L’arrêt inexplicable et inexpliqué de la politique de traque des biens mal acquis, forte demande sociale de redevabilité.
L’impunité galopante voulue et entretenue par le chef de l’Etat et l’inertie de l’Assemblée nationale et de la justice devant les affaires Bictogo, prodac, et la gestion du fonds de promotion féminine. En dehors des pays maghrébins qui ne sont pas pris en compte dans le classement des pays de l’Afrique noire, au niveau africain seuls 6 pays sont en dehors de la zone rouge, à savoir « les Seychelles (66 points), le Botswana (61 points), le Cap-Vert (58 points), le Rwanda (53 points), l’île Maurice (52 points) et la Namibie (52 points). Ces pays sont suivis par Sao tomé et principe (46 points) et le Sénégal (45 points). Entre le 1er africain et le Sénégal, il y a un écart abyssal de 21 points. A titre de rappel, selon le document de présentation fourni à la presse, chaque année depuis 1995, transparency international publie les résultats de l’indice de perception de la Corruption (ipC).
La corruption étant un phénomène complexe et souvent caché, l’ipC est un outil parmi d’autres qui veut aider à l’appréhender. transparency international dispose d’autres instruments qui permettent de mieux connaitre la corruption dans le monde. parmi ceux-ci, on peut citer le Baromètre Mondial de la Corruption, qui est un sondage d’opinion sur la petite corruption pratiquée au quotidien par les citoyens. L’on peut citer aussi l’indice de corruption des pays exportateurs qui étudie la corruption active pratiquée dans le cadre des transactions commerciales internationales et qui propose un classement selon l’état de la corruption dans les pays les plus riches et ceux émergents ; il y a également, parmi les outils de ti, le rapport mondial sur la corruption qui, chaque année, se focalise sur un thème ou un secteur d’activité précis (éducation, santé, marchés publics etc.).