Des femmes en travail font le tour des structures sanitaires, espérant trouver un point de chute, afin de mettre au monde leurs nouveau-nés. Une longue chevauchée… au bout de l’angoisse. Reportage
Pour une femme enceinte, l’angoisse est une compagne quotidienne. Actuellement, au Sénégal, il faut y ajouter le calvaire de l’accouchement, du fait de la faible capacité de prise en charge des structures hospitalières. Des femmes en travail font le tour des structures sanitaires, espérant trouver un point de chute, afin de mettre au monde leurs nouveau-nés. Une longue chevauchée… au bout de l’angoisse. Reportage.
La jeune dame n’arrive pas à fermer l’œil, dans la salle post-natale du centre de santé Philippe Maguilène Senghor. Sa voix mélancolique perce le silence de la nuit. Elle se remémore. Elle culpabilise. Et elle regrette. Anta vient de mettre au monde un mort-né. Ce, après avoir fait le tour des structures sanitaires pour son accouchement. La jeune dame a été, tour à tour, renvoyée à cause d’un manque d’espace, lui a-t-on servi, à chaque fois. ‘’Si on nous avait admis très tôt dans les précédents hôpitaux, le bébé serait sûrement né sain et sauf’’, dit-elle avec amertume à son mari, son seul accompagnant.
Pour la soulager, ce dernier, apparemment meurtri et affligé, évoque la volonté divine et s’en remet à Dieu. ‘’Cela devait certainement se passer comme ça. Alors gardons la foi’’, dit-il. Cette dame voit ainsi neuf mois d’attente réduits à néant.
Son histoire rejoint celle d’Aicha. Contrairement à la susnommée, l’habitante de Grand-Yoff a eu la chance de mettre au monde son fils. Mais à quel prix ! 22 h, dans ce quartier populeux, Aicha, en état de grossesse très avancée, profite de la pénombre pour se rendre furtivement dans le district sanitaire de la zone. Habillée d’une robe multicolore ample, son mouchoir de tête solidement nouée, la jeune dame essaye tant bien que mal de cacher sa souffrance. Les contractions ne lui laissent pas de répit. Elle grimace de temps à autre et gémit quelquefois pour exprimer sa douleur. A bord d’un taxi, elle s’impatiente. Son gros ventre, elle l’a recouvert avec un large foulard pour se protéger des regards indiscrets. Une fois dans la structure sanitaire nichée dans la municipalité du ministre de la Santé Abdoulaye Diouf Sarr, la dame se rend compte qu’elle n’est pas au bout de ses supplices.
Dans un long couloir qui ne finit pas de s’étirer, est installé un banc pour les malades et leurs accompagnants. Ici, on se croirait en plein jour, car les va-et-vient sont incessants. On est devant la salle de consultation de la maternité ; une bâtisse aux murs verts-blancs. Un passage obligatoire, avant d’admettre les patientes en salle d’accouchement. Aicha rejoint la file et patiente. Très vite, elle oublie sa douleur qui laisse place à l’angoisse. Puisqu’après un passage à la salle de consultation, on lui notifie qu’il est impossible de la garder dans les lieux, à cause d’un manque de place. Aicha ne sera pas admise en salle d’accouchement. La déception se lit sur le visage ; elle fait signe à ses accompagnants de quitter les lieux. ‘’Elle (la sage-femme) dit que je dois être en observation, alors qu’il n’y a pas assez de places dans cette hôpital. Elle m’a orientée dans une autre structure (Abass Ndao) et m’a même remis une note pour cela’’, tente-t-elle de se rassurer.
Alors, commence son marathon. Elle choisit de se rendre au centre de santé Nabil Choucair de la Patte d’Oie. Ici, la préposée au service d’accueil de la maternité est momentanément absente. De retour, la dame à la blouse rose anéantit une nouvelle fois l’espoir d’Aicha. ‘’Madame, nous n’avons pas de place ; allez voir à l’hôpital Philippe Senghor’’, sert-elle à la patiente, alors que les contractions s’accentuent. Aicha et ses accompagnants ne savent plus à quel saint se vouer. Et pourquoi ne pas essayer de voir le privé pour un meilleur salut ? Cette perspective sera vite rangée aux oubliettes, face aux assertions d’une patiente qui a également fait le tour des hôpitaux et même des cliniques, sans succès. Affalée sur une chaise dans la salle d’attente, le teint noir, la jeune femme doit accoucher d’un prématuré de 7 mois. Par conséquent, elle aura besoin de crèche pour son futur bébé.
‘’A chaque fois, on me renvoie pour défaut de place’’
‘’J’ai quitté chez moi dans la matinée, vers 10 h. Depuis lors, je suis à la recherche d’une structure sanitaire. A chaque fois, on me renvoie pour défaut de place. J’ai même été à une clinique où on m’a exigé une forte somme, avant mon admission. Je leur ai demandé de me laisser jusqu’à demain pour apporter l’argent, car je ne l’ai pas avec moi, mais ils n’ont pas voulu m’admettre. Nabil Choucair est la deuxième structure sanitaire où je me suis rendue depuis ce matin’’, narre-t-elle d’un trait.
Devant ces propos, Aicha reste bouche-bée, et la peur se lit sur son visage déjà recouvert du masque de la grossesse.
Le salut, pour la jeune dame, viendra d’un voisin dont le frère travaille à Gaspard Camara. En effet, devant la tournure des événements, l’un des accompagnants a pris son téléphone pour appeler le voisin qui, aussitôt, a câblé son frère qui n’était pas de garde cette nuit-là. Mais ce dernier a pris la peine d’appeler à l’hôpital et expliquer que sa nièce allait venir accoucher là-bas. C’est ainsi qu’elle a pu retrouver le sourire et connaître les joies de la maternité.
La circulaire du ministre, le sauf-conduit
La maternité est le rêve de toutes les femmes. Un rêve qui est en passe de se transformer en cauchemar pour nombre de femmes au Sénégal. En plus des douleurs de l’accouchement, les femmes doivent, depuis un bon bout de temps, composer avec le manque d’espace dans les structures publiques. Avant d’entendre les cris de leurs nourrissons, elles vivent un véritable calvaire. C’est dans ce contexte qu’intervient la circulaire du ministre de la Santé relative à la prise en charge des urgences. Dans sa note, Abdoulaye Diouf Sarr demande aux directeurs d’hôpitaux que ‘’tout patient qui arrive en situation d’urgence doit être prioritairement pris en charge. (…) Faute de place ou de conditions optimales de prise en charge, il doit organiser sa référence avec la structure où il sera orienté ou le faire en collaboration avec le Samu (…)’’.
Il faut dire, cependant, que le Sénégal n’est pas prêt encore à résoudre le problème des urgences. En effet, une femme a perdu la vie à Thiès, durant le premier weekend du mois de janvier, après avoir mis au monde des jumeaux. La nouvelle maman a, d’après les informations, succombé au cours de son évacuation à l’hôpital régional de Thiès. Dans le même sillage, Coumba se remémore encore de l’accouchement difficile de sa nièce, renvoyée par plusieurs hôpitaux et créant ainsi beaucoup d’inquiétude dans sa famille. ‘’Personne n’a fermé l’œil, cette nuit-là, à la maison. On se demandait si son cas n’était pas trop critique, vu les multiples renvois. C’est une clinique qui l’a finalement accueillie et elle a accouché par césarienne, à cause de son long périple. Ma nièce garde toujours en mémoire la mésaventure de cette soirée’’, explique-t-elle.
Avec cette circulaire du ministre, les femmes sénégalaises peuvent garder un brin d’espoir, quant à l’accueil qui leur sera réservé dans les structures sanitaires.
SENTIMENT ANTI-FRANÇAIS OU SENTIMENT ANTI-FRANÇAFRIQUE ?
Macron aime dresser des écrans de fumée, en politique africaine - L'intervention militaire offre une rente de situation aux régimes dictatoriaux, corrompus qui sont la cause même de l'enracinement du djihadisme - UN COLLECTIF DE PERSONNALITÉS AFRICAINES
SenePlus publie ci-dessous, la déclaration reçue le 13 janvier, signée d'un collectif de personnalités des pays sahéliens qui fustige la poursuite de l'opération Barkhane.
Des « héros tombés pour leur pays », selon Édouard Philippe, des soldats « morts pour la France », selon Emmanuel Macron : l'émotion patriotique qui a entouré l'accident d'hélicoptères du 25 novembre au Mali, dans lequel sont morts 13 soldats français, devrait empêcher toute critique de l'opération Barkhane en France comme en Afrique. C'est ce qu'a assumé Emmanuel Macron en annonçant, le 5 décembre, un sommet des chefs d’État du G5 Sahel afin qu’ils clarifient et formalisent « leurs demandes à l'égard de la France et de la communauté internationale ».
Le choix du lieu, Pau, est lourd de symbole puisque plusieurs des soldats français tués venaient d’un régiment de cette ville : un président français demande ainsi à des chefs d'Etats de venir honorer la mémoire de ces soldats, alors que dans leurs pays "protégés" par l'armée française, les morts se comptent par centaines. Outré par les critiques croissantes contre la présence militaire française dans les pays du Sahel, le président français exige l’engagement de leurs gouvernants dans la croisade menée par la France et les somme de se justifier de la montée d’un sentiment anti-français : « Je ne peux ni ne veux avoir des soldats français sur quelque sol du Sahel que ce soit à l’heure même que l’ambiguïté persiste à l’égard de mouvements antifrançais, parfois portée par des responsables politiques ». En plein tollé provoqué par cette convocation aux relents coloniaux, la mort de 71 militaires nigériens le 10 décembre est venue rappeler aux Français que c'est chaque semaine que les populations sahéliennes sont frappées par différents groupes armés, qu'une absurde "guerre contre le terrorisme" ne parvient nullement à faire reculer ni même à contenir.
Nul ne le conteste : au Sahel, où l’opération Barkhane se déroule depuis 2014, la situation se dégrade. L’insécurité et les activités des groupes djihadistes se sont étendues. Malgré tout, la France maintient son cap militaire, se targuant régulièrement de l'efficacité de certaines frappes, et déployant désormais des drones tueurs sans que cela fasse débat à Paris. La militarisation de la zone s’opère aussi avec l’appui du G5 Sahel, une force conjointe initiée en 2017 par la France qui peine à émerger, et de la MINUSMA, la force de maintien de la paix de l'ONU, qui démontre au quotidien son impuissance. Bien que la solution militaire n'ait aucune chance d'aboutir, elle reste la seule option envisagée par Paris, qui s'oppose à toute négociation d'une solution politique. Et les actions à destination des civils menées dans les zones d’intervention de Barkhane pour faciliter l’acceptation de la force française par les populations ne sont qu'un artifice dont les "bénéficiaires" ne sont pas dupes. Loin d’ouvrir la voie à une amélioration des conditions de vie des populations, l’intervention militaire offre une rente de situation aux régimes dictatoriaux, autoritaires ou corrompus qui sont la cause même de l'enracinement du djihadisme et des groupes armés.
A l'heure où les investigations judiciaires pointent de plus en plus les possibles compromissions du clan Sarkozy avec le colonel Kadhafi, nul ne peut ignorer que la guerre en Libye de 2011 a entraîné la déstabilisation de toute la sous-région. Cette intervention est aujourd'hui clairement identifiée par les habitants de la région comme un élément déclencheur de la crise malienne qui a permis aux groupes armés de prospérer. Si l'opération Serval a été chaleureusement accueillie par les Maliens début 2013, le jeu trouble de l'armée française (notamment vis à vis de certains groupes armés alliés dans la région de Kidal) et l'enlisement d'une vaine solution militaire à des problèmes politiques et sociaux, a légitimement retourné progressivement l'opinion malienne contre la France. Au Burkina Faso et au Tchad où la France a toujours soutenu les dictateurs Blaise Compaoré (renversé fin 2014) et Idriss Déby, en Mauritanie où elle a apporté un blanc-seing à la prétendue "élection" d'août dernier, au Niger où le pillage de l'uranium n'a jamais profité à la population et où les manifestations de la société civile sont systématiquement interdites, la montée d'un sentiment "anti-français" n'a rien d’étonnant : il s'agit en somme d'un sentiment anti-Françafrique.
Acculé par les contestations populaires, Emmanuel Macron aime dresser des écrans de fumée, en politique africaine comme ailleurs. Les annonces fracassantes récentes sur le franc CFA en sont une nouvelle démonstration, en faisant passer une réforme destinée à préserver une forme d'ingérence française dans le système monétaire ouest-africain pour, ni plus ni moins, une manière de « rompre les amarres ». Ces mêmes amarres, qui caractérisent depuis 60 ans la Françafrique et ses différentes évolutions, l'amènent pourtant à organiser en juin prochain un sommet "Afrique-France" dans la tradition de ses prédécesseurs à l’Élysée. Le président a beau jeu d'affirmer, comme le 4 décembre dernier, que « la France n'est pas là avec des visées néocoloniales ou avec des finalités économiques. On est là pour la sécurité collective de la région et la nôtre ». Mais comment occulter que la défense des intérêts économiques régionaux, les enjeux de puissance internationale de la France et l’obsession de la lutte contre les migrations, sont le socle d'une intervention militaire vouée aux gémonies par les peuples qui la vivent au quotidien ? La "convocation" à Pau des chefs d'Etat du Sahel, vécue comme une humiliation de plus, ne peut que remuer le couteau dans la plaie françafricaine que représente aujourd'hui Barkhane.
Signataires :
Boubacar Boris Diop, écrivain, Sénégal ;
Patrice Garesio, co-président de Survie, France ;
Mahamat Nour Ibedou, Secrétaire général de la Convention tchadienne de défense des droits de l’Homme
Demba Karyom Kamadji, syndicaliste, Tchad ;
Eric Kinda, Porte-parole du Balai citoyen, Burkina Faso ;
Younous Mahadjir, syndicaliste, Tchad
Issa Ndiaye, universitaire et ancien ministre, président du Forum civique Mali,
Jacques Ngarassal Saham, Coordinateur de Tournons la Page-Tchad ;
Ndongo Samba Sylla, économiste, Sénégal
Moussa Tchangari, secrétaire général d'Alternative Espaces Citoyens, Niger
Maikoul Zodi, Coordinateur de Tournons la Page-Niger ;
Chrysogone Zougmoré, président du Mouvement burkinabè des droits de l'Homme et des peuples (MBDHP), Burkina Faso ;"
LE G5 SAHEL SOUHAITE LA POURSUITE DE L'ENGAGEMENT MILITAIRE DE LA FRANCE
Les chefs d'Etats sont convenus "de mettre en place un nouveau cadre politique, stratégique et opérationnel qui marquera une nouvelle étape dans la lutte contre les groupes terroristes au Sahel et dans la prise de responsabilité collective"
Les dirigeants des pays du G5 Sahel ont souhaité lundi, dans une déclaration commune publiée à l'issue d'un sommet à Pau (Pyrénées-Atlantiques), la poursuite de l’engagement militaire de la France au Sahel et annoncé la mise en place d'un nouveau cadre opérationnel face à une menace djihadiste persistante.
Les chefs d’Etat de Mauritanie, du Mali, du Burkina Faso, du Niger et du Tchad ont "exprimé le souhait de la poursuite de l’engagement militaire de la France au Sahel", peut-on lire dans cette déclaration également signée par la France.
Ils "ont plaidé pour un renforcement de la présence internationale à leurs côtés" et "ont exprimé leur reconnaissance à l’égard de l’appui crucial apporté par les Etats-Unis et ont exprimé le souhait de sa continuité", peut-on encore lire.
Les chefs d'Etats sont convenus "de mettre en place un nouveau cadre politique, stratégique et opérationnel qui marquera une nouvelle étape dans la lutte contre les groupes terroristes au Sahel et dans la prise de responsabilité collective".
"Ce nouveau cadre, ajoutent-ils, prendra la forme et le nom d’une 'Coalition pour le Sahel', rassemblant les pays du G5 Sahel, la France – à travers l’opération Barkhane et ses autres formes d’engagements, les partenaires déjà engagés, ainsi que tous les pays et organisations qui voudront y contribuer."
PAR Francis Kpatindé
DES DOYENS OUEST-AFRICAINS AGACÉS PAR LE PETIT-FRÈRE MACRON
Pour beaucoup de ses pairs africains, Emmanuel Macron est en effet un ovni politique, sans doute le premier président de la Ve République dont ils n’avaient pas prévu ni souhaité l’élection
Le Monde Afrique |
Francis Kpatindé |
Publication 13/01/2020
Emmanuel Macron aura donc finalement réuni, lundi 13 janvier, à Pau, dans le sud-ouest de la France, ses pairs membres du G5 Sahel pour un sommet stratégique consacré à la recrudescence des attaques djihadistes au Mali, au Burkina et au Niger. Une première invitation, perçue comme comminatoire par l’opinion et une partie des dirigeants africains concernés, avait été ajournée suite à une attaque de grande ampleur contre un camp de l’armée nigérienne le 10 décembre 2019 à Inates, dans l’ouest du pays.
Quelques jours plus tôt, le 4 décembre, la mine serrée, Emmanuel Macron avait annoncé sur un ton martial, à l’issue d’un sommet de l’OTAN, avoir convié les présidents du Mali, du Burkina Faso, du Niger, de la Mauritanie et du Tchad, à un sommet le 16 décembre à Pau pour qu’ils clarifient leur position sur la présence militaire française au Sahel, de plus en plus contestée par leurs opinions publiques. Il avait par ailleurs souligné attendre d’eux qu’ils assument publiquement le fait que les soldats français sont au Sahel à la demande des pays concernés, et non pas pour des « visées néocoloniales ».
Le ton utilisé, la teneur même de l’invitation avaient agacé dans certains palais de la région, et au-delà. Si le Nigérien Mahamadou Issoufou avait bien tenté de relativiser le coup de menton du président français, excluant toute tension avec Paris, le Tchadien Idriss Déby Itno avait argué, lui, d’un agenda diplomatique chargé pour se faire excuser. De son côté, le Burkinabé Roch Marc Christian Kaboré, par ailleurs président en exercice du G5 Sahel, avait pris le temps de la réflexion avant de déplorer « la forme et le ton » utilisés par Emmanuel Macron, exprimant ainsi à haute voix, et avec une sobriété toute sahélienne, l’opinion de l’ensemble de ses camarades.
Il en va ainsi depuis près de trois ans ! Il ne règne pas entre Emmanuel Macron et la grande majorité de ses homologues de la sphère francophone africaine, un enthousiasme délirant. Au-delà des bourdes diplomatiques, nombreuses ces dernières années, des échanges « francs et directs » à l’abri des regards extérieurs, des divergences d’approche sur l’épineux dossier sahélien et, selon la formule d’un dirigeant ouest-africain, de la « propension atrabilaire de Macron à nous mettre la pression », un constat s’impose : la passion n’est pas au rendez-vous entre plusieurs capitales africaines et l’Elysée. Et cela tient moins de l’impétuosité supposée du chef d’Etat français qu’à un défaut d’arborescence et à son (relatif) jeune âge.
« Apte à pétrir la pâte »
Pour beaucoup de ses pairs africains, Emmanuel Macron est en effet un ovni politique, sans doute le premier président de la Ve République dont ils n’avaient pas prévu ni souhaité l’élection. Sans remonter jusqu’à Charles de Gaulle ou Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande étaient, à leurs yeux, « traçables ». Ils avaient un passé et une trajectoire politiques, avaient dirigé un parti, gagné, perdu des élections. Ils étaient connus en Afrique. Macron ? Inconnu avant son élection dans le Who’s who franco-africain, en dépit des deux années passées à l’Elysée comme secrétaire général adjoint, puis de deux autres années dans le gouvernement de Manuel Valls 2 en tant que ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Dans le marigot politique continental, on se méfie de tout ce qui est inopiné. Surtout lorsque l’inconnu en question, 39 ans au moment de son élection, semble renvoyer nombre de ses pairs africains à leur propre obsolescence.
Dans le syndicat des chefs d’Etat africains, où l’on se donne à tout propos du « doyen », du « koro », du « fogan » ou du « fofo », autant de mots pour conforter et pérenniser le culte du grand frère, le droit d’aînesse est sacré. Et l’avènement d’un « dogo », le petit frère, fût-il le président de l’ancienne puissance coloniale, est généralement célébré, à condition que ce dernier reste à la place qui lui est assignée. « C’est quand un vieux lave bien les mains d’un jeune que ce dernier est apte à pétrir la pâte », clame un proverbe ouest-africain. Barack Obama, fraîchement élu pour un premier mandat à la Maison Blanche, a ainsi été stupéfait lorsqu’un président africain, déjà octogénaire, lui a tenu, piano, les propos suivants en marge d’une réunion internationale : « Je suis ton grand frère et j’ai du métier. Tu peux compter sur mes conseils et éclairages. »
Le droit d’aînesse est à ce point ancré dans les mœurs que plusieurs Etats requièrent toujours un âge minimal avancé pour briguer la magistrature suprême. S’il avait été mauritanien ou tchadien, Emmanuel Macron n’aurait pas pu se porter candidat à la présidence de la République en 2017, l’âge minimal pour figurer sur la ligne de départ dans ces deux pays étant respectivement de 40 et 45 ans.
Dans le même ordre d’idées, l’âge médian des cinq dirigeants du G5 Sahel frôle les 68 ans. Macron pourrait donc être le fils des présidents Roch Marc Christian Kaboré, Ibrahim Boubacar Kéita, Idriss Déby, Mahamadou Issoufou et Mohamed Ould Ghazaouani. Et, si l’on élargissait le cercle de famille, il serait le petit-fils de Paul Biya, Alpha Condé, Alassane Ouattara, Nana Akufo-Addo ou Denis Sassou-Nguesso. Eu égard à leur âge respectable et aux yeux de leurs opinions publiques respectives, il leur est difficile d’accepter de se faire tancer ou convoquer publiquement par plus « petit ». Et peu importe que ce dernier soit à la tête de la sixième puissance mondiale !
Francis Kpatindé, ancien rédacteur en chef du Monde Afrique, est journaliste et enseignant à Sciences Po Paris, où il dirige un cours sur « le contrôle des élections en Afrique au sud du Sahara ».
LA DÉMOCRATIE SERA BIEN LA GRANDE ABSENTE DE LA RÉUNION DE PAU
Il faut poser sans détour la question démocratique. Aucun fruit ne sortira d'un arbre pourri. Le soutien français aux dictatures est une politique injuste et de courte vue
Après le décès de 13 soldats français en novembre dernier au Mali, la pertinence et la légitimité de l'intervention militaire française au Sahel ont été remises en question. Dépassé par les événements, Emmanuel Macron a voulu paraître reprendre la main en convoquant les chefs d’État membres du G5 Sahel à Pau. Cette façon arrogante de faire a suscité un tollé en Afrique. De nouveaux massacres au Niger ont obligé à repousser la réunion à janvier. Depuis, la situation sur place a été marqué par une intense activité des forces. On parle d'importantes "victoires tactiques" pour Barkhane mais aussi de nombreuses pertes dans les forces armées du G5.
Répondre au défi politique
Après trois mois, rien n'a fondamentalement changé : six ans d'intervention n'ont pas permis de redresser la situation du Mali et les groupes armés ont essaimé dans tout le sous-continent. La réunion de Pau ne changera rien si elle ne traite du problème que sous l'angle militaire. En Afghanistan, Barack Obama a vainement augmenté les effectifs étasuniens. L'écrasante supériorité militaire des États-Unis n'a rien produit. La supériorité militaire française ne fera pas mieux au Sahel. Il faut répondre au défi politique.
Tout d'abord nous devons reconnaître et prendre acte du fait que l'intervention française est désormais suspecte aux yeux des populations. Dès lors, il est temps de planifier un plan de retrait. Pour autant, il ne peut s'agir de laisser une autre puissance - Arabie saoudite, Turquie ou Russie - s'installer comme maîtresse de la région. Cela implique de remettre en selle les organisations internationales légitimes à agir : le mandat de la Minusma doit être élargi et comporter une dimension nettement plus offensive.
Parallèlement, il faut mobiliser la communauté internationale pour participer à la reconstruction des États, victimes des politiques d'ajustement exigées par le FMI dans les années 1990. Le budget de Barkhane pourrait être réorienté progressivement dans cette direction.
Enfin, il faut poser sans détour la question démocratique. Aucun fruit ne sortira d'un arbre pourri. Le soutien français aux dictatures est une politique injuste et de courte vue. Il discrédite durablement toute action française dans la région et représente un obstacle à tout règlement durable des conflits. En février 2019, l'armée française réprimait l'opposition armée au dictateur tchadien Idriss Déby, façon de récompenser sa participation au G5 Sahel. Comment dans ces conditions prétendre lutter durablement contre les djihadistes et pour la démocratie et les droits de l'Homme ?
Hélas, la démocratie sera bien la grande absente de la réunion de Pau.
"IL EST URGENT ET LÉGITIME DE RENDRE LE CONSEIL DE SÉCURITÉ PLUS INCLUSIF"
Selon Macky Sall, une représentation "plus équilibrée donnerait à l’Afrique un surcroît d’autorité et de légitimité en tant que garant du système de sécurité’
Le président sénégalais Macky Sall a souligné lundi à Dakar l’urgence de rendre le Conseil de sécurité de sécurité de l’Organisation des Nations unies ‘’plus inclusif’’, en vue d’arriver à une meilleure gouvernance mondiale.
"Il est urgent et légitime de rendre le Conseil de sécurité des Nations unies plus inclusif dans sa composition et plus démocratique dans son fonctionnement pour une meilleure gouvernance mondiale", a-t-il dit lors de la réunion de la huitième rrencontre ministérielle du comité des 10 chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine (C-10) sur la réforme du Conseil de sécurité des Nations unies.
Selon Macky Sall, qui présidait la cérémonie officielle d’ouverture de cette rencontre, une représentation "plus équilibrée donnerait à l’Afrique un surcroît d’autorité et de légitimité en tant que garant du système de sécurité’’.
"Il n’est pas superflu de revenir sur la légitimité de cette revendication (…). Aujourd’hui, l’Afrique compte le plus grand nombre d’adhérents aux Nations unies avec 54 Etats membres. De plus les questions africaines occupent l’essentiel de l’agenda du Conseil de sécurité. On ne peut pas régler les questions africaines sans les Africains", a fait valoir le président sénégalais.
Il a demandé au C10 de poursuivre dans la perspective de son mandat "en veillant à la solidarité, à la cohésion et à la discipline de groupe"
"Nous allons continuer à faire preuve d’ouverture dans les échanges avec les autres groupes d’intérêts (…), en même temps il faudra éviter toutes initiatives ou démarches de nature à fragiliser l’unité et la cohésion du groupe Afrique’’, a indiqué Macky Sall.
"Il est important que le groupe continue d’insister sur la nécessité de préserver l’inclusion et la transparence dans le processus de négociations au sein du groupe de travail de l’Assemblée des Nations unies", a-t-il ajouté.
Le président Sall juge juste "la Position africaine commune’’ (PAC) consistant à réclamer "en cas de réforme des Nations unies un statut unique pour tous les nouveaux membres permanents".
L’assemblée ministérielle du Comité des chefs d’Etat et de gouvernement (C-10), instituée en 2005, est composée de 10 pays, à savoir l’Algérie, la Guinée Equatoriale, le Kenya, la Libye, la Namibie, l’Ouganda, la République du Congo, le Sénégal, la Sierra Leone et la Zambie, soit deux par sous-région.
Il a pour mandat de présenter, défendre et vulgariser la Position africaine commune (PAC) issue de la Déclaration de Syrte (Lybie) prévoyant l’octroi au continent de deux sièges permanents et deux sièges non permanents supplémentaires au Conseil de sécurité.
L’objectif principal visé à travers cette position est de "veiller à la réparation de l’injustice historique que représente l’absence de l’Afrique de cet organe au sein duquel les questions africaines sont prépondérantes".
LE PROCÈS DE LAMINE DIACK RENVOYÉ POUR PROBLÈMES DE PROCÉDURE
Cette décision s'explique notamment par le fait que le Sénégal a fait parvenir très récemment des actes d'enquête, qui avaient été demandés par les juges d'instruction en 2016, et auxquels Dakar n'avait jusque-là jamais répondu
Le procès de Lamine Diack, l'ancien président de la Fédération internationale, s'est ouvert lundi par une demande immédiate de renvoi, présentée par le parquet national financier. Celle-ci a été acceptée.
Le Sénégalais Lamine Diack, l'ancien président de la Fédération internationale (IAAF), et son entourage, soupçonnés d'être au coeur d'un système de corruption pour couvrir des cas de dopage d'athlètes russes, étaient jugés par la 32e chambre correctionnelle du Tribunal de Paris depuis ce lundi.
Mais leur procès a débuté par un premier rebondissement. Le parquet national financier a en effet demandé un renvoi immédiat, en raison de problèmes de procédure. La demande a été acceptée, et le procès renvoyé au moins jusqu'au mois de juin.
Cette décision s'explique notamment par le fait que le Sénégal a fait parvenir très récemment des actes d'enquête, qui avaient été demandés par les juges d'instruction en 2016, et auxquels Dakar n'avait jusque-là jamais répondu.
Une audition de Papa Massata Diack
Parmi ces éléments, figure une audition de Papa Massata Diack, le fils de Lamine Diack, l'ancien puissant conseiller marketing de l'IAAF, réfugié au Sénégal depuis le début des investigations, et qui n'a jamais répondu à la justice française. Lui aussi devait être jugé à partir de lundi en son absence.
« Ces pièces, nous les avons reçues physiquement ce matin [...] Nous n'avons pas pu les étudier », ni les communiquer aux autres parties, a constaté Arnaud de Laguiche, l'un des procureurs financiers, en montrant aux juges une lourde pile de dossiers. « Nous ne pouvons pas faire comme si ces pièces n'existaient pas », a-t-il ajouté.
Eric Russo, l'autre procureur financier présent à l'audience, a soulevé un second problème procédural, dans le mandat d'arrêt international qui avait été décerné par la justice française contre Papa Massata Diack.
Diack risque dix ans de prison
À 86 ans, Lamine Diack, qui a régné sur l'IAAF de 1999 à 2015, doit répondre des délits de corruption active et passive, abus de confiance et blanchiment en bande organisée. Il risque jusqu'à dix ans de prison et une lourde amende. Arrivé au bras d'un proche lundi en milieu de journée, il n'a pas fait de déclaration aux journalistes, en rentrant dans la salle d'audience.
Rose-Marie Hunault, la présidente de la 32e chambre correctionnelle du Tribunal de Paris, a émis l'hypothèse que le procès se déroule désormais du 3 au 22 juin prochain.
C’EST LE MOMENT DE VÉRITÉ
Ce lundi s’ouvre à Paris le procès de corruption présumée à l’IAAF dans lequel est impliqué Lamine Diack et son fils, Pape Massata. Ce dernier qui sera jugé par défaut a brisé le silence.
Ce lundi s’ouvre à Paris le procès de corruption présumée à l’IAAF dans lequel est impliqué Lamine Diack et son fils, Pape Massata. Ce dernier qui sera jugé par défaut a brisé le silence.
Pape Massata Diack s’est prononcé sur les ondes de Iradio (90.3). « Je suis serein et je pense que le droit sera dit. On sera défendu par nos avocats. Je suis sous contrôle judiciaire depuis 2016. Je suis citoyen sénégalais et j’ai toujours contesté la compétence des juridictions françaises dans cette affaire », a expliqué Pape Massata Diack.
Celui-ci est resté quatre ans son voir son père Lamine Diack qui, dans le cadre de cette affaire, est assigné à résidence, à Paris. Aujourd’hui, il a nostalgie de son père.
« On aurait bien voulu qu’il soit au Sénégal en train de bien vivre sa retraite et que l’enquête se fasse dans la sérénité. C’est tout ce qui a manqué dans cette affaire. Cette enquête a fonctionné sous le principe de la présomption de culpabilité, tout en violant les droits de la défense. C’est une enquête à ciel ouvert. On a subi cela durant quatre ans. Donc, c’est le moment de la vérité. Il faudra apporter les preuves de toutes les allégations faites par des articles de presse un peu partout dans le monde. C’est un moment de la vérité », a soutenu Pape Massata Diack.
A la question de savoir si le fait qu’il soit resté au Sénégal ne réduit pas ses chances de gagner ce procès, il rétorque : « en droit pénal, les débats sont contradictoires. C’est une nouvelle instruction. Le procès va se dérouler devant des avocats aguerris qui vont demander aux accusateurs de cette cabale anglo-saxonne et française de sortir leurs preuves. Mon absence n’aura pas d’inconvénients sur ce procès », a rassuré Diack qui a profité de l’occasion pour remercier tous ceux qui les soutiennent dans cette épreuve.