C’est un moyen prisé par les jeunes pour s’affranchir des bouchons et de la circulation, très dense, dans la capitale sénégalaise. À Dakar, les usagers du roller sont de plus en plus nombreux, mais ces courts ou longs déplacements ne se passent pas toujours comme sur des roulettes.
Face aux innombrables dangers dans les rues où les voitures sont prioritaires, les usagers du roller tentent de s’imposer. Mais avant de s’aventurer, ils s’entraînent.
C’est ainsi que les rollers ont investi ce terrain de basket du quartier de Mermoz. Jordann Ciss, en classe de cinquième, vient perfectionner son jeu de jambes avant de repartir en ville, roller aux pieds. « On peut se déplacer plus vite. Lorsqu’il y a des embouteillages, on peut partir plus vite. Ça passe partout. »
Pour l’entraînement, slalom ou parcours d’obstacles, le terrain a été soigneusement balayé par la monitrice, Habibatou Thiam. « Il faut une partie lisse, sinon le sable, c’est mort. »
Liberté sous condition
Pour Habibatou, le roller est une seconde nature : « Ça te permet de libérer l’esprit, d’être vraiment "free", comme on dit. » Une liberté à certaines conditions. Rokhaya Thiame est aussi monitrice : « Quand je roule, il faut vraiment faire attention aux chauffards qui sont sur la route, regarder, se concentrer. Surtout la concentration. Il y a les protections aux genoux, coudes, poignets et le casque. »
Babacar Ndiaye, président de l’association Accro Roller, s’occupe de former les plus jeunes à la glisse urbaine. « Je suis plus connu sous le nom de Babaroller. » Pour lui, il faut plus d’espaces roller compatibles dans la ville : « Des pistes cyclables et puis surtout nous partageons cette route. C’est juste pour un moment, donc faisons-le dans la paix et dans la cordialité. »
L’État sénégalais a promis une piste cyclable le long du tracé d’une future voie de bus du centre-ville à la banlieue. Livraison prévue en 2022.
VICTIME DE CRIS RACISTES, MOUSSA MAREGA QUITTE LA PELOUSE AVEC FRACAS
L’attaquant international malien du FC Porto, a inscrit le but de la victoire de son équipe à Guimaraes avant de quitter le terrain, ne supportant plus les cris racistes dont il faisait l’objet
Le FC Porto revient à un point du Benfica Lisbonne en tête du championnat du Portugal. La défaite des Lisboètes samedi 15 février contre Braga (0-1) et la victoire des Dragons dimanche 16 février sur le terrain du Vitoria Guimaraes (2-1) relance la course au titre.
Mais le résultat sportif de Porto n’est pas l’enseignement majeur de cette 21e journée de Liga Nos. De ce match gagné par les Portuans dans le nord du Portugal, on retient surtout le spectacle consternant qui a amené à la sortie enragée de Moussa Marega bien avant la fin de la rencontre.
Insulté, Marega répond avec un but et une célébration particulière
À la 60e minute de jeu, alors que le score était de 1-1, le Malien, lancé en profondeur, a remporté son duel avec le gardien Douglas Jesus d’une balle piquée. Un but qui s’avèrera décisif puisque Porto ne lâchera plus cet avantage d’un but. Mais juste après son 6e but de la saison, Moussa Marega a défié certains supporters du stade Dom Afonso Henriques, l’antre du Vitoria Guimaraes.
L’Aigle n’a pas fêté sa réalisation avec la joie habituelle du buteur. Non, il a plutôt montré plusieurs fois son avant-bras en direction des tribunes, comme pour désigner sa couleur de peau. Une attitude qui n’a pas plu à certaines personnes, qui ont commencé à jeter des projectiles dans sa direction, dont des sièges arrachés.
L’arbitre a adressé un carton jaune à Moussa Marega, coupable à ses yeux d’avoir provoqué les supporters. L’homme au sifflet ignorait peut-être les raisons qui ont poussé le joueur à réagir ainsi. Mais la suite lui a sans doute permis de comprendre davantage. Car l'incident ne s'est pas arrêté là.
Personne n'a pu l'empêcher de quitter le terrain
Loin de se calmer, Moussa Marega a laissé exploser sa colère. Dans le stade de Guimaraes, certains individus ont proféré des insultes à caractère raciste à son égard. Ce n’est pas une première en Europe, bien au contraire même. Mais cette fois, l’attaquant de 28 ans a riposté avant de dire stop.
Ses coéquipiers et plusieurs joueurs du Vitoria Guimaraes ont tenté de le convaincre, mais sa décision était prise : Marega a décidé de quitter le terrain. Sous les sifflets, le Malien, après plusieurs minutes de discussions vives avec les protagonistes sur la pelouse, a demandé à être remplacé, tout en adressant des pouces en bas en direction des tribunes.
Choqué par l’attitude de ces supporters insultants, le coach de Porto, Sergio Conceiçao, leur a crié plusieurs fois : « C’est une honte ! » Et avant de rentrer au vestiaire à la 71e, Moussa Marega, fou de rage, a envoyé des doigts d’honneur aux tribunes où se trouvaient ses agresseurs.
« Nous sommes une famille, sans distinction de nationalité, de couleur de peau ou de couleur de cheveux »
L’incident de Guimaraes relance une nouvelle fois le débat sur la conduite à adopter en cas d’injures racistes dans les stades. Le FC Porto, lui, fait bloc derrière son joueur. Quelques minutes après la fin du match, Sergio Conceiçao a fait part de son indignation en conférence de presse. L’ex-coach du FC Nantes a tenu un discours fort : « Nous sommes une famille, sans distinction de nationalité, de couleur de peau ou de couleur de cheveux. Nous sommes humains et nous méritons le respect. Ce qui s’est passé est lamentable. »
Le technicien a poursuivi : « Nous sommes complètement indignés par ce qui s’est passé. Je sais qu’il y a beaucoup de passion au Vitoria Guimaraes (club qu’il a coaché pendant quatre mois entre 2015 et 2016, ndlr) et je crois que la plupart des supporters ne se reconnaissent pas dans l’attitude de certains individus qui insultaient Moussa depuis l’échauffement. » L’attitude des instances, l’UEFA et la Fifa en tête, sera à suivre ces prochaines heures après cette énième agression raciste dans le football européen.
"SI L'AFRIQUE VEUT SE DÉCOLONISER, ELLE DOIT SORTIR DE LA TUTELLE DANS LAQUELLE ELLE S'EST INSTALLÉE"
Amadou Sadjo Barry, professeur de philosophie, fait le bilan de gouvernance de soixante ans d’indépendance des Etats africains
Dans la grande majorité des pays d’Afrique, le droit à l’autodétermination des peuples, autour duquel s’est mobilisé le mouvement des indépendances, n’a pas affranchi les structures de la gouvernance de l’imaginaire colonial. Soixante ans après les indépendances, la précarisation, la violence et la domination structurent toujours le rapport entre les Etats et leurs populations. Ce qui non seulement confine les Etats dans une inefficacité structurelle et normative, mais surtout érige la procuration et l’extraversion comme les modalités privilégiées de l’exercice de la souveraineté.
Par procuration, il faut entendre que les gouvernements africains passent, pour gérer les questions liées à la justice sociale, à la santé et à la sécurité, par l’intermédiairede la communauté internationale ou des politiques d’aide au développement des gouvernements occidentaux. L’extraversion consiste dans le fait de solliciter constamment l’aide extérieure. C’est une forme de gouvernance tournée exclusivement vers le soutien des pays riches.
C’est très exactement cette dynamique contradictoire de la souveraineté, qui allie dans une même logique la souveraineté et la dépendance, que manifestent les problématiques soulevées par l’opération « Barkhane », le franc CFA, l’aide au développement ou encore la lutte contre l’épidémie Ebola. Mais comment expliquer que les prérogatives qui définissent véritablement l’institution de la souveraineté font l’objet de troc entre les gouvernements africains et les puissances qui dominent l’environnement international ?
Généalogie de la souveraineté en Afrique
Pour comprendre, il importe tout d’abord de relever que l’institution de la souveraineté de l’Etat en Afrique n’a aucun fondement endogène. Loin d’être le résultat d’une interrogation sur les principes normatifs censés garantir l’existence d’un peuple pensé comme une communauté d’intérêts, l’idée d’un Etat souverain y est juste la conséquence d’une transformation de l’ordre légal international. C’est en effet l’instauration du régime de la souveraineté « négative » au niveau international qui a obligé à reconnaître comme Etats souverains les pays décolonisés. Alors que traditionnellement, c’est la souveraineté « positive », c’est-à-dire la capacité de gouvernance et l’indépendance effective qui déterminaient l’acquisition de la souveraineté au niveau international, le droit à l’autodétermination des peuples allait faire de la non-soumission à une entité extérieure une condition essentielle à la reconnaissance internationale des Etats.
Ainsi, sous l’effet de la décolonisation de l’après-guerre, l’instauration de ce nouveau régime de la souveraineté « négative » a conduit à la création d’Etats, souverains au regard du droit international, mais en réalité lourdement amputés de la dimension positive de la souveraineté. En fait, le droit à l’autodétermination des peuples a donné naissance à ce que Robert Jackson a admirablement appelé les « quasi-States » : des Etats qui existent légalement, mais dont la réalité empirique demeure une illusion, car ces dits Etats sont structurellement incapables d’assumer les prérogatives liées entre autres à la justice sociale, à la sécurité et à l’unité nationale. Paradoxalement donc, l’indépendance s’est traduite par l’institution d’Etats souverains dépendants, sous perfusion internationale, consacrant une forme de souveraineté assujettie. Le philosophe politique allemand Thomas Pogge a déjà analysé, dans World Poverty and Human Rights, les conséquences négatives sur les populations africaines et le système international lui-même de cette dynamique contradictoire de la souveraineté des Etats africains.
Mais ce qui interpelle davantage aujourd’hui, c’est l’entretien et la longévité de cette forme de souveraineté assujettie de l’Etat en Afrique. Nous y sommes encore, soixante ans après les indépendances. Ainsi, au-delà des considérations liées au rapport de pouvoir au niveau international, c’est tout d’abord les idéologies des indépendances et les pratiques de gouvernance auxquelles celles-ci ont donné lieu qu’il faudrait interroger. Comment expliquer que le panafricanisme et le socialisme africain n’aient pas favorisé l’émergence d’un Etat effectif et représentatif ? Comment comprendre cette étrange cohabitation entre ces idéologies et les pratiques du pouvoir qui ont démembré structurellement et normativement l’Etat en Afrique ?
En effet, les idéologies de l’indépendance n’ont pas pris au sérieux les problèmes éthiques et politiques de la vie commune. L’erreur a été de croire que la contestation du colonialisme et le rappel incessant de la nécessité de valoriser la culture africaine suffisaient à fonder une communauté d’intérêts mue par le désir de vivre ensemble selon des principes normatifs discutés et acceptés par tous.
Continuité des pratiques
Derrière, c’est toute la question du politique, en tant qu’elle s’apparente à une mise en ordre des interactions humaines d’une manière qui rende possible l’institution d’un espace public régi par une morale minimale commune, qui a été oblitérée par le panafricanisme et le socialisme des indépendances. Cette négation du politique a eu son lieu d’expression privilégié dans la conception d’une nation et d’une unité nationale véhiculée par les tenants du panafricanisme et du socialisme.
La définition de la nation impliquait a priori le rejet du pluralisme et une suspicion à l’égard des dispositifs de contestation publique : la nation, c’était exclusivement le chef. Or cette identification entre la personne du chef et celle de la nation a non seulement dépossédé le peuple de son pouvoir symbolique, mais elle a enraciné des modes de gouvernance contraires à l’épanouissement d’un Etat souverain : néopatrimonialisme, criminalité, recours à l’aide au développement et tripatouillage constitutionnel.
A bien des égards, l’Afrique contemporaine s’inscrit dans la continuité de ces pratiques de la gouvernance qui ne se maintiennent qu’à la faveur de l’inefficacité et donc de l’assujettissement de l’Etat.
C’est pourquoi la lucidité à l’égard de soi-même exigerait que la jeunesse africaine ne se trompe pas en s’enlisant dans une éternelle dénonciation de la « Françafrique ». Si l’Afrique n’est pas encore souveraine, c’est parce qu’elle refuse, politiquement, de sortir de cet état de minorité, de tutelle, dans laquelle elle s’est volontairement installée. Le temps est venu de savoir ce que peut l’Afrique pour elle-même, indépendamment du monde. Ainsi s’amorcera le début de la décolonisation de l’Afrique par elle-même.
Amadou Sadjo Barry est professeur de philosophie au Collège d’enseignement général et professionnel de Saint-Hyacinthe, au Québec.
LA CHRONIQUE HEBDO DE PAAP SEEN
L'ÉCOLE DE L'ALIÉNATION
EXCLUSIF SENEPLUS - Comment a-t-on pu admettre que l’instruction pouvait se faire dans une langue complètement éloignée de notre socioculture ? L'anti-intellectualisme ambiant n'est pas injustifié - NOTES DE TERRAIN
Samedi 15 février 2020. 16h33. Je suis arrivé, il y a moins d’une heure, dans mon bureau. J’ai terminé la seconde lecture de l’excellent essai de Kasereka Kavwahirehi : Y’en a marre ! Philosophie et espoir social en Afrique. C’est l’un des meilleurs livres, tombé dans mes bras ces dernières années. J’en suis encore sorti revivifié et animé de convictions plus fortes pour l’Afrique. J’ai envie de faire une petite note de lecture mais la semaine a été longue et éreintante. Je dois commencer l’écriture de ma chronique de la semaine et rentrer plus tôt. J’ai passé un samedi studieux.
J’ai commencé enfin, ce matin, les cours en wolof. Comme un petit écolier, j’étais très excité. Depuis plus de dix ans, j’apprends, de manière totalement autodidacte, ma langue maternelle, sa lecture et son écriture. Mais ce procédé a ses limites et j’en suis conscient. C’est pourquoi lorsque l’on m’a proposé, la semaine dernière, de participer à des séances d’alphabétisation, je ne pouvais pas refuser. Les cours se déroulent chaque samedi matin. Je me suis organisé pour ne pas les manquer, désormais. Je suis assez conscient de mon incomplétude dans la maîtrise du wolof. Comme la grande majorité des Sénégalais, produits de l’enseignement officiel, j’étais analphabète en wolof, malgré mon long cursus scolaire.
Dissonances sociales. Il a fallu une rencontre avec l’œuvre de Cheikh Anta Diop, par le plus grand des hasards, pour prendre conscience de la question des langues nationales. Cela a été un grand bouleversement idéologique et intellectuel. Il m’est apparu, clairement, “la misère symbolique” dans laquelle l’école sénégalaise plonge les enfants de la nation. Comment a-t-on pu admettre que l’instruction pouvait se faire dans une langue complètement éloignée de notre socioculture ? Et même, certaines fois, défendre cette dépossession violente ? Parmi les objets sociaux, la langue est certainement l'élément le plus important. La manifestation la plus aboutie de l’esprit créatif d’un groupe humain. Sans elle, il n’y a pas de communication. Il n’y a pas de culture. Il n’y a pas de génie. C’est donc la société tout entière qui est désagrégée. Par le simple fait de ne pas recourir aux langues nationales dans l’enseignement. On se rend compte, en découvrant cette évidence, de l’impasse de l’éducation nationale.
La communication bloquée. L’éducation nationale est antidémocratique, acculturante et discriminatoire. Lorsque l’on prend conscience de cela, c’est un univers qui s’effondre. Des contradictions sans solutions apparaissent. La première est relative à l'intoxication délibérée de l’enfant sénégalais, à qui l’on demande dès qu’il est en mesure de rejoindre l’école, de se dessaisir de tout son système de symbolisation, et d’accepter “l’institutionnalisation aliénatrice de la vie”. Il doit apprendre à lire les mondes, les signifiés et les signifiants, autrement que par ce que son espace social, imaginatif, existentiel et moral lui ont appris. Un sevrage cruel. La première confiance de l’enfant est ainsi mutilée. Détruite. Son esprit colonisé. Et le voilà sujet à une première névrose. Ensuite, les élites issues de l’éducation nationale, apprennent à manier des concepts inopérants dans leur environnement social. Ils se coupent de l’infrastructure culturelle. Favorisent l'obscurantisme des masses. Se soumettent délibérément, “par goût de l’asservissement morbide et moral”, pour reprendre Cheikh Anta Diop. Car, comment comprendre que des intellectuels puissent raisonner de la manière suivante : “Il ne sert à rien de recourir aux langues nationales pour étudier et déchiffrer la science, et les autres matières intellectuelles. Des langues plus avancées le font déjà.” Ils suggèrent ainsi qu’il existe une arriération du trait le plus singulier de leur culture. Cette attitude est, à mon sens, aussi dommageable que les grands méfaits des hommes politiques. Car, il s’agit véritablement d’une forme de génocide culturel. Et ce sont, souvent, des humanistes qui la tiennent !
La puissance politique d'un pays dépend grandement de son rapport avec sa culture. Le Sénégal n’est pas seulement en retard sur le plan technologique et économique à cause de dirigeants négatifs. Les hommes politiques ont bon dos. Nous oublions, très facilement d’ailleurs, l’agression cynique, à travers l’école, dès le bas âge, de nos imaginaires, de nos “corps conscients”. De notre amour-propre. Et c'est surtout l'oeuvre de l'intelligentsia. Nous ne pensons pas en profondeur les conséquences psychoaffectives de l’abandon de nos médiums linguistiques dans l’enseignement formel. Ou encore le lien entre notre aliénation et notre situation sociopolitique. Mais elles sont terribles. Aussi, les élites issues de l’école officielle sont privées de la possibilité d’exister dans le grand dialogue national. Elles sont même perçues, de plus en plus, comme des agents de l’Occident. Ainsi entendons-nous, de plus en plus, le terme “tubaab bu ñuul” pour désigner les intellectuels et penseurs. Pourtant, ces derniers sont les dépositaires de la connaissance scientifique. S'ils sont indexés, et s'ils restent inaudibles, ce n’est pas uniquement la faute de la société. L’incommunicabilité leur est aussi imputable. Lorsque l’on s’enferme dans des cercles d’initiés, que l’on rompt avec son paradigme culturel, à quoi d’autre peut-on s’attendre qu'à une défiance, un rejet radical par le corps social. Cela n’a rien à voir d’ailleurs avec le recul et la solitude, indispensables, de l’intellectuel. L'anti-intellectualisme ambiant n'est pas injustifié. La conscience populaire a fini de lire, dans les représentations et stéréotypes de l'intellectuel, une figure importée, méprisant le symbole le plus actif de la souveraineté du groupe social : la langue.
“Bépp làkk rafet na buy gindi ci nit xel ma, di tudd ci jaam ngor la.”
Comme la malheureuse tentative des “enfants égarés de l’humanité”, qui ont voulu, durant les périodes sombres de l’Histoire, différencier les hommes à partir de leurs aspects physiques, la classification culturelle a beaucoup participé à l’abaissement spirituel de l'humanité. Les langues témoignent des immenses ressources des peuples, ainsi que leur singularité. Le wolof, le baoulé, le japonais, l’arabe, le chinois sont des preuves du génie humain. Bien sûr, dans les affaires du monde, certaines langues sont plus utilisées que d’autres. Mais cela n’en fait pas des idiomes plus avancés, ou seuls capables de définir l’univers. Nous avons une grande chance, dans nos pays africains, de maîtriser plusieurs langues. Au collège, j’étais initié en même temps au français, à l’anglais, à l’espagnol, à l’arabe. C’est une bénédiction de pouvoir lire, et d'écrire dans ces différentes langues. J’aurais pu aussi bénéficier d’un enseignement en pulaar, en séeréer, en joolaa, en yoruba, en swahili. Cela aurait d’ailleurs été plus facile de maîtriser ces langues issues du même contexte cosmogonique. Mieux, leur utilisation m'aurait rapproché davantage des autres citoyens du continent. Malheureusement, la culture nationale, dans la presque totalité des pays africains, est rejetée à l'arrière-plan. Folklorisée.
Il faut nécessairement reconsidérer notre rapport aux langues nationales. Réapprendre à s'instruire. Il s’agit d’un impératif catégorique. Les intellectuels, qui prétendent être au service du progrès social, ne peuvent pas ignorer la fonction politique et psychosociale de la langue. Pour moi, comme pour d’autres Sénégalais, il est absurde de ne pas enseigner dans nos langues nationales. Mais, à chaque fois que nous l'évoquons, il y a toujours une cascade de questions négatives - que je lis comme une preuve de paresse intellectuelle. “Quelle langue va-t-on utiliser ? Pourquoi le wolof et non le joolaa ou le pulaar ? Pourquoi utiliser les signes latins ?” Aussi légitimes qu'elles soient, je trouve ces questions dégradantes. Un peuple n’avance pas en opérant une politique de table-rase de sa culture. En fondant l’éducation de ses enfants dans un mécanisme de dissociation et d'exclusion. Dissociation entre la connaissance et les objets sociaux. Exclusion du connaissant de son milieu social. C’est ce que Kasereka Kavwahirehi nous rappelle dans son propos : “Comment, en effet, prétendre contribuer à rendre le monde plus intelligible et humain en se servant des concepts qui le voilent, en se fermant aux dimensions les plus quotidiennes de nos vies, en lesquelles se révèlent nos peurs, nos angoisses, nos espoirs et nos raisons de vivre, en se fermant au langage des hors-circuit social et à leur potentiel ?”
Retrouvez désormais sur SenePlus, "Notes de terrain", la chronique de notre éditorialiste Paap Seen tous les dimanches.
« Chaque fois qu’un homme a dit non à une tentative d’asservissement de son semblable, je me suis senti solidaire de son acte. » Dans son livre « Peau noire, masques blancs », le célèbre militant anti-colonialiste définit son engagement politique
« Chaque fois qu’un homme a fait triompher la dignité de l’esprit, chaque fois qu’un homme a dit non à une tentative d’asservissement de son semblable, je me suis senti solidaire de son acte. » Dans son livre « Peau noire, masques blancs » Frantz Fanon définit son engagement politique.
Psychiatre, militant anti-colonialiste, Frantz Fanon a consacré la fulgurance de sa vie à militer pour la libération des peuples de l’Afrique.
Avec la voix de Fanon (INA), Achille Mbembe, Magali Bessone, Françoise Vergès, Marie-Jeanne Manuellan, Omar Benderra…
À lire aux éditions La découverte :
La biographie de Frantz Fanon signée David Macey.
Les œuvres de Frantz Fanon, préface d’Achille Mbembe, introduction de Magali Bessone.
AU HIT-PARADE DES SALAIRES, LES JOUEURS AFRICAINS PLUTÔT BIEN LOTIS DANS LE FOOT FRANÇAIS
Dans un dossier sur les salaires des joueurs de la Ligue 1, le quotidien « L’Equipe » révèle que, dans plusieurs clubs, le joueur le mieux payé est un Africain
Le Monde Afrique |
Alexis Billebault |
Publication 16/02/2020
En France, la moitié des joueurs de la Ligue 1 gagnent moins de 35 000 euros net par mois. Les autres touchent un peu plus, où même beaucoup plus, comme le Brésilien Neymar (3 060 000 euros), le Français Kylian Mbappé (1 910 000 euros), ou encore Thiago Silva, un autre Brésilien, qui émarge à 1 500 000 euros. Tous évoluent au Paris-Saint-Germain et il n’est donc pas surprenant de constater que l’Africain le mieux rémunéré de la Ligue 1 – le Sénégalais Idrissa Gueye, 500 000 euros par mois – porte lui aussi les couleurs du club de la capitale. Idrissa Gueye figure, avec l’Algérien Islam Slimani (quatrième salaire à Monaco) et le Burkinabé Bertrand Traoré (troisième salaire à Lyon), dans le top 30 des footballeurs les mieux rémunérés de France, avec des salaires mensuels respectifs de 380 000 euros et 350 000 euros.
Idrissa Gueye, Islam Slimani et Bertrand Traoré, le trio gagnant
A la lecture des chiffres révélés par L’Equipe, il est intéressant de constater que, dans plusieurs clubs, le joueur le mieux payé est un Africain. C’est le cas pour le Tunisien Wahbi Khazri (Saint-Etienne, 210 000 euros), l’Ivoirien Max-Alain Gradel (Toulouse, 190 000 euros), le Nigérian Moses Simon (Nantes, 150 000 euros), le Camerounais Stéphane Bahoken et le Marocain Rachid Alioui (Angers, 70 000 euros), le Ghanéen Majeed Warris (Strasbourg, 80 000 euros), le Gabonais Bruno Ecuele Manga et l’Algérien Yassine Benzia (Dijon, 95 000 euros), le Sénégalais Moussa Konaté (Amiens, 100 000 euros), le Togolais Alaixys Romao (Reims, 60 000 euros), et le Sénégalais Habib Diallo (Metz, 80 000 euros). Et dans d’autres clubs, certains joueurs africains font partie des mieux payés, tels l’Algérien Adam Ounas (Nice, 180 000 euros) ou le Sénégalais Mbaye Niang à Rennes (220 000 euros).
Quand Sadio Mané gagnait 3 000 euros à Metz
Les salaires des joueurs africains ont tendance à augmenter ces dernières années, et cela devrait encore s’accentuer à partir de la saison 2020-2021, grâce à l’explosion des droits TV. « Les clubs ont davantage de moyens. Les joueurs en profitent. En ce qui concerne les Africains, c’est la même chose. Leur rémunération est liée à plusieurs éléments. Par exemple, les attaquants sont souvent mieux payés que les autres. L’âge compte également, mais pas la nationalité. En tout cas, pas dans notre club. A niveau égal, on ne fera pas de différence selon que le joueur est sénégalais ou zimbabwéen », explique sous couvert d’anonymat un dirigeant.
Du côté du FC Metz, où les trois plus gros contrats sont détenus par des Africains, le président Bernard Serin précise le système de rémunération choisi par le club. « Nous sommes partenaires de Génération Foot, au Sénégal. Des joueurs commencent leur formation à Dakar, débutent parfois en Ligue 1 sénégalaise avant de venir à Metz. Ce fut le cas pour Sadio Mané, qui a commencé chez nous en Ligue 2 à 3 000 euros par mois. Le principe, c’est de proposer, pour un premier contrat professionnel, le même salaire, que les joueurs aient effectué toute leur formation à Metz, où qu’ils soient arrivés en provenance du Sénégal, comme Habib Diallo. »
Encore quelques réticences liées au statut d’international africain
Ce dernier, meilleur buteur de Ligue 2 en 2018-2019, a vu ses émoluments augmenter avec l’accession en Ligue 1, et passer à 70 000 euros par mois. « C’est une juste récompense. On a prolongé son contrat, avec une nette revalorisation salariale, car on connaît sa valeur. Il est en France depuis 2013. En revanche, pour un joueur qui arrive d’Afrique, comme le Malien Adama Traoré, recruté en 2018 en provenance du TP Mazembe, le premier salaire est assez bas. Car il y a des interrogations sur sa valeur intrinsèque. La différence entre le championnat de RDC et la Ligue 1 française est grande. On regarde aussi comment le joueur s’adapte à son nouvel environnement. Mais si le joueur donne satisfaction, il sera rapidement augmenté », poursuit Bernard Serin.
Le statut d’international africain peut cependant constituer un obstacle au moment des négociations salariales. « Les clubs savent qu’il y a la CAN tous les deux ans, et que les joueurs partent disputer des matchs de qualification en Afrique, avec des voyages parfois longs, sur des pelouses qui peuvent entraîner des blessures. J’ai été joueur, puis agent, et je sais que les réticences existent encore », intervient l’ancien international camerounais Patrick Mboma.
Patrick Mboma : « Les salaires des Africains augmentent »
Celui-ci, qui a notamment joué au Paris-Saint-Germain et à Metz, gagnait, lors de sa carrière en France, entre 7 000 et 10 000 euros brut. « Les chiffres actuels me font dire que je suis arrivé trop tôt sur cette Terre. Plus sérieusement, je constate que les salaires des Africains augmentent car, à mon époque, le traitement n’était pas le même. Il y avait une forme de discrimination sportive. On était conscient de la qualité du joueur mais, dans l’esprit des gens, comme il était africain, cela devait coûter moins cher. D’ailleurs, cela se vérifie également pour les transferts. Depuis, les mentalités ont évolué. On paie très bien les meilleurs joueurs. Cela dit, je pense qu’il y a encore parfois quelques disparités. A la base, un Brésilien sera mieux payé qu’un Camerounais, lequel sera lui-même mieux loti qu’un Libérien. Pour les joueurs qui arrivent directement d’Afrique, il existe toujours, depuis l’Europe, des doutes sur le niveau du professionnalisme des championnats africains », précise Patrick Mboma.
L’agent français Stéphane Canard, président de l’Union des agents sportifs de football (UASF), et qui travaille avec plusieurs joueurs africains (Aymen Abdennour, Adama Ba, Jean-Eudes Aholou, Mamadou Samassa), apporte plusieurs précisions. « Un joueur, qui est international, sera en position de force pour négocier un meilleur salaire, même si certains clubs européens peuvent être réticents parce qu’ils vont les voir partir disputer la CAN ou des matchs en Afrique. C’est rare, mais cela existe », explique l’agent. Des clubs français peuvent également faire bouger leur grille salariale pour recruter un joueur africain venant d’un championnat plus rémunérateur. C’est le cas de Dijon, qui offre 95 000 euros par mois à Bruno Ecuele Manga, lequel en gagnait un peu plus de 150 000 euros à Cardiff City (Premier League anglaise). « C’est que cela répond à une demande forte du staff technique, et le club va faire l’effort », précise Stéphane Canard.
Il est fréquent, également, que des joueurs africains, arrivant directement de leur pays d’origine, acceptent sous la pression de leur entourage un salaire modeste. « Imaginez un footballeur qui, dans son pays, gagne 300 ou 400 euros par mois, que ses parents en gagnent 100 chacun. Un club français va lui proposer 5 000 euros, parce que cela correspond à la grille salariale en vigueur. Il arrive que, sous la pression d’un entourage qui voit en cette somme une manne providentielle, le pousse à accepter, alors qu’il aurait pu en espérer le double », poursuit Stéphane Canard. Mais aujourd’hui, en Ligue 1 française, les joueurs africains gagnent majoritairement (très) bien leur vie. Et la tendance ne devrait pas s’inverser de sitôt.