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6 octobre 2025
LA DANSE DU VENTRE D'AÏSSATOU GLADIMA CHEZ TOSYALI
La ministre des Mines est allée en mission commando jusqu’à Istanbul, signer au profit du géant turc de la sidérurgie, un contrat léonin qui dépasserait les plus folles espérances de n’importe quel industriel ordinaire
Sophie Aïssata Gladima, la ministre sénégalaise des Mines, est allée en mission commando jusqu’à Istanbul, en Turquie, signer au profit du géant de la sidérurgie Tosyali, un contrat léonin qui dépasserait les plus folles espérances de n’importe quel industriel ordinaire… On ne sait pas combien le richissime fabricant de ferrailles paie ses avocats mais, pour ce coup-ci, les gens d’Istanbul ne sont pas les têtes de …Turcs. Notre ministre est assurément d’une gentillesse inqualifiable. Une p’tite promenade entre les lignes de cette nouvelle forme de colonisation, ça vous parle ? Suivez le guide…
Visiter la Turquie avant de mourir ? Que diable s’est-il donc passé dans la tête d’Aïssata Sophie Gladima, la ministre sénégalaise des Mines, pour qu’elle aille jusqu’à Istanbul signer un contrat pareil le 09 octobre 2018 avec Tosyali, une société privée turque ? En dépit des apparences, elle représente un Etat que l’on considère jusque-là comme souverain. Cet accord concerne l’exploitation de ressources minières, le fer de la Falémé en l’occurrence, qui se trouvent en terre sénégalaise. La coupe est pleine, si l’on y ajoute que les quantités annoncées (630 millions de tonnes de minerais d’une teneur en fer plafonnant à 57 %) font saliver bien des multinationales de la sidérurgie, dont l’Indien Mittal que ses mésaventures sénégalaises ont dû refroidir.
Aïssatou Gladima est définitivement une âme trop charitable. En principe, sauf s’il y a des trucs que les Turcs ne nous disent pas, c’est Fuat Tosyali, le PDG, tout copain du président turc Erdogan qu’il est, qui aurait dû affréter un vol spécial pour venir à Dakar cirer les escarpins de Madame la ministre. Au lieu de cela, c’est la brave dame à la bonté inoxydable qui se farcit des dizaines de milliers de kilomètres pour signer des accords que l’on assimilerait facilement à la danse du ventre ! On douterait pour bien moins… Dans des affaires qui se chiffrent en milliards de dollars, les irréprochables enfants de chœur ne sont pas légion.
Si ce n’était que ça… Un manager tout ce qu’il y a de sérieux, après avoir jeté un œil sur le fameux document, lâche avec amertume : « avec un contrat pareil, n’importe quel ferrailleur sénégalais pourrait être plus riche que Mittal en un rien de temps… ». Il exagère à peine !
D’abord, cadeau, la concession d’un terrain de 100 hectares « près de la mer où un port existe ou bien peut être développé pour couvrir les futurs investissements ciblés pour la première étape ». Ils vont même plus loin, puisqu’ils demandent d’autoriser « la réalisation et l’exploitation d’un port privé ». Un aménagement pour lequel il faudra à l’Etat sénégalais « établir les frais de port à un prix préférentiel » et l’utiliser « en priorité dans les opérations de commerce extérieur ».
Ensuite, à ces braves et industrieux Turcs, il faudra « attribuer des permis d’exploitation de minerais tels que le minerai de fer, de charbon, le calcaire, la pierre de dolomite, le minerai de manganèse etc. dont l’usine a besoin ». En plus d’une « licence de récupération des déchets de ferraille et droit de préemption d’achat de la ferraille sur l’étendue du territoire sous réserve d’en revendre aux Sénégalais dans le besoin ».
Fermer des entreprises sénégalaises pour les beaux yeux des Turcs…
En un mot, comme en cent, la ferraille sénégalaise appartient dorénavant à Tosyali. On pourra cependant compter sur son bon cœur pour partager avec les Sénégalais qui se montreront gentils. Les autres, qui feront les fortes têtes ou ne seront pas respectueux des règlements, une clause les attend : les services de l’Etat se chargeront d’ « inspecter les établissements qui opèrent de manière illégale sans certificats de conformité (…) et réalisent des chiffres d’affaires en dehors du système judiciaire et fiscal ». Bien entendu, il faudra également « fermer les entreprises qui ne répondent pas aux standards environnementaux et fiscaux ». Sortez les mouchoirs et faites vos adieux, pendant qu’il est encore temps, à votre habituel fabricant de fourneaux, marmites et d’écumoires niché à Niayes Tioker…
Ceci étant réglé, il sera accordé à Tosyali, une « exonération de la taxe douanière et de la TVA sur les équipements et services » en plus d’imposer « le droit de douane aux produits finis tels que le fil à machine et rond à bétons ». On ne vous a pas dit ? C’est justement le fil à machine et le rond à bétons que Tosyali projette de produire au Sénégal. C’est-à-dire que donc des mesures drastiques sont prises à l’encontre de tout ce qui est susceptible de le concurrencer au Sénégal… Autre gâterie : il est question de « supprimer les parts de l’Etat et diverses taxes sur les prix de l’électricité, du gaz et de l’eau utilisés dans le complexe ». Outre, pendant dix interminables années, une exonération d’impôts sur les bénéfices, sans oublier « un soutien de prime d’exportation ».
Je serais Tosyali, je ferais des bénéfices les dix premières années avant de voir mes profits chuter et mes comptes s’équilibrer à grand-peine.
Mieux, l’Etat sénégalais sera à côté de ce misérable Tosyali dans la …recherche de financements, parce qu’il devra « contribuer aux intérêts du prêt d’investissement bancaire » et même faire « prendre en charge par la trésorerie du Sénégal la garantie accordée aux institutions financières pour le prêt d’investissements ».
Faudrait-il aussi border le chérubin et lui faire un bisou sur le front pour qu’il s’endorme en souriant le soir ?
Quant aux emplois attendus, la douche froide : l’Etat sénégalais doit « autoriser les recrutements d’expatriés à hauteur de 50 % du nombre total d’employés dans les dix premières années ». Aucune obligation pour Tosyali : à compétences égales, pour les postes de cadres et même intermédiaires, si ça leur chante, ils font venir des Turcs ou autres expatriés. A la limite, l’Etat Sénégalais encouragerait même la pratique, puisqu’il devra également « prendre en charge des primes de sécurité sociale des employés pour les dix premières années ». Alors, moins il y a de Sénégalais, mieux ce sera ?
Si ce n’était que ça… Quand on aime, on ne compte pas : l’Etat sénégalais s’engage à « couvrir les frais de raccordements d’électricité, de gaz, d’eau, des sources d’alimentation vers le complexe ». En plus de « réaliser les liaisons routières et ferroviaires nécessaires pour la viabilisation du complexe ». Bref, avec Tosyali, ce ne sera pas comme les villages du Fouta qui ont voté Macky en 2012 et attendent encore les routes, le train, l’eau courante, l’électricité et le téléphone… Comment ça, ils ont aussi voté pour Macky en 2019 ? Ben alors, où est le problème ?
Voilà donc ce que la ministre Aïssata Sophie Gladima est allée signer l’an passé à Istanbul. C’était, à n’en pas douter, un beau voyage… Tout cela en contrepartie de quoi ? Vous allez penser que nous sommes mesquins mais, pour le Sénégal en tout cas, pas grand-chose, en termes d’engagements précis. Par exemple, dans une première phase, Tosyali devra « mener des études de faisabilité », ou encore, « mobiliser les financements des projets », et aussi « soumettre au ministère de la Géologie (…) dans un délai de 12 mois, une offre technique et commerciale détaillée ; une offre financière avec une structure des prix détaillée et un schéma de financement »… Quand ils auront signé le protocole définitif avec les autorités sénégalaises, les gens de Tosyali s’engagent à « financer et réaliser une usine de ronds à béton d’une capacité d’un million de tonnes » dans les 22 mois suivants la signature. Ils promettent également de « transférer leur savoir-faire de production d’acier au Sénégal » et « substituer toute l’importation desdits produits » voire en exporter dans l’espace CEDEAO… Puis, deuxième phase : pendant que la première usine fonctionne à pleins régimes, ils envisagent d’installer « une unité de production des billettes de substitution à partir du minerai de la Falémé ». Problème : ça dépend de la réalisation du chemin de fer que l’Etat du Sénégal est censé faire traverser de Dakar à la Falémé ! Ils promettent d’autres petites sucettes, comme créer « un nombre significatif d’emplois » (dont les 50 % viendront de Turquie ?) ou même, selon le charabia habituel, de « mener des travaux à fort impact social dans les régions impactées par le projet ». Une ligne de chemin de fer, peut-être ?
Eh oui… Tout ça, pour ça. Et défense de ricaner !
LES DIRIGEANTS DU FOOTBALL AFRICAIN PRIS EN FLAGRANT DÉLIT DE DÉTOURNEMENTS
Le New York Times s’est procuré un audit des comptes de la Caf, la confédération africaine de football. Celui-ci met en évidence l’utilisation à des fins personnelles de 24 millions de dollars sur les 51 millions donnés par la Fifa entre 2015 et 2018
Francis Gaitho a été comme souvent le premier à dégainer. Le Kenyan a publié un large article mentionnant l’utilisation frauduleuse de 24 millions de dollars par des dirigeants du football africain.
Voyages en jet privé, mariage et même funérailles : les fonds alloués originellement pour le développement du football africain ont en réalité été utilisés pour satisfaire le train de vie dispendieux des présidents de fédération, notamment l’inamovible Constant Omari, patron de la FECOFA en République Démocratique du Congo depuis deux décennies.
Ce samedi, Tariq Panja du New York Timesconfirme les informations de celui que certains dans l’entourage de la CAF considèrent comme “un franc-tireur tirant même s’il n’a pas de cartouche”. Selon le rapport de PWC, une société mandatée pour auditer les comptes de la CAF, la situation financière est dramatique.
Sur une enquête concernant 40 payements, 35 sont intraçables et personne ne sait qui a reçu les millions de la Fifa…
En enquêtant 40 payements équivalant à 10 millions de dollars, les auditeurs ont pu seulement tracé 5 payements pour 1.6 million. Les 35 autres sont intraçables, fautes d’informations nécessaires ou manipulation des données.
Moralité, les auditeurs sont incapables de savoir qui a réellement bénéficié de l’argent…
VIDEO
CHEIKH ANTA DIOP ÉTAIT UN GÉANT
Même sans ses travaux scientifiques, l'envergue morale de Cheikh Anta, aurait suffit à faire de lui un exemple pour l'Afrique - Tant d'africains méprisent leurs langues par manque d'estime de soi - ENTRETIEN AVEC BOUBACAR BORIS DIOP
Même des décennies après sa mort, Cheikh Anta Diop continue de résonner en Afrique et bien au-delà, à travers sa contribution historique dans la restauration de l'homme noir. Comme une revanche sur l'histoire, l'égyptologue sénégalais dont les thèses scientifiques avaient suscité tant d'acrimonies est aujourd'hui de plus en plus célébré.
Pour évoquer la vie, l'oeuvre et le legs de l'illustre savant, le grand entretien de Jotna TV, reçoit l'écrivain, journaliste et éditorialiste de SenePlus, Boubacar Boris Diop. L'invité évoque son combat pour la promotion des langues nationales, inspiré de Cheikh Anta Diop.
par Eric Felley
DE LA COULEUR DE L'ARGENT À LA COULEUR DE LA PEAU
Démissionné de Credit Suisse, Tidjane Thiam avait deux défauts, il était trop français et pas assez clair. Pour le reste, on n'avait rien à lui reprocher
Vu de Suisse romande, la démission du CEO de Credit Suisse Tidjane Thiam n'a pas le même impact qu'en Suisse alémanique, où le Credit Suisse a son siège à Zurich. Certes les Romands ont pu faire connaissance récemment avec ce banquier de haut-vol dans l'émission «Pardonnez-moi» de Darius Rochebin. Ils ont sans doute découvert un personnage plutôt sympathique.
Premier noir à la tête d'une banque suisse
Au moment de sa nomination, en 2015, son origine africaine avait crée une surprise, pour ne pas dire un choc. Comme Barack Obama à la présidence des Etats-Unis, on n'avait jamais vu un noir diriger une banque suisse, qui plus est la seconde en importance. Mais le choix était bon. Tout le monde admet – et en premier ceux qui l'ont poussé dehors – que le nouvel homme fort a redressé et dépouisséré la banque helvétique durant quatre ans. Alors quid ?
Un double obstacle
Cela ne veut pas dire que le directeur général s'est fait beaucoup d'amis. Tidjane Thiam est franco-ivoirien. Dans la mentalité alémanique, cela peut constituer un double obstacle à son intégration à un haut niveau. Que la deuxième grande banque suisse soit dirigée par un Français suscite déjà une réticence épidermique des milieux économiques helvétiques. Ensuite, la couleur de la peau est, plus ou moins consciemment, un élément dérangeant dans un milieu où tout le monde est blanc. Jusqu'à l'affaire de la filature, les compétences de l'homme avaient cependant fait taire ces petites voix intérieures.
Un écart entre la banque et son public
La «Neue Zurcher Zeitung» (NZZ), qui a fait campagne ces dernières semaines contre Tidjane Thiam, se félicite aujourd'hui qu'il soit remplacé par quelqu'un de moins voyant, de moins coloré dans la grisaille des éminences de la Bahnhofstrasse: «Contrairement à Thiam, qui n’avait aucun lien avec la Suisse, écrit-elle, son successeur, Thomas Gottstein, connaît le pays et ses habitants. Il devrait permettre de combler l’écart entre la banque et le public qui s’est creusé ces dernières semaines et ces derniers mois.» Un écart qui a surtout été entretenu pour obtenir sa démission. A moins que ce soit pour qu'il retourne en Côte d'Ivoire, où certains verraient bien Tidjane Thiam en président !
TIDJANE THIAM, L'"OBAMA DE LA FINANCE" AU PARCOURS CAHOTEUX
Brillant étudiant en France, ministre en Côte d'Ivoire, premier Africain à diriger un groupe coté au Royaume-Uni, puissant banquier en Suisse... il a ajouté un rebondissement à un parcours déjà hors normes en prenant la porte vendredi du Credit Suisse
L'arrivée en juillet 2015 à Zurich du Franco-Ivoirien, qui dirigeait jusque-là le groupe britannique d'assurances Prudential, bouscule le milieu feutré de la banque helvète.Précédé d'une réputation de fin stratège, Tidjane Thiam, a pour mission de rééquilibrer le paquebot Credit Suisse, alors en eaux troubles entre actifs toxiques, scandales financiers et banque d'investissement hypertrophiée.
Il lance une vaste restructuration pour donner la priorité à la banque privée et à la gestion de fortune.D'abord saluée, sa stratégie est ensuite critiquée après trois exercices consécutifs de pertes et une chute du cours de l'action.
Près de cinq ans après, la rupture semble déjà consommée avec l'intelligentsia bancaire suisse."Tidjane Thiam contre l'establishment" titre fin janvier le site local financier Finews.com en relatant le bras de fer engagé entre le patron et l'élite zurichoise, après l'éclatement d'un scandale d'espionnage d'anciens cadres du Credit Suisse et de l'ONG Greenpeace.Scandale dans lequel Tidjane Thiam nie toute implication.
Finalement, l'"Obama de la finance", comme l'avaient surnommé certains tabloïds suisses, jette l'éponge, éclaboussé par l'implication dans l'affaire de son fidèle bras droit, le Français Pierre-Olivier Bouée.Il quittera le Credit Suisse le 14 février après la présentation des résultats annuels.
Agé de 57 ans, que va faire le grand patron?Se lancer à nouveau dans une aventure politique en Côte d'Ivoire, où il est né?Tous les paris sont ouverts pour celui dont le nom avait circulé pour succéder à Christine Lagarde à la direction du FMI.
Né en juillet 1962 dans une famille baignant dans la politique (son père, diplomate plusieurs fois emprisonné pour ses opinions, a épousé une nièce de l'ancien président Félix Houphouët-Boigny), l'homme fait figure de pionnier dès ses études supérieures.
Il est le premier Ivoirien à entrer à l'Ecole Polytechnique, couronnement d'études brillantes en France.
Il est recruté en 1988 par le célèbre cabinet de consultants américain McKinsey, au sein duquel il travaille à Paris et New York, avant d'être appelé en 1994 par le président ivoirien Henri Konan Bédié.Au départ haut fonctionnaire, il devient en 1998 ministre de la Planification.
Mais cette carrière en politique s'écroule fin 1999, quand le gouvernement est renversé alors qu'il se trouve à l'étranger.Il rentre au pays mais se retrouve assigné à résidence, et repart en France au bout de six mois.
- "Plafond de verre" -
Les déconvenues ne s'arrêtent pas là.L'homme, à la haute silhouette et au sourire tranquille sous sa paire de lunettes, connaît en France, selon ses propres termes, la "fatigue de (se) cogner le crâne contre un plafond de verre parfaitement invisible mais ô combien réel".
Il racontera plus tard comment un ancien camarade d'école devenu chasseur de têtes lui avait avoué avec embarras qu'il ne le présentait plus à ses clients français, "parce que la réponse invariablement était : profil intéressant et impressionnant mais vous comprenez…".
Il part alors pour le Royaume-Uni en 2002, embauché par l'assureur Aviva, où il gravit les échelons jusqu'à devenir responsable pour l'Europe, avant de rejoindre Prudential en 2008, comme directeur financier, puis d'en prendre la direction générale en octobre 2009.
Un an après sa nomination à la tête de la "Pru", le carrosse menace de se transformer en citrouille, lorsque qu'il renonce à racheter l'assureur asiatique AIA, faute d'avoir pu renégocier à la baisse le coût colossal de cette transaction (35,5 milliards de dollars).
Ce fiasco laisse une facture salée (450 millions de livres) à Prudential, fait hurler certains actionnaires et manque de lui coûter son poste.
Malgré cet échec cuisant, Tidjane Thiam a redoré son blason en dégageant année après année de bons résultats, et développé fortement Prudential, notamment dans les pays émergents.
Peu connu du grand public en France, ce père de deux enfants et fan du club de football d'Arsenal s'est vu remettre en 2012 la Légion d'Honneur, des mains de l'ancien patron de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet.
Ce dernier avait alors salué son "cursus éblouissant", et souligné "ne pas connaître d'autre exemple de personne ayant trois dimensions aussi fondamentales, africaine, française et orientée vers +le vaste monde+".
«NOO LANK» A LA CROISEE DES CHEMINS!
Depuis deux mois, le collectif «Noo Lank» met la pression sur les autorités. Il veut les contraindre à annuler la mesure augmentant le prix de l’électricité et à libérer Guy Marius Sagna, arrêté au cours d’une manifestation devant le palais présidentiel
Seydina Bilal DIaLLo et Abou Sy |
Publication 08/02/2020
Depuis deux mois, le collectif «Noo Lank» met la pression sur les autorités. Il veut les contraindre à annuler la mesure augmentant le prix de l’électricité et à libérer Guy Marius Sagna, arrêté au cours d’une manifestation devant le palais de la République. Face à un gouvernement qui fait la sourde oreille, le mouvement entend revoir sa stratégie et intensifier son combat.
«Noo Lank» peut se permettre une pause d’une semaine après le succès éclatant de sa dernière marche. Une manière également de reculer pour mieux sauter face à un gouvernement insensible à ses différentes doléances et qui à la limite même semble mépriser les actes posés par les membres du collectif regroupant des entités hétéroclites. Joint au téléphone, Dr Babacar Diop estime que les autorités suivent très bien ce qui se passe et qu’elles sont même inquiètes. La preuve, dit-il, le médiateur de la République, Alioune Badara Cissé les a reçus pour soulever ensuite l’éventualité d’une rencontre avec le président de la République.
Selon le Secrétaire général des Forces démocratiques du Sénégal (FDS), Macky Sall a désormais l’obligation de négocier et de parler avec le peuple. «Il doit écouter et entendre la clameur et la colère du peuple pour arriver à prendre une mesure juste et raisonnable telle que l’annulation de la hausse du prix de l’électricité. Surtout que cette augmentation entraine par ricochet la hausse du prix des denrées de première nécessité et du transport », explique-t-il. «Noo Lank» dit être aujourd’hui bien outillé et mieux armé pour maintenir la mobilisation. A en croire le leader des FDS, le collectif a appris des erreurs de Aar Li Nu Bokk qui, à moment, peinait à mobiliser les citoyens. «Aujourd’hui, la réalité est que le mouvement social n’est pas mort. Depuis plusieurs semaines et bientôt deux mois, ‘’Noo Lank’’ arrive à mobiliser le peuple sénégalais. Il faut maintenir cette mobilisation et impliquer l’intérieur du pays, la banlieue et la diaspora », préconise-t-il.
IMPORTANTE REUNION DE «NOO LANK» DEMAIN
Dr Babacar Diop laisse entrevoir aussi qu’il y aura des changements dans leur stratégie. «On a une rencontre très importante demain dimanche au siège de Noo Lank pour décliner une nouvelle feuille de route. Et vous constaterez des changements dans la démarche du mouvement. Les Commissions y travaillent et il y a de nouvelles propositions», indique-t-il. Le leader politique, originaire de Thiès, fait savoir que les marches seront maintenues, mais qu’il y aura à côté d’autres types de manifestations, de mobilisations et d’informations. «Tant que Guy Marius Sagna restera en prison, il n’y aura pas de stabilité dans le pays. Je pense que maintenir Guy en prison est une défaite pour le mouvement social et le mouvement citoyen au Sénégal», laisse-t-il entendre. Un autre membre du collectif «Noo Lank» en l’occurrence Daouda Gueye soutient qu’effectivement, il y a d’autres méthodes pour poursuivre le combat. «Déjà, il y a un mémorandum qui va paraitre la semaine prochaine. Un document dans lequel nous avons consigné l’ensemble des arguments qui démontrent qu’il y a matière à soupçonner une fraude organisée par la Senelec. Mais également, une volonté de l’Etat du Sénégal de crever davantage les revenus des Sénégalais, en complicité avec la Commission de régularisation des secteurs de l’électricité», révèle-t-il.
Il indique également que d’autres initiatives vont être prises, notamment allant dans le sens d’exiger la libération du camarade Guy Marius Sagna non sans confier qu’il se pourrait que ces actions soient spectaculaires. «On n’acceptera pas que Guy Marius Sagna soit enterré au Camp pénal. Nous allons mettre la pression sur l’Etat pour qu’ils comprennent en fait qu’on ne peut pas jouer avec la liberté des gens et qu’on ne peut pas non plus accepter cet acte arbitraire à arrêter Guy Marius Sagna. Nous ne lésinerons sur aucun moyen, nous userons de toutes les méthodes pour exiger sa libération», martèle-t-il. Daouda Gueye informe ainsi qu’en début de semaine prochaine, «Noo Lank » va tenir une conférence de presse pour dévoiler certains de ses plans d’actions qui, au-delà, des marches, sit-in et des distributions de flyers, présentera d’autres stratégies. «Nous avons continué les contacts en allant rencontrer les chefs religieux mais également les notables et autres personnalités de ce pays là tout cela allant dans le sens de maintenir cette démarche inclusive et participative », confie-t-il.
RENCONTRE EVENTUEL AVEC MACKY SALL : «A CONDITION QUE GUY MARIUS SAGNA FASSE PARTIE DE LA DELEGATION»
Par ailleurs, interpellé sur une possible rencontre avec le chef de l’Etat, le Secrétaire général des Forces démocratiques du Sénégal estime que rencontrer Macky Sall n’a jamais été à l’ordre du jour du «Noo Lank». C’est Alioune Badara Cissé qui avait émis l’idée mais la question n’a jamais été débattue au sein de l’organisation hétéroclite. A l’en croire, il n’y a pas eu de demande formelle ou une attitude formelle des autorités visant à rencontrer Noo Lank. Pour Dr Diop, à leur niveau, ils maitrisent le terrain et leur principal interlocuteur, c’est le peuple. « Il s’agit de mobiliser et de conscientiser le peuple et arriver à faire entendre raison au gouvernement», ajoute-t-il. Toutefois, Babacar Diop affirme que le jour où il sera question d’une audience avec le chef de l’Etat, le mouvement donnera sa position. Mais pour l’heure, ditil, au sein de «Noo Lank », ils pensent que le gouvernement doit revenir sur la hausse du prix de l’électricité et libérer Guy Marius Sagna. «Elargir Guy Marius est une question centrale surtout qu’il ne peut être maintenu en prison de façon injuste en violation flagrante du droit», soutient Monsieur Diop.
Quant à Daouda Gueye, il pense qu’il n’est pas cohérent qu’ils aillent rencontrer le chef de l’Etat au Palais alors que Guy Marius Sagna est derrière les barreaux. « Il faut que Guy Marius Sagna soit libéré pour qu’avec lui nous puissions, dans une délégation éventuellement, aller rencontrer le président de la République. Ce qui permettrait à nos camarades Guy Marius Sagna, Pape Abdoulaye Touré et les autres respectivement Babacar Diop à retourner au Palais pour parachever effectivement leur souhait qui avait été au départ de le rencontrer et qu »ils avaient été entravés par cette arrestation-là. C’est ça que nous avons dit. Et je pense que c’est une question de bons sens. Parce que ce serait quand même incohérent d’aller rencontrer le chef de l’Etat sans la présence des camarades qui ont été arrêté parce qu’ils ont voulu rencontrer le président de la République», conclut Daouda Gueye.
«LA SAGE-FEMME DU POSTE DE SANTE S’ECLAIRE A LA BOUGIE POUR ASSISTER LES FEMMES PENDANT L’ACCOUCHEMENT»
L’information est donnée par l’une des voix autorisées de la commune rurale de Boutoupa Camaracounda, Nfamara Biaye, adjoint au maire
L’information est donnée par l’une des voix autorisées de la commune rurale de Boutoupa Camaracounda. Nfamara Biaye, adjoint au maire, a révélé qu’au niveau du poste de santé du chef-lieu de commune, la sage-femme éprouve d’énormes difficultés pendant la nuit pour assister les femmes lors d’accouchement. Faute d’électricité, indique-t-il, cette dernière utilise des bougies pour faire son travail.
A la tombée de la nuit, les vingt-quatre villages que polarise la commune rurale de Boutoupa Camaracounda située dans le département de Ziguinchor broie du noir. Pour cause, la zone est confrontée à un manque d’électricité. Cette situation, selon les autorités municipales, entraine de nombreuses difficultés, surtout sur le plan sanitaire. Selon l’adjoint au maire, Nfamara Biaye, le manque de courant se fait surtout ressentir au niveau du poste de santé. «La nuit, la sagefemme utilise des bougies pour assister les femmes en travail. C’est une situation particulièrement déplorable», se plaint-il.
A l’en croire, toutes autorités ont été pratiquement interpellées sur la question qui reste toujours entière. «Récemment, le président de la République s’est prononcé sur le cas de notre commune, mais il n’y a aucun début de solution. On ne sait pas où se situe le problème.» Dans ce même sillage, Monsieur Biaye soutient que les établissements scolaires (le collège et l’école primaire) ne sont pas épargnés. «Notre collège a des ordinateurs et d’autres matériels, mais ils sont pas utilisés à cause de l’absence d’électricité. Nos enfants n’ont jamais utilisé ces ordinateurs, faute de courant», dit-il. Non sans laisser entendre que L’équipe municipale rencontre d’énormes difficultés pour faire correctement son travail.
«Pour la photocopie, il faut aller jusqu’à Niaguiss ou à Ziguinchor», relève Nfamara Biaye qui estime que l’électrification de la zone a été l’une des promesses de campagne électorale du candidat Macky Sall lors de la dernière présidentielle. «C’est l’une des rares communes du département de Ziguinchor où Benno Bokk Yakaar a gagnée lors de la présidentielle. Mais aujourd’hui, nous avons honte de regarder les populations dans les yeux», sérine Nfamara Biaye.
LE MOUVEMENT DES JEUNES RECLAME LA TETE DE LA DIRECTRICE EXECUTIVE ET DE LA PRESIDENTE
Depuis quelques mois, l’Association Sénégalaise pour le Bien-être familial (Asbef) se trouve dans la tourmente.
Depuis quelques mois, l’Association Sénégalaise pour le Bien-être familial (Asbef) se trouve dans la tourmente. A l’origine de cette crise : l’élection de la nouvelle présidente de la structure Khady Ndaw Sy, par ailleurs directrice générale de Sunu assurance. Engagés dans un bras de fer avec la direction, les jeunes volontaires, qui réclament le départ de Myriam Mingou et de Khady Ndaw Sy respectivement directrice exécutive et présidente de l’Asbef, ont battu hier le macadam.
«Que recherche Khady Ndaw Sy, Dg de Sunu Assurance, dans ce hold-up orchestré à l’Asbef», peut-on lire sur des flyers distribués par des membres du mouvement des jeunes de l’Association pour le Bien Etre Familial (Asbef) lors de leur marche d’hier. Outre Khady Ndaw Sy, les manifestants s’en prennent également à la directrice exécutive de la structure, Myriam Makeba Mingou. Sous la conduite de leur présidente Hapsa Hanne, les volontaires de l’association se sont retrouvés au rond-point Liberté 6 pour battre le macadam jusqu’au siège de l’Asbef situé au Front de Terre.
Les manifestants revendiquent le départ immédiat et sans condition des deux dames de la tête de la structure. «Nous nous dressons contre la directrice exécutive Myriam Mingou et Khady Diaw Sy élue frauduleusement présidente de l’Asbef. Ces deux dames sont là pour dilapider les fonds de l’Asbef. Myriam Mingou a recruté des agents qui ne sont pas qualifiés et qui ne sont pas en mesure de remplacer les licenciés. Elle veut privatiser également la structure», accuse Ansou Diba Sané, vice-président du mouvement d’action des jeunes de l’Asbef.
Munis de pancartes et de banderoles, et arborant des foulards rouges, ils ont demandé le départ des deux dirigeantes. Arrivés devant le siège de l’Asbef, les marcheurs ont été stoppés par des nervis qui sont au service de la direction. Ces derniers ont voulu leur barrer la route. Mais les policiers qui encadraient la marche se sont interposés entre les jeunes et les nervis. Sur demande du chef d’escorte de la police, les grévistes ont regagné le trottoir en face de la porte principale. Quand le calme est revenu, ils se sont exprimés sur la crise qui secoue la structure depuis quelques mois. «Nous revendiquons le départ de Myriam Mingou, on n’a plus besoin d’elle. La directrice exécutive est incompétente ; tout le personnel réclame son départ.
Les volontaires réclament la même chose», martèle Hapsa Hann en sueur. Selon elle, Myriam Makeba Mingou a élu frauduleusement Khady Ndaw Sy comme présidente de l’association. Poursuivant, Hapsa Hann soutient que Mme Mingou cherche à faire partir la Fédération internationale pour la planification familiale (Ippf) qui, pourtant, est le partenaire technique et financier de l’Asbef. Ce qui est hors de question à leurs yeux. « Si les partenaires fuient, qu’est-ce qui va rester à l’Asbef», s’alarme-t-elle. La présidente du mouvement national des jeunes de l’Asebf révèle que Myriam Makeba Mingou a licencié 14 personnes. Selon son camarade Ansoudiba Sané, on veut détourner l’Asbef de son orientation sociale d’offrir des services de santé à moindre coût. «La clinique ne peut pas couvrir les charges. Si elle n’arrive pas à payer les travailleurs, elle les licencie arbitrairement», tonne Monsieur Sané.
BOUBACAR BORIS DIOP RESSUSCITE CHEIKH ANTA DIOP
La vie et l’œuvre du grand savant sont la zone de confort de l’écrivain et éditorialiste de SenePlus qui s’est plu à livrer vendredi, à l’occasion de la commémoration du 34e anniversaire de la mort de l’égyptologue, un cours magistral sur l'intéressé
La vie et l’œuvre de Cheikh Anta Diop sont la zone de confort de l’écrivain Boubacar Boris Diop. C’est pourquoi, il s’est plu à livrer, hier à l’occasion de la commémoration du 34e anniversaire de la disparition de l’égyptologue, un cours magistral sur la pensée du savant panafricaniste. La cérémonie s’est déroulée à l’Ucad 2.
Manifestement, le savant Cheikh Anta Diop fait partie de la race de ces grands hommes qui éclairent leur société bien après leur disparition. Peu reconnu durant son vivant, il a été célébré hier à l’université de Dakar qui porte son nom. Pour les besoins de la commémoration du 34e anniversaire de son décès, le temple du savoir a vibré au rythme du théoricien d’une Afrique berceau de l’humanité. Tous les étudiants rencontrés tenaient à la main le journal du campus consacré à la vie et l’œuvre de l’égyptologue. Et l’amphithéâtre Aminata Diao s’est révélé petit pour contenir les intellectuels, enseignants, étudiants et membres de la famille de Cheikh Anta Diop venus exprimer leur reconnaissance à l’endroit de ce dernier. Considéré comme l’un des plus grands disciples et défenseurs de l’égyptologue, l’écrivain et journaliste Boubacar Boris Diop a revisité tous les pans de l’œuvre grandiose de son maitre. «Cheikh Anta était un esprit indomptable, il n’a jamais transigé sur ses opinions. Il ne connaissait pas le compromis intellectuel», a lancé l’écrivain aux nombreux étudiants présents dans la salle. Et d’ajouter : «Quand il s’agissait de défendre ses opinions contre la terre entière, il se transformait en fauve. Et cela, c’est une des leçons que nous pouvons retenir de sa vie.
Cheikh Anta Diop a vécu dans une perpétuelle tension morale au sens où il ne s’est jamais accordé aucune forme de facilité». De l’avis de Boubacar Boris Diop, le défunt égyptologue a fait de la science un véritable outil de combat. «La science, c’était un moyen pour lui d’améliorer la vie en société». Devant Massamba et Cheikh Mbacké (les deux fils de l’historien), Dr Babacar Diop s’est longuement appesanti sur le legs de Cheikh Anta Diop à la jeunesse africaine. «La leçon que l’on doit tirer de la vie de Cheikh Anta Diop, c’est de ne jamais se laisser impressionner par qui que soit ; surtout par des individus très puissants qui pensent qu’ils tiennent votre destin entre leurs mains, par des appareils qui vous tirent en arrière parce ce que vous sortez des cadres de pensées préétablies», dit-il. Il trouve que 34 ans après sa disparition, le triomphe de Cheikh Anta Diop est aujourd’hui total. «L’université où on lui avait interdit d’enseigner porte son nom. Des jeunes qui sont nés après sa mort ont sillonné le pays pour exiger l’enseignement de sa pensée à l’école et restent en dialogue avec lui», jubile Boubacar Boris Diop qui considère ces actions comme un motif d’espoir. Il se réjouit également du fait que le père de l’égyptologie soit devenu une référence politique chez les dirigeants politiques émergents et en donne la raison. «Nos pays sont malades de nos dirigeants et de nos leaders politiques», déclare le journaliste-écrivain.
«CE QUI ARRIVE A GUY MARIUS SAGNA EST UN SCANDALE»
Saluant le travail de perpétuation que certains activistes sont en train de mener, Boubacar Boris Diop a dénoncé l’incarcération de Guy Marius Sagna. «J‘ai beaucoup d’admiration pour Guy Marius Sagna et je pense que ce qui lui arrive est tout juste un scandale», tonne Monsieur Diop non sans inviter le système judiciaire sénégalais à faire son examen de conscience. «Ils ne peuvent pas garder quelqu’un en prison avec l’idée que «boybi daniakoy yaar» (on va le corriger un peu).
Au fond, ils n’ont rien à lui reprocher», indique l’ancien directeur de publication du défunt quotidien «Le Matin». Rappelant l’aversion de Cheikh Anta Diop pour l’immixtion des ethnies et des confréries dans la sphère politique, Boubacar Boris Diop souligne que ce dernier a certes créé des partis politiques, mais il n’a jamais joué la carte du mouridisme. «Et pourtant, il était au cœur de cette famille, car l’un des plus fidèles compagnons de Cheikh Ahmadou Bamba en l’occurrence Cheikh Ibra Fall a été le mari de sa mère», renseigne le journaliste qui, par conséquent, s’insurge contre la confusion du temporel et du religieux.
Pour lui, il y a une sorte de pouvoir bicéphale où on a le pouvoir qui est au Palais de la République qui a sa légitimité et puis un autre pouvoir religieux. A propos de la carrière politique de l’historien sénégalais considéré par plusieurs observateurs comme étant son talon d’Achille, Boubacar Boris Diop retient une image beaucoup plus lisse de la question. Pour lui, Cheikh Anta Diop était un politique et non un politicien. «En réalité, il n’a pas créé un parti pour chercher le pouvoir. On lui a proposé 20 postes de député et 5 postes de ministre, mais il a toujours décliné», clame le conférencier.
par Boubacar Badiane
NATIONS NÈGRES ET CULTURE, RETOUR SUR LA PARUTION D’UNE ŒUVRE CULTE
Avec la parution de cet ouvrage, c’est l’idée même d’une Afrique anhistorique telle que formulée par la philosophie hégélienne de l’histoire qui se voit sapée dans ses fondements les plus lointains
Il n’est certainement pas exagéré de dire que l’année 1954 restera, au même titre que l’année 1945, dans la mémoire collective des Allemands, à jamais, gravée, dans la mémoire des africanistes, des égyptologues, des historiens modernes et des autorités universitaires françaises des années 50. 1954 marque, en effet, l’année de parution de Nations nègres et culture.
Nous sommes au lendemain de la seconde guerre mondiale et l’impérialisme européen bat encore son plein dans presque toute l’Afrique. C’est dans ce contexte marqué, au plan des idées, par l’hégémonie d’une conception de l’histoire, à la fois, eurocentriste et raciste, héritée de la philosophie hégélienne de l’histoire, que Cheikh Anta Diop va, en 1954, suite à la publication de Nationsnègresetculture, frapper, de plein fouet, l’arrogance d’une Europe amnésique de l’origine de sa civilisation et obnubilée par sa puissance matérielle et technique.
Les solutions de continuités
On sait que l’Afrique a été, suite au Congrès de Berlin, morcelée en une multitude de micro-Etats. Pourtant, un siècle, plutôt, dans ce même Berlin, Hegel avait, déjà, annoncé la couleur. En effet, dans ses célèbres Leçons sur la philosophie de l’histoire, Hegel soutient, de toutes ses forces, que l’Afrique est constituée de trois continents : l’Afrique sub-saharienne, l’Afrique septentrionale et l’Egypte. Hegel pense ainsi que l’Afrique septentrionale devrait être rattachée à l’Europe, au lieu où l’Egypte appartient à l’Asie. Ainsi, selon lui, l’Afrique proprement dite, se réduit, en dernière instance, à l’Afrique sub-saharienne, c’est-à-dire à l’Afrique noire. Loin de s’en tenir là, Hegel continue à filer la métaphore en affirmant que cette partie de l’Afrique est peuplée de barbares ou, si l’on préfère, de sauvages. Ainsi, comme le note, à juste titre, Pierre Quillet, aux yeux de Hegel, l’Afrique se situe au seuil de l’histoire universelle et le Nègre au seuil de l’humanité :
« L’ouvrage du comte Arthur Gobineau intitulé « Essai su l’inégalité des Races humaines », publié en 1953-55 (22), bien après la mort de Hegel, est en quelque sorte, l’acte de naissance du racisme contemporain. Mais à comparer ces deux courants de la pensée, on s’apercevrait vite que le racisme de Hegel est beaucoup plus pernicieux, car il ne s’agit pas chez lui d’ « inégalité »- ou l’on peut trouver du plus et du moins- mais d’une différence d’espèce : les Nègres sont des pseudo-hommes destinés seulement à manifester dans la nature, avant l’histoire, ce qu’est l’humanité réduite à l’animalité»[1].
C’est cette conception, à la fois, balkanisante et condescendante à l’endroit de l’Afrique et des Africains, adossée à une érudition idéologique féroce, que les africanistes vont reprendre à leur compte en se donnant, pour ainsi dire, la discontinuité des faits de culture comme grille d’intelligibilité du passé négro-africain. Aussi François-Xavier Fauvelle-Aymar dit-il qu’ : « au découpage de l’Afrique sur le terrain colonial, correspond, sur le terrain savant, le découpage monographique pratiqué par les africanistes traditionnels »[2].
Les égyptologues leur emboiteront le pas, en soutenant, à leur tour, que la civilisation égyptienne ne saurait être l’œuvre des Nègres. Ainsi, selon eux, l’Egypte antique est, non seulement blanche, mais aussi, que c’est cette race blanche qui serait à l’origine de sa brillante civilisation. Ils vont ainsi, enrobés du manteau de la science, se rendre coupables de ce que Cheikh Anta Diop appellera, plus tard, « un crime, le plus gravecontrela science et l’humanité »[3].
Les historiens modernes vont, pour leur part, donner libre cours à leur imagination, en se donnant comme sacerdoce un seul principe : raconter l’histoire à rebours. Ainsi, selon eux, l’histoire africaine s’arrête avec la fondation de l’empire du Ghana ; au-delà, c’est la nuit noire, en Afrique. Ce qui signifie que l’histoire africaine n’est que solution de continuité. Autrement dit, elle comporte des trous. Et ce sont, justement, ces solutions de continuités que Cheikh Anta Diop va, en publiant Nations nègres et culture, se proposer de balayer d’un revers de main. Ainsi, à une conception, à la fois, raciste et eurocentriste de l’histoire, Diop oppose, à son tour, une conception, à la fois, afrocentriste et polycentriste de celle-ci. La nouveauté de Cheikh Anta Diop, c’est le lieu de le dire, réside, en effet, dans l’introduction de l’approche diachronique comme grille de lecture du passé négro-africain.
En introduisant ainsi le temps comme principe d’intelligibilité du passé négro-africain, Cheikh Anta Diop découvre que l’Egypte antique est, non seulement, nègre, mais aussi, que c’est à cette Egypte nègre, encore sous le joug de la colonisation, que l’Europe est tributaire de tous les éléments de la civilisation, aussi extraordinaire que cela puisse paraître. En remontant ainsi le cours de l’histoire africaine jusqu’à l’antiquité égypto-nubienne, sur une période d’au moins 5000 ans sans solution de continuité, Cheikh Anta Diop fait d’une pierre deux coups : il replace le Nègre et l’Afrique au centre de l’histoire universelle, d’une part, affirme l’antériorité des civilisations nègres, d’autre part.
Ainsi, en replaçant l’Egypte antique dans son giron africain, Cheikh Anta Diop rétablit, du coup, dans la longue chaine de l’histoire africaine, le maillon rompu par la parenthèse coloniale et saisit, simultanément, le fil conducteur qui relie les africains à leurs ancêtres les plus lointains. C’est ce qu’il appelle : « laconsciencehistoriqueafricaine », c’est-à-dire, suivant sa propre terminologie : « le ciment qui réunit les individus d’un peuple, qui fait qu’un peuple n’est pas une population, un agrégat d’individus sans liens »[4]. C’est dire que la nouveauté de Cheikh Anta Diop était, comme il le soulignera, plus tard, lui-même, moins d’avoir dit, à la suite de certains auteurs classiques, que l’Egypte antique est nègre, que d’avoir fait de cette idée un fait de conscience historique africaine et mondiale et, surtout, un concept scientifique opératoire[5].
La presse
Ainsi, avec la parution de Nations nègres et culture, c’est l’idée même d’une Afrique anhistorique telle que formulée par la philosophie hégélienne de l’histoire qui se voit sapée dans ses fondements les plus lointains. Le choc fut total : « coup de tonnerre », « effet de bombe », « folie », « scandale », « tremblementde terre », « révélation », « dangereux », « audacieux », « révolutionnaire », tels sont, entre autres, les termes employés, çà et là, pour relater l’événement. La force même des termes employés, pour rendre compte de l’événement, traduit, d’une manière ou d’une autre, le malaise profond que cette parution a suscité au cœur de la communauté scientifique. Qu’il s’agisse des africanistes, des égyptologues ou, des autorités académiques de l’époque, tous avaient, pour reprendre le titre même de Chinua Achebe, le sentiment que : « Le monde s’effondre »[6].
Dans une des émissions, Archives d’Afrique, consacrée à Cheikh Anta Diop, Alain Foka, journaliste à RFI, revient sur cette publication dans les termes qui suivent : « En 1954 Cheikh Anta Diop publie son premier ouvrage : Nations nègres et culture ; c’est un coup de tonnerre dans le monde des intellectuels, en général et, celui très tranquilledes égyptologues, en particulier»[7]. C’est cette même idée d’un espace universitaire serein, troublé, tout d’un coup, qui sera, à son tour, reprise par Fabrice Hervieu Wane dans les colonnes du mensuel Le Monde diplomatique : « Le livre sonne comme un coup de tonnerre dans le ciel tranquille de l’establishment intellectuel »[8]. Bizarrement, un mois, plus tard, dans les colonnes du même mensuel et dans, à peu près, les mêmes termes, Philipe Leymarie, revient, à son tour, sur l’événement : « refusée en Sorbonne, sa thèse avait fait l’effet d’une bombe dans le milieu intellectuel des années 50. Nations nègres et culture était à l’ origine une thèse. Mais les autorités universitaires avaient jugé ses idées trop subversives et s’opposèrent à ce qu’elle soit soutenue »[9]. C’est un journal français, Le Républicain Lorrain, qui, deux ans après la parution de Nations nègres et culture, suite à une conférence de Cheikh Anta Diop, résume, de façon tout à fait éloquente, dans un de ses titres, le malaise général que cette œuvre a provoqué au sein de la communauté scientifique : « Deux siècles d’érudition remis en question »[10].
Frappé de caducité, l’africanisme ne s’en relèvera presque plus jamais. Aussi l’Afrocentricité apparaitra-t-il aux africanistes comme étant, non seulement, un défi tout à fait intimidant, mais aussi un défi qui mérite une réponse tout à fait précise. Telle est, du moins, la conviction de Mary Lefkowitz et qui, d’une certaine manière, traduit le sentiment de frustration générale que toute la communauté africaniste avait, au plus profond de sa chair, éprouvé :
« Parce que l’afrocentrisme[11] est appris dans les écoles et les universités et qu’il est pris au sérieux par de nombreuses personnes, il représente un défi qui exige une réponse bien circonstanciée. C’est un défi à l’intégrité académique de toute personne étudiant la Méditerranée orientale, défi qui exige que nous répondions d’abord aux accusations selon lesquelles nous avons délibérément trompé nos étudiants et le public au sujet de l’influence égyptienne sur la pensée occidentale. Ce défi est particulièrement intimidant parce que toute tentative de débattre ou de discuter de ces questions engendre des accusations supplémentaires et une plus grande acrimonie »[12].
Ainsi, avec Nations nègres et culture, c’était, manifestement, une nouvelle page de l’histoire universelle et, surtout, de l’histoire africaine qui s’ouvrait, amplement. Anatole Fogou semble avoir bien perçu l’un des enjeux majeurs de cette œuvre : « L’enjeu, c’est de faire mentir une certaine conception de l’Afrique et de l’Egypte qui situe cette dernière hors de l’Afrique. Et l’auteur qui s’est le plus avancé dans cette direction n’est autre que Hegel, que Diop ne cite pratiquement jamais, mais dont on « sent » bien à la lecture qu’il s’attache à détruire les conceptions sur l’Afrique»[13]. Tout se passe ainsi comme si les thèses exprimées dans Nations nègres et culture remettaient en question les fondements même de la civilisation occidentale. Une chose est, en tout cas, sûre, c’est que sa parution constitue, aux yeux de la communauté des savants européens, abreuvée de Hegel, un véritable scandale. Jean-Marc Ela est de cet avis : « Dire que les bâtisseurs de l’Egypte ancienne sont des nègres authentiques, aussi vrai que les bantous ou les tirailleurs noirs, c’est faire preuve de « folie » aux yeux des sages d’Occident. Les thèses exprimées dans Nations nègres et culture constituent une sorte de scandale pour un esprit nourri de Hegel et d’une longue tradition intellectuelle »[14].
On saisit alors toute la portée de l’événement. La volonté affichée par son auteur n’était, en réalité, comme le note, à juste titre, François-Xavier Fauvelle-Aymar, que de : « Lever le voile d’un seul coup sur plusieurs siècles de mensonges occidentaux, et montrer une fois pour toutes la profondeur historique et la valeur du passé africain»[15].
De là à dire que Nations nègreset culture marque, dans le champ de l’historiographie, un lever héliaque de Sothis, il n’y a qu’un pas-un seul pa s- et François-Xavier Fauvelle-Aymar, naturellement, n’hésite pas à le franchir : « A quoi juge-t-on que l’on a affaire à un nouveau Galilée?»[16], s’interroge François-Xavier Fauvelle-Aymar, avant de répondre presque aussitôt :
« A l’ampleur des sarcasmes et des résistances que suscitent ses idées, forcément justes puisque critiquées. Ainsi, Diop fait sortir le loup du bois. Presque chaque article sur son compte rappelle la façon dont l’establishment universitaire étouffa le scandale que n’aurait pas manqué de produire sa thèse, si la soutenance n’avait été reportée sine die. Mais ce n’était que partie remise : la parution de Nations nègres et culture provoqua, parait-il, un tremblement de terre dans le Landerneau africaniste»[17].
On comprend alors, aisément, que Joseph Ki-Zerbo ait pu dire que la nouveauté de Nations nègres et culture réside, justement, dans cette farouche volonté de son auteur de vouloir, à tout prix : « replacer le soleil au centre du système »[18].
Du côté africain, l’accueil ne fut pas, non plus, chaleureux. L’attitude des intellectuels noirs africains avait, en tout cas, été tout à fait mitigée. C’est, du moins, ce que rapporte Pathé Diagne dans un des passages de son ouvrage consacré à l’auteur de Nations nègres et culture : « Certes, à sa parution, peu de monde l’aura lu avec intelligence et lucidité. C’est pour les uns, une révélation et ils y adhèrent. Pour d’autres, un texte idéologique et politiquement dangereux »[19].
Seul, de toute l’élite africaine, Césaire avait été, dès sa parution, acquis à ses thèses. Césaire, dans un des passages de son célèbre Discours sur le colonialisme, publié deux ans après la publication de Nations nègres et culture, reviendra, d’ailleurs, sur cette parution en saluant, à son tour, non seulement l’audace de l’auteur, mais en attestant, également, pour la postérité, que Nations nègres et culture était le livre : « le plus audacieux qu’un Nègre ait jusqu’ici écrit et qui comptera à n’en plus douter dans le réveil de l’Afrique »[20].
C’est Cheikh Anta Diop, lui-même, qui, dans un des passages de la préface de Nations nègres et culture de 1979, où se mêlent hommages et admirations, nous rapporte l’événement : « Avec vingt-cinq ans de recul on s’aperçoit que les grands thèmes développés dans Nations nègres et culture, non seulement n’ont pas vieilli, mais sont tous tombés maintenant dans le domaine des lieux communs, alors qu’à l’époque ces idées paraissaient si révolutionnaires que très peu d’intellectuels africains osaient y adhérer. Il y a lieu de rendre hommage ici, au courage, à la lucidité et à l’honnêteté du génial poète, Aimé Césaire ; après avoir lu, en une nuit, toute la première partie de l’ouvrage, il fit le tour du Paris progressiste de l’époque, en quête de spécialistes disposés à défendre, avec lui, le nouveau livre, mais en vain ! Ce fut le vide autour de lui »[21].
Boubacar Badiane est Doctorant à l’Ecole Doctorale ETHOS de l’UCAD, Laboratoire CEREPHE.
Bibliographie
[1] P. QUILLET, « Hegel et l’Afrique », Ethiopiques, revue socialiste de culture Négro-africaine, 1976, N° 6, p. 62
2 F-X. FAUVELLE AYMAR, « Cheikh Anta Diop ou l’africaniste malgré lui. Retour sur son influence dans les études africaines », in : F-X., FAUVELLE-AYMAR, J. P., CHRETIEN, et C. H., PERROT (éds), Afrocentrismes. L’histoire des africains entre Egypte et Amérique, Paris : Karthala, 2000, p. 32.
8 F. H. WANE, « Cheikh Anta Diop, restaurateur de la conscience noire », Le Monde diplomatique, Janvier 1998, p. 24-25.
9 P. LEYMARIE, « L’Afrique de Cheikh Anta Diop », Le Monde diplomatique, Février 1998, p. 30.
10 Cité par C. M. DIOP, Cheikh Anta Diop, L’homme et l’œuvre, Paris : PA, 2003, p. 47.
11 Il faudrait peut-être préciser que s’agissant de Diop, le terme qui serait sans doute le plus approprié est celui d’Afrocentricité, introduit par un des disciples de Cheikh Anta Diop et non celui d’afrocentrisme qui est l’œuvre d’un groupe d’intellectuels européens farouchement opposé aux thèses de Cheikh Anta Diop et qui, par tous les moyens, cherchent à les discréditer.
12 M. LEFKOWITZ, « Le monde antique vu par les afrocentristes », in : F-X., FAUVELLE-AYMAR, J. P., CHRETIEN, et C. H., PERROT (éds), Afrocentrismes. L’histoire des africains entre Egypte et Amérique, Paris : Karthala, 2000, p. 243.
13 A. FOGOU, « Histoire, conscience historique et devenir de l’Afrique : revisiter l’historiographie diopienne », N° 60, janvier 2014, p. 6. http://www.fmsh.fr - FMSH-WP-2014-60, consulté le 10/06/ 2016 à 17h 48.
14 J.-M. ELA, Cheikh Anta Diop ou l’honneur de penser, Paris : L’Harmattan, 1989, pp. 52-53.
15 F-X. FAUVELLE AYMAR, op. cit., p. 29.
16 ID., op.cit., p. 40.
17 ID., op.cit., ibid.
18 J. KI-ZERBO, Sud, Revue africaine d’intégration, n° 1, mars 1986.
19 P. DIAGNE, Cheikh Anta Diop et l’Afrique dans l’histoire du monde, Paris : L’Harmattan, 2015, p. 32
20 A. CESAIRE, Discours sur le colonialisme, Paris : PA, 1955, p. 41.
21C. A. DIOP, Nations nègres et culture, Paris : PA, 1979, p. 5.