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21 juillet 2025
par Khadim Ndiaye
AU CŒUR DU DÉBAT ENTRE BORIS ET BACHIR
EXCLUSIF SENEPLUS - J’estime que l'on lira de plus en plus la pensée de Cheikh Anta - On la critiquera, l'approfondira, la dépassera même à certains égards - J'essaie ici d'en vulgariser quelques aspects, à partir des points discutés dans ce débat
Mon malaise est grand. Intervenir dans ce débat entre ces deux intellectuels pour qui j’ai une estime et une affection profondes, n’est pas chose aisée. La tâche s’annonce d’autant plus ardue que l’objet de leur débat porte sur la pensée de Cheikh Anta Diop, un auteur pour lequel j’ai consacré un ouvrage et dont la pensée a une grande influence sur ma propre vision du monde.
Tous les trois ont contribué à ma formation intellectuelle. Bachir est le maître de classe, Cheikh Anta Diop, le maître « uwaysî », celui que je n’ai pas connu, et Boris, le maître par l’exemple. Aujourd’hui, mon amitié avec Bachir et Boris est authentique. La joie de nos retrouvailles est, à chaque fois, immense.
Tous les trois font la fierté de l’Afrique. Dès 1966, Cheikh Anta Diop a été distingué comme « l'auteur africain qui a exercé le plus d'influence sur le XXe siècle » au premier Festival mondial des arts nègres. Bachir Diagne, après de multiples autres distinctions, sera reçu comme nouveau membre de l’Académie américaine des arts et des sciences pour l’année 2019. La réception des nouveaux membres aura lieu au mois d’octobre prochain. C’est dans ce même pays que l’Université de Dickinson a désigné Boubacar Boris Diop comme lauréat 2018-2019 de son prestigieux prix Harold et Ethel L. Stellfox. Boris Diop a été reçu le 11 avril passé dans l’enceinte de cette université.
La pensée de Cheikh Anta Diop est riche et féconde. On ne compte plus le nombre d’articles scientifiques et d’ouvrages qui lui sont consacrés. Les avenues qu’elle offre sont multiples. J’estime que les intellectuels africains débattront de plus en plus sur cette pensée, que ce soit pour parler des immenses ressources énergétiques, de la monnaie, de l'intégration africaine, de la religion, de l'art, des langues africaines, du passé et de l'avenir du continent, de son rapport avec les autres puissances, etc. On la lira de plus en plus, la critiquera, l'approfondira, la dépassera même sur certains aspects. Je considère d’ailleurs Bachir et Boris comme étant tous les deux, à leur façon, des continuateurs émérites de Cheikh Anta Diop. Si Boris a décidé d’écrire dans une langue nationale, c’est en partie grâce à l’influence positive de Diop. Son travail d’édition d’ouvrages en langues nationales est une contribution réussie au projet de renaissance culturelle africaine chère à l’historien. Le projet de Bachir Diagne de produire des travaux philosophiques dans une langue nationale, le wolof, est la matérialisation parfaite du travail entamé par Diop sur les langues africaines. De plus, en insistant sur la « traduction » dans ses écrits et ses conférences, Bachir poursuit dans une certaine mesure un des projets de Diop, qui a été, selon moi, un des premiers penseurs africains de la traduction.
Je propose d’ailleurs à Bachir et Boris de nous gratifier d’un ouvrage dans lequel ils nous parleront de plusieurs sujets, amicalement mais sans complaisance : les langues africaines, la culture, le rapport des pays africains avec les puissances étrangères, notamment la France, la gouvernance des pays africains, etc. Ce serait non seulement apprécié, mais très utile pour la jeune génération.
De leur débat, je ne prendrai pas parti. S’il peut y avoir des motivations, des attentes et des non-dits, on peut au moins noter un malentendu manifeste. Boris reproche à Bachir d’avoir prêté à Cheikh Anta Diop une pensée qui n’est pas la sienne. Je le cite : « Faut-il en déduire que dans le feu d’une interview – exercice où les mots peuvent aller plus vite que la pensée – Souleymane Bachir Diagne aurait prêté à Cheikh Anta Diop une position qui n’est pas du tout la sienne ? » Bachir, de son côté, brandit le même reproche : « L’honnêteté ? C’est de ne pas prêter à quelqu’un des propos qui ne sont pas les siens. »
Je connais ces deux penseurs honnêtes. Leur humilité et leur rigueur ne font l’objet d’aucun doute à mes yeux. Par conséquent, je pense fort bien que s’ils se trompent ce ne peut être que de bonne foi. Mais il y a un bon côté des choses : leurs divergences et la vivacité de leurs échanges ne peuvent être que source d’enrichissement pour les nombreux lecteurs que nous sommes. Ils sauront donc vite se retrouver.
Il faut interpréter leur discussion comme une invite à débattre de la pensée de Cheikh Anta Diop. C’est pourquoi, sur la demande insistante de quelques amis, j’essayerai, dans cette contribution, de vulgariser, à ma façon, quelques aspects de Cheikh Anta Diop, en partant des quelques points discutés dans ce débat. Si Boris affirme que l’accusation de jacobinisme est « le principal grief » que l’on pourrait faire à Bachir, le débat a porté sur d’autres points : le laboratoire de carbone 14 et la traduction. Je tenterai à chaque fois de rapporter fidèlement les vues de l’homme de Céytou.
Le laboratoire de radiocarbone
Sur le laboratoire de radiocarbone, Cheikh Anta Diop a consacré un opuscule d’une centaine de pages titré justement « Le laboratoire de radiocarbone de l’IFAN ». Il y explique sa création, ses différents éléments constitutifs (salle de chimie, banc à vide, banc de purification, appareil pour la synthèse de CO2, salle d’électronique, ensemble pour gammamétrie monocanal, etc.), les activités qui y sont menées, les tests qui y ont été effectués en vue du démarrage ainsi que les perspectives sur le développement futur du laboratoire.
Théodore Monod, directeur de l’IFAN de l’époque, a beaucoup œuvré à la création de ce laboratoire. Son successeur à partir de 1’année 1964, Vincent Monteil, y contribua également. Dans l’avant-propos de l’opuscule, Diop salue leurs apports précieux dans ce projet.
Tous les travaux d’installation des équipements furent menés seul par Cheikh Anta Diop. Il nous le dit lui-même : « Il s’est écoulé quatre années (1963-1966) entre le moment où fut donné le premier coup de pioche pour la construction des locaux et la mise en service du laboratoire. Bien que nous ayons été seul à mener sur place, à Dakar, tous les travaux d’installation de l’équipement, cette durée eût été réduite encore si une partie indispensable de l’équipement ne nous était parvenue avec beaucoup de retard. »
Corroborant ce fait, le philosophe Djibril Samb, ex-directeur de l’IFAN, qui a eu accès aux lettres de Cheikh Anta Diop adressées à la direction de l’IFAN, écrit dans son ouvrage, Figures du politique et de l’intellectuel : « Dès le début de sa carrière, Cheikh Anta Diop conçut le projet - qui pouvait paraître utopique à plus d'un - de monter au sein de l'IFAN, un laboratoire de datation au radiocarbone. Dans sa première lettre au recteur (11 avril 1961), il sollicita un stage de quinze (15) jours à partir du 15 juin 1961, au laboratoire de Saclay, "en vue, dit-il, de montrer une installation similaire à l'IFAN. Voilà, assurément, un homme décidé et habité par le feu sacré. Dans sa grande sagesse, le recteur de l'époque, C. Frank, lui accorda le stage demandé ».
Et, c’est Diop lui-même qui conçut les plans du futur laboratoire. Le professeur Samb rajoute : « À son retour, il se consacra tout entier à cette tâche gigantesque. Il dressa lui-même les plans du laboratoire, dont l’exécution fut confiée au Service des travaux publics. Mais il faut mal connaître l'homme pour penser qu'il se fût contenté de déposer une liasse de plans et d'aller pêcher. Ce projet était d’abord le sien, et il s'y engagea tout entier, comme dans tout ce qu'il faisait, déployant toutes les facettes, non pas seulement d'un immense savant, mais d'un homme d’action, pragmatique, attentif, aux moindres détails. […]. Dans une lettre en date du 25 juin 1963 adressée au directeur de l'IFAN, le grand et regretté Théodore Monod, il rappelle qu'il donnait lui-même des indications détaillées aux entreprises maîtres d'œuvres, effectuait deux à quatre visites quotidiennes sur le chantier, précisait les plans d'installation du laboratoire, en fixait les pièces, déterminait leurs dispositions et leurs vocations, redressait les directives ou les applications erronées. »
S’il a tout conçu et a commencé seul les tests, Cheikh Anta Diop était assisté par la suite de deux techniciens de laboratoire.
Mais à quoi devait servir cette officine à laquelle le savant consacra 44 heures par semaine ? Cheikh Anta Diop répondit à cette question dans son opuscule : « Le laboratoire est en réalité un centre de datation qui applique l’essentiel des techniques de dosage des faibles radioactivités. Dans les années à venir il intégrera tout naturellement la méthode du Potassium 40 / Argon qui est déjà au point…Avec l’introduction de cette nouvelle méthode les possibilités de datation du laboratoire seront pratiquement illimitées, compte tenu de la longueur de la période du Potassium 40 : 1 milliard 300 millions d’années. »
Quelles étaient les activités du laboratoire ? C’est encore Diop qui révèle que le laboratoire peut apporter sa contribution à l’étude des « manifestations culturelles de l’homo sapiensdepuis son apparition », à l’étude géologique du quaternaire et du quaternaire africain en particulier, aux études océanographiques, à l’étude des eaux fossiles, de la radioactivité atmosphérique, des traceurs en biologie animale, à suivre l’activité du soleil et à doser le rayonnement cosmique. Le laboratoire pouvait également servir, nous dit-il, à des mesures de toutes sortes (corrélations angulaires, mesures faibles de radioactivité, mesure de physique nucléaire, étude des météorites, etc.), à tracer le spectre d’énergie d’un échantillon métallique, traitement des os par le dosage du fluor, de l’azote, à l’autoradiographie par émulsion nucléaire, à la semi-micro-analyse chimique et micrographie par observation épiscopique de métaux et alliages constitutifs des objets d’art.
Les méthodes utilisées par Cheikh Anta Diop étaient originales. Il écrit à ce propos : « Contrairement à l’usage en vigueur dans les autres laboratoires, nous ne prenons aucune information sur les échantillons avant datation. Une fois l’intérêt scientifique de l’échantillon reconnu, la fiche permettant d’établir le dossier scientifique de celui-ci n’est rempli qu’à posteriori, après datation. L’échantillon est remis avec un simple numéro de référence, à l’exclusion de toute information sur son âge probable. De même, en ce qui concerne les datations croisées ci-dessous, nous avons dû communiquer nos résultats avant de connaître ceux trouvés antérieurement par les autres laboratoires. » (« Datation par la méthode du radiocarbone », Bulletin de l’IFAN, T. XXXIII, série B, no 3, 1971.)
Ce laboratoire aux normes internationales – une mission du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) attestera en 1966 de la qualité internationale des travaux exécutés dans le laboratoire – a permis de dater des ossements fossilisés, du charbon, des cendres, des œufs d’autruche et beaucoup d’autres échantillons provenant du Sénégal, du Mali, de la Mauritanie, du Cap-Vert, du Niger, de l’Iraq et de beaucoup d’autres pays. Des fragments provenant de Sine Ngayène, le plus grand site protohistorique de la Sénégambie, y ont été analysés et datés. En 1977, Cheikh Anta Diop effectua dans le laboratoire une analyse microscopique des échantillons de peau prélevés au laboratoire d’Anthropologie physique du musée de l’Homme à Paris sur les momies provenant des fouilles de Mariette en Égypte. Il demanda en vain, sur une période de deux ans, qu'on lui envoyât des échantillons prélevés sur les momies royales de Thoutmosis III, Sethi Ier, Ramsès II. C’est lui-même qui précise : « Depuis deux ans, j’ai demandé, en vain, de tels échantillons à analyser au conservateur du Musée du Caire. Pourtant il ne faudrait pas plus de quelques millimètres carrés de peau pour monter une préparation ; on réalise ainsi des préparations d’une épaisseur de quelques U, éclaircies au benzoate d’éthyle. On peut les observer en lumière naturelle ou avec un éclairage en ultraviolet qui rend fluorescent les grains de mélanine. » (Histoire générale de l'Afrique, vol. II, Afrique ancienne, p. 50.)
La langue d’unification
Le deuxième point de l’échange entre Boris et Bachir a porté sur la langue d’unification.
Bachir soutient que Cheikh Anta Diop, en proposant une langue d’unification, a une conception jacobine, contrairement à un Ngugi wa Thiong'o aujourd’hui. Pour le philosophe, l’unification, doit au contraire s’effectuer par la traduction. En disant cela, il s’alignait sur la position d’Édouard Glissant qui évoquait la traduction et disait que de son point de vue d'écrivain, il écrivait en présence de toutes les langues du monde, même s’il n’en connait qu'une seule.
Boris, de son côté affirme que sur ce point, Bachir prête à Cheikh Anta Diop une pensée qui n’est pas la sienne.
Il est important ici de noter qu’avant Bachir, le Français François-Xavier Fauvelle-Aymar a utilisé le terme de jacobinisme dans son ouvrage, L’Afrique de Cheikh Anta Diop. Après tout un développement sur la conception des langues chez Cheikh Anta Diop, il écrit : « Diop use là d'un modèle de l'État-nation, sous sa forme la plus jacobine, explicitement emprunté à la France. » (p. 169).
Sur l’accusation de jacobinisme, Boris affirme que c’est « le principal grief que l’on pourrait faire à Bachir », qui donc le reprend à son compte après l’africaniste Fauvelle-Aymar. Pour Boris, ce point de Bachir est « une divergence de vue avec l’auteur de Civilisation ou barbarie à qui il reproche de prôner une langue unique. »
Qu’en est-il réellement ? Qu’est-ce Diop pense de la langue ? Des langues ?
Cheikh Anta Diop a très tôt reconnu l’importance de la langue. Ses premières préoccupations intellectuelles sont d’ordre linguistique. Dès ses années de lycée, entre et 15 et 20 ans, il inventa un alphabet pouvant retranscrire toutes les langues africaines. Sa première publication porte sur la langue. Quelques-unes de ses premières conférences portent sur la question linguistique, notamment celle qu’il donna à Saint-Louis du Sénégal, en présence de Birago Diop, le mardi 1er août 1950 et dont le titre était « Nécessité et possibilité d’un enseignement dans la langue maternelle en Afrique ».
La pensée de Cheikh Anta Diop étant nuancée sur cette thématique, il nous faut ici interroger le contexte de production de certaines de ses idées. Lors du premier Congrès des écrivains et artistes noirs, en 1956 à Paris, Diop tint une conférence sur le thème « Apport et perspectives culturelles de l’Afrique ». Se donnant comme mission de montrer l’apport de l’Afrique noire à la civilisation, il préconisa de faire au moins de certaines langues africaines des langues de science. Il déclara : « Sur le plan linguistique on peut dire qu’une solution de facilité est à éviter et qu’il faut à tout prix élever certaines langues nationales au niveau des exigences modernes, les rendre aptes à supporter la pensée philosophique et scientifique. »
Diop reconnait ainsi durant ce congrès l’importance de faire des langues africaines des langues de science.
Les années 1959-60 étaient, elles, les années de l’unité et de l’unification africaines. En 1959 se tint la seconde édition du Congrès des écrivains et artistes noirs à Rome. Y étaient présents Cheikh Anta Diop, Amadou Hampâté Ba, Léopold Sédar Senghor, Bernard Dadié, Jacques Rabemanajara, Frantz Fanon, Sékou Touré, Aimé Césaire, Price-Mars et beaucoup d’autres auteurs. Le thème du Congrès était « L’unité des cultures négro-africaines ». Les participants entendaient formuler une renaissance des peuples de couleur et une vraie politique de la culture. Dans la déclaration finale, il a été recommandé de faire du kiswahili la langue d’unification de l'Afrique subsaharienne. Cheikh Anta Diop qui y prononça une conférence sur le thème « L’unité culturelle africaine », fit paraître l’année suivante, son ouvrage Les Fondements économiques et culturels d’un État fédéral d’Afrique Noire, dans lequel il tenait en compte la résolution finale du Congrès. Il y déclare, s’adressant aux Africains, qu’il nous faut « travailler à l’unification linguistique à l’échelle territoriale et continentale, une seule langue africaine de culture et de gouvernement devant coiffer toutes les autres ; les langues européennes, quelles qu’elles soient, restant ou retombant au niveau de langues vivantes de l’enseignement secondaire ».
On peut remarquer qu’ici il prône, à l’instar des congressistes de Rome, une langue d’unification, qui coiffe toutes les autres, lesquelles, y compris les langues européennes, ne devant toutefois pas disparaître. Diop trouvait que parmi toutes les grandes langues africaines, le kiswahili remportait les faveurs, par son étendue et sa morphologie. C’est elle, écrit-il « qui a le plus de chances de devenir demain pour l’Afrique noire unifiée, une langue de gouvernement et de culture » (Antériorité des civilisations nègres, p. 113.). Il rajoute qu’une des « principales chances du swahili est que son extension future à d’autres peuples ne poserait aucun problème d’impérialisme culturel, de la part du petit peuple des Waswahili dont il est la langue maternelle. » (Antériorité des civilisations nègres, p. 114).
Mais à l’époque, Diop insistait sur le fait que la fédération et l’unification devaient se faire rapidement. Si les choses vont en s’ossifiant, les États deviendront de moins en moins aptes à la fédération et donc à l’unification. Il trouvait que l’unité culturelle bien comprise, amoindrissait fortement ce qu’il appelait les « susceptibilités régionales ». Il déclare à cet effet : «Un Africain éduqué dans une langue africaine de culture quelconque, qui n'est pas la sienne, est moins aliéné, culturellement parlant, que s'il l'était dans une langue européenne avec perte définitive de sa langue maternelle. De même, un Français éduqué en italien serait moins aliéné que s'il l'était en zoulou ou en arabe avec perte définitive du français. Telle est la différence d'intérêt culturel qui existe entre langues européennes et africaines et que nous ne devons jamais perdre de vue ». (Antériorité des civilisations nègres, p. 113.)
En clair, pour Diop, chaque africain pouvait parler sa langue mais aussi maîtriser la langue de communication continentale. Un Wolof n’est pas aliéné parce qu’il parle le swahili.
Cheikh Anta Diop était pour une langue véhiculaire d’unification, une lingua franca, non pour la disparition des langues. C’était une façon pour lui de régler le problème de la balkanisation linguistique, de la « mosaïque linguistique » pour reprendre ses propres mots. De nombreux intellectuels, martelait-il, « sont désarmés devant les difficultés que pose la mosaïque linguistique africaine. » (Alerte sous les tropiques, p. 110.).
La langue véhiculaire continentale est une suite logique de la théorie de l’unité culturelle. C’est d’ailleurs, dans le même cadre d’unification recherchée dans la perspective des indépendances, que Diop nous incite à dépasser la division qu’introduit le système des castes qui anéantit l’unité nécessaire à une personnalité collective africaine retrouvée. « En expliquant la genèse des castes, écrivait-il, le caractère révolu des circonstances historiques qui les ont engendrées, leur non-sens dans la nouvelle structure économique, leur danger actuel, j’essaie de contribuer à la solution du problème de la division totale de tous les éléments qui devraient être unis dans une lutte commune. » (Alerte sous les tropiques, p. 52)
C’est encore pour les besoins de l’unification que Cheikh Anta Dio disait que les Africains doivent sortir du premier niveau de l’histoire, celui des « histoires locales » dans lesquelles les peuples africains « se recroquevillent, se trouvent piégés et végètent aujourd’hui », pour aller vers le second niveau, « plus général, plus lointain dans l’espace et le temps et englobant la totalité de nos peuples » et qui « comprend l’histoire générale de l’Afrique Noire, telle que la recherche permet de la restituer aujourd’hui à partir d’une démarche rigoureusement scientifique ». Dans cette sorte de synthèse, précisait-il, « chaque histoire particulière est ainsi repérée et située correctement par rapport à des coordonnées historiques générales. Ainsi toute l’histoire du continent est réévaluée selon un nouvel étalon unitaire propre à revivifier et à cimenter, sur la base du fait établi, tous les éléments de l’ancienne mosaïque historique. » (Civilisation ou Barbarie, p. 175).
Insérer les récits locaux dans une histoire globale unificatrice demeure d’une actualité brulante, surtout au vu des problèmes que pose déjà le projet de réécriture de l’histoire du Sénégal.
Au final, il y a donc chez Diop, une sorte de théorie de l’unité dans la diversité, de l’unicité multiple, ou encore de la multiplicité unique. Dit autrement, son projet est la maison faite de briques (les langues particulières), mais qui a besoin du ciment unificateur (la langue d’unification), pour tenir. Une personnalité collective est solide si elle possède le sentiment d’unité des différents éléments la composant. Sans l’unité linguistique, disait Cheikh Anta Diop, l’unité nationale et culturelle n’est qu’illusoire.
Dans son ouvrage, Sénégal : Les ethnies et la nation, le professeur Makhtar Diouf rappelle l’importance de la langue d’unification dans un contexte comme la Gambie : « C'est le président gambien Daouda Diawara qui déclare que le wolof a fait de sa capitale Banjul une zone de dé-ethnisation (de-tribalising area) » (p. 71).
L’émiettement des États africains et le contexte des indépendances marqué par la quête d’unification expliquaient cette façon de voir les choses chez Diop. Rappelons d’ailleurs que plusieurs années plus tard, en 1977, à Lagos, lors du Deuxième Festival mondial des Arts du monde noir, l’écrivain Wole Soyinka évoqua les résolutions de l’Union des écrivains relatives aux questions linguistiques. Il insista fortement dans sa communication sur la recommandation de faire du kiswahili la langue d’unification de l’Afrique subsaharienne.
Cheikh Anta Diop était cependant pour le développement de toutes les langues africaines. Dans sa conception, je le cite, « On apprend mieux dans sa langue maternelle parce qu’il y a un accord incontestable entre le génie d’une langue et la mentalité du peuple qui la parle. D’autre part, il est évident qu’on évite des années de retard dans l’acquisition de l’enseignement. » (Alertes sous les tropiques, p. 35). La langue maternelle est la langue de l’énergie, aurait dit Édouard Glissant, qui était avec Cheikh Anta Diop au Congrès de Rome où il fut décidé de faire du kiswahili la langue d’unification africaine.
Pourquoi une telle conception chez Diop ? Parce que pour lui, les langues étrangères peuvent constituer des obstacles à l’acquisition de la connaissance. Considérées comme langues exclusives d’enseignement, elles obligent le jeune Africain à fournir un double effort, « pour assimiler le sens des mots, et ensuite, par un second effort intellectuel, pour accéder à la réalité exprimée par lesdits mots ». Il rajoute : « Le jour même où le jeune Africain entre à l’école, il a suffisamment de sens logique pour saisir le brin de réalité contenu dans l’expression : un point qui se déplace engendre une ligne. Cependant, puisqu’on a choisi de lui enseigner cette réalité dans une langue étrangère, il lui faudra attendre un minimum de 4 à 6 ans, au bout desquels il aura appris assez de vocabulaire et de grammaire, reçu en un mot un instrument d’acquisition de la connaissance pour qu’on puisse lui enseigner cette parcelle de vérité. »
Les difficultés en mathématiques éprouvées par les jeunes africains ne s’expliqueraient du reste que par l’adoption d’une langue étrangère mal comprise. L’Africain, pensait-il, « loin d’être dénué de logique, pourrait même se jouer des difficultés abstraites des mathématiques et que, ce qui constitue une entrave pour lui, c’est plutôt le symbolisme des mathématiques enseigné dans une langue étrangère qu’il possède mal » (Nations nègres et culture, pp. 35-36.)
Voilà pourquoi, selon lui, il faut développer les langues africaines. Dans les dernières années de sa vie, Diop n’a eu de cesse de rappeler cette exigence dont l’Unesco, s’appuyant sur les plus récents travaux scientifiques dans le domaine de l’éducation, se fait grandement l’écho aujourd’hui.
Il faut dire que les années 70 sont marquées au Sénégal par l’insistance sur les « langues nationales ». En 1971, le décret présidentiel no 71566 du 21 mai 1971 reconnaissait le statut des « langues nationales ». Dans un article publié en 1977 dans le journal Taxaw et repris dans le même journal en 1980, Diop note : « Partout dans le monde, et dans le Tiers-Monde, en particulier, tous les leaders politiques qui ont compris qu'il y a une contradiction fondamentale à vouloir développer nos pays tout en adoptant officiellement une langue étrangère comme langue de gouvernement et d'administration, ont tranché cette question dans le vif, dans la pratique. Ils savent que l'alphabétisation dans les langues nationales reste un luxe superflu tant que le pays n'est pas administré et gouverné dans celles-ci, tant que le gagne-pain de chaque citoyen ne passe pas par l'utilisation de ces langues nationales. » (Taxaw, février-mars 1981).
La langue étrangère accentuant les clivages entre les élites et les masses, Diop montre les bienfaits de l’alphabétisation dans les langues nationales : « Alors seulement, elles [les langues nationales] seront, comme aujourd'hui les langues étrangères, des langues de promotion sociale, culturelle, technique et même politique et cela vaudra la peine d'apprendre à les écrire. Et du jour au lendemain, les neuf dixièmes de la population, deviendront des agents actifs du développement, des producteurs très utiles, au lieu d'être une masse passive à la remorque d'une minorité sans idéal. ». (Taxaw, février-mars 1981).
Dès que les langues nationales sont promues, les citoyens des villes et les citoyens des campagnes participent également à la vie nationale : « Avec l'alphabétisation, écrit Diop, la ménagère du village, hier inculte, écrit maintenant ses propres lettres, remplit ses talons de mandat, sa feuille d'impôt, lit ses télégrammes, cherche le numéro dans l'annuaire, reconnaît les sens interdits, étudie directement la littérature du parti pour sa promotion politique et sociale ; elle assure des suppléances au bureau des PTT du village, reçoit un message urgent et le transmet, elle gagne sa vie. Le génie créateur, verrouillé, s'éveille et remplace le psittacisme. ».
Et, chose importante, l’alphabétisation dans les langues nationales ne signifie pas chez Diop une rupture avec le monde extérieur. Au contraire, avec l’adoption des langues nationales, on se met en situation de mieux apprendre les langues étrangères : « L'apprentissage des langues étrangères est accéléré, c'est le contraire d'une coupure d'avec le monde extérieur. Des députés de souche populaire, de vrais mandataires du peuple peuvent maintenant siéger au Parlement. Même l'idée d'une éventuelle fédération avec la Gambie devrait nous inciter à reconsidérer la question linguistique sous un angle correct. » (Taxaw, février-mars 1981).
Non seulement on ne se coupe pas du monde, mais même les termes étrangers acquis dans nos langues devront être conservés. Cette exigence de ne pas se couper du monde en s’enfermant dans un exclusivisme naïf, Diop le disait déjà dans Nations nègres et culture. Il ne faudrait pas, écrivait-il, « pousser l’exclusivisme jusqu’à éliminer les mots d’origine occidentale qui ont déjà acquis droit de cité dans nos langues. On peut dire qu’il en est ainsi chaque fois qu’un mot occidental passe dans le creuset où il est refondu, dès qu’il est adapté à notre phonétisme » (p. 408).
Deux ans avant sa mort, le samedi 28 avril 1984, lors de la Semaine culturelle de l’École Normale Germaine Le Goff, à Thiès au Sénégal, Cheikh Anta Diop tint une conférence entièrement faite en wolof sur l’importance de faire des langues nationales des langues de science. Sa conférence s’intitulait « Làmmiñu réew mi ak gëstu » (Langues nationales et recherche scientifique). Diop campa le sujet : « Ndax réew yi nga xam ne ñoo nekk tey ci kanam àddina, xam-xam bi nga xam ne moom lañuy jàngale ci seen daara yi tegaloo, ndax mënees na ko jàngale ci làmmiñu réew mi - bu mu ci mën di doon, moo xam wolof la, moo xam weneen làmmiñ lay doon ...pël la, walla sereer la, walla làmmiñ wu mag wow réew mi - ndax mënees na cee jàngale xam-xam yooyu, ci koo xam ni kii mësul a jaar ci daaray tubaab. Loolu, jàpp nanu ne mën naa am. »
Traduction : « Peut-on, à l’instar ce qui se fait dans les universités des pays avancés de ce monde, enseigner le savoir scientifique dans nos langues nationales quelles qu'elles soient : wolof, pël, sereer ou dans la grande langue véhiculaire, pour quelqu’un qui n’est pas alphabétisé dans une langue occidentale. Je pense que c’est possible. » (Conférence transcrite dans Le Chercheur, revue scientifique de l'Association des chercheurs sénégalais, no 1, 1990, pp. 16-49.).
Il y a donc chez Cheikh Anta Diop trois niveaux : les langues européennes, les langues nationales et la langue d’unification africaine. Les langues nationales sont les langues de la renaissance scientifique, les langues européennes permettent l’ouverture au monde, la langue d’unification africaine, elle, permettant l’intercompréhension des groupes dans le cadre d’une fédération. Cette langue continentale d’unification incombera, écrivait-il dans Les Fondements économiques et culturels d’un État fédéral d’Afrique Noire, à une « commission interterritoriale compétente » qui sera « inspirée par un très profond sentiment patriotique, à l’exclusion de tout chauvinisme déguisé » (p. 23).
La traduction
Le troisième point abordé dans la discussion entre Boris et Bachir est la traduction.
« Ce n’est pas si compliqué de traduire la relativité en wolof », soutient Bachir. Boris perçoit dans la manière de formuler cette critique, une façon de tourner en dérision le travail de quelqu'un qui voulait seulement « démontrer l’égale capacité d’abstraction de toutes les langues du monde ». Bachir précise sa pensée dans sa réponse et affirme que lorsqu’on traduit une démonstration on ne traduit pas en réalité le langage des signes dans lequel la démonstration se conduit mais le métalangage. Plus la théorie est abstraite et réalisée dans la langue formulaire, moins il est compliqué de la traduire, avance-t-il. Bachir trouve même qu’il est plus difficile de « traduire de la poésie que des sciences formelles ».
Mon avis est qu’ici le problème ne porte pas en tant que tel sur la traduction, mais sur la perception de dérision. Je ne m’appesantirai pas sur cette perception. Je vais plutôt parler des motivations entourant le projet de Diop de traduire des œuvres de l’esprit dans les langues africaines.
Cheikh Anta Diop a traduit des textes scientifiques et littéraires. Il a traduit un extrait d’Horace de Corneille et le texte de la Marseillaise. Il était conscient de la difficulté de traduire des poèmes. Après avoir rendu un poème wolof en français, Diop note : « On tenterait en vain de traduire adéquatement ce poème banal en français ; C’est cet élément intraduisible d’une langue à l’autre, sans lequel il n’y a pas de littérature nationale propre, que nous sacrifions, toutes les fois que nous « optons » pour une expression étrangère. » (Nations nègres et culture, p. 450).
Mais que voulait démontrer Diop en se lançant dans de vastes opérations de traduction ?
Il s’agissait pour lui de montrer que la « pauvreté naturelle » supposée des langues africaines n’était pas fondée; qu’aucune langue ne souffre de déficience native ; qu’il est possible comme cela s’est fait partout ailleurs, de développer ces langues par la création de « néologismes indispensables » et par des « traductions d’ouvrages étrangers de toutes sortes (poésie, chant, roman, pièce de théâtre, ouvrage de philosophie, de mathématiques, de science, d’histoire, etc… » (Nations nègres et culture, p. 412.).
Dans le même ouvrage, il reprécise son projet : « Il s’agit d’introduire dans les langues africaines des concepts et des modes d’expression capables de rendre les idées scientifiques et philosophique du monde moderne. Une telle intégration de concepts et d’expressions équivaudra à l’introduction d’une nouvelle mentalité en Afrique, à l’acclimatation de la science et de la philosophie moderne au sol africain par le seul moyen non-imaginaire. » (p. 408).
S’il en est ainsi c’est que Diop était conscient de l’importance des traductions dans la longue chaîne de transmission des connaissances à travers l’histoire. Il note que « Les Grecs ne se contentèrent donc pas d’aller puiser les sciences chez les Égyptiens, ils ont voulu les acclimater dans leur patrie, par des traductions de mémoires et d’ouvrages égyptiens. Strabon rapporte que, jusqu’à ce que de telles traductions aient existé, les Grecs n’avaient que des notions très imprécises sur les connaissances scientifiques d’ordre astronomique et autres. » (Antériorité des civilisations nègres, p. 104). Dans le même ordre d’idées, il mentionne l’importance de la traduction dans une ville comme Tolède en Espagne. Il écrit : « La ville devint le principal centre de traduction de tous les ouvrages scientifiques et philosophiques de l'Antiquité, écrits en arabe ». Pour Diop, c’est la traduction, qui contribua « au développement du latin comme langue scientifique et universelle de l'Europe ».
C’est pour toutes ces raisons que Diop espérait non seulement la traduction dans les langues africaines des classiques de la littérature mondiale, mais des ouvrages exprimant tous les domaines de la connaissance. Traduit, tout ce savoir sera accessible aux Africains parce qu’exprimé avec le génie de leurs langues.
Dans son article, « Comment enraciner la science en Afrique » (Bulletin de l’IFAN, t. 37, série B, no1, 1975), il s’évertue à traduire en wolof un ensemble de textes relatifs à la théorie des ensembles, à la physique mathématique et théorique, à la physique quantique, à la relativité restreinte et générale, à l'algèbre, à la chimie quantique, etc. Il y démontre un effort de création de néologismes et y réaffirme son objectif : « Il s’agit moins d’un effort de vulgarisation que de la démonstration concrète de la possibilité du discours scientifique en langue africaine…Elle prouve que l’on peut si on le veut (et avec beaucoup de travail) dispenser une culture scientifique qui ne soit pas au rabais dans nos langues. »
Dans sa conférence en wolof de 1984, il mentionne qu’aucune langue n’est déficiente et insiste sur la capacité infinie de la langue à créer des concepts et à nommer donc les choses du monde : « Da ngeen di xam ne aw làmmiñ, jëfandikukaay la boo xam ni lu am xel dem ci àddina aw làmmiñ mën na koo tudd ; am xel ay gàtt aw làmmiñ gàtt ! Waaye lu am xel mën a dem ci àddina rekk aw làmmiñ mën na ko tudd ; aw làmmiñ gàttul. Nit kiy wax nag, fim xelam yem, fiw jàngam yem, fi gisgisub àddinaam yem, foofu rekk la ay waxam mën a yem...Waaye boo demee ba sam xel gis leneen rek, làmmiñ wi dana ko tudd. Lu ko waral? Amul benn baat boo xam ni bii yenu nga sa maana ci cosaan, amul! Baat bi coow luy géenn ci gémmiñ kepp la! Amul sax menn maana. Ndax bu ko ammon, wenn làmmiñ ay am kon lu jog rekk, xel yépp nenn lañu koy tudde. Wenn tur wi di moom. Te loolu amul. […]. Li làmmiñu tubaab bi ëppalee sunuy yos mooy baat yi nga xam ni dugal nañu leen ci ñaari xarnu yu muyy - yi ci des ginaaw yii. Maanaam ci ci fukkeelu xarnu beek juróom-ñeent (XIXe siècle) ci la xam-xam tàmbalee am dëgg-dëgg »
Traduction : « La langue est un outil qui permet de nommer les choses. Une langue n’est jamais limitée. Si elle l’est c’est parce que notre esprit est limité. Les limites linguistiques d’une personne qui parle sont les limites de son esprit et de sa vision des choses. Pourquoi cela? Aucun mot ne vient avec sa signification toute faite. Le mot est uniquement un son qui s’échappe de notre bouche. Il n’a aucune signification a priori. Si les mots venaient avec leur signification, il n’y aurait qu’une langue unique et toute chose serait comprise de la même manière par tous. Cela n’est pas concevable. […]. Ce que les langues européennes ont de plus que les langues africaines, c’est l’effort de conceptualisation scientifique née avec la révolution scientifique du XIXe siècle. »
Dans son ouvrage, Antériorité des civilisations nègres, il exprimait déjà cette idée : « L’avancée des langues européennes sur les langues africaines de culture est d’ordre purement lexicologique ; elle correspond à la somme des concepts artificiellement créés et accumulés durant les trois derniers siècles, depuis l’avènement de la science moderne. » (p. 114).
Sur un tout autre plan, enrichir et développer les langues nationales, était pour Cheikh Anta Diop le meilleur moyen pour venir à bout de l’impérialisme économique. Pour lui, la domination culturelle, celle qui passait par la langue, facilitait la domination économique. « L’impérialisme culturel, disait-il, est la vis de sécurité de l'impérialisme économique ; détruire les bases du premier c'est donc contribuer à la suppression du second. » (Nations nègres et culture, p. 407). Les puissances colonisatrices ne s’étaient retirées qu’en apparence. Leurs livres, leurs films, bref, leurs produits culturels, restaient présents par la langue.
Voilà ce qu’il m’a semblé important de dire à propos des points soulevés lors de cet échange entre Bachir et Boris. Un échange que j’ai interprété à mon niveau, disais-je, comme un appel à discuter de la pensée de Cheikh Anta Diop.
par Théophile Kouamouo
QUI VEUT RÉHABILITER LE COLONIALISME ?
Penser Mugabe, président du zimbabwe récemment décédé, comme l’anti-Mandela, c’est oublier le poids du fait colonial et la question cruciale de la répartition des terres
Finalement, c’est à plus de 95 ans que Robert Mugabe, ancien président du Zimbabwe, a tiré sa révérence. Personnage clivant, passionnément admiré et passionnément haï à la fois, il aura incarné tour à tour le héros révolutionnaire affrontant dans son pays un régime d’apartheid postcolonial – qu’on pourrait comparer à une Algérie que l’OAS aurait réussi à conserver – ; puis le dirigeant africain portant à bout de bras ses camarades luttant ailleurs en Afrique australe pour « la libération totale du continent » ; et, finalement, le vieux dictateur refusant de céder le pouvoir et engageant, dans le but de se légitimer, le « parachèvement » de son combat : l’expropriation brutale de milliers de fermiers blancs usufruitiers du rapt colonial… Avec, pour conséquences, l’isolement et l’appauvrissement d’un pays déjà mal en point.
Forcément, ses oraisons funèbres devraient – par souci d’honnêteté – raconter les deux facettes du personnage. Mais il se trouve que Robert Mugabe a été l’homme politique africain contemporain le plus détesté par l’Occident (tout simplement parce qu’il s’en est pris à des Blancs) ; avec la même force manichéenne qui a poussé à faire de son ex-homologue Nelson Mandela le dernier saint de notre histoire commune.
Un éditorial du Monde résume bien cette vision des choses. « Comparée à celle de l’idole planétaire qu’est devenu Nelson Mandela, vainqueur de l’apartheid dans l’Afrique du Sud voisine, sa trajectoire de révolutionnaire mué en autocrate illustre le poids du facteur personnel dans l’histoire des peuples », peut-on lire dans les colonnes du « quotidien de référence ». Cette phrase est problématique pour plusieurs raisons. Déjà parce qu’elle ne traduit pas le ressenti d’une très large frange de l’opinion publique africaine. La lire m’a en tout cas permis de me remémorer un de mes souvenirs de jeune journaliste.
LES COLONS ET LA TERRE
C’était en juillet 2002. Je couvrais le sommet de l’Union africaine organisé à Durban, en Afrique du Sud. Nelson Mandela avait pris sa retraite et cédé son fauteuil à son lieutenant Thabo Mbeki. Le « camarade Bob » Mugabe était toujours au pouvoir, et avait lancé sa vaste opération de redistribution des terres des colons blancs à des Noirs – notamment à des vétérans de la guerre de libération. Une cérémonie populaire avait lieu dans l’enceinte du stade de football de Durban. La foule regardait avec indifférence les nombreux dirigeants africains faire leur entrée. Même l’arrivée de Thabo Mbeki, le président en exercice, ne parvenait pas à susciter autre chose que des applaudissements convenus.
Deux hommes avaient pourtant été très chaleureusement célébrés : Nelson Mandela, « Madiba », viscéralement lié à son peuple ; et Robert Gabriel Mugabe. Le premier parce qu’il avait fait sa part de travail, avec un admirable esprit de sacrifice. Le second, de loin le plus ovationné, parce qu’il tentait – avec peut-être de mauvaises motivations, dans une atmosphère violente et une improvisation assez consternante – de « finir le travail ».
Des centaines de milliers de réfugiés politiques et économiques zimbabwéens étaient déjà présents en Afrique du Sud, et personne n’ignorait les graves dérives qui se multipliaient, l’autoritarisme et les violations des droits humains. Mais ce qui faisait applaudir la foule présente au stade de Durban, c’était quelque chose de plus profond que les soubresauts de l’actualité ou les jugements moraux. C’était la conscience historique.
Plus intensément qu’ailleurs sur le continent, le fait colonial a profondément bouleversé la notion même de propriété foncière en Afrique australe. En 1980, lorsque le régime blanc raciste disparaît et que Robert Mugabe prend le pouvoir, 80% de la population zimbabwéenne vit de l’agriculture. 6 000 propriétaires terriens blancs (sur une population de 7 millions de personnes) possèdent la moitié des terres arables du pays et 90% des sols de qualité. Ils bénéficient alors d’une loi ségrégationniste datant des années 1930, et d’une vaste opération qui a consisté à déplacer, par la contrainte, les autochtones de leurs terroirs ancestraux pour les parquer dans des « réserves tribales » au sol ingrat.
Pour la masse des guérilleros qui prirent le maquis dans les années 1960, la restitution foncière était la mère des revendications. Mais 20 ans après l’indépendance, négociée avec les Anglais dans le cadre des accords de Lancaster House, les déséquilibres économiques se sont maintenus. L’ancien colonisateur, qui devait participer à l’indemnisation des fermiers blancs – appelés à céder une partie de leurs terres à leurs compatriotes noirs -, ruse et pose le principe de la « propriété privée » comme un absolu, en dépit du caractère sordide et litigieux de cette « propriété ». Après avoir, pendant plusieurs années, empêché les vétérans de la guerre d’indépendance d’envahir les terres dont leur peuple a été dépossédé, Mugabe leur lâche alors la bride…
LES LEÇONS DE L’AFRIQUE DU SUD
Dans l’Afrique du Sud post-apartheid, la situation est la même qu’au Zimbabwe. L’économie est bien plus diversifiée, mais les inégalités économiques sont criantes et épousent les fractures « raciales ». C’est pour cette raison que la foule du stade de Durban applaudit Mugabe à tout rompre, en cette après-midi de juillet 2002. Elle entend signifier aux héritiers de Mandela qu’elle aussi attend la décolonisation économique.
Et aujourd’hui, sur le continent africain, la figure de Mandela est tout aussi brouillée et contestée que celle de Mugabe. Les reproches qui lui sont adressés ont été résumés par son ex-épouse Winnie, pasionaria des townships pauvres jusqu’à sa mort, le 2 avril 2018. « Dès le départ, lui et ses proches ont commis des erreurs dans les négociations avec le pouvoir blanc, dont nous payons aujourd’hui le prix. Par exemple, le problème des terres. Au nom de quoi devrions-nous payer pour racheter ce qui nous a été arraché par la force ? Et avec quel argent ? Le capital reste entre les mains de la minorité blanche. Rien n’a changé », s’indignait-elle.
En réalité, si l’on sort du biais personnaliste qui consiste à s’en remettre à des « leaders » censés écrire seuls l’Histoire, on se rend compte que le Zimbabwe et l’Afrique du Sud font face – avec un décalage temporel, toutefois, lié à l’antériorité de l’expérience du premier pays cité – à la même impasse. Que signifie l’égalité de droits politiques dans un contexte postcolonial, quand toute perspective de transformation économique est bloquée par les accords qui organisent les processus de transition, criminalisée par les institutions internationales vigies du néolibéralisme, et combattue par des grandes puissances européennes solidaires par principe de toutes les populations d’origine européenne partout dans le monde ?
En réalité, la sagesse de Nelson Mandela a surtout été de se retirer avant que les problèmes les plus compliqués à résoudre dans un contexte post-apartheid ne pointent leur nez. Aujourd’hui, son parti, l’ANC – dont les cadres ont choisi de s’enrichir aux côtés de la vieille oligarchie blanche via un mécanisme dénommé « Black Economic Empowerment », qui consistait à fabriquer ex nihilo une classe de puissants hommes d’affaires noirs, et ont échoué à s’attaquer aux racines structurelles des inégalités – se voit contesté par une formation politique créée par l’ancien responsable de sa jeunesse, le truculent Julius Malema. Le nom de ce parti constitue tout un programme : Economic Freedom Fighters (« Combattants de la liberté économique »).
Pour ne pas se faire doubler sur sa gauche, l’ANC a choisi d’accélérer sa propre politique de redistribution des terres. Le président Cyril Ramaphosa, ancien lieutenant de Nelson Mandela devenu lui-même capitaine d’industrie, évoque avec des accents « mugabistes » la nécessité de réparer une « injustice historique grave ».
PARACHEVER L’INDÉPENDANCE
Conséquence : le 23 août 2018, Donald Trump s’alarmait sur Twitter des « expropriations » et des « meurtres à grande ampleur » visant supposément les fermiers blancs sud-africains. Alors même que Le Monde glorifie Nelson Mandela pour mieux en faire l’anti-Robert Mugabe, l’Afrique du Sud est en proie depuis plusieurs jours à de nouvelles flambées des violences xénophobes meurtrières qui visent les étrangers africains Noirs – ce qui n’inspire curieusement aucun tweet à Donald Trump. Ces violences sont une manifestation des immenses frustrations de la majorité noire sud-africaine, qui recherche des boucs émissaires face au statu quo économique.
Si le Zimbabwe et l’Afrique du Sud sont différents, ils passent tous deux par les mêmes phases après la remise du pouvoir à la majorité noire. Après une phase d’exaltation politique, une insatisfaction diffuse – liée à la persistance de la caricature que représente un modèle à la fois capitaliste et colonialiste – commence à trouver des formes diverses d’expression politique.
Plus largement, on peut aussi considérer que dans les ex-colonies françaises d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale, la contestation du franc CFA, monnaie coadministrée par le Trésor français et subtil mécanisme néocolonial, correspond également à une phase historique. Celle de la désillusion face à des indépendances politiques formelles ; celle de la revendication d’une seconde indépendance, qui inclurait le plus grand nombre dans les circuits économiques, dont ils continuent d’être exclus malgré les jolis drapeaux de leurs nations à l’Assemblée générale des Nations unies et aux Jeux Olympiques.
par Amadou Hamé Niang
UN CARNAGE SOUS LE SCEAU DE L'OMERTA
Nos routes sont devenues le théâtre tragique où des milliers de personnes subissent le dénouement funeste d'un scénario auquel elles n'ont jamais adhéré
Nos routes sont devenues le théâtre tragique où des milliers de personnes subissent le dénouement funeste d'un scénario auquel elles n'ont jamais adhéré. Chaque jour, la presse nationale se livre à un décompte macabre après les séries d'accidents de voitures.
Cette hécatombe qui va crescendo a déjà fini d'installer la désolation dans beaucoup de foyers. Ici, c'est un soutien de famille qui laisse orphelins de petits bouts de bois de Dieu, là-bas, c'est un Cerveau bien fait qui échappe brusquement à la Nation pour disparaître dans les profondeurs de l'éternité. Du jour au lendemain, des familles se retrouvent disloquées parce qu'un pilier important a été arraché sans crier gare.
Mais après tout, ce qui choque le plus, c'est le silence assourdissant qui enveloppe cette tuerie. Devons-nous rester apathique devant une telle calamité ? À la décimation fulgurante de notre population, devons-nous simplement répondre par cette inertie incompréhensible ?
Nous sommes tous témoins de l'indiscipline notoire des automobilistes pour qui la vie des passagers n'a de l'importance qu'avant le paiement du ticket de transport. Que les routes soient cahoteuses ou de qualité excellente, le danger reste identique car les pauvres usagers ont fini par intérioriser comme normal que des bus bondés puissent se livrer à une course-poursuite pour d'éventuels clients. À cela, s'ajoute l'absence de réactions sérieuses des autorités en charge de réglementer ce secteur. Les mesures sporadiques, annoncées en grande pompe à chaque fois que la boucherie routière atteint son paroxysme, comme la trentaine de victimes dénombrée ces deux dernières semaines, ne font même plus sourciller nos conducteurs. Ils doivent, sûrement, rire sous cape car sachant bien que le suivi-application sera vite abandonné, si tant est qu'il en a existé. Ainsi, voyager à l'intérieur du pays est devenu aujourd'hui une vraie psychose. On est transis de peur. Non pas de la mort qui est naturelle et inéluctable mais de se voir sacrifier par des chauffards dont le caractère oscille entre l'impolitesse et l'indélicatesse.
Enfin, il est grand temps de prendre ce fléau à bras le corps, d'en faire une cause nationale. En effet, il faut que tous les citoyens se sentent concernés au premier chef, parce que nul n'est à l'abri. Si individuellement, on est un bon chauffeur, soucieux de la vie humaine, cela n'aura aucun effet lorsque la majorité conduit sans respecter les règles élémentaires du code de la route.
Amadou Hamé Niang est professeur de lettres modernes au lycée d'enseignement général de Diourbel. Doctorant en littérature comparée.
par Siré Sy
BORIS ET BACHIR, EN ATTENDANT LA RÉVOLUTION CONCEPTUELLE
EXCLUSIF SENEPLUS - L’intellectuel doit-il être un “engagé” et prendre position en défendant un camp ou une cause ? Ou peut-il être “neutre”, voire même centriste, en ne prenant pas position ?
Il y a dans le débat entre Boris et Bachir, le dit, un non-dit, un malentendu et une perspective qui se dégage, au sens d'une révolution conceptuelle.
Sur le dit. Boris a dit. Bachir a dit. Presque tout a été dit sur le sujet. Sauf qu’encore que tout ce qui a été dit, ait été compris par tout le monde….Si temps est qu’il n’en est jamais eu, c’est la première fois que Boris et Bachir se montrent à travers leurs écrits respectifs, incisifs et piquants. Ils s'interrogent et nous interrogent, dans leurs choix de leurs éléments de langage. Mais bon bref.
Sur le non-dit. Entre Boris et Bachir, c’est le dialogue entre deux illustres héritiers de deux écoles de pensée : celle de Léopold Sédar Senghor et celle de Cheikh Anta Diop - de la Négritude et de la Francophonie vs du Panafricanisme et des langues africaines. Tant du point de vue culturel (la négritude ouverture vs le panafricanisme fédérateur) que du point de vue philosophique (l’Universel vs les Particularismes) en passant par le point de vue politique (les idéaux de Gauche vs les idéaux de Droite).
Sur le malentendu. C’est la pomme de discorde de toujours, dans la communauté des intellectuels sénégalais, nés dans les années 40 et 50. Et la pomme de discorde est celle-ci : quelle doit être la posture du sachant et/ou du savant, dans la marche de sa propre société ? Neutralité ou engagement ? Dans le champs intellectuel tout comme dans la vie civico-politique.
L’intellectuel, doit-il être un “engagé” et prendre position en défendant un camp ou une cause ? Ou peut-il être “neutre”, voire même centriste, en ne prenant pas position pour aucun camp ? Chez mes chers grands aînés de cet âge et pour la plupart d’entre eux, les rapports de conflictualité et d'adversité de leur époque, à la fois diffuses et apparentes, sont tels qu’il faut, à leurs yeux, voir la vie soit en rouge (Est) ou soit en bleu (Ouest), soit en noir ou en blanc, mais jamais dans les couleurs de l’arc-en-ciel. Point de centrisme, encore moins d'équilibrisme. Il faut choisir. Choisir son camp. S’engager dans la lutte. Mener le combat. Prendre position. Aller au front. A l'abordage.....
C’est ainsi que dans ces deux écoles de pensée, les héritiers vont s’engager chacun.e à sa façon, dans son tempérament et dans son style, dans la lutte qui mérite à ses yeux, d'être menée pour donner un sens à son existence. C’est ainsi que certain.e.s vont se lancer dans la politique au sens de conquête, d’exercice et de transmission du pouvoir d’Etat, d’autres dans les Arts, la Culture et les Lettres, d’autres dans la Société civile et d’autres dans….. la spiritualité et dans le fait religieux. Quand d’autres vont ‘’transmuter/transhumer’’ sur le plan politico-idéologique, de la Gauche ; vers la Droite voire au Centre.
Une perspective, au sens de révolution conceptuelle : Senghor (avec Damas et Césaire), avait mené et bien mené le combat de leur époque des années de l’entre deux guerres mondiale - le combat de la Négritude - en (re)donnant la parole au monde noir, en réhabilitant l’homme noir et ses valeurs. Par le biais des Arts, de la Culture et des Lettres. Et ce leur combat qui fut l’acte fondateur du processus irréversible vers la décolonisation. Cheikh Anta Diop, poussera le bouchon au plus fond de la bouteille. Déjà en 1974, à la conférence du Caire, il renverse la charge de la preuve et crée un secousse sismique mondial : l’Egypte antique est nègre. Mais, bien avant 1974, en 1954, dans “Nations nègres et Culture”, et à propos duquel Aimé Césaire écrit : "… le plus audacieux livre qu'un Nègre ait jusqu'ici écrit et qui comptera à n'en pas douter dans le réveil de l'Afrique" (Discours sur le Colonialisme, 1955), Cheikh Anta nous avait prévenu tout en traçant le chemin pour l’Afrique dans son livre “Les fondements culturels, techniques et industriels d'un futur État fédéral d'Afrique noire” (1960). Hélas !
Senghor et Cheikh Anta, ce fut le combat de la (dé)colonisation et le temps de la guerre froide. La colonisation est finie depuis et la guerre froide est terminée faute de combattants. En cette XXI siècle, nous sommes d’une part, à l'ère de la globalisation qui est à la fois totalité et morcellement et, d’autre part, à l'ère des (nano)technologies qui ont fini de façonner nos rapports, d’abord à soi, ensuite à Nous et enfin aux autres.
Et c’est là qu’un croisement fertile entre la Négritude et le Panafricanisme, par le décloisonnement, pourrait nous conduire vers une révolution conceptuelle, pour qu’une Afrique reclassée prenne le dessus sur une Afrique déclassée et dont les africain.e.s (d’ici et de la diaspora), feront de l’Afrique, leur berceau et le monde, leur lit.
Plus que l’Afrique-les Afriques- c’est le temps des Africain.e.s., qui reprennent petit à petit, leurs destins en main et qui (re)négocient leurs places dans la globalisation. Il y a donc de l'espace dans l'intervalle, pour une possible évolution raisonnée des idéologies et des positions, dans la lutte et dans le combat des ‘’pères fondateurs’’. Pour notre part, ‘’l’enracinement et l’ouverture’’ de l’époque se transmute en ‘’enracinement et enrichissement’’ d’une part et d’autre part, ‘’le Panafricanisme pour un Etat fédéral africain (Etats-unis d’Afrique)’’ se décline en ‘’Panafricanisme pour des Etats Mutualistes Africains (EMA). Pour une mise à niveau avec la marche du monde.
La révolution conceptuelle-croisement fertile entre la Négritude francophilie et le Panafricanisme Etat fédéral, est donc un discours de l’altérité et de la différence. Du contenant (l’Afrique-Les Afriques) au contenu (les Africain.e.s).
Merci à Boris et à Bachir, d’ouvrir la perspective pour une révolution conceptuelle.
LE BRACELET ELECTRONIQUE BIENTOT EFFECTIF
Les prisons sénégalaises sont affectées par la surpopulation et l’insuffisance d’agents pénitentiaires. D’où la décision des autorités gouvernementales de faire recours à des solutions alternatives comme le bracelet électronique pour les désengorger.
La Direction de l’Administration pénitentiaire a reçu hier la visite du secrétaire d’Etat auprès du ministre de la Justice en charge de la promotion des Droits humains et de la Bonne Gouvernance. Devant ses hôtes, Mamadou Saliou Sow a annoncé que le port du bracelet électronique sera bientôt effectif.
Les prisons sénégalaises sont affectées par la surpopulation et l’insuffisance d’agents pénitentiaires. D’où la décision des autorités gouvernementales de faire recours à des solutions alternatives pour les désengorger.
Parmi ces solutions, figure le port du bracelet électronique qui sera effectif très bientôt. En tout cas, c’est ce qu’a annoncé le secrétaire d’État auprès du Garde des Sceaux, ministre de la Justice, chargé de la Promotion des Droits humains et de la Bonne Gouvernance Mamadou Saliou Sow, hier lors de la visite à la Direction de l’Administration Pénitentiaire. «Nous avons vu le travail important qui est en train d’être accompli par l’administration pénitentiaire. De facto, il faut préciser que la surpopulation carcérale est un problème particulier qui se pose avec acuité dans tous les pays, y compris ceux de grande démocratie. Mais il y a des efforts importants qui sont en train d’être faits, notamment dans la construction et la réhabilitation des établissements pénitentiaires», souligne Mamadou Saliou Sow. «Pour la construction, à la Maison d’arrêt de Rebeuss dont on parle le plus, il y a eu une chambre fonctionnelle de 80 places.
A la Maison d’arrêt de Kouteul, 480 places sont prévues pour les détenus. Nous avons l’intention d’introduire, sous peu, le bracelet électronique pour essayer de désengorger les prisons», ajoute-t-il en annonçant que des dispositions sont en train d’être prises pour la réinsertion des détenus. En outre, renseigne le secrétaire d’Etat en charge des Droits Humains, la justice est en train de travailler pour instituer des libérations conditionnelles et des mesures alternatives. «Le président de la République est en train de faire des réformes pour que le détenu ne soit privé que d’un seul droit, celui de la liberté», soutient-il.
S’agissant de l’insuffisance des agents pénitentiaires, Mamadou Saliou Sow se montre rassurant et soutient que 70 agents pénitentiaires ont été recrutés et sont en formation. «Dans un délai raisonnable, ce contingent va venir renforcer les effectifs. On ne décide pas d’un seul jour de recrutement d’agents. Il faudra voir le budget et la possibilité, et nous sommes en train de voir», déclare le secrétaire d’Etat.
19 000 POTS EN ARGILE IMMERGES HIER DANS L’OCEAN
Le conseil local des pêches artisanales (CLPA) a procédé hier à une immersion de 19 000 pots de poulpe entre Dakar, Mbour et Fatick.
Le conseil local des pêches artisanales (CLPA) a procédé hier à une immersion de 19 000 pots de poulpe entre Dakar, Mbour et Fatick. Lors de la cérémonie à Guéréo (Mbour), le représentant national du CLPA a révélé que le secteur a apporté 10 milliards 900 millions en 2018.
Le programme de gestion durable de la filière poulpe est un moyen de protection de l’espèce dans la pêche artisanale. Pour revitaliser la reproduction de la filière poulpe qui est un produit très prisé dans le marché international, les membres du CLPA procèdent depuis quelques années à des immersions de pots à ponte de poulpe au fond de l’océan atlantique.
Ces pots à poulpe fabriqués à base d’argile constituent des récifs artificiels non polluants pour faciliter la reproduction. Guéréo, dans le département de Mbour, a abrité hier la cérémonie officielle, sous la présence des autorités et des acteurs. «Les CLPA du département de Mbour procèdent chaque année à des immersions des pots à ponte de poulpe. Cela favorise la reproduction de l’espèce dans son milieu naturel. Pour la cérémonie d’aujourd’hui, 6000 pots sont immergés à Guéréo, pour un total de 11 000 pots à ponte destinés au département de Mbour. Les autres sont répartis entre Dakar et Fatick, pour une somme totale de 17 millions », a déclaré Ndiaga Cissé, représentant du CLPA national. Cela fait maintenant 10 ans que cette méthode est utilisée dans cette zone.
Selon les initiateurs, cette pratique permet aux pécheurs et aux mareyeurs de vivre convenablement des revenus de leurs activités. Pour preuve, durant l’année 2018, au vu des résultats, 4. 458 566 tonnes ont été débarquées au niveau des différents sites du département de Mbour. Ce qui représente une valeur commerciale de 10.954 705 500 Cfa.
Les pêcheurs du village de Guéréo ont profité de l’occasion pour réclamer la construction d’un quai de pêche. Avec ses 14 000 habitants, Guéréo n’a pas encore bénéficié des infrastructures, malgré ses 7 km de plage. Ils sollicitent la construction d’une usine de glace, mais aussi d’un quai de pêche. Selon le représentant des pêcheurs, presque 250 pirogues migrent tout le temps vers Mbour, Joal ou encore Djifér.
Et l’implantation de ces infrastructures permettrait de fixer ces derniers. Pour accompagner le CLPA, l’Union Européenne a dégagé une enveloppe de 14 millions. Son ambassadrice Irène Mingasson a assuré que l’Union Européenne va continuer sa collaboration avec le Sénégal, en l’accompagnant dans le secteur de la pêche. Elle estime par ailleurs que la filière poulpe doit être gérée avec beaucoup d’intelligence pour la pérenniser.
LES AVOCATS D'ADAMA GAYE VILIPENDENT MACKY AUPRÈS DE SES PAIRS
Ils ont reçu mandat du journaliste d’engager des poursuites judiciaires contre l’Etat du Sénégal devant les instances internationales, pour faire obtenir sa condamnation
Les avocats d’Adama Gaye internationalisent le combat pour la libération de leur client. Ils ont reçu mandat du journaliste d’engager des poursuites judiciaires contre l’Etat du Sénégal devant les instances internationales, pour faire obtenir sa condamnation. Aussi, le collectif des avocats d’Adama Gaye a adressé une lettre ouverte aux chefs d’Etat de la Cedeao qui se réunissent aujourd’hui à Ouagadougou.
Le collectif des avocats du journaliste Adama Gaye en détention depuis 47 jours à la Maison d’arrêt de Rebeuss, internationalise la lutte. Ayant reçu mandat de leur client, les robes noires engagent des poursuites judiciaires contre l’Etat du Sénégal devant les instances internationales, pour faire obtenir sa condamnation pour manquements avérés à ses obligations, en vertu des traités internationaux de droits de l’Homme.
Auparavant, le collectif interpelle les chefs d’Etat de la Cedeao qui se réunissent aujourd’hui à Ouagadougou dans le cadre du sommet de la CEDEAO. Les robes noires ont trouvé la parade parce que leur client Adama Gaye a été le premier directeur de la communication de l’institution communautaire. «Alors qu’un sommet de la CEDEAO s’ouvre ce samedi 14 Septembre 2019 à Ouagadougou et qu’une des pierres angulaires de cette instance est la défense des droits de l’Homme, nous ne pouvons que souligner le caractère paradoxal de la détention d’Adama Gaye au sein d’un Etat membre, sur le simple fondement d’opinions politiques déclarées sur un réseau social», indiquent les avocats dans une lettre ouverte adressée aux chefs d’Etat de la Cedeao. Le collectif souligne qu’en 1992, lors qu’un vent de démocratisation a soufflé sur l’Afrique, et qu’Adama Gaye exerçait à la CEDEAO, cette institution avait adopté une déclaration de principes politiques pour les Etats. «Il s’en est suivi une tendance forte d’un monde baigné par une explosion des libertés. Ce qui n’avait pas peu déteint, en bien, sur l’image de notre institution régionale, avec une volonté d’intégration régionale se faisant par les peuples et pour les peuples. Vingt-sept ans plus tard, force est de constater un assombrissement du tableau des libertés.
Le cas d’Adama Gaye, que nous considérons comme détenu politique et retenu parmi les détenus de droit commun, en est la parfaite illustration», dénonce la défense du journaliste. A en croire, le collectif leur client s’est vu réduit à recourir à une ultime arme pour faire entendre ses droits, celle de la grève de la faim qu’il a suspendue après en raison de sa santé fragile d’après un avis médical, et sur demande de sa famille, de ses conseils et de l’ancien président du Sénégal Abdoulaye Wade.
Les avocats informent qu’Adama Gaye entend reprendre cette grève de la faim si sa situation judiciaire n’évolue pas favorablement. «Il refuse ainsi de renoncer à ses droits fondamentaux et à l’idée d’une démocratie solide pour le Sénégal. Adama Gaye reste plus que jamais déterminé à se battre pour faire triompher son combat pour la bonne gouvernance et la transparence dans la gestion des affaires publiques», rapporte la même source.
«SUR LES 30% QUI LUI RESTAIENT DANS NOTRE GAZ, KOSMOS A VENDU LES 20% A LA COMPAGNIE NATIONALE D’ABU DHABI»
Ousmane Sonko s’est encore fait remarquer hier lors de la marche de la plateforme «Aar Li Nu Bokk».
Ousmane Sonko s’est encore fait remarquer hier lors de la marche de la plateforme «Aar Li Nu Bokk». Le leader des patriotes a fait une révélation de taille en soutenant que sur les 30% qui restait à Kosmos dans notre gaz, les 20% ont été vendus à la compagnie nationale d’Abu Dhabi.
«Dieureudieuf, Ousmane Sonko Dieureudieuf», ont chatonné les manifestants avant la prise de parole du leader de Pastef. Une manière de remercier l’inspecteur des Impôts et Domaines radié de la fonction publique qui, à l’entame de sa communication, a précisé que la priorité actuellement au Sénégal, ce n’est pas débattre sur la personnalité de celui qui doit être le chef de l’opposition ainsi que les émoluments qui l’accompagnent. Encore moins le débat sur l’Histoire Générale du Sénégal ou l’interdiction du port du voile par l’Institution Sainte Jeanne d’Arc (ISJA).
La priorité du Sénégal, dit-il, ce sont nos ressources naturelles accaparées par un groupuscule d’individus qui sont en train de les hypothéquer depuis l’Indépendance jusqu’à aujourd’hui. A l’en croire, toute cette richesse pourrait résoudre tous les problèmes du Sénégal. Et tant qu’on ne changera pas le système, on ne fera que changer des régimes ; mais même des prophètes ne développeront pas le Sénégal, jure-t-il.
Depuis qu’on a soulevé la question du pétrole et du gaz, souligne le candidat à la présidentielle de 2019, toute sorte de stratégie a été utilisée pour allumer des contre-feux. Il trouve que toutes les polémiques naissantes sont destinées à divertir les Sénégalais et essayer d’essouffler le mouvement. «Mais le mouvement est bien là vivant et debout», se réjouit-il en soutenant que le mal est très profond. «Tout ce que j’ai pu dire jusque-là sur la gestion du pétrole, du gaz, du zircon, du fer, s’il y a une seule contrevérité qu’Allah me châtie. Je jure que tout ce que je dis est vrai. Si ce n’était pas le cas, vous alliez entendre des plaintes dirigées contre moi», confie-t-il. Et de faire une autre révélation qu’il a lue dans un article ce matin (Ndlr : Hier) d’ «African Intelligence» qui dit que sur les 30% qui lui restaient dans notre gaz, Kosmos a vendu les 20% à la compagnie nationale d’Abu Dhabi. Ce qui pousse Ousmane Sonko à déplore que ces investisseurs continuent de spéculer sur le pétrole et le gaz sénégalais au détriment du Sénégal. «On ne sait pas combien le Sénégal a perdu à travers ces spéculations. Et ce qu’on devrait gagner en termes d’impôts, on ne l’aura pas», affirme-t-il avant d’indiquer au même moment, Macky Sall et Cie gagnent des milliards.
Chemise blanche, chapeau assorti d’un pantalon de couleur beige, Ousmane Sonko a parlé également du fer de Falémé qui fait partie du combat d’«Aar Li Nu Bokk». Il estime que le jour de sa conférence de presse sur le fer de Falémé, le gouvernement s’est précipité pour signer la convention concernant le complexe sidérurgique de Diamaniadio. Mais à en croire Ousmane Sonko, le gouvernement n’a pas encore signé pour le fer de Falémé. «Pour le fer, ils ont tout simplement signé le MOU ou protocole d’accord. Et on se demande comment un ministre sénégalais peut signer une telle chose entre le Sénégal et la Turquie.
Pourtant avec le fer de Falémé, on a la possibilité d’avoir une richesse qui fait plus de 80% du Budget du Sénégal», explique-t-il. Compte tenu de tout cela, il exhorte les Sénégalais, jeunes et de toutes les couches sociales à ne pas croiser les bras et à se mobiliser partout sur le territoire national. «Si les Sénégalais se mobilisent massivement, Macky Sall et son frère Aliou ainsi qu’Aly Ngouille Ndiaye sauront que le Sénégal ne leur appartient pas. Ils vont nous rendre notre richesse. A partir de ce moment, nos frères des forces de l’ordre qui, je suis sûr, n’aiment pas ce travail qu’on leur fait faire, comprendront pourquoi nous combattons et ils constateront eux-mêmes les résultats», a-t-il conclu, une manière d’amadouer les forces de Police.
Par Brahim SAKHO
LE FINANCEMENT DU TOURISME NATIONAL
L’implication du secteur privé national dans l’investissement comme dans le financement de l’économie du tourisme reste timide faute d’ambition pour le secteur mais aussi d’appui conséquent du secteur bancaire.
. Le Tourisme : Un des secteurs prioritaires du PSE De réelles Potentialités Le tourisme est identifié comme secteur moteur par le Plan Sénégal Emergent, Plan de référence pour l’émergence du Sénégal en 2035. C’est ainsi que le PSE intègre dans ses Plans d’actions prioritaires (PAP I (2014- 2018) et le PAP II (2019-2023), deux projets phares pour le secteur du tourisme : Projet de Zones Touristiques Intégrées ; Plan Sectoriel de Développement du micro tourisme. En effet, le tourisme est le deuxième contributeur au PIB (5% direct et 10% de contribution indirecte via les activités transverses) et l’une des principales sources de devises au Sénégal avec 44% des exportations de services.
Des Performances en deçà des potentialités Le Sénégal compte 5 segments principaux de tourisme : le balnéaire, de loin le plus développé avec une forte saisonnalité (majorité des séjours sur la période Novembre-Février) et une forte concentration sur la petite côte ; l’éco-tourisme et le tourisme culturel, qui sont faibles et dont le potentiel est à développer ; le tourisme d’affaires en plein essor (11% de croissance annuelle moyenne entre 2006 et 2013).
Toutefois, bien qu’étant la destination majeure (la première en Afrique de l’Ouest), le Sénégal connaît une croissance relativement faible de son tourisme, comparée à celle des autres principales destinations africaines (Maroc, Kenya, Tunisie,…). La Destination Sénégal a enregistré certes des progrès dans ses performances. Des performances qui demeurent toutefois timides.
En effet, le nombre d’entrées de touristes est passé de 1 210 000 en 2016 à 1.365.000 en 2017. Mais ce chiffre reste en deçà de l’objectif fixé à 1 450 000. Du côté de l’offre, les statistiques disponibles au premier trimestre 2018 révèlent un nombre d’établissements d’hébergement agréés de 253 sur 255 dossiers étudiés, soit un taux d’exécution de 99%. Sur la base du nombre d’entrées de touristes obtenu en 2017, les recettes touristiques sont estimées à 482 milliards de FCFA contre une cible de 516 milliards de FCFA.
Les Objectifs visés
A travers le PSE, qui représente le cadre de référence de la politique économique et sociale du Sénégal, l’ambition est d’accueillir trois (03) millions de touristes par an à l’horizon 2023, de développer de nouveaux pôles intégrés et de requalifier les sites existants, ciblés autour des produits balnéaires, d’éco-tourisme, de culture, de sites religieux et d’affaires.
1.2. Le pilotage du secteur Le pilotage du secteur est dévolu au ministère en charge du tourisme aujourd’hui dénommé ministère du tourisme et des transports aériens. Une articulation utile car les transports aériens domestiques comme internationaux constituent un maillon essentiel de la chaîne de valeur touristique. Le budget du ministère du tourisme a enregistré une hausse de 4,13% en 2018.Il passe de 12 098 672 580 à 12 598 672 580. L’objectif de cette hausse est de permettre au ministère de prendre en charge, de manière efficiente, ses prérogatives.
Le ministère du tourisme dispose, outre les orientations stratégiques et opérationnelles du PSE, de ses propres outils de planification stratégique, comme un Plan stratégique de développement (PSDDT 2014- 2018), d’une Lettre de Politique Sectorielle (LSPDT), d’un Document de Programmation Pluriannuelle des Dépenses (DPPD) et d’une revue annuelle conjointe (RAC), afin de mesurer les résultats des politiques publiques, selon l’approche de la gestion axée sur les résultats de développement(GARD). Le ministère, pour implémenter sa politique touristique, s’appuie principalement sur deux agences publiques d’exécution : la SAPCO SA chargée de l’aménagement touristique des sites et de la promotion des investissements et de l’ASPT (Agence sénégalaise de promotion touristique), chargée, elle, de la promotion touristique de la destination Sénégal.
1.3. Environnement des affaires touristiques et investissements de base structurants Sur le plan juridique, le Sénégal dispose d’un arsenal législatif qui vise l’amélioration qualitative du cadre des affaires touristiques. On peut citer, entre autres, la loi N°2004-06 du 6 Février 2004 portant Code des investissements, la Loi 2014-09 relative aux contrats de partenariat (PPP), la loiN°2015-13 du 03 Juillet 2015 dite loi Casamance portant Statut fiscal spécial des entreprises touristiques. Avec un environnement des affaires attractif, l’Etat du Sénégal, avec l’appui de ses Partenaires Techniques et Financiers (PTF), et dans le but d’assurer une visibilité et une compétitivité de la Destination, a organisé des évènements structurants et majeurs comme le Salon International du Tourisme (Salon TICAA), le Festival mondial des arts nègres ( FESMAN), le sommet de la Francophonie et en perspective les Jeux Olympiques de la Jeunesse (JOJ) de 2022.
A côté, Il a entrepris d’importantes réalisations déjà opérationnelles et d’autres en cours de finalisation. Ce sont entre autres , le Monument de la renaissance africaine (MRA), la Place du Souvenir Africain, Le Grand théâtre, et plus récemment le Musée des Civilisations Noires (MCN), les villes nouvelles de Diamniadio et du Lac Rose avec ses réceptifs hôteliers implantés et son Centre international Abdou Diouf (CIAD), le Train Express Régional (TER), les autoroutes, l’aéroport international AIBD, le lancement du Pavillon national avec la création d’Air Sénégal SA dotée d’une bonne flotte, la mise en route de deux navires reliant Dakar à Ziguinchor, le Programme de Réhabilitation des (7) Aéroports régionaux du Sénégal, le programme de reconversion de Saly ville verte et le réaménagement de Saly Portudal avec la remise en état des plages endommagées par l‘érosion côtière, dans le cadre du Programme de Développement du Tourisme et des Entreprises (PDTE), le lancement du programme de développement du site de Pointe Sarène, la réhabilitation de l’éclairage public sur Cap Skirring et la sécurisation du foncier dans le site du Delta du Saloum, le programme PROMOVILLE, le programme de réhabilitation des sites et monuments historiques, le programme de modernisation des Cités religieuses, etc…
Des Perturbations de la dynamique connues dans le temps Le tourisme a connu sa traversée du désert à travers une série de chocs qui ont perturbé son évolution. Il s’agit d’abord essentiellement de la politique d’ajustement structurel imposé par les Institutions de Bretton WOODS qui a impacté négativement sur les investissements touristiques et a induit une vague de dérégulation et de privatisation/liquidation des entreprises touristiques publiques créant du désordre et des destructions de valeurs touristiques. Tout ceci a conduit, à cette période, à un quasi abandon par l’Etat de son rôle d’impulseur et d’investisseur. Ensuite, la dévaluation du franc CFA en 1994 n’a pas donné les effets positifs attendus sur le secteur touristique.
Enfin, la disparition de la Société financière sénégalaise pour le développement de l’Industrie qui était le principal instrument financier du tourisme et de la Pêche- SOFISEDIT), finançant la majorité des investissements privés et productifs touristiques (Près de 90% des besoins de financements, principalement des hôtels et restaurants), a fini d’installer un marasme dans le financement du Tourisme. Pour pallier à cette situation, l’Etat, dès 2013-2014, a mis en place un dispositif financier articulé et composé de la BNDE pour le crédit, le FONSIS pour les prêts participatifs et le capital-risque et le FONGIP pour la garantie et le refinancement des systèmes Financiers Décentralisés. Ce dispositif a été enrichi récemment par la création de la DER/FJ (Délégation à l’Entreprenariat Rapide des Femmes et des Jeunes) et la mise en place d’un Crédit hôtelier et touristique pour adresser avec célérité la satisfaction des demandes de financement des acteurs économiques, notamment touristiques.
LE FINANCEMENT DU TOURISME
L’investissement touristique productif ne présente pas plus de risques que celui d’un autre secteur mais il est très généralement lourd et donc, amortissable sur une période relativement longue. Ainsi, le financement de ce secteur requiert que le bailleur dispose de ressources longues et très souvent avec des conditionnalités souples et adaptées. Il s’y ajoute dans les difficultés d’accès au crédit, la sempiternelle asymétrie d’information qui est particulièrement contraignante pour le tourisme, car peu de conseillers et chargés de clientèle des banques connaissent les réalités du secteur.
2.1. Le financement bancaire Il faut noter que globalement au Sénégal, le crédit à l’économie est relativement faible comparé à certains pays comme la Côte d’Ivoire et le Sri Lanka, conséquence d’une faible mobilisation de l’épargne privée nationale. Il se situe à 10% du PIB en 2016 contre respectivement 33,32% et 24% pour les deux pays précités à la même période. Le secteur du tourisme ne tire qu’une faible part des encours de crédit à l’économie : 1,92 % en 2014, 2,07% en 2015 ; 2,43% en 2016 ; 2, 46% en 2017 et 2,19% en 2018. Soit une part moyenne sur la période (2014- 2018) de 2,21%.
En volume, le secteur a reçu un encours total de crédit cumulé sur la période 2014-2018 de 296 494 millions de FCFA. Soit une moyenne de 59 298 millions de FCFA. Cet encours est réparti en sous activités comme suit : Restaurants, Hôtels et installations touristiques : Le Volume total cumulé sur la période 2014-2018 avoisine 265 428 millions de FCFA soit 89,5% du volume total du secteur.
Services récréatifs et culturels : Type de crédit 2014 2015 2016 2017 2018 Total 45044 49 771 62097 75 970 63 612 CT 13.217 24.539 31.789 21.499 33.695 MT 19.602 18.198 18.352 24.884 16.843 LT 12.225 7.034 11.956 29.587 13.074
Le Volume total cumulé sur la période 2014-2018 est de 31 066 millions de FCFA soit 10,5% du volume total du secteur. Source : BCEAO- Volume du crédit par type de maturité (en millions de FCFA) La répartition du crédit selon la période montre une part plus importante du crédit court terme, qui représente, en moyenne 42% contre 33% pour le Moyen terme et 25% pour le Long terme.
2.2. Les initiatives récentes dans le financement du tourisme Le financement par les structures du dispositif (FONGIP-BNDE- FONSIS-DER) Ce dispositif opérationnel dès 2014 a contribué au financement du tourisme. Faute d’avoir les données des autres structures, nous exposons ci-après celles du FONGIP. En effet, le FONGIP a apporté sa garantie pour un volume total de 353.270.116 FCFA à six établissements touristiques. Ce qui a permis de lever un crédit bancaire de 576.100.165 FCFA.
Le Crédit hôtelier et Touristique Constituant une belle initiative à saluer, le CHT a été créé par arrêté interministériel (Ministère en charge des finances et ministère en charge du tourisme) en date du 16Décembre 2016. Il dispose d’un budget de 5 milliards de FCFA. Il a, à ce jour, approuvé 60 projets pour un montant de financement de 2 424 258 933 FCFA.
2.3. Autres modes de financement du tourisme Le PPP (Partenariat Public Privé) Ce mode particulièrement adapté pour financer des infrastructures et autres immobilisations dans le tourisme n’a été que faiblement utilisé malgré l’existence d’opportunités d’investissements à cause de la faiblesse de la composante « privé ».
Les IDE (Investissements directs étrangers) Mode particulièrement présent dans l’implantation d’établissements touristiques appartenant à des chaînes internationales. Son développement reste tributaire de la présence dans le tourisme sénégalais de promoteurs étrangers. Les Transferts des émigrés Manne financière importante représentant annuellement près de 1000 milliards de FCFA, elle ne profite pas au tourisme. Son impact marginal est à situer dans le micro tourisme et dans les activités culturelles. Il convient de faire des offres fiables de réorientation d’une partie de cette manne vers les activités touristiques.
LE MECENAT
Existant dans les activités culturelles mais très peu développé, il n’existe pas ou peu dans les activités touristiques. Diversification de l’offre de crédit des banques et élargissement du périmètre d’intervention Le capital- risque, le crédit-bail, le financement participatif entres autres mécanismes très adaptés à l’activité touristique, tardent à être généralisés. A côté, on constate que des maillons entiers de la chaîne de valeur touristique et de son écosystème peinent à bénéficier dans le contexte actuel de financements adéquats – Ce sont les industries créatives, l’artisanat d’art.
III- CONCLUSIONS
Aujourd’hui, l’environnement et la dynamique du tourisme portés par le PSE sont propices pour agiter la problématique du financement du tourisme en vue de créer les conditions d’une prise en charge complète et adaptée de la demande de financements du secteur.
En effet, les développements antérieurs dans le texte ont démontré le rôle central de l’Etat dans le financement des investissements structurant et impactant pour le tourisme et ont aussi mis la lumière sur la faiblesse structurelle du crédit bancaire face aux besoins des activités productives privées touristiques. Les mécanismes doivent être améliorés en renforçant les ressources financières et les capacités opérationnelles du nouveau dispositif (FONGIP-BNDE-FONSIS-DER) et du crédit hôtelier et touristique pour appuyer, en plus des besoins déjà exprimés et insatisfaits, la réalisation des projets du PSE inscrits dans le PAP 2 concernant l’aménagement des sites touristiques et la promotion des filières (tourisme culturel, tourisme religieux, écotourisme,…).
A côté, il convient de développer les modes alternatifs de financement (IDE, Transferts des émigrés, Mécénat, PPP, financements participatifs …), généraliser les mécanismes comme le capital-risque, le crédit-bail pour étoffer l’offre bancaire et l’élargir à des segments (activités récréatives, industries créatives, artisanat d’art,…) jusqu’ici marginalisés. Alternativement, une étude exhaustive catégorisant et quantifiant tous les besoins en financements exprimés et à venir dans le cadre des projets déjà cités, devrait pouvoir être menée pour permettre une prise en charge effective de la problématique du financement du tourisme. L’Etat et les organisations professionnelles, dans une moindre mesure, devraient inviter le secteur privé national à investir davantage dans le tourisme en lui créant des opportunités et en lui offrant des incitations fiscales, mais également des facilités pour l’accès au foncier et au financement.
En effet, l’actif touristique et culturel est partie intégrante du patrimoine national. Si jusqu’ici, l’Etat s’est fortement impliqué dans la réalisation d’investissements lourds et structurants et continue à le faire, il est attendu légitimement du secteur privé national une forte contribution dans les investissements productifs privés. Enfin, il y a lieu d’envisager à terme la création d’une banque dédiée au tourisme et aux activités connexes des industries créatives et de l’artisanat d’art en transformant par exemple, le Crédit Hôtelier et Touristique en établissement de crédit.
Brahim SAKHO
est actuellement coordonnateur général du projet de mutation institutionnelle du FONGIP et anciennement Directeur du Pôle Finance et Gestion des Risques.
Ancien Coordonnateur de la Grappe TICAA (Tourisme, Industrie, Culture et Artisanat d’Art) à la Stratégie de Croissance Accélérée (SCA-Primature).
UN COLLECTEUR DE DRAMES
Il y cinq ans, la Protection civile a donné l’alerte sur le danger que constitue le collecteur Hann-Fann. Dans la nuit du lundi au mardi, une partie de l’ouvrage s’est affaissée, laissant plusieurs familles dans la désolation
Il y cinq ans maintenant que la Protection civile a donné l’alerte sur le danger que constitue le collecteur Hann-Fann. Dans la nuit du lundi au mardi, une partie de l’ouvrage s’est affaissée sous un bâtiment nouvellement construit aux Hlm 4. La décision du préfet de Dakar de faire démolir les constructions attenantes installe l’angoisse chez les familles touchées. Alioune Badara Samb précise qu’en effet ces maisons sont installées sur le domaine public.
Un tas de gravats, c’est tout ce qui reste du bâtiment R+1 dont la famille Diop vient tout juste d’achever la construction à l’arrière-cour de la maison sise aux Hlm 4. Dans la nuit du lundi au mardi, au plus fort de l’orage qui s’est abattu sur la capitale, un pan du collecteur Hann-Fann, qui passe sous le bâtiment, s’est effondré entraînant une partie du mur de clôture de la maison. La mine lourde, les yeux larmoyants, Thiané, la mère de famille, semble porter tout le poids du monde sur ses épaules. Entourée de voisines compatissantes, elle regarde impuissante, ce champ de ruine qui fut une partie de sa maison. «On nous a réveillés la nuit de la Tamkharite pour nous dire que le canal avait explosé», explique-t-elle d’une voix faible. L’incident s’est en effet déroulé dans l’arrière-cour de la maison, la partie où la famille venait d’édifier de nouvelles toilettes ainsi qu’une cuisine. C’est dans ces toilettes qu’il y a eu un afflux d’eau, nous explique par la suite un des préposés à la démolition de l’entreprise Egx.
Après l’incident, Thiané Diop raconte que les autorités n’ont pas tardé à arriver sur place. «On a appelé le maire des Hlm et le chef de quartier. Et les gens de l’Office national de l’assainissement du Sénégal (Onas) sont venus, ainsi que le préfet», dit-elle. Après concertation, la décision est sans appel. Il faut démolir les bâtiments pour pouvoir accéder au canal et faire les réparations nécessaires. Les yeux rivés sur les ouvriers qui démolissent à coup de pioche le bâtiment, Thiané nage dans l’incertitude. «Ils ont décidé qu’il fallait démolir le nouveau bâtiment que nous venons juste de finir. On a déjà fait le carrelage, il ne restait que la peinture. La boutique à côté a déjà été réduite en poussière, et là, c’est notre bâtiment qu’ils sont en train de démolir. Ils nous ont dit qu’il le fallait pour faire les réparations parce que le canal passe sous le bâtiment. Mais ils ne nous ont rien dit d’autre», explique la dame dont toute l’inquiétude concerne une éventuelle compensation financière.
Libération des emprises
Mais à écouter le préfet de Dakar, Alioune Badara Samb, la question n’est pas encore réglée. Arrivé sur les lieux le jeudi, le préfet a assuré devant la presse qu’il s’agissait avant tout de sécuriser les lieux. «Quand nous avons constaté l’affaissement ici aux Hlm 4, j’ai pris sur moi de délivrer des sommations d’usage pour que les propriétaires puissent libérer les emprises», explique-t-il. Selon le préfet, des maisons ont été construites sur le tracé du canal. Mais Alioune Badara Samb préfère parler de libération d’emprise. «L’emprise du collecteur Hann-Fann a fait l’objet d’occupation et par détermination de la loi, les emprises de canaux, comme les voies routières, les ports et les aéroports, relèvent du domaine public. Et le domaine public est inaliénable et imprescriptible. Ça veut dire que le domaine public ne peut pas faire l’objet d’une appropriation privée», explique-t-il. Alioune Badara Samb se veut plus clair encore en soulignant : «Il s’agit du domaine public, je ne suis pas dans une posture d’indemnisation.» Au total, trois maisons pourraient être touchées par les mesures de démolition. De quoi installer la psychose chez ces familles installées dans le quartier depuis des décennies. Pour Thiané Diop, il ne fait aucun doute que la Sn Hlm, qui a brillé par son absence et dont le directeur, interrogé par les journalistes de l’Observateur, n’a pas souhaité réagir, est responsable au premier plan. «Personne de Hlm n’est venu nous parler. Mais ils ont une part de responsabilité dans tout ça. Il y a 5 ans, on nous avait parlé de ce canal mais par la suite, on nous a dit que cela avait été réparé et dévié. Donc, on s’est senti libre de construire notre arrière-cour et on a obtenu sans problème toutes les autorisations nécessaires», dit-elle.
Il y a cinq ans, la Protection civile avait tiré la sonnette d’alarme pour alerter sur les risques d’effondrement de ce canal qui traverse plusieurs quartiers de Hann à Fann. Depuis, les populations qui vivent sur cette bombe à retardement, attendent encore qu’une solution soit trouvée pat l’Etat et l’Onas.