CES SLOGANS QUOLIBETS DE POLITICIENS QUI FAISAIENT MOUCHE
Concepts concis et expressifs utilisés en propagande politique ou dans la publicité, les slogans sont souvent au cœur de la stratégie des partis politiques. Dans les années 80-90, certains ont marqué le champ politique

Dans la mythologie sénégalaise, « Ndiombor » (lièvre en wolof) signifie l’intelligence et la ruse. Léopold Sédar Senghor, premier Président de la République du Sénégal, avait utilisé, dans les années 70, ce terme pour nommer son rival, Abdoulaye Wade. Les Sénégalais en rigolaient, mais comprenaient en même temps le message du Président poète, sans doute impressionné par le génie politique de son adversaire. Et ce terme traversera toute la carrière du leader du Parti démocratique sénégalais (Pds). En plus même du terme « Ndiombor », Abdoulaye Wade a collé un autre slogan à sa carrière politique : « Sopi » (changement en wolof). Des villes à la campagne, ce terme avait fait tilt. « Tous les partis qui ont existé avant le Pds ont été sabordés. En créant son parti, Abdoulaye Wade avait dit que le Pds ne sera ni sabordé ni dissous. Il sera encadré et sera respectueux des règlements.
« Maître Abdoulaye Wade a donc réussi son pari à travers une organisation très intelligente », souligne Doudou Wade, ancien Président du Groupe parlementaire libéral et démocratique. L’’intelligence dont le Pape du « Sopi » faisait montre face au pouvoir n’a pas échappé au Président Senghor. « Et je pense que Senghor a utilisé la belle histoire de « Leuk le Lièvre », un recueil de contes se déroulant en Afrique et qu’il a co-écrit avec Abdoulaye Sadji. En disant « Ndiombor », Senghor faisait référence à l’intelligence de Abdoulaye Wade », indique-t-il. L’utilisation de ce terme expliquait une autre manière de faire la politique. « Wade a toujours dit que Senghor était un intellectuel. Les deux personnalités se comprenaient. Chacun savait ce que voulait l’autre. L’adversité entre Wade et Senghor n’était pas féroce. Ils étaient des concurrents, mais se respectaient beaucoup », confie Doudou Wade.
Délivrer des messages sans heurter
Les slogans étaient nombreux sur le terrain politique. On peut, entre autres, citer « Sopi », « Gollo wathial Gaïndé yeeg », « Folli », « Monsieur forage, Madame moulin », « Carton rouge », « Allakhou wakhidoune », etc. La particularité de ces expressions est qu’elles délivraient des messages sans heurter le public. Parfois l’humour était aussi au rendez-vous. Selon Doudou Wade, il y avait une adversité entre les acteurs politiques, mais pas au niveau où nous en sommes actuellement. « Le terrain politique sénégalais a connu des chansons qu’on n’ose pas répéter. Ils s’adressaient à des hommes et des femmes. La politique dans le Bloc démocratique sénégalais (Bds) a été violente. À Bignona, on a attaqué Lamine Guèye avec des flèches. En décembre 1960, il y a eu 47 morts aux Allées du Centenaire. Nous ne devons pas retourner à ces périodes sombres. Il faut copier ce qui se faisait de bon sur le terrain. Senghor et Wade se respectaient. Le terme « Ndiombor » montrait ce que Senghor pensait de son adversaire », explique-t-il.
En 2017, lors des funérailles du frère de l’ancien Maire de Dakar Khalifa Sall, Abdoulaye Wade est revenu sur ce quolibet que lui collait le premier Président du Sénégal. « Pour moi, la politique consiste à faire passer un éléphant à travers le chas d’une aiguille. Que celui qui n’en est pas capable aille faire autre chose ! Pourquoi Senghor m’appelait ‘’Ndiombor’’ ? » avait-il lancé comme pour dire que le premier Chef de l’État lui collait ce sobriquet du fait de son intelligence politique.
La Ligue démocratique/Mouvement pour le parti du travail (Ld/Mpt), devenu présentement Ligue démocratique (Ld), créée en 1981 après huit ans de clandestinité, a aussi marqué de son empreinte le terrain politique sénégalais à travers des slogans accrocheurs. Sa structure chargée de la formation et de la culture a joué un important rôle dans la propagande, précise Ousmane Badiane, son chargé des élections. Cet organe a aussi excellé dans la diffusion des idéaux du parti avec le slogan mobilisateur « Jallarbi » (révolution). « Une troupe du même nom a été créée (Tnj), composée d’artistes militants très doués et compétents », se souvient Ousmane Badiane, chargé des élections de la Ligue démocratique. Pouvant être traduit littéralement comme une injonction au singe de descendre de l’arbre pour céder la place au lion, le slogan « Golo wathial Gaïndé yeeg » a tenu en haleine le public sénégalais. « Dans ses programmes de campagne électorale, le candidat de la Ld/Mpt, le Professeur Abdoulaye Bathily, allait dans les coins les plus reculés du Sénégal. Le slogan qui appelait à l’alternance au sommet de l’État était si célèbre qu’à chaque étape de la caravane, les foules en liesse le reprenaient en chœur ; ce qui donnait du piquant à la campagne du leader « jallarbiste », relate Ousmane Badiane. Il poursuit : « Pendant les meetings et les grandes manifestations populaires, les jeunes surtout les femmes, en plus de ce slogan fétiche, ajoutaient, en agitant leur écharpe rose : « Bathily Président ! », « Bathily le candidat le plus jeune, le plus beau et le plus intègre ! »
En plus du fait qu’il suscitait beaucoup d’humeur, le slogan portait, selon lui, un message fort. « Dans la mythologie sénégalaise, « Gaïndé » (le lion) symbolisait le courage légendaire de notre ancien camarade Secrétaire général, le Pr Bathily, militant pétri de dignité et de bravoure, qui, toute sa vie durant, s’est battu pour l’avènement d’une société de progrès, de démocratie et de justice sociale. Quant à « Golo » (le singe), il symbolisait les singeries avec leur simulacre de gestion gabegique », fait remarquer Ousmane Badiane. Avec ses célèbres slogans « Folli » et « Carton rouge », un autre leader de la Gauche s’est aussi illustré dans les slogans choc. Il s’agit de Landing Savané, Secrétaire général du Parti africain pour la démocratie et le socialisme (Aj/Pads).