«IDY SERA LE CANDIDAT DE MACKY EN 2024»
Le député et chef religieux à Touba, Serigne Cheikh Abdou Mbacké Bara Dolly, n’est pas tendre avec le pouvoir en place

Le député et chef religieux à Touba, Serigne Cheikh Abdou Mbacké Bara Dolly, n’est pas tendre avec le pouvoir en place. Dans l’interview qui suit, le parlementaire membre du parti Guis-Guis du président Pape Diop, soutient que le régime du président Macky Sall n’a pas de solutions pour résoudre le problème de l’émigration des jeunes tentés par l’eldorado européen. Il dénonce aussi ce qu’il appelle le « second deal » entre Idrissa Seck et Macky Sall. Selon lui, le patron de Rewmi sera le candidat de Macky Sall en 2024. Cela devrait passer par une grande coalition qui portera le nouveau président du Cese au pouvoir. Entretien
Le Témoin – Monsieur le député, le professeur Iba Der Thiam vient de nous quitter. Quel témoignage pouvez-vous faire sur le défunt ?
Je profite de l’occasion pour présenter mes condoléances à la famille éplorée du défunt et au peuple Sénégalais. Il fut un savant et, comme le disait un sage africain, à travers sa disparition c’est une bibliothèque qui a brûlé. Certes, il a laissé du savoir sous forme d’écrits, mais il en a aussi emporté dans sa tombe. Ainsi va la vie ! Rien n’est éternel, mais une personne ne dépassera jamais les jours qu’elle doit passer sur terre. L’essentiel est de vivre utile pour la société et le monde. Et dans ce sens, je pense que le professeur Iba Der Thiam était un homme respecté dans le monde entier de par son savoir. Il a eu à marquer la vie politique du Sénégal car il fut ministre de la République et député durant des années… C’est un grand Monsieur qui aimait son pays. Je me rappelle, lorsqu’il faisait campagne, il disait aux Sénégalais de choisir le candidat au beau sourire. Il fut un homme de paix, mais aussi un véritable homme d’Etat. Je présente mes condoléances à toute la nation sénégalaise à la suite de sa mort.
Le Sénégal vient de se doter d’un nouveau gouvernement. Quelle appréciation portez-vous sur l’équipe mise en place dimanche dernier ?
Les Sénégalais attendaient la formation d’un gouvernement depuis cinq jours. Au finish, la montagne a accouché d’une souris. Si Macky Sall croit panser les plaies des Sénégalais, ce n’est pas avec cette équipe-là. Nos compatriotes s’attendent à des réformes en profondeur dans tous les secteurs. Mais, à la lecture de la composition de cet attelage gouvernemental, nombreux sont ceux qui sont déçus. Les Sénégalais sont confrontés à d’énormes problèmes, mais ce n’est pas demain qu’ils retrouveront le bonheur avec ces nouveaux ministres.
Pourquoi vous dites cela ?
Tout le monde connait la situation économique du pays marquée par une morosité générale. Il n’y a pas d’emplois, d’ailleurs le ministre en charge de l’Emploi avait insulté les Sénégalais avec sa fameuse phrase sur les chercheurs d’emplois. Les jeunes sont déçus par le ministre de la Jeunesse car le président de la République leur avait promis plus de 500 mille emplois annuellement. Ajoutez à cela les inondations auxquels le pays est confronté. beaucoup de familles sont encore dans les eaux en dépit du déclenchement du plan Orsec. Tous ces problèmes ont fait qu’on pensait que le chef de l’Etat avait entendu les doléances des Sénégalais lorsqu’il décidait de changer l’attelage gouvernemental. Mais, en réalité, à y voir plus clair, Macky Sall possède une feuille de route différente de celle du peuple qui continue de souffrir.
N’est-ce pas justement parce que les attentes des Sénégalais ne sont pas prises en compte par l’ancien gouvernement que le président a décidé de procéder à un remaniement ?
Je répète que Macky Sall est un incapable. Pour régler les problèmes des Sénégalais, il faut qu’il trouve des ministres ayant plus de connaissances que lui. Or, si vous êtes un incapable et que vous décidez de choisir une équipe d’incapables, c’est sûr que le résultat sera nul. C’est pourquoi, je suis convaincu que ce ne sont pas ces gens-là qui sortiront le pays du gouffre dans lequel il se trouve. Preuve de l’incapacité du président, il a renvoyé six responsables de son parti pour aller chercher des ressources humaines ailleurs. Quant à ces gens qui ont décidé de faire de l’entrisme, ils ne sont mus que par leurs intérêts personnels.
Ce nouveau gouvernement a été marqué par l’entrée de ministres issus du parti d’Idrissa Seck selon qui, pour ces retrouvailles avec Macky Sall, il a privilégié l’intérêt du pays. Etes-vous d’accord ?
Il faut noter qu’il n’y a qu’un seul parti qui est allé rejoindre le pouvoir, c’est Rewmi. Si Macky Sall s’est basé sur le score réalisé par Idrissa Seck lors de la dernière présidentielle pour croire que le parti de ce dernier est assez représentatif, il se trompe et lourdement. Idrissa Seck était dans une coalition (Idy 2019) et c’est la fusion des forces de ces partis politiques qui lui a permis d’arriver deuxième derrière bbY. Sinon, il n’aurait même pas eu 2 % de l’électorat. Lorsqu’il est allé rejoindre Macky Sall est-il parti avec les autres membres de la coalition ? bien sûr que non. Il n’a négocié que deux ministères pour ses poulains. Nous, de bok Gis-Gis, détenons cinq députés à l’Assemblée nationale et plus de cent conseillers municipaux dans les différents départements sans compter les maires et conseillers départementaux. Si Idrissa Seck s’est classé deuxième lors de la présidentielle de 2019, c’est surtout grâce à bokk Gis-Gis. Pour gagner la bataille de Touba, j’avais mis sur la table plus de 30 millions FCFA et dix véhicules pour battre compagne. Finalement, nous avions remporté la palme à Touba. Aujourd’hui, je le regrette car si c’était à refaire, je ne le referais plus. Idrissa Seck ne vaut pas tous ces sacrifices. Il est un traitre. Il a trahi Touba.
Bokk Gis Gis a-t-il été consulté par Idrissa Seck lorsqu’il a été appelé par Macky Sall pour entrer dans le nouveau gouvernement ?
Peut-être qu’il en a parlé avec le président Pape Diop. Je ne sais pas. Toujours est-il qu’on est un parti politique et que cette idée n’a pas été discutée dans les instances régulières du parti. Tout ce que je peux vous dire, c’est que jamais le président Pape Diop n’ira rejoindre le camp de Macky Sall car le faire c’est trahir le peuple. Et le président Pape Diop n’est pas prêt à le faire. Il n’est pas dans ces dispositions. On avait signé un pacte avec Idrissa Seck pour rester dans l’opposition et défendre les intérêts des populations jusqu’en 2024. Aujourd’hui, il a rompu ce pacte et nous en tirerons les conséquences politiques.
Donc, vous pensez qu’il y a un « deal » entre Macky Sall et Idrissa Seck qui l’a convaincu de venir le rejoindre ?
Le « deal » existe depuis l’après élection. Idrissa Seck lui-même l’a reconnu lors de son point de presse pour justifier son entrisme dans le gouvernement. J’ai toujours dit qu’il y a un « deal » qui est en train de se faire sur le dos des Sénégalais. Le premier « deal » est connu, il reste maintenant le second « deal ».
Quels sont selon vous les contours du premier « deal » ?
Il avait promis à Macky Sall de ne rien faire qui pourrait embraser le pays après la proclamation des résultats de la Présidentielle. Si vous vous rappelez, tous les leaders de partis s’étaient regroupés dans son domicile, prêts à en découdre avec le pouvoir après la proclamation des résultats de la Présidentielle. La déception a été grande à sa sortie lorsqu’il a fait sa déclaration. Donc, il a tenu sa promesse de ne rien faire et, en retour, Macky Sall devait lui donner le statut du chef de l’opposition. C’est pourquoi, cette idée a été activée depuis quelque temps de manière récurrente. Aujourd’hui, il l’a nommé président du Conseil économique, social et environnemental. Or, c’est Idrissa Seck lui-même qui avait décrié les budgets colossaux du CESE, du HCCT qui pouvaient, disait-il, être réorientés pour résoudre les problèmes des populations à savoir la Covid 19, les inondations et l’emploi des jeunes. S’il revient aujourd’hui pour être à la tête du CESE avec un budget de sept milliards FCFA, c’est qu’il a trahi le peuple et n’est mû que par son intérêt personnel. Il a ravalé ce qu’il avait vomi. En plus, il avait dit qu’il ne voulait pas d’une nomination mais du mandat des populations. Il n’est pas un homme vertueux. Il ne respecte pas la parole donnée. « Dou gor ».
C’est quoi la deuxième phase du « deal » ?
Les gens le sauront d’ici 2024. Mais je vais l’éventer. Cela passe par la création d’une grande coalition en faveur d’Idrissa Seck. Macky Sall se chargera d’organiser les élections et il fera tout pour remettre les rênes à Idrissa Seck en 2024. Entre-temps, Macky Sall se chargera de sceller les sorts de Khalifa Sall et de Karim Wade qui ne participeront pas à ces joutes électorales. Tout cela est sciemment concocté par le pouvoir. Les Sénégalais verront plus tard le « deal », mais qu’ils sachent que les vérités politiques d’un jour peuvent être différentes le lendemain. Tout peut être chamboulé avec le temps.
Avec cet entrisme de Rewmi, la route n’est-elle pas balisée pour le Pastef d’Ousmane Sonko ?
Le pouvoir veut encercler Ousmane Sonko car il l’empêche de dormir. Le leader du Pastef ne doit pas dormir sur ses lauriers. Le pouvoir attend le moindre faux pas pour le ferrer. Macky Sall ne voudrait jamais que Karim Wade ou Ousmane Sonko lui succède au pouvoir. Il veut protéger ses arrières. Il faut qu’il se mette d’accord avec quelqu’un qui voudrait bien masquer ses errements et ceux des membres de sa famille. Pour avoir les mains libres de mettre en place la stratégie qu’il a concoctée avec Idrissa Seck, Macky Sall va se débarrasser de certains de ses militants de la première heure. La première vague a été liquidée avec Moustapha Diakhaté, Alioune Badara Cissé …, aujourd’hui il y a la seconde vague avec Makhtar Cissé, Boun Dionne, Aly Ngouille Ndiaye, Oumar Youm, Mimi Touré etc. Il y aura après une troisième phase pour nettoyer complètement le parti afin d’imposer son diktat.
Aujourd’hui qu’Idrissa Seck est avec Macky Sall, peut-on penser que ce dernier a laissé de côté son intention de briguer un troisième mandat ?
Macky Sall sait qu’il ne peut pas obtenir un troisième mandat. Pour dire vrai, je n’ai jamais cru qu’il nourrissait une telle intention, bien qu’en politique, il ne faille jamais dire jamais. Il ne peut pas faire ce forcing, même si certains de ses partisans et affidés n’ont cessé de travailler son oreille. En plus, Macky Sall n’est pas un nain politique. Il a dû apprendre de ses pairs ivoirien et guinéen de Conakry qui ont tenté de faire un forcing. Il y a eu dans ces pays plusieurs morts. Et, même si, par extraordinaire, ces présidents remportent les élections, il leur sera difficile de gouverner. A l’heure actuelle, en Afrique, il est impossible de postuler pour un troisième mandat sans faire de victimes. Les populations sont maintenant éveillées. Alors, ce que Macky Sall peut faire, c’est de couvrir ses arrières du genre un « bara yeggo » avec son potentiel successeur pour qu’il le protège ainsi que ses proches ayant eu à commettre des détournements. Quant à Idrissa Seck, je retiens ce que Me Abdoulaye Wade m’avait dit sur lui lors d’une audience au Terrou-bi, avant la présidentielle. Le « Pape du Sopi » me disait que notre compagnonnage avec le leader de Rewmi ne pourra que nous desservir. « Je sais que tu peux lui faire gagner Touba, mais les sacrifices nécessaires pour qu’il gagne tout le pays, il ne pourra jamais les faire. Idrissa Seck croit qu’on va lui offrir la présidence de la République sur un plateau d’argent » m’avait-il mis en garde. Même s’il existe un « deal » avec Macky Sall pour lui succéder, Idrissa Seck ne sera jamais locataire du palais de la République.
Les acteurs du Dialogue politique ont remis leur rapport au président de la République, mais jusqu’à présent la date des élections locales n’est toujours pas connue. Croyez-vous qu’elles se tiendront en 2021 ?
Lors du Dialogue, nous étions représentés par Déthiè Fall de Rewmi. Maintenant qu’Idrissa Seck est dans l’autre camp, nous allons trouver un autre représentant au sein des pourparlers qui se déroulent au niveau du Dialogue national. Tous les points qui ont été discutés et qui ne trouvent pas l’approbation des populations doivent être rejetés ou corrigés. Car, lorsque nous discutions dans le cadre du Dialogue, le Rewmi était en train de mener des discussions souterraines avec le pouvoir. Donc, tous les accords doivent être revus par les membres de la coalition qui composaient Idy2019, représentés par Déthié Fall. Les élections locales ont été repoussées à deux reprises. On a inscrit dans le budget une ligne pour leur organisation d’un montant de sept milliards pour l’année 2021. Mais celui que le président de la République a nommé ministre de l’Intérieur ne pourra pas organiser les élections d’ici mars 2021. Il faudrait qu’il prenne d’abord ses marques dans ce ministère sans compter l’audit du fichier qui n’est pas encore effectif. De même, on n’a pas encore trouvé la solution pour le parrainage au niveau local etc. Ce qui fait qu’il lui faut au moins quatre ou cinq mois pour organiser ce scrutin. C’est pourquoi, je pense que ces élections ne pourront pas se tenir en mars 2021. On risque encore de repousser les échéances au-delà de mars 2021. Le pouvoir voudrait programmer les élections locales pour 2022 et les législatives pour 2024. Il sait que s’il n’a pas la majorité lors des législatives, il lui sera difficile de gouverner durant les deux ans qui lui restent jusqu’en 2024. C’est pourquoi, il ne va pas prendre le risque d’organiser les élections des députés en 2022. Puisque Macky Sall sait qu’il ne pourra plus briguer un troisième mandat, il se chargera d’organiser la présidentielle de 2024 et le futur vainqueur organisera les législatives.
Seriez-vous d’accord pour que votre mandat soit prolongé par Macky Sall en 2022 ou allez-vous démissionner ?
C’est la population qui m’a élu. Je ne démissionnerai pas. Si on proroge le mandat, qui l’a fait ? Si la population laisse faire cette prolongation sans réagir, qui-est-ce que je peux y faire ? Si je démissionne de mon mandat qui va prendre en charge les préoccupations de la population de Touba ? Je ne retournerai pas le mandat qui m’a été confié par les populations. Je ne le ferai pas à cause de manigances du pouvoir. Cependant, je les dénoncerais. Je dirais devant tout le monde, que cela soit au sein de l’hémicycle ou au niveau des médias, que je ne suis pas d’accord, mais, pour autant, je ne démissionnerai pas.
Quelle doit être aujourd’hui l’attitude de l’opposition pour contraindre le pouvoir à respecter le calendrier électoral ?
Les leaders de l’opposition doivent sortir de leurs bureaux climatisés. Le pouvoir n’a peur que des rapports de forces. Si les gens sortent massivement pour réclamer le respect du calendrier électoral, c’est sûr que le pouvoir y réfléchira par deux fois avant de repousser quoi que ce soit. Pour ce faire aussi, il faut que les populations acceptent de jouer le jeu. Quand l’opposition les appelle à une marche, elles doivent sortir de leurs maisons pour venir répondre. Les revendications de l’opposition concernent tous les citoyens. C’est dans cette condition seulement que le pouvoir reculera.
A propos de Bokk Gis-Gis, certains de vos collègues ont dénoncé l’absentéisme du président Pape Diop à l’Assemblée nationale. Ils sont partis jusqu’à exiger son départ de l’Hémicycle. Ont-ils raison de s’attaquer à votre président ?
Ceux qui agitent un tel débat ne sont pas sérieux. S’ils pensent que c’est comme cela qu’ils peuvent prendre la place du président Pape Diop à l’Assemblée nationale, ils se trompent. Il faut préciser que le président Pape Diop est présent dans l’Hémicycle lors des sessions plénières. D’ailleurs, il siègera à partir du 17 novembre lors des plénières pour le vote du budget. Mais la stratégie du parti, c’est qu’il gardera le silence, il n’interviendra en aucun moment puisque bokk Gis Gis compte des députés qui peuvent prendre valablement la parole. Parce que nous ne pouvons pas permettre que notre leader Pape Diop, qui a été président de l’Assemblée nationale et du Sénat, soit chahuté. Il est clair que si on pointe du doigt notre leader pour ses absences, il faudrait aussi rappeler que, du temps où lui-même dirigeait l’Assemblée nationale, Moustapha Niasse, qui était député à cette période, n’avait jamais mis les pieds dans l’Hémicycle ! Pourtant, on n’a jamais parlé d’une quelconque exclusion le concernant. Plus récemment, des députés comme Ousmane Sonko, Déthié Fall, Farba Ngom ne sont signalés dans ce registre, mais un tel débat n’a pas été agité. Alors il faut qu’on cesse de tromper les Sénégalais. Ce n’est pas sérieux. Pape Diop connait bien son rôle de député et de défense des intérêts des populations.
Que pensez-vous de l’émigration clandestine des jeunes ?
Je suis désolé de dire que Macky Sall n’a pas une politique pour la jeunesse sénégalaise. Il avait promis 500 mille emplois par an durant sept ans. Il n’a rien réalisé. Les jeunes n’ont plus espoir en leur avenir. S’ils n’arrivent pas à trouver du travail décent pour fonder une famille et survenir aux besoins de leurs parents, ils sont obligés de croire à un avenir meilleur ailleurs. Ce que Macky Sall n’a pas réalisé en sept ans, il ne pourra pas le faire en trois ou quatre ans. Les jeunes subvenaient à leurs besoins grâce aux ressources halieutiques, or, celles-ci sont bazardées aux Chinois. C’est pourquoi, je continue de croire que Macky Sall n’a pas de solution pour les jeunes du pays. Je ne crois pas non plus qu’ils cesseront de sillonner la mer.