JE NE PEUX PAS IMAGINER QUE LE MALI FASSE AFFAIRE AVEC DES MERCENAIRES
L’Afrique de l’Ouest est-elle malade de ses militaires ? Ou de ses troisièmes mandats ? Que penser de l’éventualité du déploiement de mercenaires russes au Mali ? Entretien avec le philosophe Souleymane Bachir Diagne

Il est l’un des penseurs les plus influents du continent, mais Souleymane Bachir Diagne ne cesse de remettre en cause la notion même de « philosophie africaine ». L’intellectuel sénégalais qui prône un universalisme respectueux des identités plurielles, raconte dans Le Fagot de mémoire, son autobiographie parue cette année, la manière dont il s’est construit entre Saint-Louis au Sénégal, Paris et New York. Il n’en a pas moins fait de l’espace ouest-africain l’un des axes centraux de ses travaux et réflexions philosophiques, historiques, spirituelles et politiques.
Faisant le constat amer du « sentiment d’impasse » qui a conduit aux coups d’État qui ont renversé IBK au Mali et Alpha Condé en Guinée, il s’inquiète du retour des militaires au pouvoir. Et plaide, à l’instar du Libérien George Weah, pour l’instauration de « critères de convergence démocratique » au sein de la Cedeao.
Jeune Afrique : Alpha Condé renversé en Guinée par un militaire, Assimi Goïta qui mène deux coups d’État au Mali… L’Afrique de l’Ouest est-elle « malade » de ses militaires ?
Souleymane Bachir Diagne : On peut le penser si l’on se contente de faire un rapprochement sur le seul fait que, en Guinée comme au Mali, des militaires ont pris le pouvoir. Mais il faut se méfier des analogies. Les deux pays font en partie face aux mêmes défis, qui se sont accentués avec la pandémie. Mais leurs situations respectives sont extrêmement différentes. Au Mali, le contexte sécuritaire a été prépondérant, avec des groupes armés terroristes qui sévissent dans plusieurs régions du pays. En Guinée, Alpha Condé a voulu faire le mandat de trop. On ne peut donc pas dire que l’Afrique de l’Ouest est « malade » de ses militaires, et que cette maladie est susceptible d’être contagieuse, parce qu’il ne s’agit pas de la même maladie.
Les symptômes restent cependant exactement identiques : une junte militaire prend le pouvoir par la force. Et l’Afrique de l’Ouest est la région où les putschs sont les plus récurrents…
Il y a, c’est vrai, un problème ouest-africain sur ce point : l’idée que l’option militaire est un recours acceptable. Les militaires ne sont pas la solution, ils font partie du problème. La conséquence, c’est que nous sommes confrontés à une crise de l’intégration ouest-africaine, qui était pourtant en bonne voie. En Guinée, comme au Mali, la solution aurait dû passer par les institutions, par la voie démocratique.
C’est d’autant plus problématique que, dans un cas comme dans l’autre, on ne sait pas quand le pouvoir sera effectivement remis aux civils. Au Mali, beaucoup de questions se posent quant au respect du calendrier, qui prévoyait des élections en février prochain. Et en Guinée, la situation est encore floue…