LA CONSTITUTION EST TRES CLAIRE
Ibou Sané, enseignant en sciences politiques, diagnostique les maux dont souffrent les formations politiques non sans aborder le cas de la Guinée

Depuis la réélection de Macky Sall à la tête du pays, on a l’impression qu’il n’existe plus d’opposition au Sénégal. A l’exception notable du leader de Pastef, Ousmane Sonko, la plupart des adversaires du régime, à l’image d’Idrissa Seck, observent un mutisme total. Ce qui laisse présager la mort programmée de leur parti. Procédant à une analyse profonde des crises au sein des partis de l’opposition, de l’avenir politique de Khalifa Sall et de Karim Wade, le Pr Ibou Sané, enseignant en sciences politiques, diagnostique les maux dont souffrent ces formations politiques non sans aborder le cas de la Guinée.
Face à la situation que vivent les principaux partis de l’opposition, peut-on dire que le Président Macky sall a réussi à réduire l’opposition à sa plus simple expression comme il l’avait promis ?
Pour reprendre un peu Jean Pierre Olivier De Sardan, je dirais que nous sommes dans une arène. En tant que tel, c’est un lieu d’affrontements, mais aussi un lieu où on met en place des stratégies. Et celle du Président Macky Sall semble être payante. D’autant que depuis 2012 jusqu’à maintenant, il a réussi à bloquer l’opposition, en créant une entité forte qui est le Benno Bokk Yaakaar (Bby). Ce bloc ne s’est pas encore fissuré, contrairement à ce que les gens pensent. Malgré les soubresauts et les difficultés du pays, ce bloc est resté intact. C’est parce que ce bloc est fort qu’on a l’impression qu’il y a entre lui et l’opposition une forme de distance qui est de plus en plus grande. Aujourd’hui, l’opposition est incarnée par un ou deux personnes. Il n’y a qu’Ousmane Sonko qui essaie d’émerger du lot en tapant à toutes les portes, en se faisant voir partout. Même s’il n’est pas obligé parfois de paraître puisqu’en paraissant, il attaque et en attaquant, il ne donne pas des solutions de sortie de crise. Donc, quand on regarde les leaders de l’opposition, on se rend compte qu’ils sont presque à peu près de même niveau. Tout le contraire de ce qu’on avait en 2000 où Me Abdoulaye Wade incarnait toute l’opposition. C’était quelqu’un de très fort et de très puissant qui savait embrigader tout le monde dans son mouvement. Ce qui faisait un peu qu’il était craint par le parti au pouvoir. Mais les gens oublient que le Président Macky Sall est quand même un élève du Président Abdoulaye Wade. Il connaît un peu ce qu’est le pouvoir. Le pouvoir, c’est la ruse, l’intelligence en mouvement etla dynamique. Les opposants avaient négligé le Président Macky Sall, ils croyaient qu’il ne pouvait pas embrigader tout le monde dans son mouvement, mais ils se sont rendu compte effectivement que c’est quelqu’un de très intelligent, qui ne parle pas beaucoup, qui est efficace et qui arrive toujours à tenir son opposition à distance. Maintenant, qu’il ait soutenu qu’il va réduire l’opposition à sa plus simple expression, cela ne veut pas dire qu’il usera de tous les moyens pour écraser ses opposants. Ses opposants aussi sont des intellectuels et des gens qui réfléchissent. Le problème de l’opposition actuellement, c’est qu’elle n’a pas le vent en poupe, parce qu’elle est complètement émiettée, complètement divisée et personne ne veut céder la place à l’autre. Dans ces conditions, il est difficile d’avoir un leader charismatique. Ainsi, chacun prêche pour sa propre chapelle. Ce qui donne encore du poids et de la force au Président Macky Sall.
Dernièrement, on a noté le début d’une bataille de positionnement entre Serigne Mbaye Thiam et Aminata Mbengue Ndiaye au sein du Parti Socialiste. Quelle lecture en faites-vous ?
Il fallait s'y attendre, parce que comme le disait Pierre Bourdieu dans son ouvrage intitulé :«La domination masculine», les gens ont tendance à croire que les femmes ne peuvent pas diriger. Surtout au Sénégal où on ne veut pas que les femmes dirigent les partis politiques. Le leadership féminin, on le trouve un peu dans le domaine social et dans le domaine économique, mais pas dans le milieu politique. C’est là la conséquence qui fait qu’au Parti Socialiste, les hommes commencent à tirer à boulets rouges sur Aminata Mbengue Ndiaye pour qu’elle se décourage et qu’ils viennent prendre les commandes. Pourtant, Aminata Mbengue Ndiaye aurait pu diriger le Ps parce qu’elle connaît bien le parti et est là depuis plusieurs années. A mon avis, Serigne Mbaye Thiam a intérêt à faire beaucoup attention, parce que cette femme-là est dynamique. Elle connaît le pays et a des réseaux extrêmement importants qui pourraient la propulser le plus longtemps possible dans le parti. Serigne Mbaye Thiam a plutôt intérêt à négocier pour que, plus tard, elle lui transmette le témoin et qu’il continue. Mais s’il veut imposer un rapport de forces, Aminata Mbengue Ndiaye sera soutenue par les personnes âgées du parti. En plus de cela, elle a beaucoup d’atouts. Non seulement elle est une femme calme, mais aussi elle connaît le parti pour y avoir milité très tôt. Elle a accompagné les différents chefs d’Etat dans le parti et elle est très puissante. Alors que Serigne Mbaye Thiam est un militaire qui a des lignes et des positions très dures. C’est un homme rigoureux certes, mais aussi très dur. Or dans les partis politiques, on demande un peu de flexibilité. Si on est dur, on n’aura personne autour de soi.
A quel avenir politique doit s’attendre Khalifa Sall ? Et qu’en est-il de son éligibilité ?
Khalifa Sall a une épée de Damoclès au-dessus de la tête, si bien qu'il ne peut rien faire et qu’il ne peut pas bouger. Il peut s'agiter, mais il ne peut pas faire grand-chose. Tant que le Président Macky Sall ne les aura pas amnistiés, lui et Karim Wade sont hors-jeu dans le champ politique. Donc, ils ont intérêt à négocier pour que le Président Macky Sall puisse demander à l’Assemblée Nationale de voter une loi d’amnistie. Et auquel cas, ils pourront jouer leur partition. Mais comme en politique tout est problème de calcul, et comme le disent les sociologues, la vie c’est de l'intérêt, Macky Sall a intérêt à ne pas les amnistier très tôt. Parce que s'il les amnistie très tôt, il va scier la branche sur laquelle il est assis. Par conséquent, Khalifa Sall et Karim Wade sont en difficultés parce que tant qu'ils ne seront pas amnistiés, ils ne peuvent rien faire.
Comment analysez-vous la situation du Pds qui a connu une saignée depuis la défaite de Me Wade et qui est aujourd'hui en quête de leadership ?
Je l'ai dit depuis 2009 et je continue de le dire mais je pense que les libéraux ne m'ont pas assez écouté. J’ai dit que le président Abdoulaye Wade aurait des difficultés pour garder le parti d’autant plus qu’il voulait propulser son fils au-devant de la scène. Or en démocratie, ce sont les militants qui désignent et non le chef de parti. La démocratie directe voudrait que chacun puisse lever le doigt et que le parti ait à désigner son candidat. Mais Malheureusement, comme le président Abdoulaye Wade lui-même a désigné son fils, il a joué à beaucoup de subterfuges. Mais on se rend compte que ce que disait le président Wade à l’époque, c’est qu’il travaillait pour son fils. Malheureusement, actuellement son fils est en difficultés. Il persiste et le parti est en train de se disloquer progressivement. Les gens sont en train de dribbler par jeux d'alliances quelque part, et s'il continue à s'entêter dans cette voie, le parti risque d'être complètement en lambeaux. Et cela n'est pas bon. Le deuxième problème que j’avais dit à l'époque, c'est que le parti socialiste et le Pds ne sont pas prêts à revenir de sitôt au pouvoir parce que, en général, quand vous perdez des élections, les gens ont tendance à vous oublier tout de suite. Ils préfèrent que vous alliez faire votre apprentissage à l’opposition, que vous attendiez que les autres gouvernent et que vous reveniez s'il le faut plus tard. Donc quoi qu'il arrive, le Pds est un parti complètement déchiqueté où les gens sont partis pour rejoindre d'autres alliances et qui, sur le plan financier, est à court de ressources. En Afrique, les idéologies ont disparu et le champ politique est devenu un champ d’intérêts où chacun va parce qu’il a un intérêt quelque part, même si on ne le dit pas.
Quelle lecture faites-vous de la situation en Guinée où on voit naître les germes d’une violence postélectorale ?
Il y a deux variables d'analyse en Guinée. La première, c'estla problématique ethnique que les gens ne prennent pas suffisamment en compte dans leurs analyses. Parce que le pouvoir économique est détenu par les Peuls et le pouvoir politique par les Malinkés. Et maintenant que les Peuls veulent à la fois avoir le pouvoir économique et politique, les Malinkés ne sont pas prêts à lâcher le pouvoir politique. Quoi que cela leur coûte. Parce que pendant longtemps, les Peuls ont souffert sous Sékou Touré au point que quand on parle d’émigration à travers l’Afrique, on fait souvent référence aux Peuls. Maintenant qu’ils ont la chance d’aller prendre le pouvoir, les Malinkés ont peur que demain, les Peuls puissent aussi avoir un esprit revanchard. Du coup, comme Alpha Condé est malinké, on lui demande de perpétuer la tradition. La deuxième variable d’analyse, c’est qu’en Afrique, on n’aménage pas des portes de sortie pour nos présidents et qu’on leur permette demain de ne pas quitter le pays et de rester sur place. Vous avez vu ce qui s’est passé en Mauritanie et en Angola. La seule personne qui a réussi que le pouvoir soit stable, c’est au Congo avec Etienne Tshisekedi qui a réussi à ménager un peu Kabila. Mais tant que les présidents sortants ne seront pas sécurisés, il n’y aura pas d'alternance au pouvoir. L’exemple sénégalais est une exception en Afrique. Qu'on ait deux alternances ailleurs, ce n'est pas possible. Parce que les gens ne veulent pas scier aussi la branche sur laquelle ils sont assis. Ils préfèrent s’accrocher au pouvoir plutôt que de se faire éjecter et de vivre demain toutes les conséquences de leurs agissements. Donc c'est très difficile en Afrique. Au Sénégal, les gens soupçonnent le président Macky Sall de préparer un troisième mandat. Mais rien ne nous le dit. C’est un problème de morale et d’éthique. Il faut que lui, il se dise : bon je suis jeune, je peux quitter le pouvoir et revenir plus tard ; ou bien alors il se dit : ce qui se passe ailleurs aussi, avec les gens qui commencent à avoir les mêmes repères que les autres pays africains, eh bien ! je peux être amené moi aussi à faire la même chose. La constitution est très claire et parle de deux mandats consécutifs. Et quand vous les analysez, ce sont deux mandats de 5 ans. Et les gens pensent que les 7 ans effectués plus les 5 ans en cours font deux mandats. En ce moment, ça ne dépend que de lui. Et comme jusqu’à présent il n’a dit ni oui ni non, il faut qu’on le laisse tranquille. Même la loi est floue et il n’y a que lui seulement qui peut décider d’avoir ou pas un troisième mandat. Et si nous continuons à le harceler comme ça, il risque de s’arcbouter sur sa position.