L'AFRIQUE NE PEUT PLUS SE CONTENTER DE CRITIQUES STÉRILES
Crise alimentaire, conflit russo-ukrainien, production locale, développement des secteurs économiques… Le patron des patrons camerounais livre son analyse sur les dossiers brûlants du continent

Il est incontournable. À 56 ans, le fondateur du groupe Cadyst Invest multiplie les casquettes : à la tête du Groupement inter-patronal du Cameroun (Gicam) pour un second mandat – où il avait remplacé André Fotso en 2017 –, il est également président du Groupement des industries meunières du Cameroun (Gimc), et président de l’Union des patronats d’Afrique centrale (Unipace).
Capitaine d’industrie, homme de réseaux, c’est aussi un habitué des médias, où sa faconde et ses prises de position tranchées lui valent d’être régulièrement invité. Le 8 juin dernier, Célestin Tawamba n’a ainsi pas hésité à interpeller directement Emmanuel Macron, par le biais d’une lettre ouverte publiée dans Jeune Afrique, enjoignant au président français de convoquer un sommet extraordinaire UE-Afrique afin de repenser les stratégies de coopération pour faire face aux conséquences de la guerre russo-ukrainienne sur le continent.
Des solutions à apporter à la crise alimentaire aux relations Afrique-France, en passant par l’urgente nécessité de créer des champions nationaux et continentaux, Célestin Tawamba, qui était présent à l’Africa CEO Forum – coorganisé par le groupe Jeune Afrique –, n’a rien perdu de son franc parlé habituel. Entretien.
Jeune Afrique : Emmanuel Macron a-t-il déjà réagi à la lettre que vous lui avez adressée ?
Célestin Tawamba : La lettre a suivi les canaux officiels habituels et tout semble indiquer que d’ici peu la discussion va s’ouvrir sous une forme à sa convenance.
Quel accueil les chefs d’État du continent, notamment ceux ayant participé à l’Africa CEO Forum à Abidjan les 13 et 14 juin – où vous étiez également présent –, ont réservé à cette initiative ?
Le gaz et le pétrole russes continuent d’être payés par les Occidentaux alors que les matières premières qui nous intéressent sont pratiquement frappées d’interdit du fait de l’injonction faites aux banques de ne pas régler ces opérations. Notre initiative d’interpeller le président Macron, qui va en droite ligne de l’action de l’Union africaine (UA), est donc bien comprise compte tenu de la position spécifique des acteurs du secteur privé et du rôle de celui-ci dans nos économies.
Avez-vous obtenu le soutien de vos pairs du secteur privé dans votre prise de position sur la crise alimentaire qui pointe sur le continent ?
Nous partageons pour la plupart des souvenirs encore vivaces. En effet, le secteur privé a subi le plus grand revers avec la crise du Covid, durant laquelle sa seule résilience n’aura pas suffi à endiguer le mal, surtout dans ces pays où les pouvoirs publics et les gouvernements n’ont assuré aucun accompagnement. Ce fut une véritable catastrophe, avec 20 millions d’emplois perdus, selon les estimations du Forum Afrique de l’OCDE. Et nous ne tenons pas à revivre cela.
Or, nous savons qu’avec la crise en Ukraine, la forte hausse du prix des intrants tels que l’énergie et les engrais pourrait entraîner une réduction de la production alimentaire, notamment dans nos jeunes et fragiles économies. L’utilisation moindre des intrants pèsera sur la production et sur la qualité des aliments, ce qui affectera les disponibilités alimentaires, les revenus des populations rurales et les moyens de subsistance des populations les plus pauvres de chez nous.
Ces projections ne sont toutefois pas figées. En cas de guerre prolongée ou de sanctions supplémentaires à l’encontre de la Russie, les prix pourraient être encore plus élevés et plus volatils, selon la Banque mondiale. Le secteur privé, créateur de richesse, pourvoyeur d’emplois, moteur de la croissance, est en première ligne et doit, à juste titre, anticiper sur des scénarios catastrophe. Nombreux sont ceux qui partagent cette analyse avec moi.