UNE ELEGIBILITE EN QUESTION
Khalifa Sall, ex maire de Dakar, sera-t-il éligible à la présidentielle de 2024 ? À cette interrogation, la réponse n’est pas vraiment tranchée.

En 2019, sa candidature a été invalidée par le Conseil constitutionnel. Dans notre édition d’hier, le maire de Grand Yoff, Madiop Diop, a annoncé que le leader de « Taxawu Sénégal », Khalifa Ababacar Sall, sera candidat à la présidentielle de février 2024. Sur cette question, des juristes rappellent que pour être candidat-éligible, il faut d’abord être électeur.
Khalifa Sall, ex maire de Dakar, sera-t-il éligible à la présidentielle de 2024 ?
À cette interrogation, la réponse n’est pas vraiment tranchée. Accusé d’avoir profité de ses fonctions pour détourner 1,8 milliard de FCfa de la Régie d’avance de la mairie de Dakar, Khalifa Ababacar Sall, incarcéré le 7 mars 2017, a été reconnu et déclaré coupable des délits d’escroquerie aux deniers publics, de faux et usage de faux dans des documents administratifs et de complicité en faux en écriture de commerce. Il a été condamné à une peine de cinq ans de prison ferme assortie d’une amende pénale de cinq millions de FCfa, sans dommages et intérêts. Combinant les articles L31 et L57 du Code électoral, Dr Abdoul Aziz Mbodji, enseignant-chercheur à l’Université de Bambey, est catégorique.
À l’état actuel, Khalifa A. Sall n’est pas éligible et ne peut pas être candidat à une présidentielle. L’ancien maire de Dakar avait réussi à franchir le cap des parrainages. Malheureusement, rappelle-t-il, sa candidature a été invalidée parce qu’il n’était plus électeur du fait de sa condamnation conformément à l’article L57 du Code électoral, lequel stipule, selon lui, « pour être candidat, il faut être électeur ».
Les dispositifs de l’article 31 du Code électoral stipulent que ceux qui sont condamnés à une peine de plus d’un mois ne peuvent pas être électeurs. Le seul hiatus, déplore Dr Mbodji, c’est que cette disposition n’est pas systématiquement appliquée au moment des révisions des listes électorales. À cette étape du processus électoral, regrette l’enseignant-chercheur, rares sont ceux à qui on exige des casiers judiciaires, d’autant plus que, soutient-il, « le fichier électoral est susceptible de contenir des gens qui ne peuvent pas être électeurs ». Pour la première fois dans l’histoire du Sénégal, explique Dr Mbodji, « on fait le lien entre la qualité d’électeur et celle d’éligibilité ».
De son côté, Yaya Niang, docteur en Droit public et chercheur à l’Université Gaston Berger (Ugb) de Saint-Louis, souligne : « Depuis juillet 2018, l’État du Sénégal a adopté une loi qui a rajouté que la qualité d’électeur est une condition d’éligibilité. La candidature de Khalifa Sall pour la présidentielle a été rejetée sur cette base. Il a perdu sa qualité d’électeur pour cinq ans. En principe, il a été condamné en 2019 et il a de fortes chances de présenter sa candidature en 2024 ».
Toujours est-il que, selon l’universitaire, pour matérialiser ce souhait, il faudrait que le ministère de l’Intérieur et ses collaborateurs puissent trancher en raison d’une disposition réglementaire. « Si l’on se base sur la disposition de l’article L32, on peut s’attendre à ce qu’il recouvre son droit d’électeur. Dans ce cas, il pourra soumettre une demande au ministère de l’Intérieur qui fera une interprétation sur la base de l’article L31. En 2024, il aura fait cinq ans en principe. Il peut faire valoir son droit d’être électeur s’il a des arguments convaincants et que le ministre de l’Intérieur réponde favorablement à cette demande. Ainsi, il pourra, de nouveau, s’inscrire sur les listes électorales ». « Dans ce sillage, il n’y aura aucun obstacle à sa candidature », fait-il savoir.
Pour Dr Mbodji, trois voies s’offrent à Khalifa Sall pour retrouver son statut d’électeur ou être éligible : la réforme de certaines dispositions du Code électoral, la réhabilitation ou l’amnistie. Le premier mécanisme, à savoir la réforme du Code électoral, est le moyen le plus facile pour réhabiliter Khalifa A. Sall et Karim Wade, soutient-il, indiquant que cette initiative peut émaner aussi bien du Gouvernement que du Parlement.
Réhabilitation
Concernant la réhabilitation, Abdoul Aziz Mbodji laisse entendre qu’elle ne relève pas « de la politique mais plutôt d’une décision de justice ». Elle est prévue dans le Code de procédure pénale, rappelle-t-il. « Cinq ans après une condamnation, la personne peut demander sa réhabilitation à condition qu’elle ait exécutée des activités d’intérêts publics. Cet investissement humain peut lui permettre de retrouver un casier judiciaire vierge », explique l’enseignant-chercheur, alors que l’amnistie, ajoute-t-il, relève d’une initiative gouvernementale ou parlementaire.
Sa conviction est que sans l’une de ces initiatives, Khalifa A. Sall ne pourra pas être éligible, donc être candidat à une présidentielle. « Si l’Assemblée nationale change de configuration, l’amnistie est bien possible, même si, à l’état actuel, c’est hypothétique, car l’opposition n’est pas majoritaire au Parlement », croit-il savoir. Dr Mbodji d’ajouter : « Si elle change de camp et de couleur en 2022, c’est possible de le faire pour eux ».
Dr Yaya Niang de l’Ugb précise cependant que « tout dépend de la demande qu’il va formuler et les arguments qu’il va faire valoir parce que la privation de la qualité d’électeur ne peut pas être éternelle et permanente ».
Il renchérit que si le ministre de l’Intérieur met son veto et que sa demande d’inscription lui est refusée, ce sera le statut quo. « Il n’a pas eu la possibilité d’exercer des voies de recours pour sa qualité d’électeur. Au moment de l’établissement de la liste électorale, sa procédure n’était pas encore arrivée à terme. S’il fait sa demande et que le ministre refuse, il pourra recourir au Tribunal d’instance de Dakar pour faire valoir ses arguments. Si sa demande est rejetée, il peut faire intervenir la Cour suprême, puis la cassation pour une décision définitive ».