EN AFRIQUE, UNE COURSE AU VACCIN ANTI-COVID SEMÉE D'EMBÛCHES
Les pays riches sont accusés d’accaparer toutes les doses de vaccins disponibles et l’industrie pharmaceutique de ne penser qu’à ses bénéfices. Au détriment des populations africaines ?

C’est un Antonio Guterres visiblement inquiet qui, le 10 décembre, tire une fois de plus la sonnette d’alarme. Reprenant une formule employée par le directeur de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le secrétaire général des Nations unies met en garde contre le « nationalisme vaccinal » face à la pandémie de Covid-19. Un phénomène qui avance « à toute vitesse », déplore-t-il, dénonçant « les pays riches qui font la queue pour acheter des millions de doses de vaccins potentiels aux dépens des pays beaucoup plus pauvres ».
L’ONU plaide pour que les vaccins anti-Covid soient considérés comme un « bien public mondial », une proposition portée par l’Afrique du Sud et l’Inde notamment. Concrètement, cela implique que les laboratoires renoncent à leur propriété intellectuelle afin de favoriser la production en masse de vaccins à un faible coût.
Cela permettrait aussi de répartir les doses disponibles équitablement entre les pays, en fonction des besoins et non des moyens. C’est d’ailleurs tout le sens de Covax. Cette initiative, lancée en juin, vise en particulier à réserver des doses pour les pays à revenu faible ou intermédiaire, tout en mutualisant le financement.
Mais à mesure que les essais sur les vaccins progressent, le front commun se fissure. Les belles promesses s’évanouissent. À ce stade, huit vaccins ayant atteint la phase 3 des essais cliniques font déjà l’objet de grands contrats d’approvisionnement passés directement avec des pays, indique Oxfam, s’appuyant sur les données collectées par la société d’analyse scientifique Airfinity. Parmi eux : le vaccin développé par Pfizer et BioNTech à 19,50 $ la dose, celui de Moderna (12 à 32 $ la dose) ou encore le vaccin développé par AstraZeneca et l’université d’Oxford, vendu pour sa part sans bénéfice entre 3 et 5 $ la dose. En plus d’être sensiblement moins cher, ce dernier ne nécessite pas d’être conservé à -70 degrés, un veritable avantage pour de nombreux pays en développement, ne possédant pas les infrastructures nécessaires.
Contrats bilatéraux favorisant les pays riches
Le problème, souligne-t-on chez Oxfam, c’est que dès le printemps, certains pays comme les États-Unis ont commencé à faire savoir aux laboratoires qu’ils souhaitaient pré-réserver de grandes quantités de doses de leurs vaccins en cours de développement. Des contrats bilatéraux ont été passés, en contradiction avec les discours officiels et les initiatives de « garantie de marché » comme Covax. Résultat : les pays les plus riches, représentant 14 % de la population mondiale, ont mis la main sur 53 % des doses de vaccins promises à court terme par les laboratoires. Si bien qu’à l’autre extrémité du spectre, 92 pays comptant 3,6 milliards d’habitants devront se partager 700 millions de doses. Sachant que la vaccination nécessite deux injections par patient.
« Le Canada a de quoi vacciner chacun de ses citoyens cinq fois, l’Union européenne deux fois, martèle-t-on chez Oxfam. Toutes les doses du vaccin Moderna et 96 % de celles de Pfizer/BioNTech ont été acquises par des pays riches. » Même des États qui, au départ, soutenaient l’idée d’un partage mondial équitable, à l’image de la France, ont fini par sécuriser leur approvisionnement, souligne Julia Heres Garcia, chargée de plaidoyer au sein de l’ONG.