LE SÉNÉGALAIS FACE AU COVID
Malgré la flambée des cas positifs, des compatriotes ont baissé la garde face à cette maladie dont certains doutent encore l’existence. Un psychologue et un sociologue tentent de cerner le comportement des populations

Le Sénégal affronte, depuis quelques semaines, une seconde vague de Covid-19 avec des taux de contamination allant jusqu’à 9 à 10% par jour. Mais, malgré la flambée des cas positifs, des compatriotes ont baissé la garde face à cette maladie dont certains doutent encore l’existence. Un psychologue et un sociologue tentent de cerner, pour Lesoleil.sn le comportement des Sénégalais.
Moustapha est un menuisier mécanique de 45 ans établi à la cité Avion de Ouakam. En pleine discussion avec ses collègues de travail dans un restaurant très fréquenté du quartier, il dit douter encore de l’existence de la maladie. Et par conséquent, il ne porte le masque que dans des circonstances très précises. « Je porte très rarement le masque, je le mets lorsque je suis dans le car de transport pour venir au travail ou pour rentrer chez moi », dit-il. Car, d’après cet habitant des Parcelles Assainies, « même si le coronavirus existe, il n’est pas aussi grave comme on le décrit en Occident ».
A l’image de Moustapha, beaucoup de Sénégalais, contrairement à la première vague, refusent de s’approprier les mesures édictées malgré les nombreuses alertes lancées par des autorités sanitaires et étatiques. Qu’est-ce qui explique cette situation ?
Le psychologue-conseiller Abdoulaye Wade a pointé la stratégie de communication mise en avant par les autorités médicales.
Démystification du virus
« Au niveau de la communication, les experts de la santé ont pêché en pensant que seul le discours médical suffisait pour convaincre les communautés alors qu’il fallait partir de la base définir avec les populations une stratégie de riposte validée, intégrée et portée par les communautés elles-mêmes », a-t-il déclaré.
Le chargé de cours à l’université du Sine-Saloum El Hadj Ibrahim Niass de Kaolack est d’avis que « tant que les communautés ne s’approprient pas des mesures édictées par les spécialistes de la santé, toute tentative d’enrayer cette pandémie sera veine. Il faut parvenir à déconstruire réellement les bombes idéologiques qui freinent la sensibilisation dans les communautés ».
A l’en croire, l’abandon, aujourd’hui, des gestes barrières s’explique par le fait que « les perceptions et les représentations que les communautés avaient de la pandémie ont beaucoup évolué suite à la cohabitation avec le virus dans une période relativement longue mais aussi et surtout avec l’avancée de la recherche ». D’après M. Wade, « en vivant avec le virus, les populations ont fini par le démystifier au moment où tous les spécialistes en santé voyaient le chaos partout en Afrique au Sud du Sahara ».
Théorie du complot et fait religieux
Pour sa part, Baidy Diop, chercheur en sociologie, soutient que les doutes émis sur l’existence de la pandémie constituent un fait très intéressant à prendre en compte dans l’analyse du comportement actuel des Sénégalais. « Au début de la pandémie, il a été très difficile de faire croire à une bonne partie de nos compatriotes l’existence de la maladie. Ce qui fait qu’ils ont accepté les gestes barrières non pas par appropriation mais par coercition », avance-t-il, rappelant que l’allègement des mesures a été perçu comme une libération mais aussi une confirmation de la théorie du complot.
Nos deux interlocuteurs sont tous d’avis que le fait religieux reste un facteur explicatif de la situation. Car, disent-ils, des évènements majeurs, annoncés dans le pays comme lieux par excellence de la libération du virus, se sont déroulés sans une réelle incidence sur la recrudescence des cas de Covid-19 à savoir la Tabaski, le Grand Magal de Touba, le Maouloud. Ils ont également fait état de la reprise des enseignements apprentissages dans les établissements scolaires et les différentes élections tenues dans des pays voisins comme la Guinée et la Côte d’Ivoire. « Le fait subséquent est que nombre de Sénégalais pensaient être délivrés considérant le virus comme une simple banalité », tranche le sociologue Baidy Diop qui a, par ailleurs, pointé les limites de la communication gouvernementale.
L’autre facteur qui pourrait expliquer ce relâchement, constatent les spécialistes, est lié au fait que le sentiment d’unité nationale noté au début de la pandémie s’est effrité entre temps et le confinement et les restrictions des déplacements ont également été une expérience désagréable pour les communautés. « Tous ces éléments, combinés à la théorie du complot largement relayés dans les réseaux sociaux, amènent les communautés à réinterpréter et à réinterroger leur rapport avec la pandémie se traduisant, du coup, par un abandon progressif des mesures barrières », analyse le psychologue-conseiller.