L'OPERATION DES SIAMOISES DE YOFF AVAIT PROUVÉ L’EXPERTISE SÉNÉGALAISE EN MATIÈRE DE MÉDECINE
A l’occasion du 17e anniversaire de l’opération des célèbres siamoises de Yoff Adama et Awa, « Le Témoin » a fait parler Mamadou Ndoye qui n’est autre que l’ancien chef du service de Chirurgie infantile de l’hôpital Ariste Le Dantec

Mondialement connu pour avoir réussi à séparer avec succès des sœurs siamoises, le médecin-colonel (Er) Mamadou Ndoye n’est plus à présenter. Militaire, universitaire, scientifique, chercheur, sportif, chirurgien et pédiatre tout à la fois, Pr Mamadou Ndoye est un pur produit de l’Armée. A l’occasion du 17e anniversaire de l’opération des célèbres siamoises de Yoff Adama et Awa, « Le Témoin » a fait parler Pr Mamadou Ndoye qui n’est autre que l’ancien chef du service de Chirurgie infantile de l’hôpital Ariste Le Dantec. Ce qui n’était pas facile pour un éminent professeur moulé dans la grande muette, donc de nature très calme et effacé. Néanmoins, « Le Témoin » a réussi à le faire sortir de sa réserve ! Entretien.
Le Témoin : 03 décembre 2013-03 décembre 2020, il y a 17 ans jour pour jour les bébés Awa et Adama Ndoye collés après leur naissance avaient été miraculeusement séparés avec succès par Mamadou Ndoye — c’est-à-dire vous — et son équipe, qu’est-ce que cela vous rappelle ?
Mamadou Ndoye : Dix-sept ans déjà, les années passent vite ! Surtout quand il s’agit de raconter les souvenirs d’une opération délicate réalisée avec beaucoup d’émotion et de plaisir. Permettez- moi de préciser que le mérite revient à la Médecine sénégalaise composée d’hommes et de femmes compétents, expérimentés et très engagés à relever les défis soulevés par les maladies chroniques et autres malformations. A l’époque, je me rappelle aussi que « Le Témoin », l’un des rares journaux à l’époque, a eu l’exclusivité de cette information après avoir squatté les coulisses du bloc opératoire du service de chirurgie infantile de l’hôpital Le Dantec. Il est bon de rappeler également que cette opération, pour ne pas dire cet exploit chirurgical, était une grande première en Afrique subsaharienne.
Pouvez-vous revenir sur les circonstances de cette opération délicate réalisée avec succès et qui, à l’époque, avait fait le tour du monde ?
D’abord, il faut rappeler que tout a commencé le 26 novembre 2003 au centre de santé Philippe Maguilène Senghor de Yoff où sont nés les enfants par voie basse d’une mère âgée de 25 ans et n’ayant bénéficié d’aucune consultation prénatale. Nées accolées voire liées par le bassin, au niveau de l’abdomen, les jumelles Adama et Awa Ndoye sont immédiatement transférées au service de chirurgie infantile de l’hôpital Le Dantec que je dirigeais. L’émoi provoqué au sein du personnel de Philippe Senghor fera vite place à la réalité c’est-à-dire la nécessité de faire quelque chose pour les séparer. Après l’accueil, le processus de prise en charge est donc déclenché. Un bilan médical complet effectué rapidement a fait apparaître que les jumelles sont liées au niveau de la région ombilico-sternale. Aussitôt, j’ai mis en place un staff pour ne pas dire une équipe médicale multidisciplinaire composée d’anesthésistes (Pr Elizabeth Diouf), de pédiatres et de radiologues (Pr El Hadj Niang et Pr Galaye Sall), de Chirurgiens-pédiatres et réanimateurs (Pr Gabriel Ngom, Pr Diop Ndoye etc.) Sans oublier d’autres collègues associés au processus d’opération. Bref… j’ai mobilisé une vingtaine de personnes dont des infirmières et des sages-femmes chevronnées pour une opération délicate qui a duré plus de cinq (05) heures. C’était le 03 décembre 2003 !
On imagine que, ce jour-là, l’hôpital Le Dantec avait retenu son souffle !
Oui, le souffle d’un défi que l’expertise sénégalaise devait relever ! Mais avec l’assistance du Bon Dieu, nous avons réussi à opérer et séparer avec succès les deux sœurs siamoises de Yoff. Un exploit chirurgical réalisé avec beaucoup de professionnalisme et d’engagement par une toute équipe qui, ce jour-là, a encore prouvé toute l’expertise sénégalaise en matière de médecine face au monde entier.
Dix-sept ans après, comment se portent les aujourd’hui les siamoises, ou les miraculées de la chirurgie pédiatrique de l’hôpital Le Dantec ?
Adama et Awa ont aujourd’hui 17 ans et se portent relativement très bien. L’une d’entre elles présente une petite malformation cardiaque suivie au service de cardiologie. Alhamdoulahi…elles sont devenues de charmantes et adorables jeunes filles. Car, physiquement et mentalement, elles n’ont aucun handicap !
Entre-temps, avez-vous été confronté à d’autres patients souffrant d’une même pathologie que les siamoises de Yoff ?
Oui ! Il faut noter que quelques semaines auparavant, un cas similaire nous avait été signalé en Guinée et transféré en France où la séparation avait été réalisée. Mais, compte tenu du succès des siamoises de Yoff, deux autres cas siamois ont été reçus au service pédiatrie de l’hôpital Le Dantec : un en provenance de Saint- Louis qui présentait une forme thoracopage avec un cœur unique. Malheureusement, les bébés sont décédés deux jours plus tard. Le second cas de Ziguinchor est décédé pendant le bilan.
Professeur, on constate que les siamois sont souvent des enfants de sexe féminin, pourquoi ?
Oui, une bonne remarque ! Car les siamois de sexe féminin sont effectivement plus fréquents mais pas de façon très significative. Par contre, on n’a jamais noté de siamois de sexes différents c’est-à-dire garçon et fille. Mais ceci a une explication embryologique : ce sont en effet des grossesses mono ovulaires, mono amniotiques et mono chorioniques. Pour revenir à votre remarque, permettez-moi de rappeler que le sexe masculin est pourtant à l’origine de l’expression « Siamois ». Parce que les siamois les plus célèbres et plus connus au monde sont nés à Siam, une région de Thaïlande. Reliés entre eux, ils sont décédés aux États-Unis d’Amérique (Usa) à l’âge de 65 ans. Mieux, ils ont eu vingt-deux (22) enfants issus de leur mariage d’avec deux sœurs. Juste pour dire bien que les siamois de sexe féminin sont les plus fréquents, mais l’expression vient du sexe masculin à savoir les frères siamois originaires de Siam.
En dehors de la « siamoisité », il y a des maladies chroniques et autres malformations graves chez l’enfant. Dans certains cas, des parents cherchent désespérément à faire évacuer leur enfant du fait qu’en matière de chirurgie pédiatrique, le Sénégal souffre d’un plateau technique adéquat. Qu’est-ce qui nous manque comme matériels ou équipements de blocs opératoires ?
« Siamoisité » ? Merci de m’avoir filé cette nouvelle expression que l’on peut effectivement utiliser pour désigner des cas siamois. Evidemment, en dehors de la « Siamoisité », il y a des malformations graves qui sont rarement isolées. D’où la règle de rechercher d’autres malformations associées devant toute malformation détectée. Ces malformations nécessitent souvent un plateau technique assez élevé en particulier en anesthésie et en réanimation. Et ce plateau n’existe pas souvent dans notre pays, et, plus généralement, dans les pays d’Afrique subsaharienne.
Au Sénégal comme ailleurs dans le monde, il arrive de voir des enfants-siamois appelés à vivre soudés l’un à l’autre. En tant que chirurgien, comment vivez-vous un tel épouvantable phénomène dans l’impuissance de les séparer ?
En fait, ce qui est difficile à supporter pour nous médecins-chirurgiens c’est de se retrouver devant des cas dont la séparation est techniquement possible et que nous ne puissions rien faire. Mais il faut savoir il y a des cas dont la séparation est impossible, vraiment impossible quel que soit le plateau technique, au risque de perdre les deux enfants à la fois. Dans certains cas, l’un des enfants doit être sacrifié pour permettre à l’autre de survivre.
La pédiatrie est une spécialité médicale qui se consacre à l’enfant. N’est-elle pas la spécialité la plus difficile et la plus compliquée dès lors qu’un bébé malade ne peut évidemment pas dire de quoi il souffre ?
Prendre en charge des enfants est certes difficile, mais l’expertise et l’expérience permettent de s’en sortir comme chez les adultes. Et parfois avec l’assistance des parents qui peuvent parler à la place du bébé ou du nourrisson n’ayant pas l’âge de s’exprimer. Même sans l’interprétation des parents, il y a des signes référentiels qui permettent aux médecins ou médecins-pédiatres de connaitre ou de localiser le mal dont souffre l’enfant. Aujourd’hui, en pédiatrie, le diagnostic est beaucoup plus facile avec les nouvelles technologies telles que le scanner et les imageries par résonance magnétique (Irm) pour en assurer une bonne prise en charge.
Vous êtes le premier médecin militaire à avoir réussi au concours d’internat des hôpitaux de Dakar en compagnie du médecin-colonel Pr El Hadj Malick Diop en 1974. Quelle était la particularité de ce concours à l’époque ?
La seule particularité, c’était la réussite pour la première fois dans ce concours d’étudiants militaires. Il y a de quoi s’en glorifier, histoire de rappeler que l’Ecole militaire de santé a été toujours un creuset d’excellence. Et parmi les lauréats de l’époque, il y avait une certaine….Eva Marie Coll Seck!
Peut-on connaitre en chiffres le nombre d’interventions chirurgicales et de consultations du Pr Ndoye comme le font les pilotes avec leurs heures de vol ?
Difficile à répertorier, disons trois (03) à quatre (04) interventions programmées par semaine et quarante (40) voire cinquante (50) consultations par semaine. Difficile de s’y aventurer ! Seulement si on retient ces nombres par an, faites le calcul !
Colonel Ndoye ou Professeur Ndoye, quel titre préféreriez-vous qu’on vous donne ?
(Rires) Colonel ou Professeur ? Disons les deux à la fois car je suis fier de ces deux appellations. En tout état de cause, « Professeur» passe mieux en milieu universitaire et « Médecin-colonel » semble être plus approprié dans les casernes.
Après 14 ans au grade de colonel, certains observateurs estiment que Mamadou Ndoye et d’autres médecins-officiers de sa génération méritaient d’être élevés aux fonctions de général, n’êtes-vous pas déçu de n’avoir pas arboré les étoiles ?
Vous savez, le problème des étoiles n’a jamais été un débat dans les rangs bien que tout le monde rêve d’être un jour élevé au rang de général. Même le soldat ou le militaire du rang a son bâton de maréchal dans sa giberne. Il est bien vrai que beaucoup de médecins colonels de ma génération méritaient de porter les galons de général du fait de leur ancienneté et de l’excellence de leur parcours. Certes, j’ai passé 14 ans au grade de médecin-colonel, mais tout le monde ne peut pas être général ! Car, le mérite et le parcours d’un brillant officier se limitent au grade de colonel. Le reste, à savoir la nomination d’officiers-généraux, relève du pouvoir discrétionnaire du Président de la République, Chef suprême des Armées. Et je remercie le Bon DIEU de m’avoir donné encore vie et santé jusqu’à atteindre certains niveaux. Surtout si je me souviens de certains de nos camarades d’armes, jeunes officiers n’ayant jamais atteint la haute hiérarchie du fait qu’ils sont tombés très tôt au champ d’honneur.
Pouvez-vous nous dire quel est le commandement ou la garnison qui a vous le plus marqué ?
Je n’ai jamais servi en garnison, mais mon séjour à l’hôpital régional de Ziguinchor comme interne m’a beaucoup marqué. C’était mon premier séjour en dehors du Centre hospitalier universitaire (Chu). Donc j’étais autonome, loin de la hiérarchie médico-universitaire, à savoir les professeurs, et du commandement de l’Armée. Dans cette très belle région de la Casamance, je prenais mes propres décisions et des initiatives personnelles. Car, il m’arrivait même de rencontrer dans les rues de Ziguinchor des enfants handicapés atteints de la poliomyélite ou victimes d’une malformation. Sur place, je cherchais à voir et à convaincre leurs parents pour qu’ils me les ramènent à l’hôpital. En effet, je prenais l’initiative de les opérer avec succès. Ensuite, je leur faisais bénéficier d’un appareillage avec lequel ils commençaient à marcher dans certains cas. Toute une histoire pour vous dire que la région de Ziguinchor a beaucoup marqué ma carrière.
Justement qui de l’Armée ou la Nation est plus reconnaissante envers Mamadou Ndoye en matière de décorations et distinctions ?
Je pense que j’ai été distingué et décoré aussi bien par la Nation que par l’Armée. Des décorations et des distinctions qui ont bien jalonné ma carrière…
Si c’était à refaire, alliez-vous enrôler dans l’Armée ?
Ah, oui ! Je ne regrette pas d’avoir fait l’Armée car elle m’a permis de devenir l’Homme que je suis. Elle m’a appris la confiance en moi, la modestie, l’humilité, l’esprit de sacrifices, la discipline qui est « la force principale des Armées » et tant d’autres qualités…
En plus d’être un illustre chirurgien, un brillant universitaire, un scientifique reconnu, un officier émérite, vous êtes également un grand sportif et président de la Fédération sénégalaise de volleyball. N’est-ce pas ?
En toute modestie, j’ai été effectivement un athlète, puis un footballeur, basketteur et volleyeur au lycée et à la Fac. Certainement, « Le Témoin » dira que Mamadou Ndoye était un vrai touche-à-tout du sport (Rires). Je suis aussi un médecin du Sport qui a eu à couvrir de très nombreuses manifestations sportives : championnats d’Afrique, Jeux africains, Jeux olympiques etc. J’étais président de l’Association sénégalaise de Médecine du Sport pendant six ans, puis président de la Fédération sénégalaise de Volleyball etc. Je suis membre de grandes instances sportives nationales et internationales comme le Comité national olympique et sportif, la Zone 2, la Confédération africaine de Volleyball (Cavb), la Fédération Internationale de Volleyball (Fibv) et autres.