MAMADOU SEYE, L’OISEAU RARE S’EST VOLATILISÉ
L'ancien commandant de bord de l’hélicoptère présidentiel sous Abdoulaye Wade, puis de son successeur Macky Sall, est décédé à l’âge de 65 ans

Le capitaine Mamadou Sèye, ancien commandant de bord de l’hélicoptère présidentiel sous Me Abdoulaye Wade, puis de son successeur Macky Sall, est décédé à l’âge de 65 ans. Le décès est survenu le jeudi 15 octobre 2020 où il a été foudroyé en « plein vol » par une courte et méchante maladie. Seuls parents et anciens camarades d’armes ont été durement secoués et traumatisés par la disparition de « Seya » comme on l’appelait. Car, la terrible nouvelle est passée inaperçue au sein de la Nation. Pourtant au-delà de l’Armée, l’officier Mamadou Sèye a rendu, des années durant, de bons et loyaux services à la Nation pour avoir été le pilote attitré, réputé et confirmé de l’hélicoptère de commandement du président de la République. L’illustre disparu était un fidèle lecteur du « Témoin ». Mieux, c’était un ami personnel doublé d’un « grand-frère » pour votre serviteur. A chaque fois que nous sollicitions son expertise sur des questions aéronautiques ou des témoignages relatifs à des portraits d’officiers de l’air, il était toujours accessible et très disponible.
Ce jour-là, à bord de son hélico !
Cette véritable légende des airs et de l’espace qu’était capitaine Mamadou Sèye, nous l’avons connue lors d’un voyage de presse en août 1997. Ce jour-là, l’ex-Cemga Mamadou Seck « Faidherbe » avait voulu rendre visibles les travaux du génie militaire en réhabilitant le pont de Cas-Cas (Ile à Morphil/Fouta). Au retour, nous avons fait le voyage à bord d’un hélicoptère militaire « Alouette III ». À mes côtés, feu Amadou Mbaye Loum, reporter chevronné et vétéran de la télévision nationale. Notre pilote, c’était le sergent Mamadou Sèye. « Un sous-officier pilote ? » me suis-je interrogé persuadé que le métier de pilote était jusque-là réservé uniquement aux officiers. Du regard, Mbaye Loum me coupe pour me souffler quelques confidences. « Un jour, le Cemga m’a dit que l’Armée a un sous-officier devenu le meilleur pilote d’hélicoptère. Donc ça ne doit être que lui ! Tu as vu son grade, il est sergent…» indique-t-il. Bien calé dans son cockpit, notre pilote que nous ne quittions pas des yeux manie le manche à balai cyclique de l’appareil pour nous placer sur l’axe Saint-Louis-Dakar. Il est 17 heures passées, nous survolons les cotes maritimes vers Lompoul et Mboro qui nous offrent une vue aérienne imprenable sur une variété de paysages magnifiques arrosés par une fine pluie. Soudain, notre pilote, le sergent Sèye, se tourne vers nous : « Finalement, nous ne pouvons plus rentrer sur Dakar. On va faire demi-tour pour aller passer la nuit à Saint-Louis. « Dakar-Infos » (la météo aéronautique, Ndlr) m’a conseillé de ne pas venir sur Dakar où il y a une très forte pluie » se désole-t-il. Puis, il manœuvre de sorte à incliner son hélicoptère au-dessus de l’océan pour faire demi-tour. « Passer la nuit à SaintLouis ? » se désole votre serviteur qui devait prendre l’avion dans la nuit à destination d’un pays européen. « Mon cher Pape, ce n’est pas à bord de mon hélicoptère que tu seras à Dakar aujourd’hui. C’est regrettable pour tout le monde mais c’est comme ça. Annuler un vol ou faire demi-tour pour un atterrissage d’urgence fait partie des normes de sécurité les plus élémentaires, on ne badine pas avec ! Vous voyez, même le colonel Alain Preira m’a conseillé de faire demi-tour.
A bord de son Fokker en provenance de Ziguinchor, le colonel a entendu mes conversations avec la tour de contrôle de Dakar-Yoff pour s’inviter dans le réseau » explique notre pilote, sergent Mamadou Sèye, pour nous obliger à nous rendre à l’évidence. Notre retour « avorté » sur Dakar de ce jour-là donne une large idée de l’intransigeance du sergent Mamadou Sèye en matière de sécurité et de sûreté aéronautique. Plus de quinze (15) ans après, Mamadou Sèye, notre sergent-pilote qui forçait admiration et respect, avait gravi les échelons et était devenu capitaine : « Il était le meilleur de notre génération en hélicoptères légers et lourds » s’enflammait un de ses camarades d’école en service à l’époque à la défunte compagnie Air Sénégal International. Ce n’était donc pas le fruit du hasard si le capitaine Sèye est devenu le pilote attitré de l’hélicoptère de commandement « Ecureuil » de l’ancien président de la République, Me Abdoulaye Wade, puis son successeur Macky Sall. Justement, à propos de l’ancien président, le capitaine Sèye, à chaque fois qu’il nous rendait visite, ne cessait de nous parler de la générosité de l’homme Abdoulaye Wade qui l’avait beaucoup aidé et assisté durant sa brillante carrière « Me Wade « dou niit » de par sa générosité et son humanisme. Lors de nos différents déplacements à l’intérieur du pays ainsi que des vols de reconnaissance sur le futur aéroport de Diass, il me questionnait sur les conditions de ma vie sociale qu’il comptait améliorer. Bref, Me Wade voulait que je ne manque de rien ! » nous confiait le capitaine (er) Mamadou Seye. D’ailleurs, un jour, nous a-t-il raconté, le président Wade lui a posé une question du genre : « Mon capitaine, y-a-il une mesure exceptionnelle dans l’Armée pour que je vous nomme officier-supérieur c’est-à-dire commandant ou lieutenant-colonel ? » Autant dire que le président Wade appréciait beaucoup son pilote de confiance. C’est avec un sourire gêné que le capitaine Sèye avait accueilli cette généreuse proposition qu’il avait déclinée poliment l’offre en bon soldat digne et orgueilleux. « Président, il y a des étapes académiques à passer obligatoirement pour avoir l’aptitude d’accéder à ces grades. Inchallah, je compte faire le concours du « Dagos » si les années qui me restent sous les drapeaux me le permettent » avait-il souligné au président Wade.
Le dernier des Mohicans de l’air…
Sorti de l’Ecole nationale des sous-officiers d’active (Ensoa), en 1976, le sergent Mamadou Sèye était l’un des rares sous-officiers de sa promotion à être de formation scientifique, donc susceptible d’intégrer l’Armée de l’air. « Mieux, il était discipliné, méthodique, discret et trop intelligent » se souvient un colonel de l’air qui l’avait eu sous son commandement. Suite à une sélection très pointue, le sergent Sèye intègre le Centre d’instruction professionnelle et de recyclage aéronautique « Cipra » en France. En 1984, il est admis à l’Ecole de formation initiale au personnel navigant de Clermont-Ferrand (Efipn), toujours en France. Puis, il a rejoint l’une des meilleures écoles du monde en matière de pilotage d’hélicoptère qu’est le Centre d’instruction des équipages d’hélicoptère (Cieh) en France. C’était en 1985. Ensuite, l’ancien commandant de l’hélicoptère présidentiel a fréquenté les grandes écoles de l’avion telles que Toulouse, Chambéry etc. pour se doter de la qualification et du professionnalisme requis pour voler à bord de n’importe quel type d’hélicoptère. Après plus de 40 ans de vols, le défunt capitaine Mamadou Sèye était une fierté de l’Armée sénégalaise. Chef d’escadron d’hélicoptères, il était à la fois formateur, instructeur et moniteur remarqué et remarquable.
D’ailleurs, il serait même une sorte de dernier des Mohicans de l’air car la plupart des pilotes et mécaniciens de sa génération ont eu à déserter l’Armée pour rejoindre les rangs d’autres compagnies aériennes privées. Un désintéressement qui montre à quel point que le capitaine Sèye était animé d’un patriotisme sans faille. En lui, l’Armée et la Nation viennent de perdre un digne fils du pays, un grand commis de l’Etat au parcours professionnel sans faute, aux qualités humaines multidimensionnelles. Comme le disait Antoine de Saint-Exupéry : « Un pilote ne meurt jamais, il s’envole juste et ne revient pas ! » Une citation qui s’applique à « Seya » qui ne mourra jamais puisqu’il est plus jamais dans nos cœurs et nos esprits. Décrit comme un père de famille exemplaire qui, sa vie durant, a fait beaucoup de sacrifices pour l’éducation et la réussite de ses enfants, Mamadou Sèye l’oiseau rare de la République s’est finalement volatilisé ! Et nous sommes persuadés qu’il va rejoindre les Nids du Paradis et ses doux feuillages. « Le Témoin » profite de cette triste occasion pour présenter ses condoléances à la famille éplorée et aux anciens camarades d’armes du bon capitaine Mamadou Sèye.