L’EQUATION DE LA MOBILISATION DES RESSOURCES FINANCIERES POUR LA TRANSITION ENERGETIQUE DU CONTINENT
Le nouveau rapport du GIEC (Groupe d’Experts environnementaux sur l’Evolution du Climat), synthèse de 14 000 articles scientifiques qui vient de sortir, sonne comme une alerte sérieuse sur la situation du climat dans le monde

Le nouveau rapport du GIEC (Groupe d’Experts environnementaux sur l’Evolution du Climat), synthèse de 14 000 articles scientifiques qui vient de sortir, sonne comme une alerte sérieuse sur la situation du climat dans le monde, et une nouvelle contrainte pour le développement économique de l’Afrique.
Ses conclusions sont alarmantes et l’on peut les résumer comme suit. Pendant les trois derniers millénaires, le niveau des mers n’a jamais augmenté aussi rapidement que depuis l’année 1900. Dans les scénarios d’augmentation des émissions de CO2, les puits de carbone océaniques et terrestres seront moins efficaces pour ralentir l’émission de CO2 dans l’atmosphère ; Limiter le réchauffement mondial à +15*C ne sera plus possible sans une baisse immédiate et à large échelle des émissions de gaz à effets de serre ; 100 % du réchauffement climatique est dû aux activités humaines. Cette situation concerne, bien entendu, la planète entière.
Par conséquent, l’Afrique, bien que participant très peu à ces dégradations sus-évoquées, en subit de plein fouet les effets dévastateurs. Les effets environnementaux et humains sont perceptibles dans le monde, sous forme de hausse des températures maximales et minimales avec un impact sur la santé humaine, d’augmentation du niveau de la mer, de fortes pluies et d’inondations, de perte de la biodiversité et de terres arables etc. Au Sénégal, le changement climatique est une réalité que vivent les populations, en particulier dans les zones côtières. A Bargny, l’océan gagne chaque année près de deux mètres sur les terres du fait du changement climatique, ce qui rend les populations très réceptives sur la question. On peut donc dire avec amertume que l’Afrique est le dindon de cette grande farce, alors que l’on serine dans toutes les instances consacrées au développement que son « tour » serait arrivé après l’Asie pour son émergence et son développement économique et social. Il est utile de rappeler que l’Afrique représente aujourd’hui près de 17 % de la population mondiale, et que les projections de l’ONU portent cette part à 40 % à l’horizon 2100 (soit autant que la Chine et l’Inde actuelles réunies). Pour faire face à ce boom démographique, l’industrialisation devient une impérieuse nécessité pour répondre aux besoins d’emplois essentiels, de santé, d’éducation, d’alimentation en eau et de logement des populations.
Pour cela, le facteur « énergie » est fondamental pour la transformation de nos matières premières en vue d’une valeur ajoutée accrue, Comme le disait si justement Cheikh Anta DIOP « Au commencement est l’énergie, tout le reste en découle ». Ce pour dire que la condition expresse du développement industriel est la disposition d’une énergie en quantité suffisante. L’Afrique recèle selon le Pharaon du Savoir de ressources énergétiques diverses, abondantes et non polluantes de la diversité (contrairement au charbon, au pétrole et à l’énergie atomique). Il s’agit de l’énergie solaire, l’énergie éolienne, l’énergie thermique des mers, l’énergie marémotrice, l’énergie géothermique qu’il appelle la « houille rouge ».
Autant de ressources énergétiques qui donnent à notre continent les possibilités d’une parfaite suffisance en énergie propre. Dans son livre « Les fondements économiques et culturels d’un État fédéral d’Afrique noire », Cheikh Anta Diop proposait un modèle de développement économique continental avec deux avantages comparatifs extraordinaires conférant au continent une vraie vocation industrielle. Il s’agit de la quantité et de la diversité de ses matières premières, et de ses multiples sources d’énergie. C’est le lieu de rendre hommage à ce visionnaire à la réflexion féconde dont on aura certainement mésestimé la pensée économique tant son travail sur l’Egypte ancienne, prouvant l’antériorité des civilisations nègres, a complètement occulté le modèle économique fédéral qu’il conçut pour le continent africain, basé sur l’industrialisation. Aujourd’hui, il est établi que l’Afrique est dotée de près de 40 % des ressources solaires du monde. Ce rappel est important dans un contexte où la question des sources d’énergie et leur rapport au climat est devenue un enjeu planétaire. Le contexte du dérèglement climatique imputé aux émissions de CO2 et les questions environnementales en général viennent changer la donne du développement en ce qu’ils prescrivent l’abandon progressif des énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz), au profit d’énergies plus propres. Quelle injustice, si l’on sait que les 50 % des pays les plus pauvres de la planète sont ceux qui émettent le moins de carbone (Afrique subsaharienne et Asie du Sud), contrairement aux « 1 % » constitué par les pays les plus riches qui mettent en péril le climat et l’environnement !
Les trois pays les plus pollueurs au dioxyde de carbone sont les trois pays les plus industrialisés au monde : la Chine avec 30 % des émissions, les États-Unis 15 % et l’Inde 7 %. L’Union européenne émet globalement 10 % avec à sa tête l’Allemagne du fait de la prédominance de centrales à charbon dans ce pays. L’Afrique contribue donc très peu aux émissions mondiales de gaz à effets de serre. Les experts affirment aussi que, même avec une très forte croissance de son économie et donc de sa demande énergétique, le poids du continent dans les émissions mondiales de CO₂ liées à l’énergie resterait encore mineur d’ici 2040/2050, période prévue pour l’atteinte universelle de la neutralité carbone.
L’Afrique doublement condamnée
En conséquence, l’Afrique, très en retard sur la promotion des énergies renouvelables, voit, de ce fait, sa programmation du développement industriel contrecarrée. Ainsi, près de 60 ans après les indépendances, voilà que la problématique du remplacement des énergies fossiles polluantes par des énergies renouvelables propres est au cœur des nouvelles stratégies de préservation de l’environnement en Occident (GIEC), et que celle de l’absolue nécessité de disposer d’une énergie propre en quantité suffisante est imposée à l’Afrique, sans pour autant que des compensations financières ne soient concrètement envisagées.
A l’échelle du monde, les solutions transitoires envisagées ont été déclinées dans l’Accord de Paris de 2015. Cet accord a pour objectif de limiter la montée des températures de la planète à deux degrés Celsius par rapport aux niveaux antérieurs à la révolution industrielle. Sa particularité est d’être non-contraignant, chaque pays élaborant ses propres mesures pour neutralité carbone (émission= absorption) et son propre chronogramme d’ici 2050/2060. Aux USA, le président américain s’est engagé à ramener à zéro les niveaux de pollution dans le secteur énergétique américain d’ici 2035, et à faire en sorte que l’économie américaine atteigne une neutralité carbone d’ici 2050. La Chine s’engage sur la neutralité carbone en 2060. L’Allemagne s’engage à mettre fin à l’utilisation du charbon comme combustible d’ici 2038. La France, dont l’essentiel du parc de production d’électricité est constitué de centrales nucléaires, est relativement moins concernée dans la prise d’engagements. Le Sénégal a fermé la centrale électrique de Sendou de 125 MW alimentée au charbon et gère présentement un mix énergétique combinant fioul, solaire et « gaz » dans un futur proche.
Dans cette perspective, la première centrale solaire de notre pays a commencé à fonctionner en 2017, et plus de 200 MW de capacités solaires supplémentaires ont été mises en ligne depuis. La centrale éolienne de Taïba Ndiaye (158 MW) a été mise en service en février 2020, faisant suite aux centrales solaires de Senergy I (30 MW), Senergy II (20 MW) et à la centrale solaire Ten Merina de 30 (MW). Le plus dur reste cependant à faire en matière de mix énergétique, sachant que le Sénégal est tributaire de l’énergie fossile à hauteur de 88 voire 90 % de sa production d’électricité. En définitive, en 2050/2060, le monde va passer à une autre forme d’économie utilisatrice d’autres formes d’énergies que l’Afrique n’est pas en mesure de mobiliser. Les contraintes pour l’Afrique tout entière se rapportent donc à la mobilisation des ressources de financement pour la transition énergétique.
La mobilisation de la finance internationale prévue dans l’Accord de Paris de 2015 n’est pas encore effective. Il faudrait donc que les pays africains se préparent collectivement à faire face à cette nouvelle configuration énergétique qui va mettre au rebut les énergies fossiles jusque-là considérées comme sources de richesse et de progrès économique et social. Pour ce qui concerne le Sénégal, il conviendrait à notre sens d’ériger le secteur de l’énergie comme un secteur « surprioritaire », auquel une partie non négligeable des revenus futurs de l’exploitation pétrolière et gazière en 2023 serait affectée pour servir de levier pour la réalisation des investissements en énergies renouvelables.