ON S’ETONNE QUE JAMAIS UN DEUIL NATIONAL N’AIT ÉTÉ DÉCRÉTÉ
Très meurtri par la situation, Assane Dioma Ndiaye, patron de la Ligue Sénégalaise des droits de l’homme (Lsdh) exhorte Macky Sall et son gouvernement à ouvrir une enquête pour élucider le drame et situer les responsabilités

Le fléau de l’émigration clandestine qui est à l’origine de plusieurs morts découle de la faillite de l’état. C’est la conviction de Me Assane Dioma ndiaye.
Très meurtri par la situation, le patron de la Ligue Sénégalaise des droits de l’homme (Lsdh) exhorte Macky Sall et son gouvernement à ouvrir une enquête pour élucider le drame et situer les responsabilités.
L’As : Comment analysez-vous le drame de l’émigration clandestine qui a provoqué la mort de beaucoup de jeunes sénégalais ?
Me Assane Dioma Ndiaye : Il faut se départir des rationalités en disant que l’Europe n’est plus l’eldorado. Avec ces jeunes qui prennent la mer, nous sommes devant des personnes déshumanisées. Lorsque l’être ne se sent plus humain, on ne peut plus attendre de lui une démarche rationnelle. C’est le travail qui libère l’homme. L’oisiveté peut pousser à des actes désespérés. Et aujourd’hui, c’est ce désespoir qui est à l’origine de tout ce qui se passe. Donc, le problème n’est pas d’essayer de sensibiliser les jeunes, mais plutôt de trouver une vraie solution à la racine du mal. Il faut que la solution soit une solution de fond. Et la vocation d’un gouvernement, c’est d’assurer le bien-être et la sécurité de ses citoyens, y compris le droit à la vie. Manifestement, l’Etat a failli. Il faut reconnaître cette faillite et essayer de galvaniser ou de régénérer le génie créateur du peuple sénégalais afin de secréter des solutions salvatrices. Il faut faire renaître l’espoir et l’espérance. De cette manière, les jeunes sauront qu’en restant au Sénégal, il est possible de s’éclore, de se développer et de s’humaniser. Et si cet espoir existe, il va de soi que le phénomène va se désagréger.
Donc, selon vous, le désespoir peut pousser à certaines extrémités
Si le citoyen se lève le matin et fait les mêmes choses jusqu’au soir, c’est-à-dire rien, nous sommes dans ce que Marcus Garvey appelait «l’homme unidimensionnel». Et cela est la pire des prisons. La mort devient une liberté et la vie une prison. Malheureusement aujourd’hui, ces jeunes préfèrent cette mort qui les libère à cette vie qui devient insoutenable à leurs yeux. Car au regard de la société, ils sont des êtres nuisibles pour ne pas dire des parasites. Ce qui est beaucoup plus regrettable, c’est cette sorte de vulnérabilité, de fatalité et cette banalisation de la vie humaine acceptée par tous. Chaque fois qu’on assiste à des morts par centaines, ce n’est plus une question privée, une question de familles, mais c’est une question nationale. C’est pourquoi on s’étonne que jamais un deuil national n’ait été décrété. Et on s’étonne aussi, par rapport à la collision entre le navire de l’armée et la pirogue transportant ces centaines de personnes, que le gouvernement du Sénégal n’ait jamais ouvert une enquête judiciaire. Chaque fois qu’il y a un drame de ce genre, l’Etat doit faire en sorte que la Nation soit concernée. Et cette Nation ne peut être concernée que si l’Etat prend les choses en main. Ce qui semble ne pas être le cas ici. On nous dit qu’on ne peut parler que des corps retrouvés alors qu’unanimement, tout le monde est d’accord qu’un drame humain s’est produit. Il est dommage que ce soit les victimes qui s’organisent pour amener l’Etat à éclaircir cette question.
Cette tragédie rappelle le triste souvenir du naufrage du bateau «Le Joola».ne serait-il pas judicieux que les responsabilités soient situées ?
Il faut que l’Etat du Sénégal comprenne que ce qui s’est passé dans l’affaire du bateau «Le Joola» ne se passera plus. Il ne suffit plus qu’un dossier soit classé pour qu’on n’y revienne plus. Aujourd’hui, du fait de la collectivisation de l’action publique, les victimes ont les moyens de déclencher l’action publique. Rien n’est encore trop tard parce qu’on a les moyens d’ouvrir une enquête et de la confier à un juge d’instruction. Que les responsables de la Marine nationale, les témoins qui sont toujours là et les familles des victimes soient tous entendus. Il ne peut y avoir d’impunité dans cette triste affaire. L’ouverture d’une enquête ne veut pas forcément dire culpabilité. Mais dans une société démocratique, il y a des actions sténotypées qui doivent être de mise dans des situations déterminées. Nous sommes en train de travailler avec les victimes et des informations seront données de façon publique.