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15 septembre 2025
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L'ÉCRIVAIN CRÉE SON PUBLIC, PAS L'INVERSE

Face aux critiques sur l'usage du wolof, Boubacar Boris Diop assume ses choix. Il dénonce les "élites décérébrées" qui considèrent les langues africaines comme inaptes à l'expression littéraire et revendique le droit d'écrire d'abord pour son peuple

Amadou Kebe  |   Publication 14/09/2025

Lauréat en 2022 du Prix international de littérature Neustadt, Boubacar Boris Diop explore depuis des décennies les liens entre mémoire, responsabilité et liberté. Auteur, entre autres, de « Murambi », le livre des ossements, écrit en français, et de « Malaanum Lëndëm », écrit en wolof, il a fait de la langue un terrain d’engagement, un espace de résistance culturelle et politique. Dans cet entretien, il revient sur son parcours, sa vision de la littérature et le rôle de l’écrivain africain face aux défis du monde actuel.

La littérature est-elle pour vous un espace de combat, de réparation ou de consolation ?

Le chemin qui conduit à l’écriture est presque toujours le même : on s’immerge dans des univers littéraires pour combler un déficit de socialisation et, à un moment donné, l’envie d’imiter les auteurs qu’on a lus devient irrésistible. Je crois bien qu’au départ, le désir de se raconter à soi-même des histoires est plus fort que celui de les partager avec les autres.

En fait, nous ne savons, dans un premier temps, presque rien de ce supposé destinataire du texte : son visage reste indistinct et ne se dévoile à nous qu’au fil des récits. C’est d’ailleurs pour cela qu’on entend souvent dire qu’une carrière d’écrivain se décide à partir du deuxième roman, quand le lecteur est plus visible, quand ses attentes sont connues et que l’on écrit plus ou moins consciemment sous sa dictée.

Après cette première légitimation, l’auteur commence à être perçu comme un leader d’opinion, on sollicite son avis sur les questions sociales et politiques, et ce positionnement au coup par coup en vient parfois à modifier son champ mental et peut même influencer son approche esthétique. C’est par ce biais que l’écriture charrie progressivement une ambition de réforme de la société dans laquelle on évolue. Certains appellent cela de l’engagement, mais le mot importe peu. Ce qui est clair, c’est que ce processus est beaucoup moins maîtrisé et conscient qu’on se l’imagine en général.

Écrire sur les génocides, les drames et les silences de l’histoire… n’est-ce pas pour vous une manière de faire œuvre de justice ?

Je fais partie des héritiers d’auteurs comme Sembène Ousmane, Ayi Kwei Armah, Ngũgĩ wa Thiong’o et Aimé Césaire, qui ont toujours considéré la littérature comme une chose sérieuse, comme une « arme miraculeuse » dans la lutte pour renverser le cours de notre destinée collective.

J’ai pourtant l’impression qu’au fil des décennies – je veux dire sous la plume de notre génération – la « tragédie africaine » est devenue un simple cliché littéraire inapte à rendre compte d’une réalité historique de plus en plus complexe. Le recours par l’écrivain à une langue étrangère aggrave encore plus le risque de ne gratter que la surface du réel.

La chose la plus importante que j’ai apprise de l’expérience rwandaise, c’est qu’il faut explorer chaque événement politique majeur en Afrique – guerre civile ou génocide – dans sa singularité. Chacun d’eux exige une investigation minutieuse, un travail fondé sur la seule véracité des faits présents et passés.

Bien sûr, le romancier doit savoir se rappeler à temps qu’il n’est ni journaliste ni historien, et ne pas se gêner pour rendre la réalité en quelque sorte plus réelle grâce à son imaginaire. Avant « Murambi, le livre des ossements », je n’écrivais peut-être pas avec la même intensité, précisément parce que mes récits ne reposaient pas sur cet indispensable socle de vérité historique.

En réalité, il se pourrait que le mal soit bien plus profond : du fait de notre faible force de pénétration médiatique sur la scène du monde – et aussi des choix de nos universitaires – le vécu concret des peuples africains est absent de nos livres. Des pays tels que le Liberia, la Sierra Leone, la Somalie, l’Érythrée ont été à feu et à sang à notre insu, pour ainsi dire.

Et interrogez à l’heure actuelle n’importe quel intellectuel africain, moi-même y compris, sur les affrontements particulièrement meurtriers en cours au Soudan, il n’aura probablement pas grand-chose à dire sur le sujet. Voilà pourquoi, lorsque nous, écrivains, mettons ces drames au centre de nos romans ou pièces de théâtre, ils deviennent une abstraction, une simple commodité narrative. Cela affaiblit nos œuvres, qui ont bien du mal à convaincre ou à émouvoir.

Ce qu’il y a eu de nouveau avec le génocide au Rwanda, c’est que notre groupe d’auteurs s’est rendu sur place, et pour moi, le fait d’avoir été au plus près des souffrances des victimes de Nyamata ou Gitarama a tout changé.

Dans ce cas, la littérature peut-elle prévenir le retour du pire ou peut-elle guérir un peuple ?

Il y a quelques années, cette question m’aurait sans doute intrigué ou même quelque peu amusé. Mais j’ai fini par comprendre que la littérature a un pouvoir unique : celui d’inscrire les drames dans la durée, de nourrir la conversation sur eux et parfois de contribuer, si peu que ce soit, à éviter leur répétition.

Il y a eu beaucoup d’horreurs en Afrique depuis les indépendances, et pourtant la seule catastrophe pour laquelle on parle sérieusement de « devoir de mémoire », c’est le Rwanda. Cette particularité est certes due aux atrocités commises par le Hutu Power et à son implacable logique d’extermination des Tutsis, mais il est certain que les œuvres d’art de Bruce Clarke et Kofi Setordji, les romans et témoignages de Dominique Celis, Yolande Mukagasana, Vénuste Kayimahe et Gaël Faye, ainsi que les livres issus de l’initiative « Rwanda : écrire par devoir de mémoire », ont également joué un rôle essentiel en ce sens.

Il s’agit en fait moins de ces productions culturelles elles-mêmes que des échanges sur le génocide qu’elles ont permis au cours des trente dernières années.

J’ai personnellement parlé à des milliers de personnes, surtout à des jeunes, à travers le monde, du génocide perpétré contre les Tutsis au Rwanda, et souvent en compagnie d’amis dramaturges, cinéastes, artistes-plasticiens et écrivains. Si le romancier peut se poser en redresseur de torts, c’est dans ce sens-là : à partir de son œuvre et non par son œuvre en tant que telle.

Qu’est-ce que cela change de penser et d’écrire en wolof, non pas pour « traduire » mais pour habiter le monde autrement ?

J’ai toujours pensé en wolof, même lorsque j’écrivais uniquement en français, et c’était bien cela le problème : ce conflit lancinant entre, d’un côté, les idées et les émotions et, de l’autre, les mots qui n’arrivaient pas à les faire résonner.

Après avoir osé ma petite révolution personnelle, j’ai regretté de n’avoir pas écrit en wolof dès le début de ma carrière. Il est vrai qu’il ne m’était pas facile, à un si jeune âge et après avoir subi une formation aussi sciemment déformante, de comprendre certains enjeux.

Le colonisateur nous a enfoncé sa langue dans le crâne et nous avons eu la naïveté de croire qu’elle était entièrement nôtre et même notre seule vraie langue. Comment avons-nous pu nous laisser imposer cette idée dont on mesure mieux l’infamie avec le recul ?

Cela dit, entendons-nous bien, mon regret n’est pas d’avoir écrit en français, mais de l’avoir fait en premier. Et de toute façon, je ne vais pas me justifier de m’être ressaisi à temps, c’est à ceux qui ont choisi de rester manchots d’expliquer leur choix à leurs compatriotes, qu’ils veulent, assez étrangement, tenir à l’écart de leurs livres.

En écrivant « Doomi Golo », je me rendais bien compte que mes sentiments les plus profonds ne pouvaient être traduits que par ma langue maternelle, alors qu’auparavant j’étais convaincu que seul le français avait cette capacité et une authentique dignité littéraire.

Et je dois dire ici que si j’ai tant d’admiration pour Cheik Aliou Ndao, c’est que lui n’a jamais douté un seul instant de la nécessité d’écrire en wolof. Il l’a fait au tout début de sa carrière, mais faute d’éditeur a dû garder dans ses tiroirs ou traduire en français certains de ses textes -« Buur Tilleen », par exemple – en attendant des temps plus favorables.

Moi, j’ai été longtemps tout à fait à l’aise avec ma propre aliénation avant de comprendre l’absurdité de ma position. J’imagine que c’est à cause de cet éveil tardif que je parle aujourd’hui de la question linguistique avec tant de passion, comme un illuminé. C’est peut-être aussi parce qu’une telle déchirure intérieure m’a permis de mieux mesurer l’immensité de la perte.

À chaque fois que vous publiez en wolof, on observe comme une nécessité de traduire l’ouvrage en français. Qu’est-ce qui explique ce phénomène ?

J’entends souvent cette critique, et pas seulement à propos de moi-même : on la formule contre tous ceux qui écrivent dans les langues africaines. Et ce sont, en général, des intellectuels africains qui racontent de telles inepties.

Ce que ces gens essaient de démontrer, c’est qu’il ne sert à rien d’écrire un roman en pulaar ou en wolof, puisqu’il n’aura d’existence véritable qu’à travers les langues européennes. L’argument, ramassé dans on ne sait quelle poubelle de l’histoire, est d’une affligeante pauvreté.

Tout le monde sait bien que, de nos jours, même pour un écrivain sans grande notoriété, la norme est une publication quasi simultanée dans plusieurs langues. Le tout dernier roman de Chimamanda, « Dream Count », paru début mars 2025, est déjà disponible en suédois, en français, en portugais et en allemand. Cela fait moins de quatre mois d’écart, alors qu’il s’est passé six ans entre « Doomi Golo » et « Les petits de la guenon », et sept ans entre « Bàmmeelu Kocc Barma » et « Un tombeau pour Kinne Gaajo ».

Je ne sais donc pas d’où vient l’idée curieuse que, dès la parution d’un de mes romans dans la langue de Kocc, je m’empresse de le traduire en français. En fait, cet écart de six et sept ans résulte d’une décision personnelle : dans les deux cas, j’ai délibérément laissé le texte vivre sa vie en wolof et échapper ainsi à ces remarques totalement dénuées de fondement.

Comment les expliquez-vous ?

En fait, elles ne viennent jamais des Européens : ils sont beaucoup trop prudents pour aller au clash sur un sujet aussi sensible. Comme je viens de le dire, ce sont des intellectuels africains qui s’y collent et, eux, sont habitués à faire feu de tout bois pour convaincre le monde que nos langues n’ont aucune aptitude à l’expression littéraire ou à l’abstraction scientifique.

Il y a quelque chose de fascinant dans le désespoir qui semble s’emparer de certains à la seule idée que nous pourrions, après tout, être des humains aussi normaux que tous les autres. À vrai dire, rien n’est plus bizarre que cette angoisse existentielle d’un genre bien particulier.

Ce sont les mêmes qui vous diront que le français est devenu une langue africaine ou que, voyons, il ne faut rien exagérer, le wolof ne voyage guère hors du Sénégal. Ce n’est pas tout à fait vrai mais, même si cela l’était, pourquoi dans l’Europe des 27 tout le monde n’écrit-il pas en anglais pour une meilleure circulation des œuvres ?

Les Albanais sont moins de trois millions, la Bulgarie a six millions d’habitants, et la Tchéquie et la Hongrie sont chacune moitié moins peuplées que le Sénégal, mais qui oserait leur demander de ne pas écrire dans leurs langues maternelles ?

Par ailleurs, qui parle italien hors d’Italie et grec hors de Grèce ? L’Amérique latine est un cas particulier de génocide culturel quasi « réussi ». Quant aux Asiatiques, n’en parlons même pas : ils ne négocient rien sur ce terrain-là. Eux, ils doivent se dire que certains de nos soi-disant penseurs n’ont pas les idées bien en place.

Les peuples du monde entier vont à la rencontre de leurs semblables à partir de ce qu’ils sont, et il en résulte un enrichissement universel. Comment cela pourrait-il être un problème ?

En vérité, certaines attitudes en disent long sur le manque de self-esteem de ces « élites décérébrées » dont se moque Césaire dans « Discours sur le colonialisme ».

Comment tout cela affecte-t-il la réception de vos livres en wolof ?

Dès la sortie de « Doomi Golo », j’ai été assailli de questions sur la version française par des personnes qui n’avaient même pas essayé de le lire. Ça voulait dire : « Bravo frère, tu as fait un geste politique très fort mais, désolé, il nous faut ce livre dans une langue digne de ce nom ». C’est d’ailleurs ce qui m’a ôté toute envie de le traduire immédiatement en français.

Cela n’a servi à rien puisqu’on continue à me servir la même observation sans se soucier des dates de publication de mes romans dans les deux langues. Il ne faut malgré tout jamais se lasser d’expliquer, puisque l’enjeu est extrêmement important.

Je dis par ailleurs depuis des années que c’est l’écrivain qui crée le public et non l’inverse. Pour moi, c’est simple : il n’existe dans le champ de l’activité littéraire rien qui ressemble à une étude de marché, et l’auteur qui se laisse aveugler par de telles préoccupations ne mérite aucun respect.

Un livre vit mieux avec un tout petit groupe, sans cesse renouvelé sur la longue durée littéraire, de très bons lecteurs capables de le faire circuler, qu’avec des dizaines de milliers d’acheteurs qui vont le parcourir en hâte et s’en débarrasser à la première occasion.

Le fait est que les nouvelles technologies ont modifié les critères de la réception littéraire en donnant plus d’importance à la dissémination du texte dans l’espace qu’à sa capacité à défier le temps.

Il n’y a, en effet, pas si longtemps que cela, la notion de postérité était centrale en littérature. Aujourd’hui, il faut surtout s’assurer de la visibilité de l’œuvre dans toutes les capitales du monde, via Internet et les chaînes de télé internationales.

Puis, comme je vous l’ai dit il y a un instant, les traducteurs entrent en jeu mais, dès que la ferveur médiatique retombe, la grande majorité de ces livres sont complètement oubliés.

Cela dit, ce point de vue ne doit pas être compris dans l’absolu : certains grands auteurs contemporains sont très populaires, mais ils sont si peu nombreux qu’on a envie de dire qu’ils sont les exceptions qui confirment l’analyse.

Vous dites souvent que les langues africaines ont été rendues muettes par la colonisation. Écrire en wolof, est-ce donc pour vous un acte de réparation ?

C’est même plus que cela. Les langues africaines ne sont pas seulement muettes, elles sont devenues pour nous une sorte de non-lieu, un gouffre sans fond. Quand je parle de réparation, j’entends surtout la nécessité de remettre ces langues au centre de la vie publique et de leur redonner une dignité.

Ce n’est pas seulement une question de littérature. La colonisation nous a imposé des langues étrangères comme instruments d’élévation sociale, de savoir et de pouvoir. Nos langues maternelles ont été reléguées à l’espace domestique, celui du rire, des émotions, mais jamais de la science ou de la pensée abstraite. Voilà ce qui est tragique.

Quand vous écrivez un roman en wolof, vous envoyez un signal : cette langue peut tout dire, y compris l’impensable, l’universel.

Est-ce un héritage direct de Cheikh Anta Diop, que vous citez souvent ?

Cheikh Anta a, en effet, mené le combat le plus décisif sur cette question. Il a montré qu’il n’y avait pas de savoir scientifique durable en dehors de la langue nationale. Cela paraît une évidence quand on le dit ainsi, mais, croyez-moi, pour le Sénégal des années 1960-1970, c’était une révolution intellectuelle.

Vous savez, il y a une confidence très révélatrice attribuée à Senghor. On raconte qu’il a dit un jour à l’un de ses proches conseillers : « Cheikh Anta ne sait même pas à quel point il a raison… ». Cela veut dire que Senghor, tout en défendant le français comme langue de culture, savait intérieurement que l’avenir appartenait à ceux qui choisiraient nos langues.

C’est cette tension que nous vivons encore aujourd’hui. Senghor a théorisé la francophonie comme ouverture au monde, mais en réalité, c’était aussi une fermeture à nous-mêmes.

Vous considérez donc que l’écrivain africain a une responsabilité politique dans ce domaine ?

Je dirais plutôt une responsabilité morale et historique. Nous sommes les héritiers d’un double legs : celui de l’Afrique colonisée et celui des générations qui ont résisté. Refuser d’écrire dans nos langues, c’est quelque part accepter de prolonger la domination coloniale sous une autre forme.

Cela ne veut pas dire qu’il faut mépriser les langues européennes. Elles font partie de notre histoire, elles sont désormais des langues africaines à leur manière, mais leur rôle doit être redéfini.

Il faut que nos langues maternelles reprennent la première place, qu’elles soient enseignées à l’école, utilisées dans l’administration, dans les sciences, dans la littérature. L’écrivain, par son geste créatif, peut montrer la voie.

Vous êtes reconnu comme disciple de Cheikh Anta Diop. Il est devenu une figure quasi mythique. Comment éviter la sacralisation pour mieux prolonger son combat ?

Je crois qu’il faut d’abord rappeler une chose : Cheikh Anta lui-même n’a jamais encouragé l’idolâtrie. Il demandait qu’on lise ses travaux de façon critique. C’était un savant, pas un prophète.

Son mérite est immense. Dès l’âge de trente ans, il publiait Nations nègres et culture, un livre qui a bouleversé notre rapport au monde et à l’histoire.

Ce qui m’impressionne chez lui, ce n’est pas seulement l’érudition, mais le courage de ses convictions. Imaginez : dans les années 1950, venu de son Baol natal, il se lève à la Sorbonne pour dire aux mandarins européens : « Mesdames et messieurs, vous êtes dans l’erreur, et je vais vous le prouver ».

Et il l’a fait, avec une rigueur implacable. Sa confrontation au Caire, organisée par l’Unesco en 1974 avec Théophile Obenga, a marqué un tournant. Le rapport officiel du colloque a confirmé la justesse de leurs thèses.

Mais au-delà de cette victoire académique, l’histoire continue, depuis, de donner raison à Diop : sur l’origine africaine de l’humanité, sur la place de l’Égypte antique, sur l’avenir énergétique du continent…

Alors oui, il est devenu une figure mythique, et il le mérite. Mais pour continuer son combat, il faut lire, critiquer, actualiser sa pensée, et surtout agir. La meilleure manière de l’honorer, c’est de poursuivre la lutte pour la souveraineté culturelle, scientifique et linguistique de l’Afrique.

Vous êtes aujourd’hui un écrivain reconnu bien au-delà du Sénégal. Comment concilier cette reconnaissance internationale avec votre volonté d’ancrage local ?

Je crois, comme Césaire, que la seule manière d’être universel, c’est de s’enraciner dans le particulier. Birago Diop utilisait la même image : « L’arbre ne s’élève vers le ciel qu’en plongeant ses racines dans la terre nourricière ».

L’universel, ce n’est pas la standardisation capitaliste, Coca-Cola et Nescafé dans chaque boutique de brousse. L’universel, c’est la rencontre des différences. En littérature, chaque peuple doit apporter les sonorités, les rythmes, les couleurs uniques de sa langue.

Cela ne veut pas dire qu’il faille se refermer sur soi. Le local et le global ne s’opposent pas, ils s’entrelacent. Plus on voyage loin, plus on se découvre soi-même.

Je me souviens : je n’ai jamais ressenti mon identité sénégalaise avec autant de force que pendant les six mois que j’ai passés en Corée du Nord.

L’expression « littérature africaine » vous met-elle mal à l’aise ? Peut-on réellement en parler, surtout quand elle est d’expression française ?

Oui, l’expression me gêne. On parle parfois de « littérature européenne », « asiatique » ou « latino-américaine », mais ce sont des catégories passagères, jamais écrasantes. Or, quand on dit « littérature africaine », on met dans un même sac des écrivains aux expériences, aux langues, aux sensibilités radicalement différentes. Le résultat est flasque, indistinct.

De plus, cette appellation laisse de côté deux dimensions majeures : d’une part, les littératures d’Afrique du Nord et celles de la « diaspora blanche » d’Afrique australe (Coetzee, Galgut, Lessing, Brink, Breytenbach), que l’Occident lit et commente comme des auteurs européens ; d’autre part, la création dans nos langues africaines, qui est totalement marginalisée.

Ngugi wa Thiong’o parlait avec mépris de « littérature afro-européenne ». Cheikh Anta Diop et David Diop la considéraient comme une étape transitoire vers une véritable littérature africaine écrite dans nos langues.

Pour ma part, je préfère parler d’africanité plurielle. Oui, j’ai des affinités avec un écrivain namibien ou malgache, mais chacun de nous déploie une sensibilité africaine singulière. C’est dans cet écart, dans cette diversité, que réside l’essentiel.

L’étiquette « littérature africaine », elle, gomme cette richesse.

Dans votre œuvre, l’oralité – la voix du griot, la parole vivante – occupe une place importante. Pourquoi ce choix ?

L’oralité est fondamentale. Sans elle, il est presque impossible de comprendre Kourouma ou Amos Tutuola, pour ne citer que ces deux-là.

Très tôt, j’ai compris que passer d’une langue à une autre, ce n’était pas seulement changer de mots, mais aussi de tonalité et de logique narrative. En wolof, par exemple, j’emploie volontiers des répétitions, ce qui serait considéré comme une faute de style en français.

Il fallait absolument éviter d’écrire un roman « français » avec des mots wolof. Dès que j’ai accepté cela, je me suis senti libre de restituer le feu d’une parole vivante, celle qui m’accompagne depuis l’enfance.

C’est ce que je répète aux jeunes qui veulent traduire vers le wolof : il faut d’abord s’imprégner du texte original, en capter toutes les nuances, puis l’oublier pour le recréer dans la langue de Kocc Barma.

Car chaque langue a ses propres sinuosités et elles sont en nous, qu’on le veuille ou non.

Vous êtes aussi passé d’écrivain à éditeur, avec Ejo et defuwaxu.com. Pourquoi ce choix ?

Ejo-Éditions est née d’un pari : donner toute leur place aux langues africaines. Nous avons publié « Murambi, le livre des ossements » en swahili et en ekegusii, et une version en kinyarwanda est en cours à Kigali, sous la houlette de mon ami Jean-Marie Kayishema.

Quant à defuwaxu.com, c’est un site d’information générale en wolof, gratuit, qui s’approche aujourd’hui de sa dixième année. Il est animé avec brio par Pape Ali Diallo et l’équipe de la section wolof de l’Université Gaston Berger.

Je participe aussi au collectif Fonk Sunuy Làmmiñ, présidé par Adramé Diakhaté, auteur du roman en wolof « Janeer ».

Toutes ces initiatives, au sein et en dehors d’Ejo, visent à renforcer l’environnement lettré de nos langues nationales.

C’est une démarche militante, la même qui avait poussé Pathé Diagne, Samba Dione et Sembène Ousmane à créer, dans les années 1970, le mythique journal Kàddu.a

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