SARKOZY, UNE DÉCADENCE FRANÇAISE
Pour la seconde fois en six mois, un ancien président a été condamné. Il est à craindre qu’une fois de plus l’on se désole du peu de conséquences dans le débat public français d’un tel jugement

«Des moyens énormes sont mis en œuvre, des foules entières sont mobilisées. Concentrée dans l’espace civique, la campagne électorale constitue une sorte de spectacle urbain […]. L’homme qui aspire au pouvoir utilise toutes ses ressources et celles de ses amis pour tenter, longtemps à l’avance, d’inscrire d’autres images dans la mémoire collective des futurs électeurs. »
Tirés des actes d’un colloque de 1985 sur les « lieux de la propagande et de la corruption électorale » à la fin de la République romaine, ces quelques mots de la professeure émérite Élizabeth Deniaux viennent nous rappeler combien l’affaire Bygmalion est, en vérité, une très vieille histoire.
Et l’on sait depuis la Rome antique combien les ingrédients d’une pareille affaire – débauche de moyens pour les meetings, dépassements vertigineux de frais de campagne, maquillages comptables, tromperie des autorités de contrôle – sont aussi de ceux qui, au-delà des faits et des personnes, représentent une menace pour la République elle-même. La mobilisation de moyens excessifs pour flatter les bas instincts d’un électeur plutôt que séduire sa raison constituait d’ailleurs, à Rome, un crime électoral d’une particulière gravité : l’ambitus.
Au début du XVIIe siècle, William Shakespeare donnera par la suite corps à cette idée avec sa tragédie Coriolan, du nom d’une figure légendaire de la République romaine aux prises avec l’élection et ses démons.
Bien des siècles plus tard, que nous disent l’affaire Bygmalion et la condamnation de l’ancien président Nicolas Sarkozy de la France de 2021 ? D’une part, l’on ne peut que constater qu’une institution et non des moindres dans une démocratie – la justice – a tenu sans trembler, en dépit des attaques et des outrances, en disant les responsabilités des uns et des autres face aux faits mis au jour. Mais, de l’autre, il est à craindre qu’une fois de plus l’on se désole du peu de conséquences dans le débat public qu’un tel jugement va avoir.
Car il faut bien prendre la mesure de ce qui, sous nos yeux, se passe. Nommer les choses impose de le dire sans barguigner : c’est historique. Six mois après une condamnation pour « corruption » et « trafic d’influence » à trois ans de prison, dont un ferme, dans l’affaire Bismuth – c’était déjà une première pour un ancien président de la République –, Nicolas Sarkozy a écopé, jeudi 30 septembre, d’une peine d’un an de prison ferme – le maximum prévu par la loi – pour « financement illégal de campagne électorale » en conséquence de son implication dans le scandale Bygmalion. Du jamais vu au carré.
Dans les deux dossiers, Nicolas Sarkozy a décidé de faire appel de sa condamnation.
Et il est un troisième dossier, l’affaire des financements libyens, dans lequel l’ex-chef de l’État est toujours quatre fois mis en examen, notamment pour « corruption » et « association de malfaiteurs », tout comme trois anciens de ses ministres, deux de l’intérieur (Claude Guéant et Brice Hortefeux) et un du budget et du travail (Éric Woerth).
Or, que s’est-il passé sitôt le jugement Bygmalion rendu public ? Des norias de soutiens au condamné Sarkozy ont fleuri sur les réseaux sociaux venant d’éminents représentants de la droite qui se dit républicaine. Le candidat à la présidentielle et patron des Hauts-de-France, Xavier Bertrand, a publiquement témoigné son « amitié » à l’ancien président, gageant que « la vérité se fasse en appel » – sous-entendu : les juges de première instance auraient donc menti…