Présidente de la Fédération sénégalaise de roller et skateboard, Awa Nar Fall est une icône de ces sports sur le plan sénégalais et africain. Elle se livre sur le parcours des athlètes de ces disciplines depuis l’implantation du club Maestro Roller et sur les objectifs de la Fédération.
Votre aventure avec le roller et le skateboard date de très longtemps. Qu’est-ce que cela vous fait d’être la seule femme sénégalaise présidente d’une fédération sportive ?
C’est un grand honneur pour moi d’accompagner ces jeunes. J’ai toujours été une personne sociale. C’est ce qui m’a conduit vers ce sport. Actuellement, en plus d’être la présidente de la Fédération sénégalaise de roller-skateboard, je suis à la tête de la Confédération de football skating et de handball roller, et la vice-présidente de la Confédération africaine de roller-skating. Pour la petite histoire, en 2002, je travaillais comme agent municipal à la Ville de Dakar, par ailleurs, je manageais deux groupes de danse devant participer à l’émission « Oscars des vacances » qui passait sur la chaîne 2Stv. Il s’agit de « Fardisse » et « Inconnus de Fass », qui avaient finalement gagné la compétition, cette année-là. De là, des jeunes qui pratiquaient le roller m’ont interpellée pour me proposer de devenir leur marraine. J’ai été émue par leur geste. À ce moment-là, il n’y avait qu’un seul club dénommé Accro Roller. Les frais d’inscription et de mensualité étaient exorbitants pour ces jeunes qui rêvaient de pratiquer le roller. On leur demandait de payer 100.000 FCfa pour adhérer et de redonner la moitié de cette somme, à chaque fin de mois. Alors, pour ne pas décevoir ces jeunes passionnés venus de Pikine, Grand Dakar, Fass…, j’ai décidé de créer le club Maestro Roller.
Au départ, nous étions six personnes à fonder ce club. De ce fait, j’ai commencé à les appuyer en achetant des matériels pour roller et faire du skate. Les jeunes ont commencé à s’entraîner à la piscine olympique, où je travaillais, à cette époque. Sur ce, une concurrence rude avec les hommes du milieu a commencé. J’ai été traitée de tous les noms par l’autre camp. On m’a traitée de folle. J’avais alors répliqué durant une émission à Canal Infos, pour prendre la défense des jeunes qui avaient le droit de faire un sport sans dépenser beaucoup d’argent. Le sport n’appartient pas seulement aux gosses de riches. C’est pour tout le monde. J’ai vraiment agi dans le but d’intégrer tout le monde dans le roller et le skateboard. Ces jeunes qui étaient sous-estimés sont devenus champions d’Afrique et du Monde, à l’image de Dame Fall. Dans ce sillage, le Comité national sénégalais de gestion provisoire de sport de glisse (Cnspg) a été créé en 2006. Le Cnspg a été présidé par Alexandre Alcantra, actuel directeur général de Kirène. À l’époque, j’occupais le poste de directrice technique nationale (Dtn). De coach, je suis passée à présidente de club jusqu’à devenir directeur technique nationale.
Depuis lors, qu’est-ce que cette génération a pu réaliser en termes de palmarès dans les deux disciplines ?
On peut dire que nous sommes présents partout au niveau national. En 2010, on a remporté la Coupe d’Afrique au Sénégal. En 2012 et 2015, l’équipe nationale a été encore championne d’Afrique. En 2016, nous sommes allés au Bénin où nous avions obtenu 33 médailles. Dans plusieurs disciplines, nous avons eu des champions. En 2017, nous avons fait notre première sortie à l’international en Chine. Ce qui a permis à Awa Baldé du club Accro Roller et à Dame Fall de Maestro Roller de gagner le championnat du monde en free jump. Avant leur sacre, Robert Diouf a été notre premier champion d’Afrique, un garçon très discipliné qui avait déjà ouvert la voie. Dernièrement, nous avons eu un autre champion du monde en la personne de Jean Pierre Ngor Sarr. Actuellement, nous avons été cinq fois champions du monde en battant des records. En 2017, lorsque le comité de gestion des sports de glisse a éclaté, nous avons créé la Fédération de roller-skateboard et j’ai été élue pour la première fois présidente. Cette année encore, je compte me représenter pour un cinquième mandat afin de continuer l’aventure.
Quelles sont les disciplines du roller et du skateboard, qui se développent le plus au Sénégal?
Le free jump est un peu plus développé au Sénégal. Même si le Sénégal est vice-champion de handball roller depuis l’année dernière, il y a encore des choses à améliorer. Faire du roll-ball, c’est comme faire du handball, mais la différence c’est qu’on le pratique en portant des patins. Dans la même veine, cela fait dix ans qu’on exerce le football skating qui, comme son nom l’indique, veut dire faire du football avec des patins. Pour notre première participation aux championnats du monde de Turquie organisés du 20 au 26 novembre 2024, nous avons pu nous hisser jusqu’en demi-finale. Pour le moment, il y a des disciplines nouvelles que nous ne pouvons pas encore intégrer dans nos programmes. Par exemple, nous ne pouvons pas pratiquer le hockey sur glace, parce qu’on ne possède pas une salle adéquate pour pouvoir le faire. Nous tendons la main aux autorités pour qu’elles nous appuient davantage.
Comment préparez-vous les Jeux olympiques de la jeunesse « Dakar 2026 » ?
Nous sommes en phase de préparation avec les juniors qui doivent participer. C’est notre pays qui organise. C’est l’Afrique qui organise, nous allons nous donner à fond. Les skateurs se préparent intensément. Nous voulons remporter beaucoup de médailles durant ces Jeux olympiques en catégorie juniors.
LA CAF DEBOUTE ENCORE LA GUINEE, LA FEGUIFOOT SAISIRA LE TAS
La Fédération Guinéenne de Football a pris acte de la décision rendue ce jour par le Jury d’Appel de la Confédération Africaine de Football, rejetant le recours formé contre la décision du Jury Disciplinaire dans le cadre du litige l’opposant à la Tanzani
La Fédération Guinéenne de Football (FEGUIFOOT) a pris acte de la décision rendue ce jour par le Jury d’Appel de la Confédération Africaine de Football (CAF), rejetant le recours formé contre la décision du Jury Disciplinaire dans le cadre du litige l’opposant à la Tanzanie, relatif à la rencontre du 19 novembre 2024 comptant pour les éliminatoires de la Coupe d’Afrique des Nations 2025.
À ce stade, seule la partie dispositive de la décision a été communiquée, sans que les motifs précis du rejet ne soient connus. La Fédération Guinéenne de Football a d’ores et déjà sollicité la motivation complète de cette décision afin d’en apprécier les fondements juridiques. La Fédération Guinéenne de Football réaffirme sa conviction quant au bien-fondé de sa réclamation et annonce qu’elle entend porter l’affaire devant le Tribunal Arbitral du Sport (TAS). Cette démarche est d’autant plus nécessaire que, tout au long de la procédure disciplinaire menée devant les instances de la CAF, la Fédération Guinéenne de Football a été confrontée à de graves manquements aux droits procéduraux les plus élémentaires. Elle a notamment été privée de son droit d’accès complet au dossier, empêchée de demander la production de preuves essentielles et tenue à l’écart d’échanges procéduraux majeurs, en violation des principes fondamentaux du contradictoire et du droit à être entendu.
LA FÉDÉRATION ESTIME QUE CES IRRÉGULARITÉS ONT PRIVÉ LE JURY D’APPEL DES ÉLÉMENTS NÉCESSAIRES À UNE JUSTE APPRÉCIATION DES FAITS
Elle est confiante que le Tribunal Arbitral du Sport garantira une procédure pleinement équitable, dans le respect des standards internationaux de justice sportive et saura corriger les effets des violations procédurales dont elle a été victime. La Fédération Guinéenne de Football demeure pleinement mobilisée pour défendre les intérêts du football guinéen, dans le strict respect des règlements ainsi que des principes d’équité et d’intégrité des compétitions. La Fédération adresse ses remerciements les plus sincères aux plus Hautes Autorités de la République de Guinée, à travers Monsieur le Ministre de la Jeunesse et des Sports, pour leur appui constant. Elle souhaite également exprimer toute sa gratitude au peuple guinéen pour son soutien indéfectible, sa solidarité et la force qu’il lui insuffle dans ces moments décisifs. C’est grâce à cette union sacrée que nous continuerons à avancer et à porter haut les couleurs de notre nation.
ASVD-JA POUR LE DERNIER ACTE ET LA BAL
Le dernier acte championnat du Sénégal se jouera entre l'As Ville de Dakar et la Jeanne d'Arc. Les deux équipes se sont hissées en finale en sortant respectivement victorieuses de l'As Douanes et de Guediawaye Basket club.
Le dernier acte championnat du Sénégal se jouera entre l'As Ville de Dakar et la Jeanne d'Arc. Les deux équipes se sont hissées en finale en sortant respectivement victorieuses de l'As Douanes et de Guediawaye Basket club. Tenante du titre, l’As Ville de Dakar va défendre son titre de champion du Sénégal masculin lors de la finale. Avec au bout, une deuxième participation à la saison 6 du Basketball Africaine League (BAL).
L ’ASCVD-Jeanne d'Arc de Dakar. C’est le tableau de la finale du championnat masculin de cette saison. Tenant du titre, l'équipe de la municipalité a décroché ce week-end, sa qualification en finale du championnat, en sortant en demi-finale, l'As Douanes. Après une égalité en victoires enregistrées à l'issue des deux manches des demi-finales, l'As Ville de Dakar a confirmé sa toute domination dans l'élite du basketball national en remportant le match d'appui ou "Belle" sur le score de (72 à 64). "Nous avons rencontré une grande équipe de la Douane qui a un coach d'une dimension connue de tous. C'était un match équilibré où chaque équipe pouvait gagner. A l'issue de la première manche largement remportée, nous avons ensuite déjoué. On s'est remis en cause et on est parvenus à gagner" s'est félicité l'entraîneur Libasse Faye sur les ondes de RFM. Selon le coach, l'équipe de la municipalité va rester dans la continuité suivant cette ambition affiché e depuis ces dernières saisons. En plus de la défense de son titre de champion, il s'agit de valider une deuxième participation à la saison 6 de la Basketball Africa League.
Représentants du Sénégal lors de la dernière saison de la Bal, les champions du Sénégal, avaient, on le rappelle, été éliminés en phases de groupes. "Depuis que je suis arrivé à l'AS Ville de Dakar, on s'est fixés comme objectif d'amener l'équipe à un autre niveau. L'année dernière nous avons gagné le championnat. C'est maintenant la continuité du travail que nous avons entamé. Ce qui nous avait amené à se qualifier à la BAL", indique Libasse Faye. Pour un retour sur la scène continentale, l'équipe dakaroise va retrouver en finale la Jeanne d’Arc de Dakar. La formation "Bleu Blanc" a décroché sa qualification en écartant en demi-finale l'équipe de Guédiawaye basket academy (GBA). "Ce sera un match extrêmement difficile. La Jeanne d'Arc est une équipe très jeune, qui a de l'envie et qui joue avec beaucoup d'engagement et de motivation", a souligné le coach de l'ASVD.
DEUX MOIS D’OTAGE, DEUX MOIS DE SILENCE
Soixante jours de silence. Depuis le 17 avril, un soldat sénégalais est aux mains d’un groupe armé non identifié, capturé lors d’un accrochage dans la zone des palmiers, au nord de Sindian
Soixante jours de silence. Depuis le 17 avril, un soldat sénégalais est aux mains d’un groupe armé non identifié, capturé lors d’un accrochage dans la zone des palmiers, au nord de Sindian. Malgré les opérations de ratissage menées par l’armée dans cette partie sud du pays, aucune trace du militaire n’a été retrouvée. Et l’opinion s’impatiente. Car au-delà de la dimension militaire, c’est toute une population qui s’interroge : où est-il ? Qui le détient ? Et que fait-on pour le retrouver ?
Si certaines sources situent sa détention le long de la frontière sénégalo-gambienne, rien ne permet de confirmer cette hypothèse. Pas plus que l’identité de ses ravisseurs, objet de toutes les spéculations. S’agitil d’éléments du MFDC ? De trafiquants opérant dans les filières de bois ou de chanvre indien, jaloux de leur économie de guerre ? Les pistes sont nombreuses, les certitudes, inexistantes. Et cette incertitude nourrit l’angoisse, dans une région encore marquée par le souvenir de l’enlèvement, en janvier 2022, de sept militaires sénégalais de l’ECOMIG par le chef rebelle Salif Sadio. Ces derniers avaient été libérés trois semaines plus tard, grâce à des médiations discrètes. Rien de tel, pour l’heure, concernant le soldat capturé en avril.
Ce silence prolongé soulève une question plus large : jusqu’à quand l’armée peut-elle maintenir l’opacité autour de cette affaire, sans compromettre les efforts de médiation ? Car, selon plusieurs acteurs du processus de paix en Casamance, il serait contre-productif de « militariser » la recherche du soldat disparu. Pour eux, l’implication des citoyens dans cette quête est aussi essentielle que leur mobilisation pour la paix.
Le mutisme officiel, au nom du secret-défense, pourrait freiner la mobilisation des bonnes volontés. Le débat est posé : la sécurité collaborative peut-elle s’exercer sans une information minimale partagée ? La population, régulièrement appelée à soutenir l’armée, réclame en retour un droit de regard sur les enjeux de sécurité. D’autant que l’homme disparu est aussi un citoyen, un agent de la République dont la mission est de protéger les autres. Dès lors, la protection de sa propre vie devrait engager l’ensemble de la communauté nationale. Alors que les proches du militaire vivent dans l’angoisse, la question demeure entière : combien de temps encore ce soldat restera-t-il entre les mains de ses ravisseurs ? Et combien de temps encore durera ce silence stratégique, au risque de faire vaciller la confiance entre citoyens, armée et institutions ?
L’affaire ne saurait être reléguée au rang des faits divers sécuritaires. Elle interroge sur la transparence, sur l’efficacité des mécanismes de résolution, et sur la volonté collective de ne pas laisser un soldat, un compatriote, dans l’oubli.
Par Henriette Niang KANDE
LES TROIS MOUSQUETAIRES DE LA RÉPUBLIQUE CHATOUILLEUSE
Offense au chef de l’Etat, diffusion de fausses nouvelles, atteinte à la sureté de l’Etat... Le ridicule ne tue pas, mais il emprisonne. Les pastéfiens, le président du parti en tête, avaient pourtant juré que l'article 80 était une aberration coloniale
Sous Léopold Sédar Senghor, on chuchotait. Sous Abdou Diouf, on murmurait. Sous Abdoulaye Wade, on parlait. Sous Macky Sall, on criait…et on finissait au commissariat. Sous Bassirou Diomaye Faye ? On continue de parler, mais avec le spectre d’un avocat à ses côtés.
Car l’article 254, ce bon vieux dinosaure juridique qui punit l’« offense au chef de l’État », n’a jamais pris sa retraite. Mieux : il se porte comme un charme. (« L’offense au président de la République par l’un des moyens énoncés dans l’article 248 est punie d’un emprisonnement de six mois à deux ans et d’une amende de 100 000 à 1 500 000 francs, ou de l’une de ces deux peines seulement. Ces peines s’appliquent aussi à toute personne exerçant les prérogatives du président de la République. »)
Il est increvable. Comme une blague qu’on ressasse à chaque génération sans jamais la trouver drôle. L’article 254 du Code pénal sénégalais, qui prévoit jusqu’à cinq ans de prison pour quiconque ose froisser le chef de l’État, traverse les régimes avec la souplesse d’un acrobate et la longévité d’un baobab.
Depuis 65 ans, il y a trois péchés capitaux à ne jamais commettre si on tient à sa liberté : critiquer le président, parler des institutions sans révérence et oser poser des questions « sensibles ». Car attention, ce n’est pas une opinion : c’est soit une offense au chef de l’État, soit un discrédit jeté sur les institutions ou, pire encore, une incitation au trouble à l’ordre public. Le tout saupoudré d’un article 258 du Code pénal bien aiguisé, hérité de l’époque où la moustache coloniale dictait la loi. La République, visiblement, a la peau très fine et les oreilles très sensibles. Elle tolère les critiques... à condition qu’elles soient silencieuses, autocensurées et surtout jamais adressées à qui de droit.
Et l’article 80 ? (« Les autres manœuvres et actes de nature à compromettre la sécurité publique ou occasionner des troubles politiques graves, à enfreindre les lois du pays, seront punis d'un emprisonnement de trois ans au moins et de cinq ans au plus et d'une amende de 1 00.000 à 1.500.000 francs »).
C’est un peu le joker judiciaire sénégalais. Quand l’article 258 fait pâle figure ou passe mal, on dégaine la carte "atteinte à la sûreté de l’État" - plus vague, plus solennelle, et surtout, plus efficace pour faire taire les bavards.
Dans le Sénégal post-indépendance, Léopold Sédar Senghor n’avait pas besoin de poursuivre pour offense. Le respect, c’était automatique - ou imposé par l’atmosphère monarchique ambiante. Traiter le président de "valet de la France" valait un détour par la case prison, comme pour Majmouth Diop. Mais à l’époque, on ne parlait pas d’«offense». On disait « atteinte à la sécurité de l’État ». Même pour un jeu de mots malheureux.
La presse d’opinion ? Elle balbutiait. Les partis ? Interdits ou en veilleuse. Le présidentpoète avait donc la paix. L’article 258 roupillait, mais restait dans le tiroir, comme un stylo rouge prêt à corriger les insolents.
Abdou Diouf, arrivé avec le vent tiède du multipartisme, n’a pas supprimé l’article 258. Il l’a simplement gardé comme un extincteur : « au cas où ». Et parfois, il servait. Et il s’en est servi contre Serigne Moustapha Sy, en 1993. Son arrestation a été déclenchée par des propos tenus lors d’un meeting de l’opposition, où il dénonçait une « crise de compétence, de confiance et d’autorité » traversant le pays. Des déclarations que le régime socialiste a interprétées comme portant atteinte aux institutions et menaçant la sûreté de l’État. Gare aux politiciens trop loquaces ! Talla Sylla est emprisonné, sous le régime de Abdou Diouf, pour « offense au chef de l’Etat, diffusion de fausses nouvelles, appel à un mouvement insurrectionnel ». En 2000, Abdoulaye Wade arrive avec sa promesse de démocratie XXL. Mais avec lui, le président devient une star de série télé : il adore qu’on parle de lui… sauf si on se moque.
Madiambal Diagne, en juillet 2004, est arrêté suite à la publication d’un article que les autorités de l’époque avaient considéré comme jetant « le discrédit sur les institutions et une incitation de troubles à l’ordre public ». On joue sur les mots, mais le message reste : « il y est des sujets dont on ne parle surtout pas ».
En octobre 2005, est la date à laquelle les autorités sénégalaises ordonnent la suspension de la diffusion de Sud FM et l’interpellation de toute sa rédaction, suite à la diffusion d’une interview de Salif Sadio, chef rebelle du MFDC. Le délit qui a été évoqué a été celui d’« atteinte à l’ordre public et de déstabilisation de la sécurité publique ».
Puis, c’est au tour du journaliste El Malick Seck, en septembre 2008, condamné à trois ans de prison ferme, pour « offense au chef de l’Etat, diffusion de fausses nouvelles, injures publiques, actes et manœuvres susceptibles de troubler l’ordre public ». Il sera libéré en avril 2009, bénéficiaire de la grâce présidentielle.
Avec Macky Sall, c’est le grand retour de l’article 258 en version "sèche-cheveux brûlant". Le président, encore moins blagueur que son prédécesseur, n’apprécie pas les critiques, surtout si elles riment. L’article devient un outil de gestion de communauté. Tu likes un « mauvais » post, tu critiques, tu compares, tu compares…trop ? On t’envoie un mandat.
Maître El Hadj Amadou Sall, en 2012 a été arrêté, gardé à vue, déféré et inculpé puis mis en liberté provisoire. En 2015, il retourne à la case prison, placé sous mandat de dépôt, et jugé. Il est libéré parce que la peine prononcée avait couvert le temps de la détention. Raisons ? Offense au chef de l’Etat et atteinte à la sûreté de l’Etat.
Sidy Lamine Niasse, fondateur et PDG du groupe de presse Walfadjri, a été placé en garde à vue dans la nuit du 30 décembre 2013. Les chefs retenus contre lui ? Offense au chef de l’Etat, atteinte à la sûreté de l’Etat, diffusion de fausses nouvelles.
Pour Bara Gaye, ex-Secrétaire Général de l’Union des Jeunesses Travaillistes Libérales, c’était six mois de prison ferme, en 2013, pour le délit d’offense au chef de l’Etat. Il avait accusé Macky Sall d’avoir retiré des passeports diplomatiques à des marabouts pour les remettre à des homosexuels…
Assane Diouf, le "Bad Boy du Net", rapatrié des USA en 2017, découvre que l’insulte présidentielle peut valoir un aller simple vers Rebeuss. Non sans raison d’ailleurs. Après une longue détention, il est jugé en fin 2018. Rebelote en juin 2020. Dans les deux cas, il est accusé d’offense au président, de diffusion de fausses nouvelles, d’injures publiques et d’outrage.
En aout 2017, c’est l’arrestation suite à la diffusion d’un enregistrement sonore dans lequel, la chanteuse Amy Collé qualifiait le président Macky Sall de tarente et le dénonçait comme inactif et voleur d’élections. Après cinq jours de garde-à- vue, elle est incarcérée. Motif : Offense au chef de l’Etat et diffusion de fausses nouvelles.
En 2019, le journaliste Adama Gaye est lui aussi arrêté et inculpé pour offense au chef de l’Etat, usage de propos graves, suivi d’un mandat de dépôt. Birame Souley Diop, membre du Pastef (opposition) est convoqué en juillet 2023, puis inculpé pour offense au chef de l’Etat. Il alertait les éventuels hôtes de ce dernier du risque qu’ils courraient d’une possibilité d’être empoisonnés par l’ancien président de la République.
Avec l’arrivée de Bassirou Diomaye Faye, le peuple pensait que l’article 80 allait finir au musée. Après tout, les pastéfiens, le président du parti en tête de gondole, avaient juré qu’il s’agissait d’une aberration coloniale, d’une camisole à démocratie.
En juillet 2024, Ameth Suzanne Camara, militant de l’Alliance pour la République (APR) qui vient de perdre le pouvoir en fera les frais. Suite à une émission, le procureur de la République s’autosaisit, jugeant que M. Camara avait tenu des propos « outrageants à l’endroit du président de la République et de son Premier ministre ». En mars 2025, Assane Diouf, est renvoyé fois en prison. Cette fois-ci, la qualification retenue contre lui « concerne une autorité qui partage les mêmes charges que le président de la République ». Il y est encore incarcéré.
Le 11 juin 2025, Moustapha Diakhaté, ancien président du groupe parlementaire BBY est convoqué dans les locaux des investigations criminelles. Résultat : après sa garde à vue ; dépôt direct. Offense au chef de l’Etat. Article 258. Tiens, tiens. Son procès est prévu le 18 juin prochain.
Avant lui, le chroniqueur Abdou Nguer séjourne à la prison de Rebeuss depuis plus d’un mois. Ses avocats avaient plaidé en faveur de sa libération provisoire, mais la juridiction a maintenu la décision du magistrat instructeur. Abdou Nguer est inculpé pour diffusion de fausses nouvelles, offense au chef de l’État et apologie d’un crime ou délit.
Aujourd’hui, ces deux dernières affaires font tache. On croyait que le pouvoir "du peuple, par le peuple" allait enfin décoloniser le Code pénal. Le ridicule ne tue pas, mais il emprisonne. Offense au chef de l’Etat, diffusion de fausses nouvelles, atteinte à la sureté de l’Etat sont les « trois mousquetaires du parquet », qu’on sort toujours avec panache. Le procureur enfile alors sa cape d'inquisiteur, pendant que le juge, lui, ne se sent pas toujours tenu en relisant le Code pénal. Le Sénégal s’y accroche avec une passion quasi affective. C’est un peu le tonton grincheux de la République. Il est là, fidèle au poste, prêt à punir tout ce qui dépasse du cadre. À force de brandir ces infractions comme des gris-gris républicains, on finit par se demander si ce n’est pas la vérité elle-même qui est devenue subversive.
Certes, le dernier Dialogue national a suggéré de "réfléchir" à la suppression de l’article 80. Mais réfléchir, ce n’est pas abroger. Et en attendant, la majorité trouve l’outil fort utile : une menace légale et dissuasive. Comme un gourdin sous la table des débats.
Alors, chers citoyens, blogueurs, chroniqueurs, rappeurs, dessinateurs, et autres hérétiques de la plume et du micro : pensez à souscrire une assurance juridique. Bref, au pays de la Téranga, la liberté d’expression est un plat qu’il faut servir tiède, sous surveillance et sans sel. Et gare à celui qui voudrait y ajouter du piment. Ou peut-être si vous ne pouvez pas vous en empêcher, si vous voulez critiquer, faites-le en langage codé.
MULTIPLE PHOTOS
REVUE DE PRESSE SENEGALAISE DU MARDI 17 JUIN 2025
L’actualité sénégalaise de ce jour est marquée par des révélations chocs, des interrogations sur la gestion des ressources publiques, des tensions politiques latentes, et une société partagée entre espoirs et désillusions.
L’actualité sénégalaise du jour est marquée par des révélations chocs, des interrogations sur la gestion des ressources publiques, des tensions politiques latentes, et une société partagée entre espoirs et désillusions. La diversité des unes illustre les défis auxquels fait face le pays, entre opacité financière, crispation sociale, et volonté de renouveau.
Finances publiques : sous le signe de la transparence… ou de la confusion
L’une des grandes préoccupations du jour concerne la gestion des finances de l’État. Le journal Le Soleil annonce que « le ministère précise et prend date », en référence à la publication des rapports d’exécution budgétaire. Il s’agit d’une tentative d’apaisement après les nombreuses critiques sur la transparence.
Dans le même sillage, L’Info s’interroge dans sa "une" sur un « embarras » du ministre des Finances, tenu de s’expliquer devant les députés. Le journal parle d’un climat de « soupçons, stress et espoirs » autour de ces déclarations.
De son côté, WalfQuotidien met les pieds dans le plat en titrant : « Là où va l’argent », fustigeant les dérives dans la gestion des fonds publics, notamment ceux issus de la coopération et du pétrole. Une accusation directe est portée contre des programmes jugés opaques.
Ressources pétrolières : une manne mal gérée ?
L’exploitation pétrolière fait une entrée fracassante dans les colonnes de L’AS, qui annonce que « 8,34 millions de barils ont été expédiés vers la Chine », suscitant une vive polémique. Le journal évoque un manque de traçabilité et des suspicions sur la destination des revenus générés.
Point Actu tente d’apaiser les inquiétudes en rapportant les propos de Cheikh Diba, ministre en charge du Budget, qui promet la publication des rapports d’exploitation « le 23 juin ». Une promesse qui, si elle n’est pas tenue, risque d’accentuer la crise de confiance.
Tensions dans le monde agricole et alimentaire
Tribune alerte sur la lenteur dans la distribution des intrants agricoles : « Les paysans attendent toujours les semences ». Un retard qui pourrait compromettre la saison des pluies, cruciale pour les rendements.
Parallèlement, Rewmi Quotidien aborde la crise alimentaire avec un chiffre inquiétant : « 137 000 décès par an » liés à la malnutrition en Afrique. Le Sénégal n’est pas épargné, et la flambée des prix rend la situation plus alarmante encore.
Transport aérien : bras de fer entre Air Sénégal et IATA
Dans un registre économique, L’Observateur dépeint un climat de tension entre Air Sénégal et l’IATA (Association internationale du transport aérien), allant jusqu’à parler de « l’acte de guerre ». Des accusations de sabotage, de pressions financières et d’isolement de la compagnie sénégalaise sont évoquées.
Crise sociale : rêves brisés et silences douloureux
Le Quotidien titre sur « le rêve brisé des Sénégalais », dénonçant une jeunesse désabusée, tiraillée entre chômage, désillusions politiques et exil rêvé vers l’Europe. Cette détresse est incarnée par plusieurs témoignages poignants.
Autre drame : Sud Quotidien révèle la disparition d’un Sénégalais en Casamance, pris en otage depuis deux mois. Le journal parle d’« un silence pesant » autour de cette affaire qui inquiète sa famille.
Libération, pour sa part, publie « les dernières révélations explosives de l’enquête » sur une autre affaire judiciaire impliquant des personnalités de haut rang, avec des enregistrements compromettants et des documents confidentiels.
Vie politique et institutionnelle : attentes et mutation
Les Échos exprime le malaise général à quelques jours de la clôture de la session parlementaire : « Tâtonnement » autour de projets de lois sensibles. Une opinion partagée par Source A, qui titre sobrement « Tendance baissière », en référence à la dynamique politique et économique actuelle.
Le Point Quotidien revient sur l'éducation, annonçant que « 3 446 candidats » affrontent les examens d’une filière en pleine mutation, illustrant les défis de l’enseignement supérieur.
Enfin, EnQuête s’interroge sur la place de la technologie dans notre société avec un titre évocateur : « Progrès ou poison ? », en écho aux débats sur l’intelligence artificielle, les réseaux sociaux et les risques de dérives.
Sport : entre stagnation et ambitions renouvelées
Côté sport, Rewmi Sports note que « le Sénégal fait du surplace » dans le classement FIFA, malgré des victoires récentes. Record relaie les propos critiques d’Abdoulaye Sow : « On ne peut pas faire du neuf avec du vieux », appelant à une réforme en profondeur de la fédération.
Stades annonce une montée de tension à Pikine, où des anciens joueurs veulent perpétuer une tradition rugueuse : « La tension monte en attendant les coups de poings ». Enfin, Point Actu Sport salue la performance de Nicolas Jackson avec Chelsea : « passeur décisif contre Los Angeles FC », et annonce déjà une future confrontation entre Xabi Alonso, Kylian Mbappé et consorts.
Dans un rapport intitulé "Le Cameroun à la Croisée des Chemins", des analystes alertent sur le risque "d'un autre grave développement déflagrant sur le continent" en cas de succession chaotique au palais d'Etoudi
(SenePlus) - À l'approche de l'élection présidentielle d'octobre 2025, le Cameroun se trouve à un tournant historique sans précédent. Paul Biya, 92 ans, s'apprête à briguer un huitième mandat après plus de quatre décennies au pouvoir, soulevant des questions cruciales sur la succession, l'avenir démocratique du pays et les équilibres géopolitiques en Afrique centrale. Cette élection dépasse largement le cadre national pour incarner les tensions contemporaines entre modèles de gouvernance, influence des grandes puissances et aspirations démocratiques africaines.
Selon une analyse approfondie du Centre d'Études Stratégiques Africaines publiée le 14 juin 2025, Paul Biya a construit au fil des décennies "un système très efficace et résilient englobant une administration solidement implantée, un réseau de favoritisme qui, bien que corrompu, maintient un environnement opérationnel fluide". Ce système hybride, qualifié de "régime invariable" par les politologues, combine habilement façades démocratiques et mécanismes autoritaires profondément enracinés.
La longévité exceptionnelle du régime repose sur plusieurs piliers fondamentaux. Le premier consiste en la manipulation constitutionnelle systématique. L'amendement crucial de 2008, orchestré par le Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC), a aboli la limitation à deux mandats présidentiels, ouvrant la voie à une présidence quasi-illimitée. Combiné aux mandats présidentiels de sept ans - inhabituellement longs -, ce changement constitutionnel constitue le socle juridique de l'extraordinaire longévité politique de Biya.
Contrairement à de nombreux systèmes autoritaires africains qui s'appuient principalement sur la coercition, le système Biya a développé un réseau sophistiqué de favoritisme qui traverse le paysage ethnique et régional diversifié du Cameroun. Ce réseau fonctionne par de multiples mécanismes interconnectés.
Premièrement, le RDPC, héritier de l'Union Nationale Camerounaise (UNC), maintient le pouvoir depuis l'indépendance en 1960, créant des réseaux générationnels de loyauté et de dépendance qui transcendent les clivages ethniques traditionnels. Deuxièmement, la structure de coalition du parti, incluant des partenariats avec le Mouvement Démocratique pour la Défense de la République (MDR) et des factions de l'Union des Populations du Cameroun (UPC), a efficacement coopté les forces d'opposition potentielles.
L'appareil administratif remplit une double fonction cruciale : gouvernance effective et contrôle politique. Les gouverneurs régionaux, préfets et administrateurs locaux sont nommés directement par le président, créant des chaînes verticales de responsabilité qui contournent la surveillance démocratique traditionnelle. Ce système s'est révélé particulièrement efficace pour gérer la diversité ethnique complexe du Cameroun, avec des nominations soigneusement équilibrées pour maintenir la stabilité inter-groupes tout en assurant la loyauté envers le centre.
Cependant, cette stabilité autoritaire a un prix énorme. Comme l'observe un analyste cité dans le rapport, "la corruption est dans la moelle osseuse de chaque être politique au Cameroun". Les indices internationaux de corruption classent systématiquement le Cameroun parmi les nations les plus corrompues au monde, tandis que la Banque mondiale rapporte que "les projets d'État ont été abandonnés pour des projets personnels".
Malgré la possession d'importantes réserves pétrolières, de ressources agricoles diversifiées et d'avantages géographiques stratégiques, la performance économique du Cameroun reste décevante. La croissance réelle du PIB a ralenti à 3,3% en 2023, contre 3,6% en 2022, tandis que près d'un quart de la population vit dans l'extrême pauvreté. Le secteur pétrolier, qui aurait dû être la voie vers la prospérité, illustre le schéma plus large de mauvaise gestion des ressources, les revenus pétroliers ayant été largement capturés par les réseaux d'élite.
La question successorale : un défi existentiel
À 92 ans, la santé de Biya est devenue une source de spéculation intense et d'anxiété politique nationale. Son absence d'un mois de la vue du public en octobre 2024 a déclenché des rumeurs généralisées sur son état, contraignant le gouvernement à interdire les rapports médiatiques sur la santé présidentielle. Cette situation a intensifié ce que le Centre d'Études Stratégiques Africaines décrit comme "une bataille successorale nerveuse dans les coulisses" au sein du RDPC.
Le cadre constitutionnel prévoit la succession par le Président du Sénat, actuellement Marcel Niat Njifenji, qui serait tenu d'organiser des élections dans les 20 à 120 jours tout en étant interdit de se présenter lui-même. Cependant, Njifenji lui-même a 90-91 ans et a fait face à ses propres défis de santé, soulevant des questions sur la viabilité pratique de ce mécanisme de succession. Des images récentes montrant le sénateur âgé être soutenu pour se tenir debout lors de sa réélection ont suscité des préoccupations sur sa capacité à remplir les responsabilités constitutionnelles pendant une période de crise.
L'émergence de Franck Emmanuel Biya, fils aîné du président, comme successeur potentiel représente l'un des développements les plus significatifs dans les dynamiques successorales camerounaises. Précédemment écarté des affaires de son père, Franck Biya a été réhabilité et sert maintenant comme conseiller présidentiel avec un bureau à la présidence, alimentant la spéculation sur une planification de succession dynastique.
La montée de ce que les analystes appellent les "Franckistes" au sein du RDPC démontre comment la spéculation successorale a créé une compétition factionnelle au sein du parti au pouvoir. Les partisans de Franck Biya soutiennent que sa succession fournirait continuité et stabilité, tandis que les critiques s'inquiètent du précédent de règle dynastique dans un pays qui n'a jamais connu de transition démocratique pacifique.
L'approche politique de Franck Biya reste remarquablement discrète, évitant les déclarations publiques ou les activités politiques de haut profil qui pourraient provoquer l'opposition. Cependant, sa présence lors d'événements d'État significatifs, incluant la réception du Président français Macron lors de sa visite de 2022, signale son rôle croissant dans les affaires d'État.
L'émergence de Maurice Kamto comme principal dirigeant de l'opposition représente à la fois le potentiel de changement démocratique et les limitations structurelles auxquelles font face les mouvements d'opposition dans l'environnement politique contraint du Cameroun. L'ancien professeur de droit de 71 ans a officiellement obtenu 14% des voix lors de l'élection présidentielle disputée de 2018, bien que ses partisans prétendent que le chiffre réel était beaucoup plus élevé en raison de la fraude électorale systématique.
La formation de la coalition Alliance politique pour le changement (APC), rassemblant 30 partis d'opposition sous la direction de Kamto, représente un niveau sans précédent d'unité de l'opposition dans le paysage politique notoirement fractionné du Cameroun. Cette formation répond à l'une des faiblesses clés qui a historiquement sapé l'efficacité de l'opposition dans le système électoral à un tour du Cameroun, qui favorise fortement les sortants lorsque les votes d'opposition sont divisés entre plusieurs candidats.
Harcèlement et obstacles systématiques
Les événements récents démontrent la vulnérabilité continue des mouvements d'opposition à la répression d'État. La surveillance policière de juin 2025 de la résidence de Kamto à Douala, suivant son rassemblement du 31 mai à Paris, illustre comment le régime utilise les forces de sécurité pour intimider et contraindre les activités d'opposition. La colère du gouvernement face à la promesse de Kamto de protéger la famille Biya s'il était élu révèle la sensibilité extrême du régime aux discussions successorales.
Les défis légaux de Kamto soulignent les obstacles systématiques auxquels font face les candidats d'opposition. Son parti, le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC), manque de sièges législatifs, que la loi camerounaise exige comme prérequis pour la candidature présidentielle. La décision stratégique du RDPC de reporter les élections législatives à 2026, malgré leur programmation normale concurrente avec les élections présidentielles, semble conçue pour exploiter cette technicité et potentiellement disqualifier Kamto.
L'emprisonnement de 41 partisans de Kamto, qui purgent des peines de sept ans pour avoir participé aux protestations post-électorales de 2018, sert de dissuasion puissante à l'activisme d'opposition. L'utilisation de tribunaux militaires pour juger des civils, souvent sous des lois anti-terrorisme originellement conçues pour le conflit de Boko Haram, démontre comment le régime adapte la législation sécuritaire pour le contrôle politique.
L'élévation en septembre 2024 des relations Chine-Cameroun au niveau de "partenariat stratégique global" représente un moment charnière dans les relations extérieures du Cameroun. Lors de la rencontre de Xi Jinping avec Paul Biya au Sommet de Beijing du Forum sur la Coopération Chine-Afrique (FOCAC), les deux dirigeants ont annoncé cette amélioration, marquant la huitième visite de Biya en Chine.
L'approche chinoise du Cameroun diffère fondamentalement des modèles d'engagement occidentaux. Plutôt que d'insister sur les conditionnalités de gouvernance, la Chine se concentre sur le développement des infrastructures, la coopération industrielle et la diversification économique. Xi Jinping a spécifiquement mentionné la coopération dans "les infrastructures, le développement industriel, la connectivité, l'agriculture et la santé" comme domaines prioritaires.
Les dimensions économiques de cette coopération sont substantielles. Les entreprises chinoises ont massivement investi dans les infrastructures routières, Biya ayant fait "un appel fort pour des investissements chinois accrus dans les infrastructures routières du pays" en septembre 2024. La Chine a également fourni un financement significatif pour les infrastructures hydrauliques, incluant une subvention de 81,5 millions de dollars en 2017 pour les installations d'eau et d'assainissement.
L'engagement de la Russie avec le Cameroun s'est intensifié significativement, particulièrement dans le secteur sécuritaire. La signature en avril 2022 d'un accord militaire entre le Cameroun et la Russie, survenant au plus fort de la guerre d'Ukraine, a démontré la volonté de Biya de diversifier les partenariats sécuritaires malgré la pression occidentale intense.
L'influence russe au Cameroun opère par de multiples canaux sophistiqués. L'organisation de presse sponsorisée par la Russie Afrique Média a son siège à Douala, fournissant une plateforme pour les narratifs pro-russes à travers l'Afrique francophone. Selon l'analyse du Centre d'Études Stratégiques Africaines, "les réseaux d'information liés à la Russie ont soutenu le mandat prolongé de Biya, et le Cameroun a été une cible prioritaire des campagnes russes anti-occidentales, anti-Nations Unies et anti-démocratie".
Cette diversification révèle un paradoxe fondamental. Comme l'observent les analystes, ces partenariats permettent au Cameroun de "mieux contrôler et utiliser ses ressources sans prérequis" liés à la gouvernance ou aux droits humains. Cependant, cette autonomie apparente vient avec ses propres contraintes et dépendances.
Les prêts d'infrastructure chinois créent des obligations de dette qui pourraient limiter les options politiques futures. La coopération sécuritaire russe peut impliquer des engagements qui contraignent la flexibilité diplomatique. La liberté apparente des conditionnalités occidentales peut simplement représenter un changement vers différentes formes d'influence externe plutôt qu'une véritable souveraineté.
Défis internes : crises multiples et résilience systémique
La crise anglophone en cours représente le défi le plus sérieux au système Biya depuis qu'il a pris le pouvoir en 1982. Commençant en 2016 avec des protestations contre la marginalisation des communautés anglophones dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, le conflit a évolué en une insurrection séparatiste à part entière. La crise a entraîné plus de 6 000 morts, déplacé près de 700 000 personnes et interrompu la scolarité d'environ 600 000 enfants.
La réponse du gouvernement révèle à la fois les forces et les limites du système Biya. D'une part, le régime a maintenu le contrôle sur la plupart du territoire et empêché le conflit de s'étendre à d'autres régions. Les forces de sécurité ont contenu le mouvement séparatiste et l'ont empêché d'atteindre son objectif d'indépendance.
D'autre part, la crise a exposé l'incapacité du système à traiter les griefs légitimes par des moyens politiques. La réponse militaire dure, incluant l'incendie de villages et les meurtres de civils, a aliéné les populations anglophones et sapé la légitimité du régime dans ces régions cruciales.
L'insurrection de Boko Haram dans l'Extrême-Nord continue de s'intensifier, avec une augmentation dramatique de 50% du nombre annuel de victimes selon les dernières données. Cette détérioration sécuritaire met à l'épreuve la capacité du gouvernement à maintenir l'ordre et protéger ses citoyens, tout en révélant les limites des approches purement militaires aux défis sécuritaires complexes.
Le Cameroun participe à la Force Multinationale Mixte contre Boko Haram aux côtés du Nigeria, du Tchad et du Niger. Une crise politique majeure au Cameroun pourrait saper cette coopération régionale cruciale à un moment où la menace terroriste nécessite une coordination internationale renforcée.
L'évolution politique du Cameroun a des implications profondes pour la stabilité et le développement régionaux de l'Afrique centrale. En tant que l'une des plus grandes économies et des pays les plus peuplés de la région, le Cameroun sert d'ancrage crucial pour la sécurité régionale et l'intégration économique. Sa position stratégique, frontalier avec le Nigeria, le Tchad, la République centrafricaine, la Guinée équatoriale, le Gabon et la République du Congo, rend sa stabilité essentielle pour la paix régionale.
La crise anglophone a déjà créé des effets de débordement régionaux, avec plus de 75 000 Camerounais fuyant vers le Nigeria voisin. Une crise politique qui s'approfondit ou un effondrement d'État au Cameroun pourrait générer des flux massifs de réfugiés qui submergeraient la capacité des pays voisins à fournir de l'assistance.
La stabilité politique du Cameroun a des implications cruciales pour la protection de la forêt tropicale du Bassin du Congo, qui représente un enjeu de sécurité environnementale mondiale. Comme l'note l'analyse du Centre d'Études Stratégiques Africaines, le Cameroun est "central au défi sécuritaire régional de protéger les forêts tropicales du Bassin du Congo".
L'exploitation forestière illégale dans ces forêts, souvent liée aux groupes criminels organisés transnationaux, coûte des milliards de dollars en revenus perdus tout en menaçant le puits de carbone terrestre le plus important au monde. L'instabilité politique au Cameroun pourrait significativement saper les efforts de protection forestière, créant des opportunités pour une exploitation illégale accrue.
L'évolution politique du Cameroun se produit dans le contexte d'une compétition intensifiée des grandes puissances en Afrique. La diversification des partenariats internationaux du pays reflète des tendances continentales plus larges vers le multi-alignement et la réduction de la dépendance aux partenaires occidentaux traditionnels.
Le partenariat élevé de la Chine avec le Cameroun représente une partie de sa stratégie africaine plus large de soutenir les gouvernements en place tout en fournissant des modèles de développement alternatifs. Une transition démocratique réussie au Cameroun pourrait compliquer les stratégies d'engagement chinoises, car les nouveaux gouvernements pourraient être moins disposés à accepter les termes chinois.
L'influence croissante de la Russie en Afrique centrale, incluant les activités du Groupe Wagner en République centrafricaine et la coopération sécuritaire avec le Cameroun, crée une complexité additionnelle. Le soutien russe à la stabilité autoritaire entre en conflit avec la promotion occidentale de la gouvernance démocratique, créant des modèles concurrents pour le développement africain.
Scénarios potentiels pour 2025 et au-delà
Le scénario le plus probable, basé sur les dynamiques actuelles, implique la victoire de Paul Biya à l'élection présidentielle d'octobre 2025 et la continuation du système politique existant, au moins à court terme. Ce résultat serait facilité par plusieurs facteurs convergents : l'opposition fragmentée, les avantages électoraux systématiques favorisant le sortant, le contrôle institutionnel du RDPC, et le succès du régime à gérer la loyauté des élites par les réseaux de favoritisme.
Dans ce scénario, Biya commencerait son huitième mandat présidentiel à l'âge de 92 ans, le rendant probablement le chef d'État élu le plus âgé de l'histoire moderne. Les implications à moyen terme se centreraient sur la gestion de la succession au sein du RDPC, avec une planification successorale devenant de plus en plus urgente.
Un deuxième scénario implique Maurice Kamto ou un autre candidat d'opposition remportant la victoire, déclenchant potentiellement la première transition démocratique du Cameroun depuis l'indépendance. Ce résultat nécessiterait plusieurs développements convergents : l'unité réussie de l'opposition autour d'un candidat unique, une mobilisation significative des électeurs malgré les obstacles systémiques, et l'acceptation par le régime de la défaite électorale.
Si ce scénario se matérialisait, les suites immédiates impliqueraient probablement une incertitude significative sur l'acceptation de la défaite par le régime. Le contrôle du RDPC sur les forces de sécurité pourrait permettre la résistance au transfert de pouvoir, conduisant potentiellement à une crise post-électorale majeure.
Un troisième scénario implique une crise politique déclenchée par la mort ou l'incapacitation de Biya avant ou peu après l'élection, conduisant à des luttes successorales qui pourraient déstabiliser le pays. Ce scénario devient plus probable compte tenu de l'âge avancé de Biya et des limitations du mécanisme constitutionnel de succession.
Les variables clés seraient la réponse des forces de sécurité, le degré d'unité des élites au sein du RDPC, et la capacité de l'opposition à mobiliser le soutien populaire. Si la succession déclenchait la fragmentation des élites, le résultat pourrait être une crise politique prolongée avec des implications régionales majeures.
L'analyse suggère que la transition pacifique nécessite un compromis et un dialogue qui ont été largement absents de l'environnement politique actuel. L'unité de l'opposition autour de Kamto représente un progrès significatif, mais un changement durable nécessite une construction de coalition plus large qui inclut des éléments modérés au sein du RDPC et de la société civile.
L'analyse révèle les limitations des approches à la fois confrontationnelles et accommodantes aux défis de gouvernance. La diversification des partenariats du Cameroun crée des opportunités pour un engagement international plus équilibré qui respecte la souveraineté tout en promouvant le changement positif.
Plutôt que de concourir pour une influence exclusive, les partenaires internationaux pourraient collaborer pour soutenir des résultats développementaux qui bénéficient aux citoyens camerounais indépendamment des configurations politiques.
Naviguer dans l'incertitude
Le cas du Cameroun sous Paul Biya représente l'une des situations politiques les plus complexes et lourdes de conséquences de l'Afrique contemporaine. Comme le souligne l'analyse, le pays se trouve à un carrefour critique où de multiples dynamiques se recoupent : un dirigeant autoritaire vieillissant cherchant un huitième mandat, un paysage diversifié de partenariats internationaux, une pression d'opposition croissante, et des questions fondamentales sur la succession et la légitimité.
La résilience du système Biya, caractérisée par ce que les observateurs décrivent comme "un système très efficace et résilient", démontre comment les régimes autoritaires peuvent s'adapter aux circonstances changeantes tout en maintenant les structures de pouvoir fondamentales. Cependant, la convergence de multiples facteurs de stress en 2025 crée une incertitude sans précédent.
L'élection d'octobre 2025 représente un moment critique non seulement pour le Cameroun mais pour des questions plus larges sur la démocratie, la souveraineté et le développement en Afrique. L'issue influencera la stabilité régionale, les approches internationales à la promotion de la gouvernance, et la compétition en cours entre différents modèles d'organisation politique et économique.
Les enjeux s'étendent bien au-delà des résultats électoraux aux questions fondamentales sur l'agence africaine, le partenariat international, et la possibilité de construire des États souverains solides capables de développement autonome. L'expérience du Cameroun fournira des leçons cruciales pour ces défis plus larges auxquels fait face le continent au 21e siècle.
VIDEO
ABDOU LATIF COULIBALY DÉNONCE LES RANCOEURS DE L'OPPOSITION CONTRE MACKY SALL
"Rancœurs politiques" et "injustice" : l'ancien ministre ne mâche pas ses mots contre l'opposition qui s'acharne, selon lui, à disqualifier l'ex-président pour sa candidature présumée à la tête de l'Organisation des Nations Unies
Dans une récente déclaration sur la candidature de Macky Sall à la direction de l'ONU, Abdou Latif Coulibaly a directement visé certaines figures de l'opposition, notamment Mimi Touré, accusées de nuire à l'image du Sénégal par leurs prises de position.
L'ancien ministre a particulièrement pointé du doigt son ancien camarade de parti, qui s'est récemment opposée à la candidature de l'ancien président. Il dénonce des déclarations "pas objectives" et qualifie ces positions de "rancœurs politiques" certes "compréhensibles et parfois même légitimes", mais insuffisantes pour disqualifier l'ancien président.
Latif Coulibaly critique vivement l'attitude de certains opposants qui, selon lui, font preuve d'une "exagération assez folle" dans leurs critiques du régime sortant. Il estime que vouloir "résumer l'homme à des points bien précis pour dire qu'il est disqualifié à jamais" relève de l'injustice politique.
Selon lui, "le conflit a été tellement fort entre ces deux camps" que les "rancunes sont encore tellement tenaces" qu'elles empêchent une évaluation objective. Il appelle l'opposition à faire preuve d'un "dépassement" des considérations personnelles au profit de l'intérêt national.
par Adama Dieng
POUR UNE IA AU SERVICE DE LA PAIX AFRICAINE
EXCLUSIF SENEPLUS - On ne peut que craindre que la puissance de l'Intelligence Artificielle puisse encore amplifier l'impact des publications haineuses sur les réseaux sociaux, devenues de véritables armes de guerre dans la plupart des conflits en Afrique
Dans une déclaration pour la 4e Journée internationale de lutte contre les discours de haine, Adama Dieng dénonce la propagation "à échelle industrielle" de messages haineux sur les réseaux sociaux africains. L'envoyé spécial de l'Union africaine appelle ci-dessous, à des coalitions pour reconquérir des espaces numériques sûrs.
"La commémoration de la 4e Journée internationale de lutte contre les discours de haine porte sur un thème d'une importance capitale aujourd’hui : « Discours de haine et lien avec l'Intelligence Artificielle : bâtir des coalitions pour reconquérir des espaces inclusifs et sûrs, exempts de haine »
Lors de ma nomination en tant que premier Envoyé spécial de l'Union africaine pour la prévention du génocide et d’autres atrocités de masse en avril 2024, mon mandat a mis l'accent sur l'urgence de lutter efficacement contre les discours de haine. Les priorités de mon mandat comprennent l'identification des indicateurs de risque liés à l'idéologie de la haine, au génocide et aux crimes haineux, ainsi que des interventions rapides pour inverser les tendances négatives sur le continent africain. À cet effet, l'une de mes principales missions est de surveiller de près l'utilisation abusive des plateformes médiatiques et d'encourager les États membres à adopter les politiques nécessaires pour mieux surveiller et réguler les médias et prévenir l'exploitation et la propagation de messages extrémistes incitant aux crimes haineux et au génocide. Ayant consacré une grande partie de ma carrière à la prévention du génocide et à la lutte contre les discours de haine, mon engagement au cours des dernières décennies, à travers plusieurs rôles clés au sein des Nations Unies et d'autres institutions internationales, m'a enrichi d'enseignements précieux. Que ce soit en tant qu'Expert indépendant des Nations Unies sur les droits de l'homme en Haïti de 1995 à 2000, Greffier du Tribunal pénal international pour le Rwanda de 2001 à 2012, Conseiller spécial des Nations Unies pour la prévention du génocide de 2012 à 2020, ou de Vice-Président de la Commission globale contre l’esclavage moderne et le trafic des êtres humains, l'un de mes objectifs a toujours été de renforcer l'État de droit et de lutter contre l'impunité. Par ailleurs, ayant dirigé les travaux pour l'élaboration et la mise en œuvre de la Stratégie et du Plan d'action des Nations Unies contre les discours de haine, qui comprenaient 13 engagements, je voudrais rappeler ici les éléments clés de cette importante initiative. Elle vise à mieux comprendre et contrôler les discours de haine, à identifier et à traiter leurs causes profondes, et à promouvoir des discours alternatifs positifs. Afin de lutter efficacement contre les discours de haine, il est essentiel de plaider fermement en faveur d'une approche globale impliquant les États, la société civile et les médias.
L'accent mis sur la lutte contre les discours de haine, dans le cadre de mon mandat d’Envoyé spécial de l'Union africaine, était malheureusement justifié par les tendances actuelles sur le continent. De l'est de la République démocratique du Congo au Soudan et au Soudan du Sud, des pays du Sahel à la brutalité contre les migrants subsahariens en Afrique du Nord, les atrocités criminelles sont en hausse, alimentées par les discours de haine des politiciens, des groupes armés et des influenceurs, propagés à une vitesse inégalée sur les réseaux sociaux. Produits en Afrique même ou dans la diaspora africaine à travers le monde, par de simples individus ou des usines à trolls, les messages de haine reproduisant les stéréotypes coloniaux, le sectarisme religieux et propageant la désinformation et la mésinformation, circulent aujourd'hui à une échelle industrielle sur les plateformes de réseaux sociaux, déshumanisant des communautés entières, présentées alors comme des cibles légitimes de violence. Souvent exprimés dans les langues locales, leur conférant une validation communautaire quasi instinctive, ces messages de haine font appel à la peur, au désespoir et aux émotions, parfois ancrés dans la mémoire et les récits des atrocités passées.
Alors que nous commémorons la Journée internationale de lutte contre les discours de haine, on ne peut que craindre que la puissance de l'Intelligence Artificielle puisse encore amplifier l'impact des publications haineuses sur les réseaux sociaux, devenues de véritables armes de guerre dans la plupart des conflits en Afrique. Des images et des vidéos truquées et manipulées numériquement, recyclant et améliorant la performance émotionnelle des discours de haine dans des communautés anxieuses, peuvent désormais atteindre presque tous les foyers, tous les jeunes d'une famille, et mobiliser violemment pour des représailles ou des frappes préventives, tout cela grâce à une multitude de publications numériques qui inondent les communications quotidiennes par téléphone portable.
Ces tendances ont commencé à être présentées aux pouvoirs judiciaires africains. Le 3 avril dernier, un tribunal kenyan a autorisé l'ouverture d'une procédure contre Meta, la société mère de Facebook et Instagram, pour avoir alimenté la violence ethnique en Éthiopie par la diffusion de discours de haine, entraînant des assassinats à motivation ethnique. Cette affaire pourrait être la première d'une longue série visant à établir les responsabilités pour avoir laissé circuler librement les discours de haine. Pourtant, la prévention reste la meilleure approche pour lutter contre les discours de haine. Les affaires judiciaires devraient inciter les géants des médias sociaux à rejoindre activement des coalitions soutenant la création et la protection d’espaces de communication inclusifs et sûrs.
Ces géants des médias sociaux, ces entreprises telles que Meta et X (anciennement Twitter) devraient être encouragées à revoir leurs récentes décisions de mettre fin à leur soutien aux systèmes tiers de vérification des faits publiés sur leurs plateformes respectives. La liberté d'expression ne sera pas protégée en laissant la haine circuler librement. En Afrique, ces décisions affaibliront très probablement la mobilisation déjà insuffisante contre la désinformation qui alimente les discours de haine. Ces systèmes tiers de vérification des faits et de modération ont besoin de leur soutien.
La généralisation de l'utilisation de l'IA sur les réseaux sociaux, et les formidables possibilités qu'elle offre à la production industrielle de contenus numériques, rendent impératif d'accroître nos investissements collectifs dans la modération, la surveillance, la vérification des faits et la lutte contre les contenus haineux. L'Intelligence Artificielle peut en effet être un outil puissant pour lutter contre les discours de haine. Sur le plan technique, les algorithmes d'Intelligence Artificielle peuvent analyser les réseaux sociaux, les forums et les sites web pour identifier les discours de haine en temps réel. De plus, les modèles de traitement du langage naturel peuvent identifier les mots-clés, le ton et le contexte des messages haineux. Les plateformes peuvent utiliser ces outils pour bloquer ou signaler les contenus problématiques avant leur diffusion. L'Intelligence Artificielle peut également contribuer à générer des réponses éducatives pour contrer les discours de haine, promouvoir des récits alternatifs et identifier les schémas de propagation de ces discours. J'ajoute que l'UNESCO et les Nations Unies encouragent l'utilisation de l'IA pour réguler les réseaux sociaux tout en préservant la liberté d'expression. Il faut cependant reconnaître que l'IA ne peut tout résoudre à elle seule, mais peut être combinée aux politiques publiques, à l'éducation numérique et à la coopération internationale. Les pouvoirs de l'IA doivent également être orientés vers l'inclusion, la cohésion sociale et la réconciliation. Je suis prêt à soutenir tous les efforts visant à atteindre cet objectif, afin que les communications numériques cessent d'alimenter les fronts de bataille africains et commencent à offrir les espaces sûrs et inclusifs nécessaires à l'épanouissement de la paix, de la démocratie et du développement économique."
Adama Dieng est Envoyé spécial de l'Union africaine pour la prévention du génocide et d'autres atrocités de masse.
Statement by Mr. Adama Dieng
African Union Special Envoy for the prevention of genocide and other mass atrocities
"The commemoration of the 4th International Day for the Fight Against Hate Speech focuses on a theme of critical importance today: "Hate Speech and its Connection to Artificial Intelligence: Building Coalitions to Reclaim Inclusive and Safe Spaces Free from Hate.”
When I was appointed as the first Special Envoy of the African Union for the prevention of genocide and other mass atrocities in April 2024, a special emphasis was given to my mandate on the urgency to effectively counter hate speech. The priorities of my mandate include the identification of risk indicators of the ideology of hate, genocide, and hate crimes, and timely interventions to reverse negative trends on the African continent. To this effect, one of my main tasks is to closely monitor the misuse of media platforms as well as encourage Member States to adopt necessary policies that would further monitor and regulate the media and prevent the exploitation and propagation of extremist messages that incite hate crimes and genocide.
Having devoted a large part of my career to genocide prevention and combating hate speech, my commitment over the past decades through several key roles within the United Nations and other international institutions have enriched me with key lessons. Whether as the United Nations Independent Expert on Human Rights in Haiti from 1995 to 2000, Registrar of the International Criminal Tribunal for Rwanda from 2001 to 2012, United Nations Special Adviser on the Prevention of Genocide from 2012 to 2020, or as Vice-President of the Global Commission on Modern Slavery and Human Trafficking, one of my goals has always been to strengthen the rule of law and fight impunity. Furthermore, having worked on and implemented the United Nations Strategy and Plan of Action against Hate Speech, which included 13 commitments, I would like to reiterate here the key elements of this important initiative:
It aims to better understand and control hate speech, identify and address its root causes, and promote positive alternative narratives. In order to effectively counter hate speech, strongly advocate for a comprehensive approach involving states, civil society, and the media.
The emphasis on countering hate speech put on my mandate, was unfortunately justified by current trends on the continent. From Eastern Democratic Republic of the Congo to Sudan and South Sudan, from countries of the Sahel to the brutal handling of sub-Saharan migrants in North Africa, atrocity crimes are on the rise, fueled by hate speech from politicians, armed groups and influencers, propagated at an unmatched speed through social media. Produced within Africa itself or in African diaspora worldwide, by simple individuals or troll factories, hate messages reproducing colonial stereotypes, religious bigotry and propagating disinformation and misinformation, are circulated today on an industrial scale within social media platforms, dehumanizing entire communities who are then presented as legitimate targets for violence. Often expressed in local languages, giving them an almost instinctive communal validation, these hate messages appeal to fears, despair and emotions, which are sometimes rooted in the memory and narratives of past atrocities.
As we gather today to commemorate the international day for countering Hate Speech, one can only fear how the power of Artificial Intelligence can further expand the impact of hateful social media posts, which have literally become effective weapons of war in most conflict settings in Africa. Fake and digitally engineered images and videos, recycling and improving the emotional performance of hate narratives in anxious communities, can now reach almost every household, every youth in a family, and mobilize violently for retribution or preventive strikes, all through multitudes of digital posts, flooding daily mobile phone communications.
These trends have begun to be presented to African judiciaries. On 3 April this year, a Kenyan court allowed a case to proceed against Meta, the parent company of Facebook and Instagram, over the fueling of ethnic violence in Ethiopia through the circulation of hate speech, resulting in ethnically motivated assassinations. This court case could be the first in a long list seeking accountability for allowing hate speech to circulate freely. Yet prevention remains the best approach for countering hate speech. Court cases should become incentives for social media giants to actively join coalitions supporting the creation and protection of inclusive and safe communication spaces.
These social media giants, these companies such as Meta and X (previously known as Twitter) should be encouraged to review their recent decisions to terminate their support to third-party fact-checking systems of social media posts published on their respective platforms. Freedom of expression will not be protected by allowing hate to circulate freely. In Africa, these decisions will most likely weaken the already insufficient mobilization against the circulation of disinformation feeding hate speech. These third-party fact-checking and moderating systems need your support.
The generalization of AI use in social media, the tremendous capabilities this technology unlocks for the industrial production of digital content, raises the imperative to increase our collective investments in moderation, monitoring, fact checking and countering hateful content. Artificial intelligence can indeed be a powerful tool for combating hate speech. On a technical level, Artificial Intelligence algorithms can analyze social media, forums, and websites to identify hate speech in real time. Furthermore, natural language processing models can identify keywords, tone, and context of hateful messages. Platforms can use these tools to block or flag problematic content before it spreads. Artificial Intelligence can also help generate educational responses to counter hate speech and promote alternative narratives and identify patterns in the spread of hate speech. I should add that UNESCO and the United Nations encourage the use of AI to regulate social media while preserving freedom of expression. But it must be recognized that AI cannot solve everything alone, but can be combined with public policies, digital education, and international cooperation. The powers of AI also need to be geared towards supporting inclusivity, social cohesion, and reconciliation. I stand ready to support all efforts towards this goal, so that digital communications stop feeding the African battle fronts and start providing the safe and inclusive spaces that are needed for peace, democracy and economic development to flourish."