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24 mai 2025
JEAN CHARLES BIAGUI POINTE L’ABSENCE D'UNE CULTURE POLITIQUE DEMOCRATIQUE ET LA FAIBLESSE DE LA SOCIETE CIVILE
Montée de la tension sous fond de traque des opposants et d’incertitude sur la présidentielle, La tension sociale et politique persiste. La crise est manifeste et le Sénégal inquiète
Enseignant chercheur en Sciences politiques à la Facultés des Sciences juridiques et politiques de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, Jean Charles Biagui nous livre sa lecture de la situation de crise politique que traverse le Sénégal sous fond de montée de la tension soutenue par l’emprisonnement du maire de Ziguinchor, Ousmane Sonko, suivi par la dissolution de son parti Pastef Les Patriotes et la traque de ses partisans. Mais aussi de l’incertitude qui plane sur la présidentielle de 2024 du fait de la position de sursis des candidats potentiels du côté de l’opposition et de l’absence de candidat pour la majorité. Interpellé par Sud quotidien, Jean Charles Biagui indique que cette tension sociale et politique s’explique par l’absence d'une culture politique démocratique et d'autre part la faiblesse de la société civile.
«Nous sommes actuellement au Sénégal dans le contexte d'un système politique de plus en plus autoritaire et aux antipodes des idées qui fondent la démocratie libérale. Le gouvernement est de plus en plus autoritaire et répressif. C'est le règne de l’arbitraire. Les libertés fondamentales sont confisquées par les dirigeants. La tension sociale et politique persiste. La crise est manifeste et le Sénégal inquiète.
Comment en est-on arrivé là ? Deux raisons fondamentales peuvent être avancées pour expliquer cet autoritarisme grandissant. D'une part, l’absence d'une culture politique démocratique et d'autre part la faiblesse de la société civile. La culture politique renvoie aux normes, valeurs et croyances qui définissent nos attitudes et comportements politiques. Dans un pays comme le Sénégal, ces normes, ces valeurs et croyances ne s'inscrivent pas dans une perspective de reconnaissance du pluralisme politique D'abord, c'est ce qui explique dans une certaine mesure que les gouvernants, particulièrement ceux qui sont actuellement en place ne donnent pas une place importante à la persuasion ou à la délibération. L'unilatéralisme l'emporte toujours. Lorsque vous entendez Macky Sall et ses ministres ou alliés s'exprimer, ils confondent souvent l’État et le gouvernement. Dans leur discours, ils sont l’État. Ensuite, cette culture politique non démocratique est également liée au régime politique sénégalais qui donne trop de pouvoir au président de la République qui, malheureusement, a une marge de manœuvre incompréhensible dans un système qui se veut démocratique.
Enfin, nos dirigeants font comme beaucoup d'individus une mauvaise interprétation des idées de Machiavel. La raison d'Etat telle qu'elle est théorisée par ce dernier ne signifie nullement que le dirigeant doit agir conformément à la préservation de ses intérêts privés. Machiavel est avant tout un nationaliste. Il était intéressé par la défense des intérêts de la Florence et de l'Italie. Et dans cette perspective, tous les moyens doivent être mobilisés par le prince quel que soit leur coût. C'est un manque de culture que de comprendre Machiavel autrement
S’agissant de la société civile, elle est malheureusement encore faible. Les organisations qui s’en réclament n’arrivent pas à œuvrer afin que l’État ne sombre pas dans la dérive autoritaire. Elles n’ont pas, pour la plupart d’entre elles une autonomie par rapport au gouvernement. Elles sont souvent préoccupées par les perdiems, les strapontins, la captation des ressources du gouvernement ou des grandes ONG occidentales. C’est la raison pour laquelle, certaines associations ne s’intéressent qu’aux thématiques qui reçoivent des financements considérables comme le fichier électoral, la conscientisation et la mobilisation des électeurs, la supervision des élections…
Ainsi, nous avons globalement une société civile qui, dans ses modalités d’action n’est pas très différente de la société politique, en particulier les dirigeants politiques. Les libéraux considèrent à juste titre qu’on ne peut pas parler de démocratie sans une société civile autonome, capable par des mobilisations collectives de barrer la route à l’autoritarisme des gouvernants. Au Sénégal, nous ne sommes malheureusement pas dans cette dynamique. Le Sénégal est dans une situation délicate. C’est parce qu’il était dos au mur que Macky Sall a annoncé, la mort dans l’âme, sa volonté de ne pas se représenter. Il n’a donc pas encore tourné la page du pouvoir. Il faut qu’il soit réaliste. Ses partisans et lui-même n’ont rien à gagner d’un contexte crisogène.
Par conséquent, le chef d’Etat Macky Sall doit apaiser très rapidement le contexte social et politique en libérant tous les détenus politiques, en mettant un terme à cette instrumentalisation de la justice dont le seul but est d’empêcher la candidature de Ousmane Sonko. Il s’agira ainsi d’œuvrer à la fin de cette théâtralisation du débat politique qui n’honore pas le pays ». A quelques mois de son départ, il ne faut pas demander au Président Macky Sall plus que cela. En plus d’une décennie, il n’a pas trouvé des solutions à la vie chère, au chômage. Il faut juste qu’il parte en nous laissant un pays en paix ».
SENEGAL, UN ÉTAT SANS FOI NI LOI
Non-respect des droits humains, entrave aux libertés individuelles et collectives…L ’Etat du Sénégal ne respecte aucun droit humain ou presque.
La violation des droits humains est manifeste au Sénégal. En conférence de presse hier, vendredi 11 août 2023, des organisations de défense des droits de l’homme, ont dressé un tableau sombre de l’exercice des libertés individuelles et du respect des droits humains au pays de la «Teranga».
L ’Etat du Sénégal ne respecte aucun droit humain ou presque. «Sur le respect des libertés publiques, le Sénégal a presque touché le fond. La situation que nous connaissons aujourd’hui, le pays ne l’a jamais connue depuis son indépendance, même du temps du parti unique du président Léopold Sédar Senghor», a constaté le directeur exécutif d’Amnesty international section Sénégal, Seydi Gassama. Pis, ajoute-t-il, «les autorités, le président de la République en premier, n'ont rien fait pour promouvoir la paix, la démocratie et le respect des droits humains, mais se sont engagés, au contraire, dans des épreuves de force commencées (dès 2013), avec les poursuites contre des leaders du Parti démocratique sénégalais (Pds) et Khalifa Sall».
Pour Seydi Gassama, «ces poursuites fondées sur la corruption et la promotion de la bonne gouvernance ont montré leurs limites parce qu’étant s’électives». Le directeur exécutif d’Amnesty international Sénégal, juge que «le régime a choisi de se mettre en dessus de la loi, en violant toutes les libertés, en empêchant l’accès à leurs sièges à des partis politiques et, pire, prendre des lois pour tout justifier en des troubles à l’ordre public». Seydi Gassama s’exprimait lors d’une rencontre de la société civile avec la presse, pour dénoncer la situation des droits de l’homme au Sénégal.
«UN CLIMAT DE TERREUR, AVEC LA NÉGATION DES DROITS D’UN CÔTÉ ET, DE L’AUTRE, LE RAIDISSEMENT DES POSITIONS»
En effet, la Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l’Homme (Raddho), la Ligue Sénégalaise des Droits Humains (Lsdh), Afrika Jom Center, Amnesty International/Sénégal, Article 19/Afrique de l’Ouest et l’Association des Utilisateurs des Tic Asutic) ont tenu une conférence de presse hier, vendredi 11 août 2023, pour déplorer les restrictions à l’exercice des libertés publiques. Selon ces organisations, «l’escalade qui caractérise les relations entre le pouvoir, l’opposition, des activistes et de simples citoyens, a engendré un climat de terreur, avec la négation des droits d’un côté́ et, de l’autre, le raidissement des positions ainsi qu’un fort sentiment contestataire d’une partie de l’opposition et de la société́ civile».
Dans la note lue par le secrétaire général de la Raddho, Sadikh Niass, ces organisations, s’inquiètent «du rétrécissement de l’espace civique à travers de multiples restrictions des libertés publiques, caractérisées par des interdictions répétitives de manifestations, occasionnant par moment des troubles graves». Les organisations de la société civile fustigent aussi les arrestations massives dans les rangs du parti Pastef. «Ces arrestations tous azimuts, souvent en pleine rue, la nuit, sans convocation ou même le weekend, sont assimilables à une traque d’opposants, palissent le visage naguère reluisant de la démocratie sénégalaise», jugent-elles. Selon toujours ces acteurs de la société civile, «l’Etat du Sénégal, malgré́ ses engagements devant les organes des Traités visant à abandonner la pratique du retour de parquet, sans fondement légal, a contribué́ ̀a la généralisation de la pratique». Elles notent, pour s’en désoler, que, «de plus en plus, les autorités sénégalaises ont recours ̀a des coupures d’Internet justifiées par des menaces et des risques de troubles à l’ordre public».
RECOURS À LA JUSTICE POUR SOLDER DES CONTRADICTIONS POLITIQUES
En outre, les organisations disent constater «que, de plus en plus, les autorités posent des actes dépourvus de fondement juridique qui violent, de manière flagrante, les droits de certains membres de l’opposition et de la société́ civile». A titre d’exemple, elles citent «les barricades de domiciles d’opposants ou de permanences de partis politiques, sans mandat ni décision administrative dûment notifiée». Le recours à la justice est aussi dénoncé par ces organisations. «Nous constatons que, depuis l’avènement du régime actuel, les contradictions politiques sont de plus en plus soldées par la justice. L’immixtion de la justice dans la politique a contribué́ ̀a l’élimination de certains membres de l’opposition et à l’affaiblissement d’autres dans la compétition électorale. A ce jour, de nombreux Sénégalais croupissent en prison, depuis des mois, pour avoir exprimé́ une opinion sur la gouvernance ou sur le fonctionnement de l’Etat». Les traitements judiciaires de plusieurs centaines de dossiers d’opposants, poursuivis en justice sur la base de charges identiques, suscitent des interrogations pour bon nombre de Sénégalais. «Tous sont quasiment poursuivis sur la base de charges criminelles, avec des dossiers envoyés en instruction ; ce qui signifie que les prévenus peuvent rester en prison pendant des années. La conséquence directe est un surpeuplement des prisons déjà̀ remplies et le maintien d’une tension constante», ont déploré les organisations.
METTRE FIN AUX ARRESTATIONS ET DÉTENTIONS ARBITRAIRES… ET LIBÉRER TOUS LES DÉTENUS POLITIQUES ET D’OPINION
Face à de telles menaces sur la démocratie sénégalaise, les organisations de défense de droits humains rappellent l’obligation de préserver les acquis démocratiques qui pèsent sur les autorités. Elles invitent les autorités politiques et judiciaires ̀a inscrire leurs actions dans la stricte légalité́. Ces organisations exhortent aussi les autorités extatiques à mettre fin aux arrestations et détentions arbitraires d’opposants politiques et d’acteurs de la société́ civile et à libérer tous les détenus politiques et d’opinion. Par ailleurs, elles demandent ̀a tous les acteurs politiques, le président de la République en premier, de privilégier le dialogue et de bannir la violence, pour un retour au calme et à la sérénité́ dans le pays. Les organisations de la société civile engagent aussi les autorités étatiques àtout mettre en œuvre pour organiser une élection libre, démocratique, transparente et inclusive, en février 2024. Les organisations de la société civile invitent les autorités étatiques àcréer une Commission d’enquête indépendante et impartiale pour faire la lumière sur la mort de plusieurs dizaines de personnes et la destruction de biens publics et privés, occasionnées par les troubles survenus entre mars 2021 et août 2023. La société civile recommande aux autorités de se conformer aux principes de l’Etat de droit et d’avoir àl’esprit que la liberté́ d’expression est consubstantielle àla démocratie qui est caractérisée par la contradiction.
LIBERTÉ DE LA PRESSE : Article 19 dénonce des violations flagrantes
L’Etat de Sénégal ne respecte pas les droits humains, selon Alfred Bulakali de Article 19. « Beaucoup d’atteintes à la liberté de la presse sont notées depuis la Covid-19. Les violences exercées sur des journalistes et des maisons de presse depuis cette pandémie se sont poursuivies et ont pris différentes formes lors de manifestations publiques ». Par ailleurs, Alfred Bulakali a relevé qu’on « est dans un environnement où il est opportun de se demander si le journaliste peut exercer son métier en toute tranquillité ». Il trouve que, « les autorités doivent redoubler d’efforts pour une liberté de presse sans crainte. La liberté de la presse a besoin de lois fortes il est important de réformer le Code de la presse et les organes de régulation». Mieux ajoute-t-il, « il est important de mettre fin aux délits de presse et la diffamation qui ont été parfois à l’origine de la convocation de plusieurs journalistes. Que les opinions exprimées dans le cadre de l’exercice du métier de journalisme ne soient pas criminalisés. Les médias doivent aussi respecter les règles de déontologie ».