Reçus parfois par les plus hautes autorités locales, élevés au grade d’officier de l’Ordre du mérite au Sénégal, Jacob Desvarieux et ses colistiers ont suscité la naissance de l’afro-zouk, un genre devenu très populaire sur le continent
Membre emblématique de Kassav’ qui a fait voyager le zouk antillais dans le monde entier durant plus de quatre décennies avec un succès aussi inattendu qu’inégalé, Jacob Desvarieux s’est éteint ce vendredi 30 juillet à Pointe-à-Pitre des suites du Covid-19. Il avait 65 ans. Le musicien guadeloupéen basé en métropole entretenait avec le continent africain et ses artistes une relation étroite de longue date.
Sa voix rocailleuse, grave et presque discrète semblait taillée pour le blues. Mais c’est au rythme du zouk que Jacob Desvarieux s’est fait entendre et a marqué les esprits, même si le guitariste chanteur s’est offert au milieu de sa carrière une escapade rappelant ses liens avec la musique du Sud des États-Unis, le temps de l’album Euphrasine’s Blues.
Durant plus de quatre décennies, avec la formation Kassav’ dont il était devenu de facto le leader, il a porté l’étendard de la musique antillaise. À son palmarès au sein du collectif, entre autres, le premier Disque d’or pour la Guadeloupe en 1986, une Victoire de la musique en 1988, dix Zéniths à Paris remplis pour les dix ans d’activité (1989), deux Bercy pour ses vingt ans, le Stade de France pour ses 30 ans, La Défense Arena (plus grande salle d’Europe avec 40 000 spectateurs) pour la décennie suivante en 2019.
Souvent cité comme le groupe français qui a le plus tourné à l’étranger, affichant plus de 70 pays à son compteur, Kassav’ peut se prévaloir d’avoir attiré des foules considérables, en particulier en Afrique (Angola, Burkina Faso, Madagascar, Mozambique, Congo, Cameroun, Bénin…) où sa résonance ne s’est jamais démentie depuis le premier concert en Côte-d’Ivoire en 1985.
"On nous avait dit qu’en Afrique on était des stars, mais on n’y croyait pas. Quand on est arrivé à l’aéroport et qu’on a vu qu’il y avait des milliers de personnes qui nous attendaient, on a réalisé", racontait-il, expliquant aussi que "si le zouk a du succès, c’est parce que c’est un peu une synthèse de toutes les musiques noires".
Reçus parfois par les plus hautes autorités locales, élevés au grade d’officier de l’Ordre du mérite au Sénégal, Jacob Desvarieux et ses colistiers ont suscité la naissance de l’afro-zouk, un genre devenu très populaire sur le continent et ses îles voisines.
Cette paternité et cette renommée lui ont valu d’être souvent invité à titre personnel par des artistes africains de premier plan à partager le micro avec eux : le duo togolais Toofan, l’Angolaise Yola Araujo, la Gabonaise Patience Dabany, la Béninoise Angélique Kidjo, l’Ivoirien Alpha Blondy, le Camerounais Manu Dibango, le Comorien Chébli, la Cap-Verdienne Elida Almeida…
Première guitare
Né à Paris en novembre 1955, Jacob Desvarieux passe ses dix premières années aux Antilles, entre Guadeloupe et Martinique, avant qu’un cyclone ne pousse sa mère qui l’élève seule à avoir recours aux services du Bumidom (Bureau des migrations d’outre-mer) pour venir en métropole comme employée de maison en banlieue parisienne. Le jeune garçon reçoit en cadeau à cette époque sa première guitare, offerte à la place du vélo qu’il avait demandé, jugé trop dangereux !
L’instrument, inutilisé, suit avec les bagages dans le bateau lorsque la famille déménage pour Dakar, au Sénégal, en 1966. Il ne descend pas du meuble sur lequel il est posé, sauf quand les voisins, musiciens – Adama Faye et son jeune frère Habib accompagneront Youssou N’Dour –, demandent à l’emprunter. Pour ne pas être en reste, Jacob finit par apprendre quelques rudiments par leur intermédiaire et se découvre une passion insoupçonnée, qu’il cultive après son retour en France en 1968.
A Marseille, au milieu de la décennie suivante, le jeune homme rejoint un groupe dont le répertoire d’abord constitué de reprises de rock (Jimi Hendrix, Cream, des Rolling Stones…) se métisse progressivement : les Haïtiens de Tabou Combo viennent de signer le premier tube caribéen en France avec New York City, et l’afrobeat nigérian de Fela a la cote.
Renommée Sweet Bananas, la formation à laquelle appartient Jacob pousse la porte des studios d’enregistrement pour Bilboa Dance, dont certains passages ont un évident parfum antillais. Mais c’est à l’écoute d’African Music du Trinidadien Bill-o-Men, passés par les Grammacks, qu’il renoue avec la musique de ses origines. Au même moment, il joue pour le Guinéen John Ozila, s’installe à Paris et y monte le Zulu Gang qui compte entre autres dans ses rangs les Camerounais Jean-Marie Ahanda, futur chanteur des Têtes brulées, et Jacques Mbida Douglas qui participera à l’aventure Kassav’.
Connexion camerounaise
Au Studio Johanna à Bagnolet, aux portes de la capitale, il s’occupe de la prise de son. Si l’époque, est riche en rencontres, elle l’est aussi sur le plan créatif : impliqué dans Kassav’, conçu à l’origine comme un laboratoire de recherche pour élaborer un style moderne propre aux Antilles et identifiable, le musicien multiplie les collaborations, notamment avec les artistes camerounais. "Il fait partie de la légion étrangère du makossa […] Il a participé à près de 90% des productions camerounaises, tous rythmes confondus”, écrit Jean-Maurice Noah dans son ouvrage Le Makossa, une musique africaine moderne paru en 2010.
Au cœur de la scène afro-funky-disco, il intervient aussi bien sur les projets du natif de Douala Pasteur Lappé, roi du sekele movement, que de la Tunisienne Chantal Curtis. Sous sa photo en médaillon imprimée au verso de la pochette du 33 tours Africa Gounyok de Jules Kamga enregistré à cette période, le texte ressemble à une annonce qui fait a posteriori sourire : "Jacob Desvarieux. Guitariste de studio. Guadeloupéen. 25 ans. Tel : 358.20.73 (Paris)".
De plus en plus accaparé par Kassav’ au fil des années, impliqué dans les albums de chacun des membres comme des siens, l’auteur de Oh Madiana ou Sye Bwa s’est attaché à soutenir ceux qui ont suivi ses pas. À partir de 1988, il organise une manifestation baptisée Le Grand Méchant Zouk, dont la septième édition en 2017 a rendu hommage à Patrick Saint-Eloi, ancien chanteur du groupe et figure majeure du zouk. Il est aussi le producteur, et l’une des voix de Laisse parler les gens, l’un des tubes de l’année 2003 présent sur le projet Dis l’heure 2 zouk.
Investi plus largement dans la valorisation des artistes ultramarins (il avait parrainé la première édition de L’Outre-mer fait son Olympia en 2018), Jacob Desvarieux s’était élevé à de nombreuses reprises pour dénoncer la faible représentativité des communautés ultramarines et africaines dans les médias et au cinéma, ou encore à la cérémonie des Victoires de la Musique en 2020, après la suppression des catégories “musiques du monde” et “musiques urbaines”. Le père du zouk ne manquait jamais de rappeler que la genèse de cette musique très souvent réduite à son côté festif était concomitante des mouvements identitaires aux Antilles.
Dans un long message adressé aux Sénégalais et au mouvement sportif en particulier, le premier vice-président de la Fédération sénégalaise de football, Saër Seck, qui avait déclaré sa candidature à la succession de Me Augustin Senghor avant de s’engager dans une voie de consensus autour de ce dernier, est revenu sur ses pas. A une semaine de l’Assemblée générale élective de la fédération, prévue le 7 août prochain, Saër Seck revient sur les circonstances qui l’ont poussé à accepter l’accord signé à Eden Roc, siège du CNOSS, égratigne Augustin Senghor dans la conduite des destinées du football sénégalais, tire sur Mady Touré, qu’il juge coupable d’avoir été irresponsable en s’épanchant sur sa position et ignore royalement le quatrième candidat déclaré, Mbaye Diouf Dia… Emedia vous propose ici l’intégralité de la lettre du président de l’Institut Diambars.
« Chers compatriotes
Amis sportifs
Le 10 juillet, je vous faisais part de ma décision de présenter ma candidature à la présidence de la fédération sénégalaise de football (FSF), lors de l’élection prévue le 7 août prochain. Je vous avais entretenu des motivations de cette candidature » fruit d’une mûre réflexion mais aussi d’une longue expérience dans les instances dirigeantes de notre football « .
Je me proposais de partager avec vous » un programme à la fois ambitieux et réaliste qui aurait besoin non pas seulement d’un assentiment de votre part, mais d’une appropriation et d’un accompagnement pour une mise en œuvre bénéfique aux besoins de tous
Chers acteurs du football et chers amis sportifs, j’ai, par la suite, immédiatement été saisi par un comité de médiation en vue de trouver un consensus. Je me dois, à la vérité, de vous informer que le consensus en question se devait, dans son esprit, d’être le condensé des axes programmatiques des différents candidats ainsi que des propositions d’acteurs et d’éminentes personnalités expérimentées du football sénégalais.
C’est seulement ensuite que ce comité chargé du consensus devait définir le processus pour désigner la personne qui devrait diriger le consensus comme Président de la Fédération Sénégalaise de Football.
J’ai fait beaucoup d’efforts et consenti d’énormes sacrifices pour ne pas, à ces moments là, « polluer » la campagne électorale de notre candidat Augustin Senghor à la CAF avec une campagne domestique mais également pour ne pas être celui dont l’attitude ou l’action casserait la dynamique naissante du consensus.
Cependant, ma position constante, exprimée à tous, a toujours été d’être le candidat expérimenté, capable de faire franchir à notre football, déjà bien mis sur orbite, des paliers importants.
Cette position était partagée par de nombreux acteurs et dirigeants importants de notre football avec qui j’ai eu de fréquents échanges approfondis avant de déposer ma candidature.
J’ai également dit, redit et répété, aussi bien aux autres candidats qu’aux membres du comité chargé du consensus, que le porteur de ce programme commun, né du consensus, pour l’avenir de notre football ne pouvait être Maître Senghor qui a présidé aux destinées de notre football lors des trois derniers mandats successifs et qui lui a beaucoup apporté.
Je pensais et continue de penser qu’après trois mandats, cinq CAN, un poste, extraordinaire pour le Sénégal, de 1er Vice Président de la CAF et après avoir déclaré en toute bonne foi que le mandat qui s’achève le 7 août 2021 serait son dernier mandat, qu’il aurait dû prendre du recul et de la hauteur pour aider à trouver un consensus entre les autres candidats.
Ces derniers se seraient, à leur tour, engagés aux côtés de l’Etat, à préserver sa représentation au comité exécutif de la CAF ainsi que son poste de 1er Vice Président au profit de notre pays.
Les faits, sur ce point, m’ont donné tort. Nous avons tous été témoins des péripéties autour de sa candidature pour conduire le consensus dont je lui donne acte et pour laquelle je respecte la position de ses tenants, tous éminents acteurs de notre football.
C’est pourquoi, pour rester dans la dynamique du consensus et trouver la meilleure solution, j’ai proposé à Monsieur Senghor d’abord en réunion entre les 4 candidats puis lors de mon audition par le comité de conduire le consensus jusqu’à la coupe du monde 2022 pour essayer de parachever l’importante œuvre réalisée et ensuite de permettre et favoriser une nouvelle gestion avec l’arrivée d’un nouveau Président.
Cette proposition a été reformulée devant le comité chargé de porter le consensus lors de mon audition personnelle comme condition de ma part pour accepter de rester dans le consensus et apposer ma signature au bas du protocole 2 du 22 juillet.
Au surplus, ce consensus qui est le seul auquel j’adhérais devait se poursuivre avec une rencontre à quatre (Augustin Senghor, Ablaye Sow, Louis Lamotte et Saër Seck) afin de stabiliser la feuille de route et entre autres acter cet accord.
Cette rencontre devait être convoquée sans délai, de manière quasi immédiate.
C’est à ces seules conditions que j’avais accepté de signer le protocole qui m’avait été soumis ; dont le dernier point tente de rendre compte de ces échanges et de cet accord.
Malheureusement le candidat Mady Touré (qui était absent lors de cette audition) s’est largement épanché imprudemment et de manière irresponsable (pour dire le moins) dans sa campagne sur ma position sans en connaître les tenants et les aboutissants au lieu de se concentrer sur son programme (il serait le seul à en avoir) et sur sa quête du vote des acteurs. C’est peut être le manque d’expérience relevé par certains.
Ceci dit, je suis dans l’obligation de constater que depuis lors (jeudi 22 juillet) non seulement le Comité en charge de la médiation pour trouver un consensus n’a pas convoqué cette réunion mais il est véhiculé dans le pays et dans la presse (surtout par notre ami candidat Mady) l’idée que j’aurais totalement accepté que l’actuel président reste en place pour le prochain mandat en entier.
Et que je me serais ainsi renié.
Cela constitue une violation de l’accord tacite, du « gentleman agreement » convenu entre parties prenantes.
Tous ces événements, ajoutés au fait que la logique de mener campagne (proximité du 7 août probablement oblige) a pris le pas sur le point 1 du protocole 2 appelant à la fusion des programmes laissé en souffrance et pour lequel le comité, qui semble avoir posé son dernier acte avec le protocole 2 du 22 Juillet, n’a pris aucune initiative.
En conséquence de tout ce qui précède j’ai décidé de
- Me retirer du consensus dont l’esprit programmatique et les conditions posées par moi ne me semblent plus respectés,
- Ne pas être membre du prochain comité Exécutif (au titre des 8 cooptés prévus dans les accords du consensus) ainsi que d’aucune instance fédérale,
Rester au service du football de mon pays en tant qu’acteur à la base aux commandes exclusives de mon club.
L’ambition personnelle ne saurait être mon leitmotiv, ce que du reste ma passion pour le football, mon parcours et l’histoire récente de notre sport ont fini de démontrer y compris aux plus sceptiques.
Cheminer ensemble c’est aussi et surtout s’imposer des valeurs communes mais aussi savoir se séparer pour, peut-être, mieux se retrouver pour des lendemains meilleurs.
Beaucoup n’ont pas compris mon attitude et ma position et même si certains ont retenu des erreurs voire des fautes, j’ai toujours essayé d’avoir beaucoup de retenue et de hauteur sans jamais perdre de vue l’intérêt supérieur du football sénégalais.
Je remercie tous les acteurs qui m’ont accordé leur confiance et leur soutien (et à qui j’aurais voulu parler individuellement avant ce communiqué) mais je remercie aussi ceux qui ont fait un autre choix dont beaucoup sont des amis, le resteront et avec qui on se retrouvera.
Je souhaite à la prochaine équipe dont se dotera le football sénégalais une bonne chance.
Mes prières ne manqueront pas pour que les objectifs dont chacun de nous rêve se réalisent.
Vive le football sénégalais.
Vive le Sénégal ! »
JACOB DESVARIEUX EST MORT
Le leader du groupe Kassav s'est éteint à l'âge de 65 ans. Atteint du covid-19 et hospitalisé en urgence, le guitariste n'a pas survécu à cette infection
Le confondateur du groupe Kassav, hospitalisé depuis plusieurs jours en Guadeloupe pour infection de covid-19, est mort (30 juillet 2021) à l’hôpital des Abymes à l’âge de 66 ans selon Guadeloupe la 1ère.
Le chanteur, musicien, arrangeur et producteur Jacob Desvarieux, est une personnalité marquante de la vie musicale des Antilles. À Paris où il est né, il se révèle en plein âge d’or du disco. Il devient musicien et arrangeur de studio. C’est là qu’il fait la rencontre de Pierre-Edouard Decimus, avec qui il crée le groupe Kassav en 1979.
Kassav, la machine à zouk
Le groupe qui rassemble entre autres, Jocelyne Béroard, Jean-Philippe Marthely, Jean-Claude Naimro, Patrick Saint-Eloi…est le symbole de la révolution musicale antillaise par le zouk.
Kassav a joué sur les cinq continents. En 1989, le groupe obtient le Prix de la Francophonie au Québec, il a aussi le privilège d’être le premier groupe noir à jouer en Russie, rapporte RFI.
Kassav se produit essentiellement en concert, en enregistrant disque sur disque, et plus de trente albums solos de ses membres. Jacob Desvarieux prend une place prépondérante dans ce succès.
Plusieurs concerts étaient à son programme des grandes vacances aux Antilles. Nous l’avions vu en symbiose avec son groupe Nam Kan à l’espace Arawak au Gosier (Guadeloupe) le 8 juillet 2021.
«LA PEINTURE SOUS-VERRE EST ESSENTIELLEMENT NARRATIVE»
Elle a tourné le dos à l’enseignement de la littérature, mais elle n’a jamais cessé de transmettre sa passion et ses connaissances artistiques. La plasticienne Anta Germaine Gaye anime l'atelier ‘’Fer et Verre’’. Diplômée de l'École normale supérieure d'éducation artistique de Dakar, elle est surtout connue pour sa pratique artistique qui englobe notamment la peinture sous-verre. Dans le cadre d’un atelier organisé par le Goethe-Institut, en partenariat avec le Pénc 1.9, cette grande dame, qui a enseigné l’éducation artistique, s’est confiée à ‘’EnQuête’’.
Parlez-nous de votre atelier ‘’Fer et verre’’…
J’ai enseigné jusqu’à ma retraite, dans la Fonction publique, l’art et plus particulièrement l’éducation artistique, ce qui n’est pas tout à fait de l’art, mais plutôt une activité d’éveil des jeunes à l’art. Et l’atelier ‘’Fer et Verre’’ que je dirige est un atelier de partage et d’échange, donc de rencontres. Je dispense des formations et je reçois également des gens avec des talents divers.
C’est ainsi que l’atelier a abouti avec les activités du Vendredi Slam, qui regroupe un groupe de jeunes qui s’expriment par le slam, cette poésie contemporaine. Les vendredis, on se retrouvait à la nuitée et on chantait, on déclamait, on dansait, on échangeait. Et c'était fabuleux, parce que cet atelier avait une activité presque cathartique, puisque les gens, pour la première fois, parfois, s'exprimaient. Ceux qui n’avaient jamais osé s’exprimer sont ainsi arrivés à le faire. Et c’est bien. Nous avons déjà travaillé sur différentes rubriques telles que La peinture sous-verre ; L’initiation des jeunes et moins jeunes, disons pour tout âge ; des Exercices de calligraphie, de l’ikebana ; La florale japonaise dans laquelle j’ai subi des classes et que je pratique. L’ikebana, ça doit être le reflet de la nature. Notre nature n’est pas celle d’un pays en hiver, ni celle d’un pays complètement déserté. Et c’est donc avec les végétaux, les branches sèches ou vives que l’on trouve. Et on suit des règles bien précises. J’ai participé à toutes les éditions du Partcours qui doit fêter cette année-ci ses 20 ans. C’est une série d’ateliers qui sont ouverts et les gens peuvent aller d’atelier en atelier, voir un peu ce que les gens font. On s’expose soi-même où on expose des groupes.
C’est ainsi que j’ai pu révéler des talents à partir de cet atelier, comme Fally Sène Sow que l’on connaît à présent, qui est mon fils d’adoption et qui a été mon ancien élève.
Vous avez étudié la littérature, mais le virus de l’art vous a piquée et vous avez choisi de peindre plutôt que d’enseigner les lettres à l’université. Pourquoi ?
Au terme de ma formation à l’université Cheikh Anta Diop, j’ai réalisé que je n’avais pas du tout envie d’aller enseigner la littérature. J’adore la littérature. Je pense que je suis une vraie littéraire. Mais les conditions d’enseignement… c’était quelque chose d’incomplet, pour moi. Enseigner la littérature toute la vie, je veux bien. Mais je sentais que je voulais passer ma vie à pratiquer l’art. Ce n’était pas très clair, pour moi, au départ. Est-ce que j’allais peindre ? Est-ce que j'allais dessiner ? Est-ce que j’allais écrire ?
Et qu’est-ce qui a finalement guidé votre choix ?
C’est le fait de réaliser que j’étais à un tournant, que j’allais carrément prendre une direction et que je ne pouvais plus revenir en arrière et que j’allais passer à quelque chose qui était essentiel pour moi. C’est plutôt cette crainte-là. Mais ce n’est pas un facteur extérieur. Je me suis dit : ‘’Mais attendez ! Je vais tout de suite aller enseigner et puis je ne vais faire que ça. Ça prend bien assez de temps et bien assez d’énergie. Mais moi, je suis artiste, je ne peux pas faire ça seulement.’’
Donc, j’ai décidé d’aller dans une école d’art. La formation que j’ai pu avoir était celle de professeur d’éducation artistique. C’est-à-dire, on recrute des bacheliers et, au terme de quatre ans d’études, sous le régime de normalien. Il y a un engagement décennal dans la Fonction publique pour enseigner, puisqu’on a une bourse.
On enseigne aux enfants comment exprimer des choses par les couleurs, par les formes, par la matière. Alors que, par exemple, le professeur de français, il les fait exprimer par des mots. Voilà ! C’est la différence. C’est juste ça. Donc, j’ai eu beaucoup de chance, puisque cette école m’a permis d’apprendre les rudiments que je devais après aller enseigner. Mais aussi, cette école m’a confirmée dans ma vocation d’enseignante. Je pense que je suis essentiellement enseignante. Et même, je le crois, je suis pédagogue.
Et pour enseigner, il faut aimer transmettre ; il faut aimer aider l’autre à oser ; il faut aider l’autre à se révéler à lui-même. Je crois que cela aussi, c’était en moi. Donc, je dirai que j’ai eu beaucoup de chance, même si, au départ, j’ai eu le manque de compréhension de mon entourage pour qui c’était une lubie. Mais, au fil du temps, je pense que ce même entourage a beaucoup apprécié ce que je faisais. Par la suite, je me suis retrouvée à être le mentor ou alors la personne qui booste les jeunes femmes et les jeunes hommes qui veulent aller dans cette direction, qui ne savent pas trop comment faire. Et je pense que mon profil et mon parcours ont aidé à convaincre beaucoup de parents, puisque ce n’était pas enviable dans beaucoup de maisons.
Comment en êtes-vous venue à la peinture sous-verre ?
Lorsque j’ai rédigé mon mémoire de Maîtrise, j’avais pris comme thème ‘’La société traditionnelle dans l’œuvre romanesque d’Ousmane Socé Diop’’, son roman ‘’Karim’’. J’avais parlé de cette société-là. Cette société saint-louisienne avec des pérégrinations dans Rufisque, Gorée, Dakar (les 4 quatre communes). Et en prenant mon sujet de mémoire, par des recoupements, je me suis dit qu’il faut qu'il y ait un lien entre ce que je fais et ce que je vais faire pour que ça ne soit pas perdu. En plus, mes sources d’inspiration étaient les mêmes. C’était la société saint-louisienne, musulmane, à la fois traditionnelle et très avant-gardiste. Et c’est une société métisse avec des emprunts dans différentes cultures et avec une symbiose qui a donné ce qu’on sait, à tel point qu’Ousmane Socé Diop appelait Saint-Louis du Sénégal par cette phrase : ‘’Au centre du bon goût et de l’élégance.’’ J’ai donc pris la parure.
Et lorsque je l’ai prise, un de mes professeurs m’a dit : ‘’Tu ne peux pas traiter ce sujet sans faire de la peinture sous-verre… Avant d’aller voir ceux qui font de la peinture sous-verre, j’ai fait moi-même des essais. Des accidents dans ces essais-là (un verre brisé, un verre gratté qui révèle des choses imprévues) m’ont donné une direction. Et quand je suis allé voir les gens qui faisaient de la peinture sous-verre, longtemps après, ça m’a confortée dans l’idée que je n’allais pas faire la peinture académique - si l’on peut dire - mais que j’allais juste prendre le verre avec tout ce qu’il offrait, tout ce qu’il permettait de faire et que mes recherches se feraient sur le verre. Je n’ai jamais cessé de considérer chacune de mes œuvres comme une étape de mes recherches sur le verre, en faisant passer des émotions, une partie de mon histoire, et de mes rêves également.
L’utilisation du fer est également votre marque de fabrique. Qu’est-ce qui explique votre amour pour ce métal ?
Je pense que pour le fer, il doit y avoir une influence de vitro dans les églises. La peinture sous-verre est apparentée aux icônes que l’on trouve dans les vitraux des églises : des figures saintes qui sont faites en verre soufflé et tout, mais enchâssé dans du plomb. Peut-être que c’est cette dualité, ce paradoxe entre le verre qui est vraiment fragile et le plomb, le métal. Peut-être c’est cela ; la loi des contraires qui s’attirent. Le dur et le fragile, le yin et le yang, l’ombre et la lumière cohabitent. Je me suis laissé aller à mes inspirations sans me donner de limites.
Quelle est l’histoire de la peinture sous-verre au Sénégal ?
Il y avait des Libano-Syriens qui, au début du XXe siècle, faisaient venir des chromolithographies représentant des figures saintes. On en trouvait dans les vieux calendriers. C’était également des saints des confréries khadriya et tidjaniya, comme Cheikh Ahmed Tidiane Chérif.
Que s’est-il passé par la suite ?
Le gouverneur général de l’AOF, William Ponty, a commis une circulaire interdisant la circulation de ces images saintes, parce qu’elles avaient une très grande influence sur l’esprit, disait-il, des Africains, des colonisés qui devaient juste être influencés par la France.
Ainsi, cette circulaire interdisait la vente, la circulation, l’utilisation et l’achat de ces images. Des ouvriers (charpentiers, maçons, couvreurs, etc.), ceux qui avaient accès aux matériaux des chambres de commerce y trouvaient du verre industriel, ont mis ces verres-là sur les images et les claquer. Mais, au fil du temps, ces peintures de saints se sont substituées également à des peintures des saints du terroir comme Cheikh Ahmadou Bamba, El Hadj Malick Sy, Seydina Limamou Laye. Il y avait également des paraboles qui étaient racontées. Ces images saintes renferment des histoires. La plupart des peintres étaient instruits en arabe. C’était des lettrés, mais la majeure partie des masses auxquelles ils s’adressaient étaient des analphabètes. Alors, ils allaient dans les campagnes montrer ces images en racontant des histoires. Et les gens achetaient ces images ou donnaient quelques pièces pour connaître la suite de l’histoire.
Mais il y a eu après un genre de migration (quelque chose qui ne reste pas sur place, qui évolue). Au-delà des images saintes, il y a eu celles profanes, qui ne parlaient plus de religion, mais de la vie en général. Il y avait aussi des images satiriques qui racontaient des histoires drôles, par exemple, quelqu’un qui court, parce que le lion le poursuit ; il s’apprête à grimper sur un arbre, mais un grand serpent l’attend là-bas. Il y avait également des figures de mode comme Al Demba avec son grand pantalon bouffant qui danse.
Avec l’avènement de la photographie qui n’était pas à la portée de tous, il y avait les photographies des élégantes de l’époque et de figures religieuses qui étaient reprises en couleurs. Et beaucoup demandaient qu’on leur fasse des cadres en verre avec de belles images des coques, des fleurs, des oiseaux, ils mettaient leur photo dedans. A l’avènement d’une grande mode appelée le ‘’Xoymet’’, on mettait partout sur les murs des photographies, des objets d’autruche ou de peigne, pour décorer et pour accueillir la mariée. Dans toutes les maisons, tous les murs étaient enluminés de ces photos-là.
Qu’est-ce qu’il y a eu de nouveau dans la pratique de cet art ?
C’est une question de mode. On reconnaît un mobilier grâce aux caractéristiques de l’époque où il a été fait. Les gens étaient très conventionnels. Et dès qu'ils en avaient les moyens, ils achetèrent ce qui se faisait. Lorsque vous regardez les photos de femmes, vous pouvez savoir en quelle année elles ont été photographiées grâce à la coiffure, au tissu de l’époque, à la posture même. C’est pour cela qu’on dit que la peinture sous-verre est essentiellement narrative. Témoin d’une histoire, dans un lieu déterminé, elle racontait très joliment, avec de très jolies couleurs.
A part la peinture, quelles autres passions avez-vous ?
C’est la vie tout simplement (elle aime particulièrement les fleurs). C’est l’écriture, ma famille, mes amis, c’est l’autre. L’autre ne m’est jamais indifférent. Et c’est ma foi et ma croyance. J’ai la conviction qu’il y a une vie ici, qu’il y a une autre vie qui va arriver.
DES DOSES VACCINS RÉSERVÉES POUR LES JOURNALISTES
Pour faire face à la 3e vague de la Covid-19 qui fait des ravages dans les secteurs socio-économiques et qui dévaste les rédactions, le Synpics a démarché la mise en place d’une unité de vaccination avancée pour le secteur de la presse.
Pour faire face à la 3e vague de la Covid-19 qui fait des ravages dans les secteurs socio-économiques et qui dévaste les rédactions, le Syndicat des professionnels de l’information et de la communication du Sénégal (Synpics) a démarché la mise en place d’une unité de vaccination avancée pour le secteur de la presse. Ainsi, en collaboration avec le ministère de la Santé et de l’Action sociale, ‘’les journalistes, techniciens et autres travailleurs des médias peuvent se rapprocher des équipes qui seront installées à la Maison de la presse les vendredi 30 juillet, samedi 31 juillet et lundi 2 août pour y recevoir leur dose de vaccin’’.
Dans un communiqué parvenu, hier, à ‘’EnQuête’’, le Synpics a rappelé que ‘’les membres de la presse sont, malheureusement, non seulement des personnes à risque, mais également des vecteurs de transmission de la maladie, au regard de leurs innombrables déplacements’’.
Selon la note, le respect strict des mesures barrières, notamment la distanciation physique, le port du masque et l’usage du gel hydro-alcoolique, ‘’sera de vigueur lors de ces trois jours de vaccination’’. Outre cette initiative en faveur des acteurs des médias, le Synpics demande aux responsables des rédactions de prendre des mesures de protection supplémentaires au sein de leurs entreprises respectives et dans les différentes étapes de la chaine de production et de diffusion des informations.
‘’Une désinfection systématique des studios, du matériel de tournage et/ou d’enregistrement, ainsi que des moyens de transport (véhicules) est fortement recommandée, en plus du télétravail’’. Il invite également la presse à accentuer son rôle de conscientisation du public, afin de stopper au plus vite la propagation de la pandémie.
PART DE RESPONSABILITÉ DES ACTEURS POLITIQUES
Selon le sociologue Waly Diouf, plusieurs paramètres entrent dans l’explication du désengagement des populations dans la lutte contre la pandémie.
‘’On ne peut pas négliger les effets pervers des attitudes des acteurs politiques’’
Selon le sociologue Waly Diouf, plusieurs paramètres entrent dans l’explication du désengagement des populations dans la lutte contre la pandémie.
Pendant que le variant Delta accroît le taux de contaminations, on assiste aujourd'hui, au Sénégal, à un relâchement presque total de la population. Comment expliquer cette situation ?
Le Sénégal est, depuis mars 2020, concerné par la pandémie de Covid-19, cette pneumonie qui s’est déclenchée vers novembre 2019 à Wuhan (province d’Hubei, Chine). Conformément aux orientations de l’Organisation mondiale de la santé déclinées à travers les dispositions du Règlement sanitaire international, le gouvernement a introduit un ensemble de mesures politiques, administratives, juridiques et sanitaires pour endiguer la pandémie. Depuis quelques mois cependant, différents pays font l’objet d’une prolifération de variants du Sars-Cov-2, le virus responsable de la Covid-19.
Le variant Delta, qui a été documenté au Sénégal depuis avril 2021, fait aujourd’hui l’objet d’une plus grande inquiétude, en raison de sa contagiosité, mais aussi de sa morbidité. Le communiqué n°511 indique que le Sénégal a enregistré, à ce jour, 57 263 cas de contamination dont 45 170 guéris, 1 281 décès et 10 811 en cours de traitement. Rien que pour la journée du 25 juillet, 12 décès et 690 nouvelles contaminations ont été documentés, avec un taux de positivé de 29,47 %. Ces différentes statistiques traduisent le niveau critique de la situation sanitaire.
L’allègement important des mesures, qui a été décidé par le gouvernement à partir de mars 2021, avec notamment la levée du couvre-feu, a été un des éléments ayant remis en cause les mesures de distanciation physique et sociale, mais aussi produit un relâchement vis-à-vis des autres moyens de lutte dont principalement le port du masque. Cette évolution de la politique nationale, même si elle répond à une certaine demande sociale, reste cependant peu pertinente, du point de vue de certains observateurs, pour un pays où une majorité de la population est encore hésitante à la vaccination.
On ne peut pas également négliger les effets pervers des attitudes des acteurs politiques, avec les différentes tournées et rassemblements organisés dans différentes localités du pays, sur le relâchement des gestes barrières par les populations.
En outre, il existe encore certains Sénégalais qui ne croient pas à l'existence du virus. Qu'est-ce qui l'explique, selon vous ?
Aujourd’hui, caractériser les attitudes ou discours de certaines populations comme le fait de ne pas croire en l’existence de la Covid-19, constituerait une analyse tronquée qui ne permet pas de déceler les processus cognitifs sous-jacents. Ces discours laissent plutôt entrevoir des attitudes de déni, étant ici entendu comme un mode de défense particulier où la personne refuse de reconnaître une réalité traumatisante, tout en la reconnaissant d’une certaine manière. Cette définition met en avant deux aspects assez intéressants.
Le premier décline les processus sélectifs chez l’individu face à une réalité de nature traumatisante. Or, comme nous pouvons l’observer, les populations ont été confrontées, depuis mars 2020, à des décisions politico-sanitaires de gestion de la pandémie particulièrement contraignantes et traumatisantes. Les mesures de distanciation physique et sociale, par exemple, remettent en cause un ensemble de pratiques et de formes de solidarité dont la conséquence est de produire un ‘’drame social’’.
Dans ces conditions, adopter une attitude de déni constitue, pour certaines catégories, une forme de réponse cognitive à la situation de crise qu’instaure la pandémie, ainsi que ses modalités de gestion.
En second, on peut retenir, de la définition du déni, les processus qui consistent à réorienter la perception sur une réalité afin de la rendre plus acceptable. Concernant la pandémie de Covid-19, ces processus ont été favorisés par ce qu’on caractérise d’infodémie.
En effet, le développement de la pandémie a été accompagné d’une surabondance d'informations, de véracité très variable, ne facilitant pas à la population générale de trouver des informations fiables, afin d'agir en conséquence. En dehors des capacités à opérer des choix face à ce flot d’informations, certains s’orientent également vers des itinéraires de convenance.
Ainsi, on peut constater que les théories complotistes qui accusent les pouvoirs publics, par exemple, ne traduisent, en effet, que des manières de réinterpréter la réalité, afin d’en amenuiser les effets.
En outre, il est important de reconnaître que la dimension sanitaire n’est pas le seul impact de la Covid-19 en Afrique particulièrement où les mesures de gestion sont difficilement conciliables avec une économie essentiellement informelle. Les récentes émeutes populaires au Sénégal, en mars 2021, sont en grande partie liées à la précarité des ménages qui est accentuée par les orientations de la politique nationale de gestion de la pandémie, en dépit des efforts de résilience de l’État.
Quelles solutions s'imposent ?
La responsabilisation des communautés dans la réponse aux problèmes de santé publique n’est plus à discuter. Cependant, les apories autour de ce principe ont conduit à des modalités et pratiques d’implémentation qui les ont rendues contre-productives dans différentes expériences de gestion de la pandémie. Cette situation s’observe dans les difficultés des pouvoirs publics à engager les communautés dans les mesures de lutte promues. D’ailleurs, dans plusieurs pays, la politique nationale s’oriente vers une approche dissuasive.
En Guinée, par exemple, la réponse à la faible adhésion à la vaccination a été d’imposer un carnet de vaccination aux personnes qui désirent avoir une mobilité interurbaine. Une telle approche, même si elle contraint les populations aux décisions de l’État, est toutefois productrice d’effet pervers avec des pratiques de contournement des normes et des corruptions des services de contrôle.
On distingue ainsi les limites des différentes approches, mais aussi l’intérêt d’un élargissement de la perspective. Concrètement, il s’agit de construire la réponse à travers un ‘’bricolage’’ basé sur les points positifs de ces différentes approches.
Il est, en outre, primordial que les pouvoirs publics, en particulier, se repositionnent dans une communication par l’exemple, afin de redynamiser la confiance au dispositif et de conduire les populations à s’approprier la lutte contre la pandémie.
Face à la propagation assez rapide du variant Delta du coronavirus, le Sénégal cherche encore la bonne formule de lutte, alors que de larges pans de la société refusent de croire, encore aujourd’hui, en l’existence de la Covid-19. Des spécialistes analysent la situation et préconisent des solutions.
Le business de la vente de masques a repris de plus belle. Troisième vague oblige. Dans la capitale sénégalaise, les vendeurs pullulent, surtout aux abords des structures publiques et privées, et des lieux de culte. Le jeune Amadou Ndiaye, originaire de Diourbel, tire son épingle du jeu, depuis les premiers mois de l’avènement du coronavirus au Sénégal, en 2020. Très dégourdi, casquette bien vissée sur la tête, il rivalise d’astuces face à ses deux autres concurrents pour empocher les 100 F des rares clients du carrefour ‘’Sahm’’. Il faut courir dans tous les sens pour intercepter, le premier, ceux-là qui doivent entrer dans l’hôpital Abass Ndao.
‘’La vente avait pris un coup, mais depuis le mois passé, les affaires ont repris. On se débrouille tant bien que mal avec ça, même s’il faut reconnaître qu’il y a moins de clients que lors des précédentes flambées de cas’’, lance-t-il, occupé à faire la monnaie. Le jeune homme vend des masques certes, mais n’en porte pas. D’une voix à peine audible, il nous confie qu’il ne compte pas en porter : ‘’Sincèrement, je ne crois pas à l’existence de la Covid-19 dans ce pays. Nos autorités sont les premières à fouler aux pieds les règles qu’elles ont-elles-mêmes établies. Combien de rassemblements il y a par jour, organisés par des ministres et le président lui-même ? Au début, en mars 2020, j’ai cédé à la psychose, mais j’ai fini par me faire à l’idée que la Covid-19 est une pure invention au Sénégal. Et puis, d’ailleurs, il y a des maladies bien plus graves dans ce pays qui tuent nos parents’’.
Tout porte à croire qu’Amadou en a gros sur le cœur, surtout qu’avec les mesures de semi-confinement, la pauvreté a gagné du terrain et s’est accentuée chez ceux-là qui, comme lui, vivent au jour le jour. ‘’C’est injuste, parce qu’ici, ce sont les pauvres qui en paient le prix. Chez nous, on ne sait pas ce qu’est le télétravail. En tout cas, moi, je vends les masques pour ceux qui croient à l’existence de la maladie’’, lance-t-il en cherchant du regard de potentiels clients, son petit carton de masques à l’épaule.
Ni le rappel du nombre de décès ou la panique chez les médecins, encore moins les hôpitaux débordant de monde ne lui font changer d’avis.
D’ailleurs, parmi les acheteurs, n’eût été le protocole sanitaire exigé à l’entrée de l’hôpital, beaucoup affirment qu’ils se seraient bien passés du masque de protection. Comme A. Ndiaye, ils sont nombreux ces Sénégalais qui réfutent catégoriquement l’existence du virus dans le ‘’pays de la Teranga’’.
Les acteurs de l’informel font de la résistance
Vendeurs ambulants, vendeurs de café, gérants de Fast-Food ambulant..., nos interlocuteurs, tous acteurs du secteur informel sont formels : la Covid-19 n’a jamais franchi les frontières sénégalaises. Du côté des chauffeurs de taxi, ce n'est qu'à l'apparition d'un policier ou d'un gendarme dans les parages que le masque reprend sa place. Sinon, il est rangé en poche ou dans un coin du véhicule.
"Le coronavirus n'existe pas au Sénégal. C'est juste une invention des autorités pour contrôler nos déplacements et aussi pour que l'Occident abreuve nos autorités de sous. On a tout compris. Si cette maladie existait réellement dans ce pays, Macky Sall n’allait pas faire le tour du Sénégal en pleine pandémie. Ce n’est que de la comédie, tout cela’’, martèle Ibrahima Dramé au volant de son taxi.
Le trentenaire digère mal la situation économique critique qui règne dans bon nombre de ménages. De nouvelles mesures restrictives connaîtront, selon lui, une farouche opposition de la part des Sénégalais. Les composantes de cette frange de la population qui ne croient pas (ou plus) à l’existence de la Covid-19 font florès.
‘’C’est le président qui a sonné la fin de la Covid-19’’
D’une manière générale, pour ‘’les incrédules’’, plus aucune mesure ne devrait voir le jour. Si ces états d’esprit paraissent exagérés ou suicidaires pour certains, en psychologie, ils trouvent une explication. ‘’Le premier responsable de cette indifférence, du désengagement et de la démobilisation, c’est le pouvoir. C’est le président qui a sonné la fin de la Covid-19 et personne d’autre. Premièrement, lors de la première vague, il y a eu un consensus national qui a permis de mobiliser des fonds et les gens se sont engagés à donner pleins pouvoirs à Macky Sall pour gérer cette pandémie. On a voté un budget de 1 000 milliards de francs CFA, mais on sait juste que les 15 milliards ont servi à acheter du riz. Deuxièmement, Macky Sall vient de se balader dans presque 11 régions du Sénégal en tournée économique, mobilisant plus de trois millions de Sénégalais avec tout l’appareil d’Etat et les populations qu’on a transportées d’un bout du Sénégal à l’autre’’, analyse pour ‘’EnQuête’’ le psychologue Serigne Mor Mbaye.
‘’Le constat est là. Il y a eu, d’abord, un relâchement de la part de l’Etat. La situation actuelle pourrait s’expliquer par la communication politique que l’Etat a dernièrement utilisée. Des efforts ont été faits. Mais après, on a vu une posture de victoire, de glorification, dans une démarche de communication pour dire : ‘Nous avons pu vaincre la Covid-19.’ Cela a rythmé le discours politique, surtout le discours étatique et a influencé la posture des Sénégalais, parce que ceux qui respectaient plus ou moins les mesures barrières, dans une logique de prévention active, ont fini par croire que la Covid-19 avait disparu du territoire’’, soutient pour sa part le sociologue Ismaila Sène.
Il ajoute : ‘’Je ne pense pas qu’il y ait des Sénégalais qui n’ont pas cru à l’existence de la Covid-19. Je dirai, comme hypothèse, que ce sont plutôt des gens qui n’ont pas été convaincus des mesures qui ont été proposées pour lutter contre la pandémie ou des Sénégalais qui ont, plus ou moins, banalisé la maladie. A mon avis, la croyance y était, sans pour autant qu’ils s’inscrivent dans une prévention active. Par rapport aux données que j’ai pu recueillir, c’est beaucoup plus une logique de banalisation plutôt qu’une logique de remise en question de la Covid-19.’’
En d’autres termes, l’Etat du Sénégal est l’acteur principal de ce nouvel état d’urgence qui indiffère plus d’un.
L’absence d’une prise en charge psychosociale
L’évidence, selon le psychologue, c’est que la Covid-19 a installé les Sénégalais, dès mars 2020, dans un climat traumatogène, de peur et d’angoisse, et surtout de paupérisation. A l’en croire, l’impact de la pandémie au Sénégal est beaucoup plus profond : ‘’Pensez-vous que les populations sont à nouveau prêtes à se retrouver encore dans un état de confinement ? En mars dernier, j’ai écrit aux institutions internationales pour dire qu’il faudrait qu’on investisse dans l’impact de la pandémie sur la santé mentale des populations. Il faut absolument tenir compte de cela, car la pandémie, avec son caractère traumatogène et ses contraintes de confinement, de stigmatisation, d’isolement, nous a installés dans une situation dépressive. Toutes les personnes qui ont été fragiles ont basculé dans la dépression. J’ai suivi certaines personnes que la Covid-19 a installées dans une situation dépressive momentanée. Il a fallu les accompagner, mais également leurs familles. Cela n’est pas un luxe, c’est ce à quoi devaient servir ces milliards’’.
Pour Serigne M. Mbaye, un vaste programme de prise en charge psychosocial des populations s’impose. Il s’agit de faire en sorte que les gens puissent disposer d’une écoute téléphonique permanente pour les apaiser. Quant aux personnes affectées mentalement, elles bénéficieront d’une écoute et d’un counseling de spécialistes, afin de les aider à dépasser toute la dimension psychosomatique.
‘’Les Sénégalais n’ont pas vu de modèles’’
Par ailleurs, rappelant que les Sénégalais n’ont pas vu de modèle en matière de respect des mesures barrières, le sociologue I. Sène plaide pour l’application des mesures préventives par ceux-là qui les ont mises en place. ‘’La meilleure solution, c’est que les autorités qui prennent ces mesures soient les premières à les respecter. On a constaté que les premiers à violer ces mesures sont soit le président, soit des autorités politiques. Donc, on est dans une situation où il devient compliqué pour les Sénégalais de se conformer à ces mesures. Il faut que les acteurs qui gouvernent soient les premiers à respecter les mesures barrières pour convaincre la population de la pertinence et de l’utilité de ces mesures‘’, explique-t-il.
Sans ce préalable, il sera difficile, selon le spécialiste, de changer cet état de défiance chez la population. Partant du fait que l’Etat a perdu en crédibilité, ces experts préconisent une nouvelle approche de lutte impliquant les responsables communautaires et religieux. ‘’On doit passer à une dimension de prise en charge communautaire, détaille M. Mbaye, par des actions de solidarité communautaire. Il y a une défiance par rapport au pouvoir en place. Il faudrait retourner vers la société civile et les communautés elles-mêmes.
Je pense que le pouvoir religieux peut jouer un rôle, de même que les mouvements associatifs. Ces entités-là sont un peu plus crédibles que le pouvoir central. Aussi, il faut sortir de la dimension mercantile de la gestion de la pandémie. Le test doit être possible dans nos postes de santé, mais que l’Iressef ou l’Institut Pasteur monopolise le dépistage, c’est antidémocratique et criminel. Il faudrait que les dépistages puissent se faire partout dans le pays. Le personnel médical travaille dans des conditions inhumaines. Il est foncièrement exposé. C’est criminel. Le pouvoir et le ministère de la Santé doivent rendre des comptes. C’est une urgence’’.
Dans la même veine, le sociologue Ismaila Sène indique qu’il serait intéressant d’impliquer certains acteurs qui ont une légitimité sur les plans communautaire et social (autorités religieuses, autorités et leaders communautaires, les ASC) afin de les amener à s’approprier le combat et les pousser à le porter. Ils serviront ainsi de relais aux populations.