Pour entendre leurs positions sur les appels au départ des forces françaises, Emmanuel Macron dit convoquer les dirigeants africains à Pau en France. Mais les propos du chef de l'Etat français passent mal au Niger
Face à la contestation populaire contre la présence des forces armées étrangères au Sahel, et particulièrement celle de la force Barkhane, le président français Emmanuel Macron a annoncé avoir convoqué les chefs d'Etat des pays du G5 Sahel pour le 16 décembre à Pau, afin qu'ils viennent clarifier leur soutien à la présence des militaires français.
Ces propos sont très mal accueillis par des Nigériens qui les qualifient de méprisants. "Si Emmanuel Macron convoque les chefs d'Etat pour leur dire : venez clarifier vos positions, alors que c'est avec eux que tout cela a été organisé, et que ceux-ci acceptent, alors cela signifie qu'il ne souhaite pas qu'ils refusent", analyse Moussa Tchangari qui préside l'association Alternative espaces citoyens, une organisation de la société civile du Niger.
Recul démocratique
Pour Moussa Tchangari, le président français souhaiterait que"les chefs d'Etats lui donnent les garanties qu'ils prendront des dispositions pour empêcher les critiques contre la présence des forces militaires françaises. Donc c'est un défi et un recul sur le plan démocratique. De ce point de vue, c'est grave, il a été vraiment très mal inspiré".
Mais pour Issa Garba, porte-parole de l'ONG Tournons la page, cette rencontre pourrait être l'occasion pour les chefs d'Etat africains d'affirmer la souveraineté de leur pays. "Le président Mahamadou Issoufou ne devrait même pas envoyer Abba (son directeur de cabinet et par ailleurs son fils, ndlr) à cette réunion. Ma conviction est que Issoufou ne devrait même pas y aller. Il n'a pas de compte à rendre à Macron. Quand Sarkozy (ancien président français) avait des problèmes au Niger, il s'était déplacé. C'est lui (le président Macron) qui a des intérêts au Niger. Mais nous, quels intérêts avons-nous en France ? On n'a rien, on n'a aucune société nigérienne qui y opère. Ce sont eux qui ont des sociétés ici", s'emporte Issa Garba qui souhaiterait plutôt voir Emmanuel Macron venir rencontrer ses homologues africains "en Afrique".
Le gouvernement du Niger n'a livré dans l'immédiat aucune réaction officielle suite aux propos du président français. Le Front de l'opposition indépendante maintient pour sa part ses premières déclarations : "les forces militaires étrangères doivent quitter le Niger".
A l'Assemblée nationale du Niger, aucun député n'a accepté de se confier à la DW. Cependant, un élu de la Majorité, qui a requis l'anonymat, estime que c'est une affaire qui ne concerne que l'Exécutif car celui-ci n'a jamais sollicité l'avis du parlement pour autoriser la présence des forces étrangères au Niger.
par Wagane Faye
PAUVRES TALIBÉS !
Attendons de voir si des croyants fervents iront nuitamment souffler à des chefs religieux de clamer haut et fort que Guy Marius et autres ne mériteraient même pas une minute de privation de leur liberté pour les faits qui motivent leur mandat de dépôt
Le ministère de la justice est décidément à l’ordre du jour depuis un certain temps, tant à cause du nombre effarant de faits qui n’ont pas manqué de soulever des cœurs pas seulement de personnes sensibles que pour leurs caractères aussi regrettables les uns que les autres. Le caractère hideux de ce qui vient de se passer à Ngagne où un maître Coranique, sous un prétexte religieux musulman s’est permis d’enchaîner des enfants, ne constitue pas le premier scandale. Il est simplement venu s’ajouter à d’autres cas plus graves : qu’on se souvienne de cette adolescente froidement massacrée à Tambacounda par quelqu’un jouissant pourtant de ses facultés mentales, de cette dame aussi froidement égorgée par son chauffeur dans la banlieue de Dakar, et j’en passe.
Dans la précipitation, certains reprochent au ministère de la justice de ne pas suffisamment sévir contre les voyous qui troublent le sommeil des paisibles citoyens auxquels la sauvegarde de leur vie et de leurs biens empêche de dormir. Mais d’autres s’en prennent aux autorités de la sécurité publique pour un oui ou pour un non, toujours prompts à mener une course de vitesse vers des chefs religieux pour bénéficier de leurs interventions pour échapper aux sanctions. C’est dommage qu’ils rencontrent souvent des oreilles attentives sans discernement préalable et sans tenir compte des victimes qui se consolent par « Yalla dinaniou atté ».
Mail il faut reconnaître que le pouvoir politique, qui édicte pourtant des lois adorables, des principes de droit pénal remarquables, ne laisse pas souvent la « justice faire son travail ». Il est vrai que le parquet et le siège, dans leur ensemble ne se rebiffent pas en général contre le diktat des autorités de tous ordres, qui les régentent, qui ne ratent pas d’occasion pour leur rappeler astucieusement qu’ils ont l’œil sur eux « en vue de demain ».
Pour la petite histoire, une fois, au sortir d’une salle d’audience correctionnelle où une décision « incroyable » venait d’être rendue, faisant l’objet de commentaires, un ancien ministre de la justice, redevenu avocat avait dit : ce n’est pas chaque fois qu’une décision bancale est rendue que c’est à cause des immixtions des tenants du pouvoir. Et pour convaincre ses confrères qui l’écoutaient bouche bée, il laissa entendre que lorsqu’il était ministre de la justice, plus d’une fois soit des juges ou des magistrat du parquet lui avaient demandé dans quel sens il aurait voulu qu’ils traitent telle ou telle affaire qu’ils avaient en charge. Affaires signalées et affaire entre des justiciables jouissant de moyens disproportionnés.
Les histoires qu’on entend souvent critiquer sur les décisions de justice ne sont pas toujours inventées, mais la plupart du temps correspondent à des faits vécus.
Pour en revenir au cas des talibés, on se serait attendu à une réprobation unanime une sanction ultra sévère pour qu’enfin sous aucun prétexte aucun oustach, ne songe à faire ce qu’a fait l’oustach de Ndiagne, et que personne, ne serait-ce que pour se faire passer pour un croyant musulman fervent, ne tente de justifier que des bambins puissent être enchainés, quelque soit le motif prétendu.
Faut-il rappeler à certains doctes religieux et à ceux qui croient aveuglement en eux, que le seul juge qui ne se trompe jamais, que personne ne peut influencer en monnayant ses décisions est Dieu ? C’est regrettable que tout décideur en ait conscience mais peu parmi nous s’en inspire.
Maintenant c’est l’affaire de ceux qui, en réalité croient au juge d’ici-bas pour des raisons à eux. Pour le reste, advienne que pourra.
Mais on attendra encore très longtemps pour voir se former une unanimité combattante contre le sort fait aux bambins, à la merci de certains Oustach auxquels ils sont destinés à servir d’agents pour toutes les besognes, auxquels rien n’empêche d’en faire à leur tête, qui continueront à recruter à la pelle parmi les enfants des parents défavorisés, aveuglés par des croyances, dont la philosophie milite pour la prohibition de la limitation des naissances, fort de cette croyance très rétrograde « Dieu mettra toujours quelque chose dans les bouches qu’il ouvre ». Cela donne une idée sur l’utilisation dévoyée de la religion dont se couvrent certains pour se conduire comme bon leur semble. Il y a lieu de douter que de tels supposés croyants croient en quelque chose.
Leur point de vue sur l’acte sadique dont s’est rendu coupable serigne Cheikhouna GUEYE qui, pour avoir enchaîné des bambins comme le ferait un surveillant d’animaux, des députés plus particulièrement un parmi eux ne se sont pas gênés de s’en prendre au Ministre de la Justice d’avoir « demandé au Procureur de Louga de dire le droit dans cette affaire ». Pour l’honorable député Cheikh Abdou MBACKE Bara Doly la Justice aurait ainsi défié le Khalif Général des Mourides. N’est-ce pas la une tentative d’influencer dans le mauvais sens en évoquant le nom du Khalife Général des Mourides auquel il n’est pas évident que certains ne prêtent pas des déclarations qui traduisent leur propre point de vue, non celui du chef religieux.
Attendons de voir si des croyants fervents iront nuitamment souffler à des chefs religieux de clamer haut et fort que Guy Marius et ceux comme lui ne mériteraient même pas une minute de privation de leur liberté pour les faits qui motivent leur mandat de dépôt.
Les faits qui se déroulent devant nous sont une preuve que certains croient plaire à des notables religieux ou politiques en les poussant dans l’erreur. En effet, un ministre de la justice ne saurait mieux faire que d’encourager un Procureur de la République à dire le droit, ce que ce député reproche au procureur de Louga. Peut-être que pour lui il serait plus indiqué d’applaudir à se rompre les phalanges un Procureur qui ne se soucierait pas des rapports des citoyens vis-à-vis de la loi. Malheureusement ainsi, l’ordre public continuera à être bafoué, au profit de l’ordre imposé en faveur des roitelets de tous acabits. C’est la véritable loi de la jungle. N’oublions pas que « tey yaw, elleg sa morom ». N’oublions jamais l’affaire Khalifa SALL qui a terni notre réputation de pays de loi.
"LE MAINTIEN DU FCFA ENCOURAGE L'INDISCIPLINE FISCALE"
L'économiste Ndongo Samba Sylla bat en brèche l'argument d'Alassane Ouattara selon lequel la parité fixe du FCFA permer de rembourser une dette contractée avec un taux d'intérêt invariable
Le débat sur le franc CFA vient de ressurgir à la faveur du sommet des chefs d'états de l'uemoa tenu à Dakar mardi 3 décembre.
Fidèle à sa position, le président ivoirien a encore défendu le franc CFA.
Selon lui l'arrimage du CFA à l'euro est un avantage.
Il soutient que cette parité fixe permer de rembourser une dette contractée avec un taux d'intérêt invariable.
Argument battu en brèche par l'économiste sénégalais Ndongo Samba Sylla.
L'invité de BBC répond aux questions de Cheick Omar Bandaogo.
"L'ESSENTIEL DE LA CLASSE POLITIQUE AFRICAINE NE REND COMPTE QU'À SES MAÎTRES OCCIDENTAUX"
Pour l’économiste Kako Nubukpo, l’Afrique est instrumentalisée en tant que laboratoire du néolibéralisme par les instances internationales comme le FMI ou la Banque mondiale, qui imposent depuis des décennies des programmes économiques destructeurs
Libération |
Vittorio De Filippis |
Publication 05/12/2019
Pour l’économiste, l’Afrique est instrumentalisée en tant que laboratoire du néolibéralisme, notamment par les instances internationales comme le FMI ou la Banque mondiale, qui imposent depuis des décennies des programmes économiques destructeurs. Il appelle à la mobilisation autour de projets de société collectifs et inclusifs, et à la reconquête des instruments de la souveraineté agricole.
Le discours sur l’émergence africaine serait-il la dernière trouvaille de dirigeants en perte de légitimité ? Certes, sur les 54 pays que compte le continent, une trentaine a enregistré des taux de croissance d’au moins 3 % en 2018. Les investissements directs étrangers y ont augmenté de 11 %, contre 4 % en Asie pendant qu’ils baissaient de 13 % au niveau mondial. Malgré ces chiffres, l’émergence de l’Afrique apparaît à bien des égards une arlésienne. C’est du moins l’avis de Kako Nubukpo qui a été ministre chargé de la Prospective et de l’Evaluation des politiques publiques du Togo (2013-2015) et chef du pôle «analyse économique et de recherche» de la Commission de l’Union économique et monétaire ouest-africaine à Ouagadougou. Dans son dernier ouvrage, l’Urgence africaine. Changeons le modèle de croissance, cet économiste défend la thèse d’une instrumentalisation de l’Afrique comme laboratoire du néolibéralisme avec la complicité de ses propres élites. Kako Nubukpo tire la sonnette d’alarme sur la réalité d’une Afrique qu’il juge à la dérive, subissant des prédations de toutes sortes, des sorties de capitaux licites et illicites…
Vous soutenez la thèse selon laquelle l’Afrique est toujours «le laboratoire du néolibéralisme», n’est-ce pas un peu exagéré ?
On pourrait ajouter l’Amérique latine. La spécificité de l’Afrique, c’est de coupler ce statut de laboratoire avec une démographie très dynamique et une absence de classe moyenne. L’Afrique a un terreau fragile qui accentue ses difficultés. La proximité des côtes libyennes avec celles de l’Europe rend encore plus urgente la nécessité de regarder ce qui se passe en Afrique. C’est un continent cobaye, un laboratoire de postulats qui ne se vérifient pas, d’idéologies économiques en provenance du reste du monde… Erigée en horizon indépassable de la science économique, la pensée néolibérale n’a eu de cesse de tester sa toute-puissance en Afrique. On peut reprendre les propos de la philosophe Hannah Arendt lorsqu’elle affirmait que «l’Occident a pour habitude d’infliger aux populations périphériques les maux qu’il s’apprête à s’infliger à lui-même».
Mais en quoi l’Afrique est-elle un «laboratoire» ?
Historiquement, les dirigeants africains ont été formés pour être le relais du colonisateur, voire de le remplacer. La première école, créée par Louis Faidherbe en 1855 au Sénégal, s’appelait «l’Ecole des otages». L’expression était tellement forte qu’on l’a ensuite remplacée par «l’Ecole des fils de chefs». Il fallait qu’ils deviennent les relais de l’administration coloniale et qu’ils puissent à terme remplacer le colonisateur. Il y avait donc une extraversion originelle par rapport à l’élite. Pendant toute cette période, les syndicats africains ont gagné en puissance. Et ce sont souvent leurs chefs de file qui ont pris le pouvoir. Or les qualités pour prendre le pouvoir ne sont pas forcément celles qu’il faut pour gérer l’après. Ensuite, les responsables politiques africains ont été pris en étau dans la guerre froide. Ce qu’il y a de commun dans ces deux expériences, africaine et sud-américaine, c’est que vingt ans après les indépendances, nous nous sommes retrouvés dans une grave crise de la dette.
Est-ce pour cette raison que vous affirmez que la tragédie grecque fut d’abord africaine ?
Oui. A partir des années 80, le FMI et la Banque mondiale utilisent l’Afrique pour tester le consensus de Washington, faisant de ce continent leur laboratoire où seront appliqués, contre une aide financière, des programmes d’ajustement structurel. Il s’agissait de faire de la désinflation compétitive, en clair faire baisser tous les coûts y compris ceux des salaires pour s’insérer dans la globalisation économique, le tout avec des réformes dites «structurelles» au premier rang desquelles il convient de mentionner la libéralisation du marché du travail et les privatisations des entreprises publiques. Bref, ces plans ont conduit les Etats à réduire drastiquement leurs dépenses sociales, leurs investissements en infrastructures et la taille des fonctions et services publics. Au lieu d’assumer que ces jeunes nations avaient besoin de dépenser beaucoup pour construire les bases du développement, les bailleurs de fonds, comme le FMI, se sont arc-boutés sur la réalisation d’équilibres macroéconomiques de court terme. Les résultats se passent de commentaires : des sociétés africaines exsangues, des économies faiblement productives dépendantes du reste du monde, un chômage de masse dont le pendant est une vague sans précédent de migrations de populations jeunes. Le FMI et la Banque mondiale ont agi comme si les conditions institutionnelles nécessaires à la réalisation des réformes étaient réunies. Or toutes les études démontrent le contraire, et on voit que le remède est pire que le mal. Les apôtres des politiques d’ajustement structurel expliquent, en cas de résultats insuffisants, que leurs réformes n’ont pas été totalement mises en œuvre et que si leur théorie ne cadre pas avec la réalité, cette dernière a forcément tort.
A vous écouter on est loin des discours de ceux qui expliquent que l’Afrique est désormais émergente.
Ce sont là des discours de tables rondes de bailleurs de fonds et autres cabinets de conseil. Derrière ces discours performatifs, les faits sont têtus : l’Afrique subsaharienne est la seule région du monde où la population extrêmement pauvre, vivant avec moins de 1,25 dollar par jour, a doublé en cinquante ans. C’est aussi la région du monde où la croissance du revenu par habitant est la plus faible depuis 1960. Ses Etats pointent depuis vingt ans dans le bas du classement de l’Indice de développement humain (IDH).
Alors rien n’encourage à l’optimisme ?
Pas sur cette question de l’émergence… D’ailleurs, la plupart des dirigeants africains ont des discours à géométrie variable. Au FMI, ils réaffirment de se conformer au néolibéralisme, à l’équilibre des finances publiques coûte que coûte ; à l’OMC à l’ouverture des frontières commerciales ; et dans les sommets avec les pays émergents, les voilà qui deviennent très volontaristes, vantant les mérites du néomercantilisme asiatique qui combine protection face aux importations et politiques agressives à l’export. Et quand ils se retrouvent à New York, au siège de l’ONU, ils n’ont plus qu’un seul credo : atteindre les objectifs du développement durable. N’importe qui peut comprendre que tous ces discours forment un amas de contradictions. Et je ne parle pas ici de ces gouvernements qui souffrent de statistiques peu fiables. On ne dira jamais assez que dans la plupart des pays africains, pour avoir des données nationales fiables, on extrapole les statistiques urbaines à l’ensemble du pays. De telles pratiques ne peuvent pas rendre compte de la forte hétérogénéité des situations régionales pour un même pays.
L’Afrique rurale représente les deux tiers de la population africaine, et vous dites que c’est surtout elle qui souffre de la pauvreté. Comment la connecter au reste du monde ?
Elle est, en effet, déconnectée du monde. Nous savons bien que c’est grâce au travail des paysans, qui nous procurent des devises via les exportations, que les urbains peuvent jouir d’un niveau de vie beaucoup plus haut. Or l’agriculture africaine est prise en étau entre les prédations massives de terres auxquelles se livrent des pays émergents, comme la Chine, et l’importation récurrente de surplus agricoles étrangers au continent, qui baissent drastiquement les incitations pour les Africains à produire eux-mêmes ce qu’ils consomment. L’urgence africaine est celle de la voie de la reconquête des instruments de la souveraineté agricole.
Comment faire ?
Il s’agit d’opérer une transformation agricole en augmentant la productivité du secteur. Il s’agit aussi de faire en sorte de développer l’accès aux services de banques, d’assurances, de transports… Il faut surtout la mise en place de politiques agricoles dignes de ce nom. Il faut donc clarifier le rôle exact des pouvoirs publics dans la gestion, la régulation et le soutien aux prix et donc aux revenus des agriculteurs. Il faut aussi des institutions capables de cibler des aides. C’est ainsi qu’on pourra renforcer des chaînes de valeur agricoles. Il faut changer ce modèle de croissance extravertie qui conduit l’Afrique à exporter des produits sans les transformer et à importer en retour des produits finis et l’alimentation. C’est là le gage à terme d’une prospérité partagée et d’une réduction de l’immigration subie.
Vous dites d’ailleurs que certaines perspectives d’immigration sont gratuites et non fondées.
Migrants économiques, climatiques, réfugiés de guerre, ruées vers l’Europe… L’invasion semble aux portes de l’Europe. Sauf que les chiffres sont inexacts. Certains spécialistes de la question démographique, comme François Héran et Pierre Jacquemot que je cite dans mon ouvrage, contestent trois affirmations récurrentes sur le phénomène migratoire. L’Europe du Nord ne sera pas peuplée de 25 % d’immigrés subsahariens, même si l’Afrique subsaharienne passe de 970 millions à 2,2 milliards de personnes en 2050. La pauvreté serait source de migration : cette affirmation est elle aussi fausse car on sait qu’en raison même de sa pauvreté, l’Afrique subsaharienne émigre peu. Plus un pays est pauvre, moins ses habitants ont de chances de migrer loin. L’aide au développement permettra de réduire les migrations : cette dernière affirmation est également fausse car plus un pays se développe, plus ses ressortissants ont les moyens financiers pour migrer…
Comment éviter de reproduire les erreurs du passé ?
Il faut cesser de croire que ce qui permet à un pays de s’en sortir, ce sont les matières premières. Je crois que la clé du développement réside dans la capacité à mobiliser les populations autour d’un projet objectif collectif. Mais pour que la population accepte de faire des sacrifices pour que demain soit meilleur qu’aujourd’hui, il faut des gouvernements crédibles et légitimes.
Encore faudrait-il que le temps court du politique corresponde à celui qu’exigent les enjeux du développement. De ce point de vue, je suis relativement pessimiste. D’autant que l’Afrique ne produit pas encore elle-même ses dirigeants.
Mais affirmer, comme vous l’écrivez, que «l’Afrique montre au reste du monde les dirigeants que le reste du monde veut voir», là encore, ça paraît exagéré.
Mais il est évident que la plupart des dirigeants ont le discours de la doxa internationale. L’essentiel de la classe politique africaine est offshore, elle est adoubée de l’extérieur, elle ne rend compte qu’à ses maîtres occidentaux. Certes, l’industrialisation, dont tout le monde parle, peut constituer une voie nécessaire à l’émergence. Mais elle ne saurait se substituer à l’impératif de définir un projet de société inclusif, ouvert. Une société qui tournerait résolument le dos à la prédation ayant cours dans des économies qui sont le plus souvent des économies rentières. Mais pour cela, il nous faut des dirigeants qui ont le sens de l’intérêt général.
par Alassane Aliou Fèré Mbaye
JE T'AIME SI...
Ecrire une lettre, draguer une fille et entendre de sa bouche cette rengaine d’un autre temps, «danaala jox sa réponse» (je vous donnerai ma réponse), c’est si capiteux !
Au lycée Djignabo de Ziguinchor, temple de notre belle insouciance (grand établissement en parfaite décrépitude aujourd’hui), nous avions un camarade de promotion d’une sensibilité à fleur de peau. Il était d’une spontanée affabilité, vertu qu’il continue d’ailleurs de chérir. Je l’ai revu, il n’y a pas longtemps avec son éternel sourire plein de bonté, presque candide. D’une touchante serviabilité, il nous comblait de sa gentillesse. Cependant, ses échecs amoureux, ses ruptures douloureuses et son investissement humain dans ses relations avec les filles alimentaient la rubrique «potins» de nos oiseux papotages. Cela en faisait presque un personnage affligeant bien qu’il fût aimable.
Nous étions de jeunes fougueux qui se plaisaient à se représenter des contes de fée et à considérer chaque nouvelle conquête comme un moyen de prendre conscience de son moi. Lui, il semblait être perdu dans cet «égotisme» nourri par notre étourderie juvénile. Ainsi, naissait un malentendu, une sorte de déphasage de ce que nous nommions «guel» (petite amie), triomphe d’une masculinité à faire valoir pour les uns, et «projet» de vie et de l’«à venir» pour ceux qui s’étaient précocement drapés dans les vertus de la tempérance. Sans même que nous nous en rendissions compte, notre camarade de promo se mettait en marge de nos aspirations immédiates ou des hâtives et violentes envies pour ceux-là, parmi nous, prématurément portés à la volupté.
Le bonhomme était soigneux, patient avec celles dont il s’était épris et se donnait corps et âme, et surtout beaucoup de temps, pour séduire. Nous l’appelions «Hindou» tant il était romantique et presque chimérique (en référence aux films hindous en vogue à l’époque et où les tourtereaux, inlassablement, «roucoulaient»). Et pourtant, ses relations amoureuses ne résistaient pas au «mercato de Noël» malgré son investissement sincère. Mais, sa foi viscérale en l’amour ne chancelait point. Ses ruptures étaient aussi douloureuses que ses complaintes récurrentes et quelquefois incommodantes pour nous qui l’écoutions et «écumions» le terroir. Une de perdue, dix de retrouvées, nous disions-nous ! Notre ami de la «marge» butait contre notre incompréhension. Il bornait son idéal à l’amour, à la fidélité, à la délicieuse douceur couchée sur ses lettres que rien n’égalait. Elles étaient l’éloge même de l’amour, de la tendresse. Nous nous amusions de ses amours «platoniques», nous qui nous contentions de citations trouvées au pif, à envoyer à la petite «nigaude» du coin, («Si un grain de sable signifiait l’amour pour toi, il faudrait tout le désert du Sahara pour te prouver combien je t’aime», et bien d’autres niaiseries d’adolescents). Lui, par contre, il se donnait la peine de laisser son cœur épris s’abandonner à ses sentiments pour donner à lire des délices. C’est tout cet «apprêt» qui l’aiguillonnait. Sa longue quête fut jalonnée de désillusions, de railleries. Mais la lumière finit par rayonner sur son allée de sens et d’amour. Il a mobilisé sa patience pour se fabriquer un destin avec une épouse aimante et digne de son amour. De nous tous, il est certainement celui qui a su trouver cet équilibre existentiel presque parfait dans sa vie de famille. Il est demeuré «Hindou» !
Notre humanité, en proie aux tourments, a perdu la vertu de la patience. Déclarer sa flamme, c’est tout un art, toute une histoire qui s’écrit entre deux êtres. La femme se sent aimée, désirée. «Je t’aime» ne doit pas être une banale phrase que l’on écrit par texto au beau milieu de la nuit noire quand tous les sens sont en éveil et que l’on oublie aux premiers feux de l’aurore après le retour à soi. «Je t’aime», c’est tout un récit d’amour. «Je t’aime» est un projet qui, dans son ébauche, caresse une chimère avant le bonheur tumultueux. L’amour se fait, en effet, avec tumulte. Et c’est excitant. Courtiser, séduire une fille est un instant d’excitation «magnétique». Malheureusement, nous sommes, aujourd’hui, pris de frénésie à cause des texto, des outils technologiques… Et nous apprécions peu ces petites choses qui pimentaient nos vies. Ecrire une lettre, draguer une fille et entendre de sa bouche cette rengaine d’un autre temps, «danaala jox sa réponse» (je vous donnerai ma réponse), c’est si capiteux ! «Ce n’est pas une question, c’est une effusion de cœur, mademoiselle», aurait, sans doute, rétorqué mon vieil ami «hindou».