L’opposant Ousmane Sonko a été inculpé lundi et placé sous contrôle judiciaire dans l’affaire l’opposant à une employée d’un salon de massage dakaroise qui l’accuse de ’’viols répétés’’ et de ’’menaces de mort’’, ont confirmé ses avocats à des médias.
Le leader du parti Pastef/Les Patriotes, arrêté mercredi dernier, avait vu sa garde à vue levée dimanche avant d’être conduit ce matin au palais de justice de Dakar, pour être présenté au doyen des juges Samba Sall.
M. Sonko avait été arrêté pour trouble à l’ordre public alors qu’il se rendait à une convocation du juge, à la suite d’une plainte de cette masseuse.
Son arrestation mercredi dernier a entrainé de nombreuses manifestations émaillées de violences et de pillages à Dakar et dans d’autres villes du Sénégal.
Au moins cinq personnes sont décédées au cours de ces différents incidents.
Dimanche, les émissaires des guides confrériques et de dignitaires catholiques ont lancé un appel au calme.
De son côté, le médiateur de la République, Alioune Badara Cissé, a souhaité que le président de la République s’adresse au peuple sénégalais pour appeler au calme, à la suite des violentes manifestations survenues dans le pays.
Des mouvements de la société civile et des partis d’opposition ont lancé un appel à manifester lors des prochaines 72 heures.
LE CONSEIL DE L’ORDRE SOUTIENT LES AVOCATS ET MAGISTRATS «AGRESSES ET MENACES»
L’Ordre des avocats dénonce le fait que les avocats de Ousmane Sonko aient été empêchés d’accéder au bureau du Doyen de juges, vendredi dernier. Il dénonce aussi les «agressions et menaces» contre les avocats et les magistrats.
L’Ordre des avocats dénonce le fait que les avocats de Ousmane Sonko aient été empêchés d’accéder au bureau du Doyen de juges, vendredi dernier. Il dénonce aussi les «agressions et menaces» contre les avocats et les magistrats.
Le Conseil de l’ordre des avocats n’est pas indifférent à la situation précaire qui prévaut dans le pays depuis quelques jours. Dans un communiqué, il dénonce le fait que «des avocats, dans l’exercice de leurs fonctions et revêtus de leur costume professionnel, aient été empêchés d’accéder au bureau d’un juge, par les forces de l’ordre». Une façon de rappeler les incidents de vendredi dernier au palais de justice de Dakar où la défense de Ousmane Sonko n’a pu voir son client. Mais de façon générale, le Barreau réaffirme son «soutien» aux avocats et aux magistrats «agressés et menacés et se tient à leurs côtés pour initier toutes actions utiles». Il met également en garde contre les «attaques répétées» contre ses membres et «enjoindra à tous les avocats de quelque bord qu’ils se situent, de suspendre leur participation aux affaires en cours en cas de réitération des menaces et exactions contre la profession».
Dans ce sens, le Conseil de l’ordre invite tous ses membres à une «attention soutenue» et à un «respect scrupuleux» des règles de la profession. Mais en plus, il réaffirme l’attachement du Barreau à la «primauté du droit, au triomphe de la justice et à la sauvegarde de la paix».
Le Bâtonnier Me Papa Leyti Ndiaye et ses hommes appellent par ailleurs les autorités religieuses et coutumières, les acteurs politiques, la société civile et les décideurs à quelque niveau qu’ils se situent, à «œuvrer à la décrispation, le contexte de pandémie lié à la covid-19 nous imposant encore une attention soutenue sur l’urgence sanitaire». Ils exhortent le peuple «à la retenue, au calme et au respect des institution républicaines» et les pouvoirs publics à un «respect scrupuleux des droits et des libertés, en en particulier des droits de la défense».
VERS LA LIBERATION IMMINENTE DE PLUSIEURS MANIFESTANTS ARRÊTÉS
Cette décision à venir sonne comme un vent d'apaisement quelques heures après que Dakar et les autres localités du pays ont connu des scènes de barbarie inouïe
Les bonnes volontés sont montées au créneau ces dernières heures, pour jouer les bons offices, afin que reviennent calme et sérénité dans le pays. Ces médiations commencent visiblement à porter leurs fruits, car quelques minutes après la levée de la garde-à-vue du caméraman et du garde du corps de Ousmane Sonko, l'on file droit vers une libération à grande échelle de la majeure partie des manifestants qui avaient été arrêtés vendredi lors des mouvements de masse ayant occasionné saccages, pillages et violences de diverses natures.
Une source de Dakaractu précise, toutefois, que seules les personnes concernées par l'interdiction de manifestation seront élargies. Cette décision à venir sonne comme un vent d'apaisement quelques heures après que Dakar et les autres localités du pays ont connu des scènes de barbarie inouïe.
Ousmane Sonko quant à lui, malgré la fin de sa garde-à-vue, reste au moins pour cette nuit du dimanche au lundi, entre les mains des enquêteurs à cause du mandat d'amener qui plane au dessus de sa tête. Il devra faire face au juge à 11 heures. Affaire à suivre...
DAKAR SOUS LA PROTECTION DES BLINDÉS
Le gouvernement a déployé un fort dispositif sécuritaire dans la capitale, en prévision de manifestations annoncées et de la présentation à un juge d'Ousmane Sonko
Dakar s'est réveillée lundi avec des blindés de l'armée dans ses rues, à l'aube d'une journée de contestation à hauts risques au Sénégal en proie aux troubles.
Le gouvernement a déployé un fort dispositif sécuritaire dans la capitale, en prévision de manifestations annoncées et de la présentation à un juge du principal opposant au pouvoir, Ousmane Sonko.
L'arrestation de M. Sonko, le 3 mars, a provoqué la semaine passée trois jours de heurts entre jeunes et forces de l'ordre, de pillages et de saccages dans ce pays de 16 millions d'habitants considéré d'ordinaire comme un îlot de stabilité politique.
Au moins cinq personnes ont trouvé la mort, la presse avançant des chiffres plus élevés mais difficilement vérifiables.
M. Sonko se trouvait déjà au palais de justice lundi à 5H30 (locales et GMT), dans l'attente de sa présentation au juge prévue à 11H00, a déclaré à la radio l'un de ses avocats, Me Cheikh Khouraissy Ba.
Les abords du tribunal ont été bouclés et des véhicules blindés positionnés à proximité, a constaté un journaliste de l'AFP. D'autres blindés de l'armée ceux-là, équipés de mitrailleuses, ont été disposés à l'entrée d'un quartier populaire théâtre d'affrontements la semaine passée.
Une colonne d'une dizaine de blindés semblables a été vue passant sur la place de l'Indépendance, centre du quartier névralgique du Plateau, siège des grandes institutions, dont la présidence. Cette dernière était elle-même placée sous haute protection et ses accès barrés.
- Le président attendu -
La présentation de M. Sonko s'annonce lourde d'enjeux autres que judiciaires, selon que le juge décidera de l'écrouer ou de le relâcher. L'incertitude est totale quant à la décision, mais la pression est considérable, à la fois sur le magistrat et sur le président Macky Sall, au sortir d'un week-end qui a vu une précaire accalmie.
M. Sonko, troisième de la présidentielle de 2019 et pressenti comme un des principaux concurrents de celle de 2024, a été arrêté officiellement pour trouble à l'ordre public, alors qu'il se rendait en cortège au tribunal où il était convoqué pour répondre à des accusations de viol portées contre lui par une employée d'un salon de beauté dans lequel il allait se faire masser pour, dit-il, soulager ses maux de dos.
Personnalité au profil antisystème, le député crie au complot ourdi par le président lui-même pour l'écarter de la prochaine présidentielle.
M. Sall a démenti les incriminations de M. Sonko fin février. Confronté à des choix délicats entre indépendance proclamée de la justice, pression de la rue, et conséquences politiques du sort de M. Sonko, il a depuis gardé le silence en public sur l'affaire.
La garde à vue de M. Sonko a été levée dimanche dans le dossier de trouble à l'ordre public, a indiqué à l'AFP un de ses conseils, Me Étienne Ndione. Mais il est resté entre les mains des autorités en vertu du mandat d'amener délivré contre lui dans l'affaire de viols présumés.
Le collectif Mouvement de défense de la démocratie (M2D), comprenant le parti de l'opposant, des formations d'opposition et des organisations contestataires de la société civile, a appelé "à descendre massivement dans les rues" à partir de lundi et pendant trois jours.
- Intervention des chefs religieux -
La tension fait craindre une nouvelle escalade et l'activité était considérablement ralentie à l'aube dans la capitale visiblement inquiète. Les autorités ont suspendu l'école pendant une semaine pour "protéger" les enfants et les enseignants.
L'arrestation de M. Sonko a non seulement provoqué la colère de ses partisans. Elle a aussi, disent de nombreux Sénégalais, porté à son comble l'exaspération accumulée par la dégradation, au moins depuis le début de la pandémie de Covid-19 en 2020, des conditions de vie dans un pays déjà pauvre.
Les différentes parties, à commencer par le président, sont pressées de toutes parts de trouver les voies de la désescalade.
Les Sénégalais "veulent vous entendre, pourquoi diable ne leur parlerez-vous pas ?", a déclaré dimanche une haute personnalité, le médiateur de la République Alioune Badara Cissé. "Faites-le avant qu'il ne soit trop tard".
Les ambassades de l'Union européenne et de ses Etats membres, mais aussi des Etats-Unis, du Royaume-Uni, du Canada, de la Suisse, du Japon et de la Corée du Sud ont appelé à "une restauration pacifique du calme et du dialogue". Les Etats d'Afrique de l'Ouest ont exhorté "au calme et à la retenue".
Plus que ces incitations internationales, ce sont celles des chefs religieux, chrétiens et surtout musulmans, qui risquent de peser. Leurs émissaires, en particulier ceux des khalifes à l'influence considérable sur le pouvoir et la société, ont rencontré le chef de l'Etat, a rapporté dimanche en leur nom le dignitaire Serigne Mansour Sy. M. Sall "nous a écoutés et nous attendons ses décisions", a-t-il dit.
Par Madiambal DIAGNE
OUSMANE SONKO DEVANT LE JUGE, LA REPUBLIQUE RECONNAITRA LES SIENS !
Il n’y a aucune hypocrisie à faire, le leader de Pastef avait voulu de la confrontation et des morts, on peut bien constater amèrement qu’il a eu ce qu’il cherchait
Il n’y a aucune hypocrisie à faire, Ousmane Sonko avait voulu de la confrontation et des morts, on peut bien constater amèrement qu’il a eu ce qu’il cherchait. Peut-on espérer que cette soif de sang a été satisfaite ? Nul ne peut se mettre à la face du monde pour nier que Ousmane Sonko a appelé publiquement et de manière claire et nette ses partisans à empêcher l’action de la justice contre sa personne, au prix de leur vie.
Macky Sall devra assumer pleinement ses devoirs de Chef d’Etat
Des jeunes ont perdu la vie dans cette défiance à l’autorité de la Justice. N’empêche, l’autorité de l’Etat a encore pu s’exercer et Ousmane Sonko se trouve dans les liens de la détention. La spirale de violence va-t-elle se poursuivre ? Tout porte à le croire car les partisans de Ousmane Sonko se montrent déterminés à appliquer, à la lettre, le mot d’ordre de leur leader. Des biens publics comme privés continuent d’être saccagés, brûlés et des personnes violentées. Les forces de sécurité exercent leur mission régalienne de protection des personnes et des biens et d’assurer l’autorité de l’Etat. L’avenir d’un Sénégal de paix, d’une république démocratique et fondée sur des institutions publiques crédibles, sera à ce prix. Le Président Macky Sall et son gouvernement, ont l’impérieux devoir de garantir cet avenir pour le Sénégal. Dans leur intervention, les forces de sécurité ont fait des blessés et causé des morts de citoyens dans des circonstances qu’il nécessitera d’élucider. Il n’en demeure pas moins que toutes ces regrettables morts ne devraient être mises à leur passif. Des manifestants ont eu à immoler sur la place publique un agent de sécurité publique et fait passer un enfer à des gendarmes et policiers avec des actes visant à attenter à leur vie. Des postes de gendarmerie et de police ont été attaqués pour chercher à s’emparer d’armements. On a également vu, dans les reportages des médias, des manifestants, munis d’armes létales, ouvrir le feu sur des cibles pour ouvrir la voie à des hordes de pillards. C’est comme s’il fallait causer le plus de morts, de désordre, afin d’installer un chaos. L’infiltration des manifestations est une réalité dont les forces de défense et de sécurité ont bien conscience.
Ousmane Sonko était resté constant dans sa logique de défiance à l’autorité judiciaire, annonçant urbi et orbi qu’il ne répondrait jamais à la Justice pour s’expliquer sur les accusations de viol et de menaces portées contre sa personne par la plaignante Adji Sarr, une autre citoyenne sénégalaise. Qui pouvait croire à la reculade de Ousmane Sonko de dire, à la veille de sa comparution devant le magistrat instructeur, qu’il allait finalement déférer à la convocation, la fleur au fusil ? Personne ne s’y trompait et ainsi, attendra-t-il l’heure à laquelle il devait être devant le Juge pour quitter son domicile, accompagné d’un cortège de plusieurs centaines de personnes, à pied, et des dizaines de véhicules, tout en choisissant de prendre le chemin le plus aléatoire pour se rendre au Palais de Justice. La provocation était manifeste et quand les forces de sécurité lui avaient indiqué la voie à suivre pour éviter tout désordre potentiellement préjudiciable à la paix et à l’ordre publique, Ousmane Sonko avait refusé d’obtempérer.
Est-il besoin de rappeler que dans la circulation routière, tout citoyen qui ne se sentirait pas au-dessus des lois, suit le chemin que lui indique la police ou la gendarmerie. Mieux, par le passé, on avait pu observer que des responsables politiques, convoqués en Justice et qui s’y rendaient accompagnés de foules de militants, n’acceptaient pas moins de suivre l’itinéraire désigné par la police. D’ailleurs, on a pu voir, à travers les écrans de télévision, les gendarmes négocier et proposer à Ousmane Sonko de l’assister, l’escorter et l’encadrer jusqu’au tribunal. C’est devant le refus systématique de Ousmane Sonko que ces agents de la sécurité publique, ont fini par l’exfiltrer du cortège.
Ousmane Sonko avait manifestement cherché à provoquer cette arrestation. Elle a sans doute été une allumette, avec des jeunes de son cortège qui ont déclenché immédiatement des émeutes. On peut aussi dire que les manifestants ont été encouragés par des avocats, des hommes politiques et des responsables de la société civile ainsi que par des journalistes et responsables de médias. Des actes de manipulation et d’intoxication de l’opinion ont été déroulés à plein régime. Des chaines de télévision ont ouvertement appelé à l’insurrection, au soulèvement et des journalistes ont suggéré des lieux à attaquer. Ainsi, des adresses de domiciles de magistrats et des locaux de responsables politiques ou de sièges de médias ont été données en direct sur des antennes. Un journaliste a même eu à inciter ouvertement les manifestants à aller chercher des pistolets pour en découdre avec les forces de l’ordre. Tels sont les faits que nul ne peut réfuter!
Une société «si vile»
La mèche est allumée, le feu a pris et s’embrase. L’occasion est bonne pour divers groupes d’exprimer une colère, une frustration ou de chercher à piller des biens d’autrui. En vérité, l’agenda des manifestants dépasse véritablement un ras le bol démocratique et cela, bien de nos concitoyens emballés dans la spirale contestataire pour des idéaux démocratiques n’en ont peut-être pas la pleine mesure. C’est sans doute la conjonction de multiples exaspérations. Il y a dans l’expression de cette furie, la frustration de personnes victimes des contraintes liées aux mesures de gestion de la pandémie du Covid-19. Il y a aussi dans les rangs des manifestants, des pilleurs comme ceux observés, prenant d’assaut les boutiques de luxe de l’Avenue des Champs Elysées en France (manifs des «gilets jaunes») ou ceux, vus dévalisant les boutiques de la 5th Avenue à New York (marches de «Black Lives Matter»). Le banditisme et un ras le bol social se sont incrustés dans ce mouvement et certains partisans de Ousmane Sonko, que tout le monde avait fini d’identifier comme des «terroristes de la toile» ont investi la rue. A ce propos, Ousmane Sonko leur avait préalablement enjoint d’agir ainsi, dans sa déclaration du 7 février 2021, leur disant que «le combat ne se limite plus dans les réseaux sociaux mais dans la rue pour en découdre avec le régime de Macky Sall». Ils étaient passés à l’acte dès le lendemain de cet appel insurrectionnel. Le modus operandi assez trouble donne froid dans le dos quant au projet en cours. Des escouades de quatre à cinq brigands se joignent toujours aux foules, munis d’armes létales, entament les casses, haranguent les foules et donnent des cibles à des cortèges sans leader, qui cassent tout sur leur passage.
Dans la surenchère, ils demandent à travers les réseaux sociaux de déloger le Président Sall du pouvoir. Maintenant que le mal a fini d’être fait, des soldats de vertu sortent du bois pour jouer à prêcher la bonne parole. Où étaient ces Henri Durand qui revêtent une chasuble de volontaire pour panser les blessés et jouer aux faiseurs de paix, alors qu’ils avaient toute la latitude, l’opportunité et le devoir d’aider à empêcher que le brasier ne prît ? Au contraire, ce sont des pompiers pyromanes, car ils ont bel et bien participé à mettre le feu et alimenter les braises. Quelle hypocrisie de dédouaner Ousmane Sonko de tout et d’accuser Macky Sall et son gouvernement alors que tout le Sénégal a vu le leader de Pastef défier l’Etat et le menacer ! Personne n’avait osé rappeler Ousmane Sonko à ses devoirs civiques les plus élémentaires, comme celui de respecter les institutions judiciaires en allant répondre aux convocations. Chacun des manifestants ou tout leader politique, ou personnalité de la société civile, qui aurait maille à partir avec la Justice, ne manquerait pas de déférer aux convocations des juges. Si on revisite les archives, seul Ousmane Ngom (ancien ministre de l’Intérieur) reste, parmi la classe politique contemporaine, à avoir refusé, en 2012, de répondre à la Justice et mal lui avait pris, car les forces de police l’avaient interpelé et conduit manu militari devant le juge.
Pourquoi Ousmane Sonko devrait-il être l’exception au Sénégal ? Mais le plus absurde est qu’il a été en quelque sorte encouragé dans son attitude par des personnalités qui elles, convoquées par la Justice dans d’autres circonstances, avaient sagement déferré. Elles ont pour nom : Cheikh Bamba Dièye, Malick Gakou, Moustapha Guirassy, Thierno Alassane Sall, Khalifa Ababacar Sall, Mamadou Lamine Diallo, Barthélémy Dias, Abdoul Mbaye, Alioune Tine, Seydi Gassama, Assane Dioma Ndiaye, Birahim Seck, entre autres. En effet, ces personnes à travers des déclarations dans les médias ou les réseaux sociaux ont, dès l’éclatement de cette affaire, choisi, sans aucune prudence ou réserve, d’entonner le refrain du complot, chanté par Ousmane Sonko, sans aucune preuve. La loi pénale laisse à la personne poursuivie toute la latitude de mentir, d’affabuler, mais cette posture ne devrait pas être celle des autres personnes. Ousmane Sonko a continué de mentir grossièrement sur les circonstances des faits qui auraient été commis dans un vulgaire salon de massage aux allures de lupanar et où, il avait ses habitudes et ses entrées. Et de manière étrange, il continue d’occulter tout contact avec la plaignante et évoque encore moins les preuves que cette dernière et ses avocats disent détenir. Si tant est que Ousmane Sonko n’aurait rien à se reprocher et que ses souteneurs le croiraient sur parole, la meilleure façon serait d’aller, devant la face du monde et au prétoire, s’expliquer sur ces sordides accusations. On ne peut compter les verdicts que les juges rendent tous les jours en faveur de personnalités politiques d’opposition.
Le déroulement des émeutes montre le dessein insurrectionnel et putschiste qui le sous-tend et assurément, Ousmane Sonko serait veinard de ramasser le pouvoir après une partie de plaisir charnel et, surtout, après avoir défié et menacé avec ostentation les institutions républicaines. La mission de l’Etat demeure impérative, c’est de présenter Ousmane Sonko aux juges qui auront à apprécier librement les faits. Aucune autre attitude ne devrait être envisagée, au risque de fragiliser l’Etat et surtout de provoquer un grave et irrémédiable précédent. Non seulement aucun compromis ne devrait être possible sur ce point mais aussi, tout silence devant une telle situation équivaudrait à une lâcheté vis-à-vis de l’idéal républicain et toute velléité de soustraire Ousmane Sonko à l’action de la Justice, participerait d’une trahison de la République, notamment de ses principes fondamentaux de respect de l’Etat de droit et de l’égalité des citoyens devant la loi. Que deviendrait le Sénégal si le chaos s’érigeait en échelle pour accéder au pouvoir.
Sacrilège! Le juge se dessaisit car sa femme est «Joola»
Faudrait-il accepter que les juges prennent peur? Nous avions eu à relever dans ces colonnes que de nombreux mauvais procès ont été faits aux magistrats par la classe politique et des personnalités de la société civile. Aussi, de manière insidieuse, des magistrats, gagnés par un égoïsme et un certain opportunisme, ont eux-mêmes largement entamé la crédibilité de la Justice en s’en prenant à leurs pairs pour se tailler une robe de parangon de vertus. Nous relevions, dans une chronique en date du 16 juillet 2018 intitulée «S’il faut en arriver à huer les juges!», que «les coups portés à la crédibilité des institutions judiciaires sont souvent, et au premier chef, du fait même des acteurs de la justice. Ils donnent ainsi le bâton pour se faire battre». Résultat des courses ? «Il y a eu un terrorisme médiatique sur les magistrats, au point que certains chefs de juridiction éprouvent de la peine à composer des Chambres pour juger certaines affaires» (chronique du 24 août 2020).
De façon insidieuse, la justice a fini par être intimidée. Le juge Mamadou Seck, initialement chargé de l’instruction de l’affaire de viol opposant Ousmane Sonko à Adji Sarr, a fini par se dégonfler, par céder au chantage et aux menaces. Son ordonnance de dessaisissement devrait interpeler tout citoyen quand il dit se «dessaisir pour convenances personnelles, notamment les graves accusations non fondées et injustifiées portées à notre encontre, relativement au traitement de ce dossier. Par ailleurs, ma première épouse étant d’ethnie Diola et est originaire de Ziguinchor, je suis habité par la crainte de faillir dans le traitement objectif du dossier conformément à mon serment ». On ne pouvait pas faire un plus grand tort à l’institution judiciaire quand un magistrat cède ainsi à des menaces publiques impunies, ou qu’il invoque des liens ethniques et régionalistes pour se dessaisir d’un dossier. Aux abois, Ousmane Sonko, toujours le même, a agité ces questions ethnicistes et régionalistes pour chercher à se soustraire de l’action de la Justice. Cela lui a réussi car par ce procédé ignoble, il a réussi à se payer la tête d’un juge et au grand dam des principes républicains. Dommage qu’il ne s’est pas trouvé une voix pour lui faire la leçon. En effet, s’obstinerait-on à considérer que tout ce qui pourrait contribuer à affaiblir Macky Sall serait bon à prendre ? Quand est-ce qu’ils comprendront que Macky Sall va faire son temps et qu’un jour ou l’autre, un autre chef d’Etat sera investi à sa place? Et la République devra rester et on espère qu’elle sera debout!
LA TENSION A SON COMBLE
Alors que la décision du juge à l’encontre de Sonko sera déterminante pour la suite, la pression est forte sur le président Macky Sall, dont on attend la parole.
Le Sénégal est-il au bord du précipice ? La question mérite d'être posée alors que le pays vient de connaître les émeutes les plus importantes depuis bien des années. Pour le moment, le bilan fait état d'au moins cinq morts, mais la colère de la rue est à un niveau tel qu'il y a fort à redouter que une semaine d'extrême tension avec les manifestations auxquelles a appelé le Mouvement de défense de la démocratie (M2D) regroupant le parti de Sonko, des partis d'opposition et des éléments de la société civile. Le M2D réclame, d'une part, la libération des prisonniers « arbitrairement » détenus, d'autre part, l'ouverture d'une enquête sur les événements, allant même jusqu'à remettre en question la légitimité du président.
L'avertissement du médiateur de la République
À percevoir comme un avertissement sans frais aux autorités, il y a les déclarations du médiateur de la République censé recueillir les doléances contre l'État. Alioune Badara Cissé a dressé un état des lieux sombre du Sénégal et évoqué les béantes inégalités sociales qui se font jour ici et là à travers le pays. Faisant référence à la tragédie des migrants qui tentent de rallier l'Europe, il a fait allusion à la jeunesse « qui traverse les océans sans bouée de sauvetage et qui sert d'aliment aux poissons en haute mer ». N'hésitant pas à interpeller le président Macky Sall, il l'a pressé de sortir de son silence et de s'adresser aux jeunes pour faire baisser la pression. Les Sénégalais "veulent vous entendre », a-t-il dit interrogeant : « Mais pourquoi diable ne leur parlerez-vous pas ? » Et de poursuivre : « Faites-le avant qu'il ne soit trop tard », avant de conclure : « Il était prévisible qu'il arriverait un moment où le couvercle sauterait. »
Ces faits qui secouent le pays
Justement, au cœur de la marmite sociale qui vient d'exploser, il y a Ousmane Sonko, arrivé troisième de la présidentielle de 2019. Avec le ralliement, certains diraient la transhumance d'Idrissa Seck, un ancien du Parti démocratique sénégalais (PDS) d'Abdoulaye Wade et actuel chef du parti Rewmi, au groupe des alliés du président Macky Sall, Ousmane Sonko, chef du Pastef (Parti du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité) est pressenti comme l'un des principaux concurrents, si ce n'est le principal challenger pour la présidentielle de 2024. Quelle place va occuper Idrissa Seck, devenu quatrième personnage de l'État avec son titre de président du Conseil économique, social et environnemental ? À ce jour, nul ne sait vraiment ce qui va se passer puisque la question du troisième mandat de Macky Sall est sur la table. Toutes choses égales par ailleurs, le Sénégal se trouve aujourd'hui dans une situation semblable à celle de la Côte d'Ivoire d'Alassane Ouattara à la dernière présidentielle, c'était en octobre 2020. Le débat est ouvert quant à la légalité ou pas d'un troisième mandat au regard du changement constitutionnel qui a eu lieu pendant le premier mandat de Macky Sall. Quelle interprétation va l'emporter ? Celle qui lui permet de se représenter ou une autre qui le conduirait à se retirer ? La question est posée et occupe bien des esprits de constitutionnalistes du Sénégal et d'ailleurs.
En tout cas, c'est alors qu'il se rendait en cortège au tribunal où il était convoqué pour répondre à des accusations de viol portées contre lui par Adji S., une employée d'un salon de beauté dans lequel Ousmane Sonko allait se faire masser pour, dit-il, soulager ses maux de dos, qu'il a été interpellé pour trouble à l'ordre public. Placé en garde à vue, Ousmane Sonko a refusé de parler. Au moment où ces lignes sont écrites, cette personnalité au profil antisystème assumé a vu sa garde à vue levée pour le motif lié à l'ordre public, mais il est attendu ce lundi devant le juge pour l'affaire de viol que le député, qui, entre-temps, a perdu son immunité, considère comme un complot ourdi par le président lui-même pour l'écarter de la prochaine présidentielle. Inutile de dire que la décision qui sera prise par le juge ce lundi de le relâcher ou de l'écrouer s'annonce lourde de conséquences pour la suite des événements. Elle sera à placer dans un contexte économique et social où l'exaspération, née des suites de la pandémie de Covid-19 en 2020, des conditions de vie dans le pays en butte à une pauvreté de plus en plus importante, alimente la furie de populations qui ont l'impression de se voir déposséder de leurs droits économiques et politiques par des politiciens prompts à s'entendre sur leur dos.
Des appels à la retenue et à la médiation
Celle-ci inquiète beaucoup de chancelleries. Cela a conduit les ambassades de l'Union européenne et de ses États membres, mais aussi du Royaume-Uni, de la Suisse, des États-Unis, du Canada, de la Corée du Sud, et du Japon, à exprimer leur « préoccupation » et à appeler à « une restauration pacifique du calme et du dialogue », soulignant que « le Sénégal a une longue histoire d'État de droit, de démocratie participative, de tolérance et de respect des droits humains ». Lire la suite surhttps://www.lepoint.fr/afrique/senegal-la-tension-a-son-comble-08-03-202...
par Salian Sylla
UNE VITRINE CRAQUELÉE, RADIOSCOPIE D'UNE DÉMOCRATIE SANS DÉMOCRATES
Le Sénégal a toujours présenté une démocratie formelle mais fonctionnant à minima. La conquête démocratique n’adviendra jamais du simple avènement d’une alternance. La situation actuelle découle des maux idientifiés par les Assises nationales
À l’heure où le Sénégal est plongé dans le chaos suite aux évènements qui s’y déroulent depuis quelques semaines, il est important de poser le regard sur la nature de maux qui, de façon presque cycliques, surgissent régulièrement au cœur incandescent d’une démocratie longtemps éclopée, mais désormais chancelante.
Au soir du 25 mars 2012, Macky Sall mettait un terme à 12 années de règne de son ex-mentor Abdoulaye Wade lui-même élu en 2000 après avoir défait le président sortant Abdou Diouf au terme d’une élection historique[i]. Le score sans appel de la victoire de M. Sall (65,80%) démontrait à l’envi la défiance et le désamour que la gestion clanique d’Abdoulaye Wade ponctuée de scandales à répétition avait fini par susciter au sein de la majorité d’une population dont les 47,4 % étaient terrassés par une pauvreté endémique[ii]. Mais, ce soir-là, en se débarrassant des projets monarchiques du clan Wade, les électeurs sénégalais n’avaient fait qu’une partie du travail, car les démons d’une hyperprésidence restaient en place, prêts à convoler avec le nouvel occupant du palais.
Dans un discours mémorable, le nouveau président déroulait sa feuille de route qui semblait prendre en compte les circonstances singulières qui l’avaient fait triompher d’un régime dont le tort avait été de minimiser la capacité d’indignation et de réactivité d’une jeunesse qui l’avait naguère acclamé avant de le vouer aux gémonies au moment où il était soupçonné de vouloir procéder à une dévolution monarchique du pouvoir.
Le nouveau président sitôt installé, et en dépit des professions de foi de son discours du 3 avril et des engagements pris au cours d’une campagne électorale calamiteuse qui fut empoisonnée par la candidature inconstitutionnelle de Wade, s’employa à s’enfermer petit à petit dans la logique clanique qui avait perdu son prédécesseur. L’un des signes inquiétant du revirement de Sall était la perpétuation de la pratique tant décriée de la transhumance politique, un des avatars les plus retors d’un système singulier où la quête effrénée de maroquins et le carriérisme giratoire d’une classe politique professionnelle et sclérosée encouragent l’entrisme au cœur de tout nouveau pouvoir au prix de moult renoncements.
Après la légitimité, un légalisme sourcilleux
Sans doute oublieux des péripéties de son accession au pouvoir qu’il devait à la rupture de confiance entre son prédécesseur et ses mandats, Macky Sall s’est a accentué la faillite morale qui a consisté au renoncement d’une parole présidentielle. En effet, il s’était engagé plusieurs fois à ne faire que 5 ans, au lieu des 7 ans pour lesquels il avait été élu. Il s’était peu à peu départi de cette promesse originelle en interprétant en février 2016 façon très tendancieuse un arrêté sibyllin du Conseil constitutionnel dont les membres sont pourtant connus pour leur loyauté légendaire aux régimes qui se succédé à la tête du pays[iii].
C’est précisément cette loyauté presque incestueuse qui est le fondement des dérives constatés depuis peu dans un pays exsangue depuis l’apparition d’une crise sanitaire sans précédent. En effet, la justice est devenue le bras armé pusillanime d’un système rétif à toute velléité d’opposition. Les opposants n’ont été embastillés dans des ersatz de procès qu’avec la complicité des magistrats visiblement aux ordres. C’est au nom de la lutte contre la corruption, demande sociale très forte en 2012, que la justice fut distribuée de façon sélective. Des tribunaux d’exception furent mis en place pour un bien maigre résultat. Mais l’essentiel était de faire peur :
l'État moderne est un groupement de domination de caractère institutionnel qui a cherché (avec succès) à monopoliser, dans les limites d'un territoire, la violence physique légitime comme moyen de domination et qui, dans ce but, a réuni dans les mains des dirigeants les moyens matériels de gestion[iv]
Ainsi, après avoir épargné la plupart des pontes du régime de Wade soupçonnés de s’être livrés à un pillage systématique des maigres ressources du pays, sans se priver de faire libérer l’ex-héritier putatif de Wade dans des conditions encore opaques, Macky Sall chercha d’autres cibles. L’arme de la justice fut de nouveau utilisée. Cette justice d’habitude si tatillonne, envoya en prison avec une étonnante mais troublante célérité l’opposant Khalifa Sall qui faisait figure de challenger crédible au scrutin présidentiel de 2019.
Pas de gouvernement juste sans part de hasard, c’est-à-dire sans part de ce qui contredit l’identification de l’exercice du gouvernement à celui d’un pouvoir désiré et conquis. Tel est le principe paradoxal qui se pose là où le principe de gouvernement est disjoint de celui des différences naturelles et sociales, c’est-à-dire là où il y a politique[v].
Au nom d’une certaine conception de l’ordre, il fallait donc éviter toute contradiction, et ne prendre aucun risque. La peur de la confrontation est un vice enraciné au cœur du processus électoral au Sénégal où il n’y a jamais eu de débat entre les différents protagonistes des élections. Wade avait réclamé en vain une confrontation avec Diouf, avant de refuser lui-même d’accéder à une telle demande de ses adversaires. Pour Macky Sall, c’était d’autant moins à l’ordre du jour qu’il refusait tout simplement à ses adversaires le droit de se présenter au scrutin.
Tout l’arsenal répressif de l’État fut ainsi mobilisé pour assurer à Macky Sall une victoire à l’élection présidentielle de 2019. Ainsi, après avoir obtenu la tête de sérieux concurrents, il a décidé de modifier la loi électorale en introduisant un système de parrainage en avril 2018 pour éliminer davantage de prétendants. La police et la gendarmerie ont été appelées à la rescousse quand l’opposition et la société civile se sont mobilisées dans la rue.
Quelques mois plus tard, des 27 candidats potentiels à la candidatures, seuls 5 arrivèrent à obtenir l’autorisation de participer à la compétition électorale. Ce système de parrainage assez restrictif avait été mis en place, officiellement pour éviter les candidatures farfelues. Ce vieux serpent de mer apparaît à chaque élection électorale, mais l’objectif était cette fois de viser des adversaires dont la multiplicité préoccupait dans les sphères d’un pouvoir de plus en plus crispé sur des questions pourtant essentielles dans tout État respectueux du jeu démocratique.
Alors que Macky Sall était décidé à se faire réélire sans trop de risques, un gouffre s’était déjà installé entre élus et mandants. En effet, déjà en 2017, 67,4% des personnes âgées de 18 ans et plus jugeaient que l’autorité centrale ne prenaient pas en compte leurs préoccupations[vi]. Comme pour confirmer la méfiance des Sénégalais, le scrutin présidentiel du 24 février 2019 vit, conformément aux prédictions du Premier ministre bien avant la proclamation des résultats provisoires, le président sortant se faisait réélire au premier tour d’un scrutin dont l’issue jurait manifestement d’avec la volonté des électeur.trice .s du pays.
Pour asseoir une victoire plus ou moins à la Pyrrhus, la nouvelle majorité pouvait compter d’une part sur la mollesse de de la réaction de ses adversaires, et d’autre part sur une légalité constitutionnelle formelle s’appuyant sur une force publique qui n’hésitait pas à dissuader toute velléité contestataire selon la formule de Weber :
De nos jours la relation entre État et violence est tout particulièrement intime. Depuis toujours les groupements politiques les plus divers - à commencer par la parentèle - ont tous tenu la violence physique pour le moyen normal du pouvoir. Par contre il faut concevoir l'État contemporain comme une communauté humaine qui, dans les limites d'un territoire déterminé - la notion de territoire étant une de ses caractéristiques - revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime[vii].
Toute cette violence peut être assumée dans le cadre même d’une démocratie de type représentatif dès lors que les dirigeants peuvent se prévaloir d’une légitimité que leur confèrent les urnes couvertes par tout un arsenal institutionnel et légaliste.
Les piliers fragilisés d’une stabilité
À force de se s’admirer dans le miroir que lui tendaient certains de leurs voisins, la plupart des Sénégalais ont oublié que les avancées ne pouvaient servir indéfiniment, car l’idéal démocratique se nourrit de quête et de conquêtes permanentes, ce qui exclut tout statu quo pouvant entraîner des remises en cause, voire des régressions. L’image a priori flatteuse de vitrine a historiquement été embellie par le pullulement de régimes au mieux autoritaires dans plusieurs pays africains qui se complaisaient encore dans les partis uniques, avec des pères de la Nation, des guides éclairés, et autres hommes forts. Cette illusion démocratique a été renforcée par deux alternances politiques (sans alternatives) en 60 ans d’une indépendance formelle.
Lesdites alternances ont donné lieu à des changements cosmétiques de régimes dans la continuité des politiques néolibérales qui, sous le diktat du FMI, de la Banque Mondiale et des anciennes puissances coloniales, ont encouragé la casse des services publiques et des services sociaux de base, ainsi que le démembrement progressif d’un État de plus en plus déliquescent.
L’une des conquêtes les plus visibles des acquis plus ou moins irréversibles à ce jour au Sénégal est l’existence de nombreux organes de presse privés et relativement indépendants qui ont souvent joué leur partition à l’occasion des joutes électorales. Il y a d’abord eu le temps des journaux clandestins sous le président Senghor, L’Écho du Sénégal (créé en 1964) ou Xarebi (1969), puis un temps de relative ouverture avec l’apparition de titres comme Le Démocrate (1974) ou Promotion (1976)[viii]. Plus tard arrivèrent d’autres journaux comme ; Takusaan (1983) ou Wal Fadjri (1984), Sud Magazine (1986), Le Cafard libéré (1988), Sud Hebdo (1988) ou Le Témoin (1990)[ix]. Ces nouveaux titres accompagnèrent les années 1990 et le vent de démocratie qu’elles charrièrent au Sénégal comme partout en Afrique.
Avec un multipartisme intégral dicté par le contexte sociopolitique du pays, Diouf fut contraint, à l’heure de la pilule amère des politiques d’ajustement structurel, de concéder à sa rue en colère et à sa jeunesse impatiente une pluralité de l’information. Ce ne fut pas une conquête superfétatoire pour le pays. C’est ainsi que de nouveaux titres purent apparaître sous la contrainte de la rue vers la fin des années 1990, les journalistes de ces organes s’ingéniant à contrebalancer l’accaparement des médias officiels transformés depuis toujours en caisse de résonance d’une propagande digne des pires régimes autocratiques.
Dans une telle situation, le Sénégal a toujours présenté une démocratie formelle mais fonctionnant a minima. Celle-ci actait la tenue régulière d’élections dans des conditions souvent contestées par les protagonistes car organisées par une administration et des organes de contrôle suscitant la méfiance une partie des acteurs politiques. Les résultats étaient aussitôt acclamés par les chancelleries occidentales. Autant dire que c’était assez peu pour asseoir une culture démocratique avec des majorités sortantes souvent mues par un désir de boire le calice du pouvoir jusqu’à la lie.
Ainsi, Diouf arrivé au pouvoir à la faveur d’un tripatouillage constitutionnel, n’en est parti que 20 ans plus tard non sans avoir plusieurs fois changé les dispositions les plus gênantes du texte fondamental au gré de son désir de prolonger son bail avec la présidence. Il se présenta au scrutin de 2000 alors que rien ne l’y autorisait, ayant épuisé le nombre de mandats, mais s’est cru dans son bon droit en procédant à une modification de la loi électorale et en introduisant un septennat et 1993 alors qu’il était à la tête du pays depuis 13 ans.
En lui succédant, Wade finit par tomber dans les travers capiteux qu’il s’était pourtant employé à dénoncer quand il était encore dans l’opposition. Après son élection en 2000, il s’empressa de faire voter par référendum une nouvelle Constitution taillée sur mesure, faisant craindre les risques d’un régime hyper-présidentiel. Malgré les pouvoirs exorbitants qu’il s’était octroyés, il a rétabli quinquennat, une des maigres avancées du nouveau texte. Pourtant, s’appuyant sur une majorité parlementaire soumise, Wade se mit à détricoter les rares avancées de sa Constitution, allant jusqu’à rétablir le septennat en 2008.
Syndrome d’une tourmente permanente
Au lendemain d’une réélection plus que contestable, Gorgui s’empressait pourtant de rassurer tout le monde sur ses intentions de briquer un éventuel 3ème mandat : « J’ai bloqué le nombre de mandats à deux. Ce n’est pas possible, je ne peux pas me représenter. Sérieusement, je ne me représenterai pas[x].» Pourtant, cette déclaration solennelle ne l’empêcha pas de se représenter en 2012 pour un 3e mandat, au mépris d’une parole présidentielle dont la crédibilité fut mise à mal au sein de l’opinion.
Ironie du sort ou sens ordonné de la désinvolture discursive (?), Macky Sall ne résistera pas à l’envie de se dédire après voir clamé urbi et orbi ne pas vouloir faire un septennat en dépit de son élection sur la base de l’ancienne Constitution à laquelle il a, comme son prédécesseur, renoncé au profit d’un nouveau texte qu’il soumettra au vote référendaire en 2016. Aujourd’hui, tout indique qu’il a l’intention de briguer un troisième mandat consécutif, en dépit du texte qu’il a fait adopter par référendum. Ce n’est d’ailleurs pas étonnant d’entendre ses courtisans développer les mêmes fallacieuses arguties que les thuriféraires du régime qu’il a défait en 2012.
L’histoire se mue, se transmue et finit par dégénérer et exploser dans la rue à travers des turbulences politiques à répétition qui secouent par intermittence le pays depuis une vingtaine d’années. Comme ailleurs en Afrique, le désir de se maintenir au pouvoir survient de façon sporadique sous la forme d’un syndrome du 3e mandat qui affecte plusieurs palais et inocule une morbidité certaine.
Ce syndrome est lui-même le signe d’un mal plus profond qui ronge la démocratie sénégalaise depuis toujours : la présence d’acteurs plus intéressés par la jouissance prolongée d’un pouvoir que par l’ambition léguer un État véritablement libre. C’est à l’aune de cette boulimie qui, combinée à l’absence d’un vrai programme alternatif au mal-développement et à la corruption des élites politiques désormais honteusement milliardaires dans un pays classé PPTE, qu’il est possible de comprendre la volonté presque obsessionnelle de l’ensemble des présidents sénégalais depuis Diouf de briguer le mandat de trop au mépris de leurs engagements publics et des règles établies.
Le refus de l’actuel président de se prononcer sur une éventuelle candidature (alors qu’aux yeux de sa Constitution la question ne se pose même pas) est révélateur d’une nervosité au plus haut sommet de l’État. Le président marche — consciemment ? — dans les pas pourtant toujours fumants de son ex-mentor. Il ajoute aux tares rédhibitoires de son prédécesseur une volonté de choisir ses propres adversaires, de mettre au pas une partie de la presse, de réduire son opposition « à sa plus simple expression », de mater tout esprit rebelle, de neutraliser les figures de proue de la société civile, tout ceci en instrumentalisant la justice et l’arsenal répressif de l’État à des fins de règlements de comptes politiques.
Il est évident que lorsqu’un pouvoir s’inscrit dans une logique d’accaparement total en élargissant le spectre de sa propre puissance, il se rétrécit de façon presque automatique et se replie sur un cercle restreint et grégaire, celui de la famille et du clan. Ainsi, Senghor avait nommé son propre neveu Adrien à la tête du puissant ministère de l’Equipement quelques années après avoir embastillé Mamadou Dia sous des prétextes fallacieux et finit par interdire toute autre formation politique que son parti « unifié », devenu de facto parti unique.
Abdou Diouf avait à son tour fait entrer son frère Magued dans des gouvernements successifs. Arrivé au pouvoir dans des circonstances qui auraient dû l’inviter à plus de prudence quant aux soupçons de népotisme, Macky Sall n’hésita pas à confier à son propre beau-frère un ministère qui aujourd’hui, à bien des égards, ressemble étrangement au portefeuille grandiloquent de Karim Wade quand, au lendemain d’une bérézina électorale, il avait atterri, avec l’aveuglement ostentatoire de son père à la tête du gargantuesque ministère du ciel et de la terre (coopération internationale, transports aériens, infrastructures et aménagement du territoire) avec un agenda qui n’avait rien de démocratique. Wade s’était déjà replié sur son clan, tout comme son successeur qui est aujourd’hui habité par la même hantise des lendemains.
C’est donc ce syndrome qui précipite le régime finissant ayant peur de son devenir au point de faire de l’élection présidentielle de 2024 un véritable tabou. Malgré tout, les symptômes visibles d’un pouvoir crispé ne sont pas ceux d’un seul homme, mais ceux révélés par une conception étriquée du pouvoir et de la démocratie qui est en soi un défi continu à l’intelligence collective.
Au vu de ces observations, la conquête d’une véritable démocratie n’adviendra jamais du simple avènement d’une alternance, mais de la construction patiente mais salvatrice d’un cadre qui dépasse les hommes, les femmes et leurs ambitions évanescentes. Ce cadre doit ériger des institutions, asseoir des règles, sacraliser des pratiques, enraciner des rituels, sanctuariser des lois et consolider des habitudes que ni la volonté d’un homme, qui se situe au niveau des idées. Ce cadre doit dépasser les ambitions crypto-personnelles d’un quelconque homme providentiel, et placer les idéaux partager au cœur de toute action posée au nom de l’intérêt public.
Ces idéaux ne sont pas des lignes marginales ajoutées à la va-vite et a posteriori dans l’agenda des hommes politiques. Ils doivent être la colonne vertébrale de l’action de tous les prétendants à la magistrature suprême. Ils n’étaient pas vraiment celle de Diouf qui avait hérité du parti et de l’État par la seule volonté de Senghor. Une quinzaine d’années plus tard, c’est lors d’un congrès « sans débat » qu’il désignait son dauphin putatif, entraînant une implosion irréversible de son parti. Macky Sall refuse aujourd’hui, comme Wade hier, de parler de sa succession. En singeant presque sciemment ses prédécesseurs, il parle maintenant, plus en chef de parti qu’en homme d’État, s’adressant ses partisans et non à ses compatriotes, montrant une morgue que rien ne justifie pourtant. Il se révèle incapable, comme ses prédécesseurs hier, de mettre « la patrie avant le parti », comme il s’y engageait à l’aube de l’exercice d’un pouvoir désormais solitaire.
Une affaire privée de droits
Que reste-t-il dès lors des engagements d’un homme aujourd’hui obsédé par sa volonté de se maintenir au pouvoir ? Cette obsession se manifeste par une nouvelle instrumentalisation de la justice pour éliminer encore plus d’adversaires. L’affaire Sonko semble être aujourd’hui le point paroxystique d’une terreur mortifère au sommet de l’État à l’idée de la fin pourtant inexorable d’un système fait de prébendes, de clientélisme et de pillage systémique des ressources dont Macky Sall et ses acolytes auront été les derniers avatars.
Ce pouvoir qui a déjà dilapidé tout crédit dans la recherche effrénée d’adversaires à abattre, est non pas la cause, mais la conséquence d’une fragilisation continue des institutions inféodées aux ambitions personnelles de quelques-un.e.s. Il a déjà donné toutes les raisons de douter de son désir de voir la vérité éclater au grand jour dans une affaire de mœurs, en ne tenant pas compte de deux fondamentaux à respecter dans le cadre d’un différend opposant deux justiciables : le respect de la présomption d’innocence et des droits de la victime présumée.
Des questions affleurent légitimement devant l’empressement avec lequel la justice a convoqué le présumé coupable en violation de son immunité parlementaire, la révélation d’une implication de personnes plus ou moins proches du régime, les interventions inopinées de membres du gouvernement dans les médias, en plus de la mobilisation d’un préfet et des forces de l’ordre pour barrer la route à un citoyen désirant déférer à la convocation d’un juge. Des citoyen.ne.s sont arrêté.e.s et jeté.e.s en prison sur la base de soupçons d’intention de participer à des « manifestations non autorisées ». On organise une chasse à des militant.e.s au prétexte qu’ils.elles seraient membres d’un parti politique. Un organe de contrôle (CNRA) dirigé par quelqu’un qui est connu pour sa servitude et sa promptitude à s’agenouiller de façon zélée devant tous les régimes politiques de ces trente dernières années, coupe de façon unilatérale le signal de chaînes de télévision qui ne font que leur travail d’information.
Quand on ajoute à tous ces faits la réaction calamiteuse du président en personne alors que tout commandait la circonspection, on peut se comme Hamlet s’il n’y a pas « quelque chose pourri au royaume du Danemark ». En effet, pourquoi commenter une affaire privée en cours d’instruction à travers les ondes d’une radio étrangère ? « Je ne peux pas souhaiter, même à mon pire adversaire une telle situation. » De quelle situation parlait-il ? Quel sort évoque-t-il par son ironique mansuétude ? Cette intervention du président a parachevé le démantèlement de l’État de droit, ce dont s’inquiétaient il y a quelques semaines, 102 universitaires sénégalais. Voilà où on en arrive avec une affaire strictement privée.
Les maladresses impardonnables, les sorties (de route) hasardeuses et les déclarations impromptues de personnalités proches du régime, donnent des raisons de soupçonner, contrairement aux professions de foi distillées çà et là sur le caractère privé de cette affaire, qu’il s’agit là d’une honteuse machination. En s’impliquant dans ce dossier en violation de la séparation des pouvoirs, le gouvernement de Macky Sall (puisqu’il a supprimé le poste de Premier ministre) a privé la justice de toute possibilité de faire correctement son travail ; privé les deux protagonistes de cette affaire de donner leur version des faits et leurs avocats de les défendre ; privé le peuple sénégalais d’un droit de savoir la vérité et de se faire une opinion éclairée et étayée par les faits mis en évidence lors d’un procès juste et équitable.
Pire, en mettant en branle, comme à son habitude, toute une ingénierie juridique faite d’accusations à rallonge pour jeter un tombereau d’opprobre sur un adversaire potentiel, le régime de Macky Sall a fini de convaincre les plus sceptiques des implications hautement politiques de cette affaire. 2024 est encore loin, mais cette énième forfaiture risque de l’emporter face à une jeunesse sénégalaise et l’ensemble des forces progressistes du pays désormais mobilisées pour lui opposer une résistance d’envergure.
Au-delà de la personne de Macky Sall et de cette affaire qui l’oppose désormais personnellement à une partie du peuple dans la rue, l’instabilité institutionnelle permanente dans laquelle les dirigeants successifs ont installé le pays doit être réglée définitivement par l’instauration d’un climat de confiance entre acteurs politiques et population, par la mise en place d’un cadre de dialogue impliquant toute la société sénégalaise afin d’élaborer des institutions pérennes à même et d’instaurer une démocratie à la hauteur des exigences d’une jeunesse désemparée. Avec des institutions justes et suffisamment fortes, la question ne se poserait pas, comme c’est le cas en ce moment, de savoir si un président « peut » on non se présenter une troisième fois.
On observe aujourd’hui une régression au plan des conquêtes politiques et des libertés individuels et collectifs alors même que Macky Sall avait tout pour faire mieux que ses prédécesseurs, et rendre un service inestimable à la construction démocratique. Il avait déclaré souscrire aux conclusions des Assises Nationales à quelques réserves près. Il s’était engagé à en respecter la quintessence. Or, après avoir chargé Amadou Makhtar Mbow de lui soumettre un projet de réformes institutionnelles, il a jeté aux oubliettes les conclusions pourtant fort intéressantes qui lui ont été soumises.
La situation actuelle découle en grande partie des maux que lesdites Assises avaient identifiés comme obstacles à l’instauration d’un véritable chantier démocratique au travers d’institutions fortes et viables. Ces maux ont pour noms : pouvoir exécutif tentaculaire, instabilité institutionnelle chronique, fragilisation continue de l’État, incapacité des dirigeants à se mettre au service de l’intérêt public, etc.
Cela exige bien évidemment de la part des acteurs politique une volonté d’engager un chantier démocratique en érigeant des principes transcendant les personnes et leurs querelles partisanes. Ce chantier ne saurait faire l’économie d’une justice libre et équitable, d’un parlement libéré de la tutelle de l’exécutif, d’une presse indépendante et soucieuse de jouer sa partition afin d’éclairer la conscience des citoyen.e.s en capacité de se faire leur propre opinion des faits qui sont soumis à leur appréciation.
Pour arriver à cette fin, il serait difficile de compter sur une caste politique vieillissante (les moins de 30 ans constituant près de 69% de la population[xi]), souvent corrompue et coupable d’un enrichissement sans commune mesure avec les fonctions électives occupées. Cette élite politique constituée de privilégié.e.s reste d’ailleurs bien souvent sans véritable projet et sans vision claire du devenir de leur pays, et n’a en général pour ambition que d’être calife à la place du calife.
Sans une rupture épistémologique, la « démocratie » sénégalaise, victime consentante de son statut de vitrine désormais ébréchée, restera encore impuissante face aux coups de boutoir de dirigeants avec un agenda aux antipodes de toute construction émancipatrice. Or, sans démocrates, point de démocratie durable.
Salian Sylla est enseignant, docteur en Anglais (histoire américaine, Université Paris Nanterre)
[i]« Les électeurs ont donné une victoire nette au challenger, approchant les 60 % selon les estimations effectuées hier après-midi. Un scrutin qui va avoir d'énormes répercussions dans plusieurs fausses démocraties de l'Afrique francophone : c'est la première alternance « normale » des anciennes colonies françaises, le Sénégal n'ayant connu ni « conférence nationale » ni coup d'État. » Le Nouvel Afrique-Asie, Avril 2000, p. 10.
[ii]Agence Nationale des Statistiques et de la Démographie (ANSD), Rapport national de présentation des Cartes de pauvreté 2011, Dakar, 2018, p. 24.
[iii]« Sénégal : Macky Sall ira finalement jusqu’au bout de son mandat de sept ans », Le Monde, 17 février 2016.
[viii]Frank Wittmann«La presse écrite sénégalaise et ses dérives : précarité, informalité, illégalité », Politique africaine no 101, mars-avril 2006, pp. 181-194, p. 183.
Poète ? Certainement pas. Le temps d’une phrase, guettée, attendue, espérée, l’homme utilise ces mots, rappelant un vers de ce célèbre poème de Victor Hugo :
Poète ? Certainement pas. Le temps d’une phrase, guettée, attendue, espérée, l’homme utilise ces mots, rappelant un vers de ce célèbre poème de Victor Hugo : « Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, je partirai… ». Lui, annonce, ménageant déjà son effet : « demain, à l’heure contenue dans la convocation, nous irons répondre… écouter, le juge du Premier cabinet ». La comparaison s’arrête là.
Pas une once de poésie dans le discours servi pendant près d’une heure et trente minutes face à la nation. Dans un décorum rappelant justement cet exercice républicain dont la solennité demeure le principal critère : le message à la nation, le leader des patriotes s’est approprié ses codes. Pour sa troisième sortie médiatique en l’espace d’un mois, Ousmane Sonko endosse ses habits de « Président ».
En guise d’armoiries de la République, un baobab, symbole de la Nation ; un tableau d’art abstrait, un fauteuil rouge, un bonnet de la même couleur avec un rappel au niveau des broderies du « costume » traditionnel, complètent le décor. La sortie est théâtrale. Une mise en scène était de mise.
Répondant à la supplique de tous, l’homme finit par déférer à la convocation. « Quand on prend des conseils, on les écoute », dixit Ousmane Sonko. Donc, écoutant ces fameux conseils, le leader des « Patriotes » décide de se « rendre ». La voix de ses avocats a fini par être entendue, d’abord, la voix de toutes les franges de la société, ensuite. « Mais cela ne veut absolument pas dire une abdication », avertit déjà le leader du Pastef. Un avertissement suivi d’effets.
En ces temps troublés, la conférence de presse est ainsi devenue le canal de communication le plus prisé. La presse ne sait plus où donner de la tête ou plutôt où tendre son micro. Dans le désordre, les sorties se succèdent. Les souteneurs qui appellent à une marche, programmée 48 heures après la sortie du chef de file de Pastef. Les aléas du direct révèlent que cette décision ne fait pas l’unanimité. Qu’importe ! Le groupe en a décidé ainsi.
Face à la presse, Idrissa Seck, ci-devant Président du Conseil Economique Social et Environnemental, s’adresse lui aussi aux Sénégalais. Lui, émet une conditionnalité à son rôle auto-proclamé de médiateur, ce qui fausse et efface l’intention annoncée. Au tour du ministre de l’Intérieur, la voix officielle de la République, qui sermonne, sanctionne, avertit, conseille. Tant de registres que l’on finit par s’y perdre. Surtout que le charisme manque à l’appel, balayé définitivement par des hésitations qui affaiblissent le discours. De son côté, le Médiateur de la République appelle à l’apaisement dans un message qui aura été moins relayé que celui des intervenants précédents. Pendant ce temps, dans les rangs de l’opposition, chacun semble vouloir « profiter » du « buzz » du chef des Patriotes pour se rappeler au bon souvenir de ses compatriotes. Comme lors d’une séance-photo de groupe, chacun étire le cou, joue des coudes, s’empresse de se coller à son voisin immédiat pour être devant l’objectif. Voici que l’on aperçoit quelques figures « oubliées » de l’opposition, bien en sécurité dans un véhicule hors de prix, pour figurer sur les images de la marche organisée.
Conséquence de cette « non abdication annoncée », trois jours d’émeutes, de guérilla urbaine où l’on compte malheureusement les morts et les blessés, sous l’œil des objectifs, relayés en temps réel sur tout type d’écrans. De quoi couper le signal de certaines chaînes de télé, d’attaquer et d’incendier des maisons de presse ou d’agresser des journalistes. Partout la violence se fait omniprésente, dans les actes, les propos et les commentaires partagés encore et encore.
Dans ce tourbillon irréaliste, adoptons « l’hypothèse optimiste » du journaliste, actuel Directeur de l’Information du Groupe Futurs Médias, Souleymane Niang. Livrant son analyse, il espère notamment qu’un « dialogue national sincère et inclusif s’engage, qui ira aussi loin que la refondation de la démocratie sénégalaise l’exigera ». Amine
LE SÉNÉGAL A TOUCHÉ LE FOND
Ce terrible diagnostic est de Me Assane Dioma Ndiaye à la suite de l’analyse qu’il a faite de la vague de violences notée depuis quelques jours
La démocratie sénégalaise est piétinée à tel point qu’elle a observé un grave recul. Ce terrible diagnostic est de Me Assane Dioma Ndiaye à la suite de l’analyse qu’il a faite de la vague de violences notée depuis quelques jours au Sénégal.
La situation qui prévaut au Sénégal est d’une gravité telle que les organisations de défense des droits humains craignent que l’escalade de la violence n’atteigne des proportions alarmantes. Le président de la Ligue sénégalaise des droits de l’Homme (Lsdh), Me Assane Dioma Ndiaye, sonne l’alerte et interpelle sur l’urgence de trouver des solutions salvatrices afin d’éviter le chaos. «Jadis considéré comme un îlot de lumière dans un océan d’obscurantisme en Afrique, le Sénégal est passé au stade de dernier de la classe en matière démocratique. Nous avons touché le fond des abîmes. Les Nations Unies et la Cedeao disent nous avoir à l’œil et nous rappellent à l’ordre et à la raison.
Le son de cloche de la Cour Pénale Internationale ne va pas tarder à se manifester pour mettre en garde contre d’éventuels crimes contre l’humanité, s’ils ne se sont pas déjà produits au vu des nombreux décès déjà enregistrés», clame-t-il. «Alors en toute lucidité et patriotisme, ayons le courage et l’humilité de reconnaître notre pathologie profonde et ne nous voilons pas la face.
A la place d’une démocratie substantielle gage de pérennité et de stabilité durable, on a opté pour une démocratie bâtie sur une hégémonie des vainqueurs, notamment de 2001 à 2021, avec une répugnance à tout pluralisme, la négation du droit à la différence, la primauté des intérêts particuliers sur l’intérêt général, une confusion des Pouvoirs exécutif et législatif et surtout une vassalisation du Pouvoir judiciaire ponctuée par une instrumentalisation de la justice à des fins politiques», fulmine le leader de la Lsdh. Poursuivant, il estime que «la rationalité stratégique a supplanté le nécessaire débat éprouvé sur le légitime et l’illégitime. L’impératif catégorique Kantien ravalé au rang d’idéalisme béat et impertinent.
En clair, la Démocratie représentative a failli. Nulle surprise alors que le Pouvoir exécutif échappe à tout contrôle. Les mécanismes régulateurs tels que les questions de confiance ou la motion de censure deviennent chimériques. La Théorie de Montesquieu de l’autorégulation tombe alors en désuétude. La clairvoyance appelle par conséquent à un nouveau contrat social articulé autour de paramètres saisissables et incompressibles qui s’imposent à tous Erga Omnes. C’est dans les moments de doutes profonds, d’angoisse existentielle psycho traumatisante face au spectre du néant que le génie créateur d’un peuple doit se déployer pour secréter des solutions salvatrices».