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27 septembre 2025
par la chroniqueuse de seneplus, Rama Salla Dieng
SE SOUVENIR DE THANDIKA MKANDAWIRE
Entretien pour la revue Roape avec le directeur de l'IDEA, Adebayo Olukoshi, sur la contribution de l’économiste malawite et ancien directeur du CODESRIA décédé en mars dernier, à la pensée sur le développement en Afrique et au-delà
Rama Salla Dieng a interviewé pour ROAPE, Adebayo Olukoshi sur la vie et l'œuvre de l’économiste Thandika Mkandawire. Une plongée dans la contribution du malawite décédé en mars dernier, à façonner la pensée sur le développement en Afrique et au-delà. SenePlus reproduit l'intégralité de l'entretien publié en anglais sur roape.net en version française.
Le 9 avril 2020, j'ai eu le privilège d'interroger le professeur Adebayo Olukoshi, directeur Afrique et Asie occidentale de l'Institut international pour la démocratie et l'assistance électorale (IDEA International) à propos de Thandika Mkandawire. L'entrevue a également été l’occasion de retrouver un ancien patron à moi, car j'ai travaillé avec le professeur Olukoshi lorsqu'il était directeur de l' IDEP (Institut africain de développement économique et de planification) et il a contribué à mon développement intellectuel entre 2010 et 2015.
Rama Salla Dieng : Comment, quand et où avez-vous rencontré Thandika Mkandawire pour la première fois ?
Adebayo Olukoshi : En 1983, le CODESRIA (le Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique) organisait une conférence sur la crise économique que connaissent alors les pays africains à l'Université Ahmadu Bello de Zaria, au Nigéria. C'était la première fois que j'entendais parler de Thandika Mkandawire. Cadman Atta Mills qui dirigeait la délégation du CODESRIA, avait mentionné son nom lors des débats. Le CODESRIA était l'un des principaux instituts de recherche en sciences sociales du continent et, inévitablement, j’ai pris contact avec eux. La conférence était une réflexion sur la nature structurelle de la crise économique dans les pays africains suite aux mesures d'austérité recommandées par les institutions financières internationales (IFI), et comment ces Etats pourraient diversifier leurs économies. Les questions qui se posaient alors étaient de savoir si la crise était un accroc temporaire dû à l'assaut néolibéral ou une crise à long terme.
Après mon doctorat à Leeds et mon retour au Nigéria, j'ai été invité à faire partie d'un réseau mis en place par le CODESRIA, d'abord sur un projet concernant les mouvements sociaux en Afrique coordonné par Mahmood Mamdani, Ernest Wamba Dia Wamba et Jacques Depelchin. Plus tard, le CODESRIA a organisé une conférence panafricaine au Novotel de Dakar sur l'ajustement structurel en Afrique. Selon moi, la présentation de Thandika Mkandawire sur les politiques d'ajustement structurel (PAS) en Afrique et leur rôle dans l'agenda néolibéral plus globalement, contenaient deux idées frappantes. Premièrement, son introduction était éclairante et pas simplement protocolaire, comme c’est le cas pour de telles présentations, en particulier au Nigéria. Thandika a fait des commentaires très substantiels dans ses mots d’ouverture à propos des raisons pour lesquelles nous devions mobiliser la pensée africaine sur la question des PAS et comment nous pourrions interroger les trajectoires actuelles et influencer les futures orientations politiques. Il a été au cœur du sujet. Deuxièmement, bien qu'étant alors le Secrétaire exécutif du CODESRIA, il est resté avec tous les participants invités tout au long de la conférence et a présenté son propre document [Thandika était Secrétaire exécutif de 1985 à 1996]. Il a souligné que la réflexion sur les PAS était une bataille de politique et de pouvoir. Par conséquent, c'était stimulant et inspirant qu'il nous ait demandé des commentaires après sa présentation. J'ai fait une présentation à cette conférence après celle de Thandika.
De retour à Lagos, j'ai reçu un appel téléphonique de lui me demandant de mettre en place un comité interne d'examen par les pairs afin d'aider à publier les documents de la conférence. Cela deviendra plus tard notre livre édité sur La politique de l'ajustement structurel en Afrique : entre libéralisation et oppression, publié en 1995 par le CODESRIA. Ce fut le début de notre association intellectuelle et de notre amitié.
Comment décririez-vous Thandika en tant que personne ?
Thandika était polyvalent, pluridisciplinaire et avait une large connaissance de divers sujets. Il n'y avait pratiquement pas de sujet, académique ou non, sur lequel Thandika n'avait aucune idée à offrir. Il a beaucoup lu sur des thématiques variées dans différentes parties du monde. Il avait la capacité de glaner des informations de différentes sources et d'apporter une perspective interprétative et analytique unique sur les questions relatives au développement économique dans le monde.
Thandika était à la fois, un érudit sérieux et un compagnon sociable. Une anecdote disait au CODESRIA qu’il fallait prévoir une parade pour s’échapper au cas où vous envisagiez de passer la soirée avec Thandika parce qu'il était si engageant.
Il a abordé un large éventail de sujets, notamment la musique (de Kora à Youssou Ndour ou Baaba Maal), l'histoire, l'agriculture et les arts. Je me souviens être allé me coucher à 5 ou 6 heures du matin après avoir dîné avec lui alors que j'avais une présentation à faire quelques heures plus tard. Au CODESRIA, nous nous sommes toujours demandé comment il pouvait gérer toutes ses responsabilités et être toujours à l'heure.
Selon vous, quelles sont les trois contributions intellectuelles les plus importantes de Thandika à la réflexion sur le développement en Afrique et sur l'Afrique ?
Premièrement, Thandika était d'avis qu'un regard multidisciplinaire était nécessaire pour comprendre la trajectoire de développement du continent africain. Pour autant, il nous a également indiqué que nous devions être forts dans notre propre discipline et la maîtriser à fond avant d’élargir notre domaine de compétence. La multidisciplinarité n'était pas un raccourci pour éviter la rigueur dans l'analyse, mais impliquait de tirer des enseignements afin de confronter les interprétations étroites des réalités africaines.
Deuxièmement, Thandika insistait sur le fait que les intellectuels africains ne devaient laisser à personne la théorisation du développement du continent. C'était quelque chose qu'il n'était tout simplement pas prêt à accepter. Il a par ailleurs toujours insisté sur le fait d’investir le champ de la théorie sans être dogmatique afin de pouvoir apporter des perspectives uniques au développement du continent africain. Cela devait être fait sans stigmatiser et dénigrer le continent. Cela se reflète dans le néo-patrimonialisme, la corruption ou la crise de la littérature sur le développement à laquelle il s'est opposé. Cela nous a ouvert les yeux. En outre, il a recommandé d’aller au-delà de la simple observation superficielle des événements sociaux et économiques, en essayant de comprendre la logique des facteurs en jeu.
Troisièmement, il a toujours souligné l'importance d'historiciser le développement et il a toujours essayé d'analyser les phénomènes de développement dans une perspective historique. Ce qu'il a fait dans son propre travail. Par exemple, la Banque mondiale et le FMI ont décrit les années 1960 et 1970 comme les décennies perdues pour le développement en Afrique, selon la pensée dominante. Thandika a montré chiffres à l’appui, que la période d'ajustement structurel était en réalité une décennie perduepour l'Afrique, un détour du processus de développement. Juste après les indépendances, la plupart des États africains s'en sortaient très bien car les dirigeants, malgré leurs idéologies, étaient investis dans la théorie et la pratique vers le développement. Hélas, avec les politiques d’ajustement structurel, la plupart d'entre eux ont abdiqué au profit des expérimentations des institutions de Bretton Woods qu'ils ont ensuite contestées. C'était son postulat de départ à propos du débat sur l'état développementaliste. Il n'a jamais cédé à l'idée d'une impossibilité de développement pour les États africains. Par conséquent, cela n'a jamais vraiment été une question de faisabilité ni de la fausse dichotomie entre les nations en développement et ceux démocratiques (comme c'était le cas dans la plupart des États du Sud-Est asiatique). L'autoritarisme n'a jamais été une voie viable et, en fait, l'Afrique a été «condamnée à la démocratie, dans tous les sens», disait-il.
Dans quelle mesure pensez-vous que sa pensée a influencé la politique de développement en Afrique ?
Thandika a influencé directement et indirectement l'orientation de la politique économique sur le continent. Dans le premier cas, il a été personnellement invité à participer à de nombreuses séances de réflexion politique, par exemple par Thabo Mbeki en Afrique du Sud, Meles Zenawi en Éthiopie. Et indirectement, il avait une énorme audience intellectuelle, et beaucoup de ces dirigeants convaincus par sa pensée théorique ont essayé de l'appliquer tout en concevant des politiques gouvernementales clés dans toute l'Afrique.
Après environ 16 ans au CODESRIA, il a rejoint l'Institut de recherche des Nations Unies pour le développement social (UNRISD) et a révolutionné son programme de recherche sur les politiques. Il a replacé le social au centre de l'élaboration des politiques (en particulier à travers la planification du développement), en s'inspirant des perspectives comparatives de nombreuses régions du monde, y compris les exemples salutaires des pays scandinaves. Tirant les leçons des nombreuses crises économiques et financières, notamment en Amérique du Sud en 1978-1979, en Asie de l'Est dans les années 90 et de la grande récession, il en est arrivé au fait que disposer d’une politique sociale saine n'était pas incompatible avec de bonnes performances économiques. Au contraire, cela y contribue, faisait-il remarquer.
Y a-t-il une leçon particulière que vous avez apprise de Thandika ?
«Quoi que vous fassiez, faites-le avec énergie, engagement et conviction.» Thandika n'a jamais semblé rebutant. Bien qu'il travaillait dur, il n'était jamais trop sérieux, il était très accessible, donnait son temps aux gens et était toujours souriant. Il n'a jamais détourné les gens de leurs idées. Il rendait tout ce qu’il avait à faire si simple qu’on pourrait croire qu'il évoluait dans une atmosphère de pur plaisir !
En tant que Secrétaire exécutif du CODESRIA, il a bâti une formidable réputation pour l'institut sans jamais donner l'impression d'être dépassé à aucun moment. J'ai eu la chance d'être le secrétaire exécutif après lui, et je lui ai demandé comment il s'en sortait, car le travail semblait impliquer une gestion de crise quotidienne. Il a dit : «Oui, oui, cela vient avec le travail. Quand j'ai demandé : «Comment avez-vous réussi à garder une attitude aussi calme, amicale et avenante tout au long de votre mandat ? Personne n'aurait pu supposer que vous faisiez face à tant de défis. Il a répondu : «Vous devez également comprendre qu'en tant que Secrétaire exécutif, vous êtes appelé à faire preuve de leadership et cela nécessite une maîtrise des défis de manière à encourager les gens plutôt qu’à les décourager. Thandika était un vrai leader.
Quel est votre souvenir préféré de Thandika ?
J'ai tellement de souvenirs de lui dans différents contextes. J’ai des souvenirs de lui en tant que chercheur au Danemark lorsque j'étais au Nordic Africa Institute (NAI) à Uppsala. J'ai aussi un souvenir précis d'un dîner que nous avons eu ensemble à Dakar au début de ma collaboration avec lui au CODESRIA. Nous travaillions alors à l'édition du livre Entre libéralisation et oppression : la politique de l'ajustement structurel en Afrique. Il était très détendu et j'ai découvert une autre facette de l'homme. Il s’était levé en plein et se mit à danser sur sa chanson préférée. J’en étais devenu très timide car je n'aurais pas pu imaginer ce côté-là de lui.
Que ce soit pendant son séjour à LSE ou à l'Université du Cap (Nelson Mandela School of Public Governance), je ne l'ai jamais vu tétaniser par un défi au cours de sa vie.
Comment Thandika a-t-il affecté votre vie ?
La rencontre avec Thandika à l'époque, m'a permis de développer de la confiance en moi. J'ai eu la chance de sortir de l'école d'économie politique radicale Zaria comprenant Tunde Zack-Williams, Yusuf Bangura, feu Yusuf Bala Usman, de jeunes universitaires comme feu Abdul Raufu Mustapha, Jibrin Ibrahim. Cela m'a donné une solide base car cette pensée radicale était comparable à bien des égards à celle de l’école de Dar es Salaam. J'ai également eu le privilège de faire mon doctorat à Leeds qui était la maison de ROAPE. Là, j'ai rencontré Lionel Cliffe, Ray Bush qui était l'un de ses mentors et amis, Morris Szeftel, puis à la Leeds School of Economic and Social Affairs, et au CODESRIA j'ai rencontré Thandika, Archie Mafeje, Shahida Elbaz, Mahmood Mamdani, Issa Shivji, etc. que nous appelions "Grandies du CODESRIA".
De plus, j'ai eu non seulement le privilège d'être co-éditeur avec lui, mais aussi de suivre ses traces au CODESRIA pour maintenir cette institution comme une étoile brillante de la recherche en sciences sociales ; Tout au long du processus, j'ai beaucoup appris de lui. Apprendre à ne pas être doctrinaire, à bien argumenter, à écouter les autres et à s’intéresser à leurs parcours en termes d'influences théoriques.
Lorsque je suis devenu secrétaire exécutif du CODESRIA, Thandika a fait tout son possible pour passer quelques jours avec moi à Dakar afin de se remémorer le parcours de l’institut, son histoire. Vous ne pourriez pas avoir un meilleur mentorat que cela. J'ai été intellectuellement plus sûr de moi après cela, car j'ai profité de sa sagesse et je suis resté en contact avec lui. Il n'a jamais hésité à me donner son avis. Nous sommes tellement plus pauvres maintenant qu'il nous a quittés. Il a assumé ses responsabilités de façon exemplaire. Il était un bâtisseur d'institutions.
Comment honorer sa mémoire ?
Nous devons nous assurer que cette tradition d'érudition critique et engagée que Thandika a représentée tout au long de sa vie reste vivante dans le travail que nous faisons et nous en avons besoin plus que jamais. Certains défis rencontrés dans différents contextes nécessitent une nouvelle génération de chercheurs capables de les relever, en empruntant de sa confiance, ses connaissances, son éthique du travail, son sens de la diligence et son objectif. Sa génération qui a construit le CODESRIA, a compris quelle était sa mission. A présent, votre génération a besoin de découvrir la vôtre et de l'accomplir. Nous devons tous nous demander ce que le CODESRIA devrait signifier pour nous tous aujourd'hui ? Quel type d'organisation et de renforcement institutionnel voulons-nous ? Le CODESRIA doit être préservé, ainsi que tous les écrits de Thandika. Le CODESRIA a de façon exhaustive, compilé sa bibliographie et examine également ses contributions qui ne sont pas dans le domaine public. Je sais qu'il y a beaucoup de savants dans ma génération, dont Jimi Adesina et d'autres, qui travaillent à une pérennisation de son travail. Il a laissé un immense héritage intellectuel à préserver.
Merci beaucoup Professeur, d'avoir pris le temps pour cette conversation avec moi et les inconditionnels de ROAPE. Nous vous sommes reconnaissants.
Rama Salla Dieng est écrivaine, universitaire et activiste sénégalaise, actuellement maîtresse de conférence au Centre d'études africaines de l'Université d'Édimbourg. Elle est l'éditrice de la série Talking Back sur roape.net et membre du groupe de travail éditorial de ROAPE.
Adebayo Olukoshi est ancien directeur de l'Institut africain des Nations Unies pour le développement économique et la planification (IDEP) et présentement directeur du bureau Afrique et Asie occidentale de l'Institut international pour la démocratie et l'assistance électorale. Il est également membre du conseil consultatif international de ROAPE.
Cette interview a été traduite par Cheik Farid Akele de SenePlus.
L’expert en santé publique est loin d’épouser l’actuelle stratégie adoptée par l’Etat pour bouter le virus hors de nos frontières. Selon Dr Moussa Thior, le slogan « Restez chez vous !» n’est pas la formule idéale pour venir à bout de cette maladie. Pour lui, il faut laisser libre cours à la circulation des personnes afin d’acquérir une immunité de masse. « Il faut laisser les populations circuler au lieu de les confiner pour avoir la protection de masse » a déclaré le Dr. Moussa Thior. Pour le consultant international, le gouvernement fait fausse route en insistant sur la limitation des personnes et les cas des Pays-Bas et la Suède sont assez illustratifs à ce sujet. « Le Pays-Bas, la Suède, ils n’ont pas confiné quelqu’un, ils ont laissé les gens circuler et ont mis en place un système de surveillance épidémiologique pour voir où en est la maladie et la contrôler. Au Sénégal, nous avons un excellent système de surveillance épidémiologique, nous pouvons faire confiance en nos médecins de santé publique mais ils ne peuvent pas travailler dans un environnement serein parce que l’atmosphère est polluée » a-t-il renseigné.
UNE COMMUNICATION BASEE SUR LA PEUR NE RESOUDRA PAS LA SITUATION
Par ailleurs, l’autopsie de l’expert en santé publique sur la stratégie adoptée par l’État n’a pas fini de révéler des tares. Dr. Moussa Thiore a accusé l’État de rendre féconde une épidémie de peur au sein de la population à travers une communication dangereuse, aux allures de catastrophe pouvant générer des conséquences plus graves que celles de Covid-19. « Dans le cadre de cette épidémie, nous avons deux situations à gérer. Nous avons d’abord une situation épidémique de coronavirus mais aussi une épidémie de peur qui fait beaucoup plus de dégâts que le coronavirus luimême. Je pense qu’il est temps qu’on s’intéresse à cette épidémie de peur », a relevé le Dr. Moussa Thiore.
Et de poursuivre : « On est en train de communiquer autour des cas communautaires pour dire aux gens que s’il y en a dans une communauté, c’est la catastrophe ainsi de suite. Il est très possible qu’on continue à avoir des cas communautaires ». Le spécialiste en santé publique met en avant une immunité collective en basant sur la jeunesse de la population sénégalaise et en fondant son raisonnement sur le principe de la vaccination. « Le principe de la vaccination, c’est d’inoculer un microbe vivant, atténué ou mort dans un organisme pour que cet individu développe des anticorps et soit prêt à mieux lutter lorsqu’il y a une attaque réelle. Dans la maladie du coronavirus, c’est exactement la même chose, quand le virus circule, surtout si vous avez une population très jeune; ce qui est notre chance en Afrique. Il y a ce qu’on appelle le développement d’anticorps chez ces populations jeunes et le développement de ces anticorps va constituer un frein au réseau de distribution de la maladie et protéger les personnes qui sont vulnérables », a expliqué Dr. Moussa Thior sur les ondes d’IRadio.
LES CRAINTES DU PR SEYDI GAGNENT DU TERRAIN
A la date du 28 avril 2020, le Sénégal comptait au total 823 cas déclarés positifs au Coronavirus, dont 296 guéris, 9 décédés, 1 évacué, 517 patients sont toujours sous traitement. A ce rythme, le Sénégal atteindra sous peu la barre des 1000 cas.
A la date d’hier, mardi 28 avril, le Sénégal comptait au total 823 cas déclarés positifs au Coronavirus, dont 296 guéris, 09 décédés, 01 évacué, alors que 517 patients sont toujours sous traitement. A ce rythme, le Sénégal atteindra sous peu la barre des 1000 cas. Ce qui semble conforter les craintes du Professeur Moussa Seydi, que tirait la sonnette d’alarme sur l’impuissance du pays de faire face à une vague de malades. Déjà, les hôpitaux semblent débordés, à certains endroits du pays.
«Que pourrions-nous faire si des milliers de malades déferlaient dans les hôpitaux ?», avait alerté le Professeur Moussa Seydi, sur le plateau de la Rts, le 28 mars dernier. Le Directeur du Service des maladies infectieuses et tropicales du Centre hospitalier universitaire (Chu) de Fann avait laissé entendre que «les cas commencent à être trop nombreux et si ça continue, nous ne pourrons pas gérer la situation». Il le disait au moment où le Sénégal venait juste de dépasser la barre des 100 cas. Aujourd’hui, avec 823 cas déclarés positifs au Coronavirus, dont 517 encore sous traitement, la barre des 1000 cas n’est pas loin.
Pour autant, l’appel du Professeur semble toujours sonner comme un coup d’épée dans l’eau, dans la mesure où les Sénégalais ne respectent pas les mesures de prévention édictées par le corps médical. Il avait pourtant prévenu que «nous n’avons pas les moyens de contenir une vague de malades», tout en précisant «qu’on va vers beaucoup de décès si la situation devient incontrôlable comme dans les autres pays». Le Sénégal a-t-il atteint la situation incontrôlable dont faisait allusion le Professeur Seydi ?
Le moins que l’on puisse dire, les hôpitaux commencent à refuser du monde. Déjà à Touba, Dakaractu informe, depuis le 24 avril dernier, que le centre de santé de Darou Marnane était déjà débordé. Un problème d’espace se serait posé dans ledit hôpital dont la capacité d’accueil était limitée à 30 ou 31 patients, alors que la structure avait interné au total 36 cas, à ladite date. Selon toujours la source, il a été décidé d’évacuer les nouveaux cas vers Dakar. Que dire de Sédhiou qui ne dispose pas pour l’instant d’un centre de traitement, mais compte pas moins de 25 personnes contaminées par le seul cas communautaire ?
Tous les malades sont transférés alors à l’hôpital régional de Kolda, dans les locaux d’isolement pour les malades du Covid-19. Ces derniers vont rejoindre les 7 premiers cas enregistrés par la région, à la date du 3 avril, tous des cas importés identifiés au poste de Kalifourou, dans le département de Vélingara, à la frontière avec la Guinée Conakry. A ne pas occulter ceux mis en quatorzaine, pas moins de 80 personnes contacts. Quid de la capacité d’accueil de cet hôpital régional et de son service de réanimation? La réalité est que beaucoup de patients atteints de certaines pathologies étaient évacués vers l’hôpital de Ziguinchor.
Alors qu’à l’hôpital régional de Ziguinchor, le Professeur Seydi a étalé le sous équipement de l’hôpital, les limites du service de réanimation non fonctionnel et non construit selon les normes. Toutefois, il nous revient que, suite à la sortie du Professeur Seydi, des appareils respiratoires ont été acheminés à Ziguinchor. Que dire de la quantité des lits de réanimation sur l’étendue du territoire ?
A la date du 2 avril, le Pr Mamadou Diarra Bèye en charge des cas graves du Covid-19 avait indiqué que le Sénégal disposait de 56 lits de réanimation répartis dans différents hôpitaux de la capitale, à savoir le Cuomo et au service des maladies infectieuses de Fann, l'hôpital Dalal Diam également et au CTE de Diamniadio.
En plus de ces 56 lits, «40 lits autres sont en cours de mise à disposition au niveau des autres hôpitaux : Le Dantec, l'hôpital général de Grand Yoff et l'hôpital de Pikine», avaient laissé entendre le Pr Bèye. Pendant ce temps, les praticiens de la médecine ne s’accordent toujours pas sur la stratégie de dépistage, malgré l’existence des cas asymptomatiques. Si certains optent pour le dépistage massif, d’autres par contre militent pour celui ciblé, à savoir des personnes positives et des personnes contacts.
Les arguments de la rareté des ressources et la nécessité des moyens conséquents étant le plus souvent avancés par les partisans du ciblage. Par conséquent, aucune nouvelle mesure radicale n’est pour le moment prise pour contenir la pandémie qui a fini d’installer ses quartiers dans le pays. Ainsi, le pays semble patienter le lancement du kit de dépistage rapide du Covid-19 de l’Institut Pasteur, prévu pour le mois de juin. En tout état de cause, le Sénégal se rapproche à grande vitesse du millier de cas que craignait le Professeur Moussa Seydi.
LE SUDES/ESR SE POSE EN BOUCLIER DU PR SEYDI...
Le torchon brûle entre le Syndicat unitaire et démocratique des enseignants du Sénégal, section Enseignement supérieur et recherche (Sudes/Esr) et le ministère de la Santé et de l’action sociale.
Le torchon brûle entre le Syndicat unitaire et démocratique des enseignants du Sénégal, section Enseignement supérieur et recherche (Sudes/Esr) et le ministère de la Santé et de l’action sociale. A la source de la tension, la sortie du directeur de cabinet du ministre de la Santé, Dr Aloyse W Diouf, au sujet des déclarations du Pr. Moussa Seydi concernant les dysfonctionnements relevés au service de réanimation de l’hôpital régional de Ziguinchor.
La tension monte entre les universitaires et le ministère de la Santé et de l’action sociale. Pour rappel, juste après les déclarations du Pr. Moussa Seydi informant que le service de réanimation de la région de Ziguinchor est complètement en vacance compte tenu du manque d’équipements et de son architecture inadéquat, le directeur du cabinet du ministre de la Santé et de l’action sociale, est monté au créneau le lendemain pour un recadrage de communication. « Nous, personnel de santé, le peuple fonde un grand espoir sur nous. Il y a des communications qui doivent se limiter entre nous, parce que nous ne devons pas inquiéter les populations par nos propos, même si on doit leur dire la vérité. Il y a des choses que nous devons régler entre nous », a déclaré Dr Aloyse Diouf. Des propos qui ont « choqué » le Syndicat unitaire et démocratique des enseignants du Sénégal, section Enseignement supérieur et recherche (Sudes/Esr).
A travers un communiqué de presse, le Secrétaire général a tenu à rappeler que « les médecins hospitaliers universitaires ne reçoivent pas d’ordre du ministre et ne sont pas soumis à une quelconque obligation de réserve. Leur autorité, c’est le recteur de leur université ». Et dans la même foulée, Dr. Oumar Dia d’ajouter : « certains postes dans les centres hospitaliers universitaires sont rattachés à certains statuts universitaires. En tant que titulaire de la chaire de maladies infectieuses, le professeur Seydi est ipso facto chef du service des maladies infectieuses de Fann. L’université le choisit. Le ministre ne fait qu’entériner un choix dans lequel sa compétence est liée ».
Ainsi, il ressort de l’éclairage du Sudes/Esr que le professeur Seydi a des devoirs non pas envers une administration mais envers la vérité et la science. « Ces devoirs et surtout son droit à s’exprimer plus librement que n’importe quel administratif sont garantis par la loi N° 94-79 du 24 novembre 1994 relative aux franchises et libertés universitaires », a précisé Dr Oumar Dia. Jugeant le cours de communication du directeur de cabinet du ministre de la santé et de l’action sociale, inopportun pour le moment, le Sudes/Esr a recommandé au Dr Aloyse Waly Diouf de bien vouloir se renseigner sur l’état du service de réanimation de Ziguinchor. « Si le Dr Diouf éprouve, malgré la crise que nous vivons, le besoin de discipliner ses subordonnés, nous lui suggérons de mener l’enquête pour savoir comment la situation constatée par le professeur Seydi a pu se produire dans des structures dépendant d’un ministère où il occupe un poste si éminent » a renseigné le communiqué du Sudes/Esr. Et de poursuivre : « attirer l’attention de l’Exécutif et au premier chef le Président Macky Sall sur le fait qu’une attaque contre le professeur Seydi est une attaque contre l’université et les libertés qui la fondent. Les universitaires de ce pays, qui font plus que leur part pour lutter contre la maladie à coronavirus, ne sauraient la tolérer ».
...LE FORUM CIVIL DANS LA BATAILLE...
Dans la veine, le coordonnateur du Forum Civil est sorti de son silence pour prendre la défense du Pr. Moussa Seydi en qualifiant d’«attitude irresponsable » la réaction du ministère après les déclarations du Pr. Moussa Seydi. Selon lui, il y a une volonté manifeste d’étouffer une vérité qui dérange. Et de conclure : « le Pr. Moussa Seydi est bel et bien dans son rôle de soignant en demandant que tout le nécessaire soit mis à la disposition des équipes de terrain »
... LE SAES AUSSI
«Le SAES ne saurait cautionner de telles attaques de quelques bords qu’elles viennent et les condamne fermement». C’est de cette manière assez ferme que le Bureau national du SAES et la Section FMPO ont exprimé, dans un communiqué parvenu à la Rédaction de Sud hier, mardi 28 avril, «tout leur soutien et leur solidarité au camarade Moussa Seydi» dont soutiennent-ils, «le seul tort est d’inviter à relever le plateau de l’unité de réanimation de l’hôpital de Ziguinchor». Conséquences : «il fait l’objet d’attaques qui ne se justifient point», regrettent le Saes et la section FMPO.
Le Saes de rappeler que «depuis le 2 mars 2020 le Sénégal ne cesse d’enregistrer des cas de Covid-19 qui, jour après jour, augmentent et préoccupent les autorités et les Sénégalais. En dépit de ce flux important de patients, le Pr Seydi et son équipe se donnent corps et âme pour une meilleure prise en charge des malades dans tous les centres de soins dédiés».
Et d’ajouter : «c’est dans ce cadre que le camarade Seydi, visite, sous une température caniculaire, les centres du Sénégal abritant des patients Covid-19 pour s’assurer de leurs meilleures conditions de traitement, faire une évaluation technique de la qualité de prise en charge, encourager les équipes, échanger sur les difficultés et voir comment y trouver des solutions avant de rencontrer les gouverneurs responsables dans la lutte contre le Covid-19». «C’est le lieu de remercier et de féliciter tout le personnel médical pour son engagement. Le Sénégal doit être fier du Professeur Moussa Seydi dont l’expertise, l’engagement au service de la communauté et le patriotisme forcent l’admiration à travers le monde».
Mais, «inopportunément, déplore-t-il, plutôt que de recevoir des encouragements et des félicitations des autorités du Ministère de la Santé et de l’Action sociale en ces moments anxiogènes, notre camarade (…), fait l’objet d’attaques qui ne se justifient point».
LE RAMADAN, PAS UNE AUBAINE POUR LES PREDICATEURS
Le mois béni de Ramadan était une occasion d’organiser des conférences religieuses et des prêches dans les mosquées afin de mieux orienter les fidèles musulmans vers les recommandations divines.
Le mois béni de Ramadan était une occasion d’organiser des conférences religieuses et des prêches dans les mosquées afin de mieux orienter les fidèles musulmans vers les recommandations divines. Cette année, avec la propagation du Covid-19, les rassemblements sont interdits. Par conséquent, aucune conférence religieuse ni prêche ne sera tenu en public. Néanmoins, les prédicateurs ont trouvé une alternative. Le message est transmis autrement, via les nouvelles technologies. Par ailleurs, le Ramadan que certains considèrent comme une période faste pour les imams et autres prédicateurs ne l’est pas, de l’avis des concernés.
AHMADOU MAKHTAR KANTE, IMAM DE LA MOSQUEE DU POINT E : «JE SUIS TRES CHOQUE QUAND J’ENTENDS LES GENS DIRE QUE LE RAMADAN EST LA TRAITE DES IMAMS»
«Les prêches continuent. Il y a des imams modernes qui publient sur Facebook ou font des vidéos et ceux traditionnels qui sont déconnectés ou âgés qui sont chez eux et qui parlent peut-être au téléphone à des personnes qui leur posent des questions. Il y a d’autres qui font recours à la technique pour faire des vidéos. On peut bien faire passer un message à travers les réseaux sociaux et ça peut même être démultiplié. Déjà, ça se faisait. On avait des temps d’antenne dans les médias. Actuellement, il y a des imams et des prédicateurs qui sont invités sur les sites pour faire des plateaux, d’autres ont leurs propres chaines YouTube ou ont des pages Facebook.
Souvent, ils ont un public beaucoup plus important que celui des mosquées ou des conférences. Par exemple, mes vidéos sont regardées par des gens beaucoup plus importants que les groupes qui m’écoutaient un vendredi. Je ne parle même pas des petits groupes avec qui je discutais lors des prières quotidiennes ou des conférences. Ça se passe très bien. En plus, les gens font le partage et ont la possibilité de garder le document. Donc, il n’y a aucun problème.
S’agissant du profit, quand un imam ou un prédicateur va faire une conférence, il n’impose pas une rémunération. Ce sont des gens qui s’organisent et qui veulent qu’un imam vienne leur tenir un serment ou une conférence. Donc, c’est tout à fait normal qu’ils discutent des conditions de travail. C’est comme quand un consultant se déplace dans le cadre de son travail, il y a un minimum de moyens à donner. Chaque association à sa façon de traiter le conférencier. Je trouve que c’est tout fait normal que, quand on déplace un imam, on lui donne quelque chose. On ne peut pas lui en donner suffisamment parce qu’il dirige chaque jour les cinq prières et répond aux questions des gens soit au téléphone ou à la mosquée…
Beaucoup d’imams sont morts dans la pauvreté. Les rares qui sont plus ou moins riches, ils ne sont pas des imams, mais des gens qui voyagent dans les pays du Golfe ou bien qui ont un business à côté. Mais un simple imam, qui s’occupe de la mosquée, n’a pas une rémunération régulière.
Je suis très choqué quand j’entends les gens dire que pendant le Ramadan, les imams et les prédicateurs sont dans la traite. Ils parlent comme si les imams gagnent des milliards dans les conférences, alors qu’il y a certains parmi eux, qui sont hyper-pauvres et personne ne s’en aperçoit. Cette question ne se pose pas. Et, même si c’était le cas, pourquoi tout le monde a droit à une traite et de tout ce que l’on veut sauf les imams ? Ils sont des êtres comme tout le monde. L’aspect financier, c’est un faux problème. Les imams sont aidés tous les jours, même si ce n’est pas le Ramadan».
OUSTAZ ALIOUNE SALL, PREDICATEUR A LA RADIO SUD FM : «Nos gains ne dépendent pas du Ramadan»
«Les nouvelles technologies telles que le téléphone, les réseaux sociaux comme le WhatsApp, sont les canaux que nous utilisons pour faire passer le message. S’agissant de l’application WhatsApp, quand nous sommes contactés par un groupe pour des causeries sur un thème bien déterminé, nous faisons l’introduction et après les membres du groupe font le partage et nous reviennent pour des questions. Je trouve que les conférences telles qu’elles étaient tenues au temps, sont beaucoup plus efficaces. Nous avions le public en face et les questions réponses se faisaient par interaction. Mais, on fait avec les moyens du bord.
Les gens ont l’habitude de faire du Ramadan un moment de gain pour les prédicateurs. Nous ne faisons pas de différence entre une conférence en période de Ramadan et une autre situation. Nous ne sommes pas des salariés pour avoir une idée exacte de nos revenus mensuels. On a des gains beaucoup plus importants que ceux des salariés. Nos revenus ne dépendent pas du Ramadan. C’est la presse qui a l’habitude de considérer le Ramadan comme une période faste pour les prédicateurs».
Par CALAME
GASPILLAGE, IRRESPONSABILITE, EXTRAVERSION !
Gageons que les manquements mis en exergue par ce virus mortifère puissent nous amener à rectifier nos errements et marquer durablement nos consciences si enclines à éjecter de la mémoire l’horreur des leçons inconfortables.
En partance pour les régions, une longue file de camions lourdement chargés de sacs de riz importés achetés à 275.000Fcfa la tonne alors que le prix homologué par le ministère du Commerce est de 240.000 Fcfa (voir L’AS du mardi 28 avril 2020), étaient en stationnement sur le bas-côté de l’autoroute en milieu d’après-midi de la semaine dernière.
A une encablure, la nouvelle gare ferroviaire de Colobane exhibait tristement une dizaine de trains du TER, inauguré à grande pompe le 14 janvier 2018, en pleine campagne électorale, comme on sait si bien le faire au Sénégal. Six mois après, pour un coût estimé à quelque 800 milliards de francs Cfa, le TER était censé relier l’aéroport de Diass au centre-ville de Dakar en passant par Diamniadio. Les trains sont toujours là, livrés à l’usure du temps. Il y avait assurément dans cette proximité comme deux mondes antinomiques : celui de l’urgence alimentaire faisant face à celui de la gestion non appropriée des deniers publics. Tout un symbole !
Comment ne pas s’interroger lorsqu’on voit ainsi à la gare de Colobane une dizaine de trains trônant tristement sur les quais, en attente d’on ne sait quoi ! Comment ne pas s’interroger lorsqu’on voit le building administratif, totalement rénové, façade entièrement vitrée, délesté de son auguste majesté, à coup d’une trentaine de milliards de francs cfa, pour ensuite être vidé d’une bonne partie de ses occupants dont les ministères sont désormais délocalisés dans la nouvelle ville administrative de Diamniadio ! Sans compter l’ancien palais de Justice qui tient toujours debout alors qu’on le disait en voie de s’écrouler, les bateaux-taxis achetés et qui n’ont jamais servi, les villas non achevées de l’Oci. Que de gaspillages qui ont permis d’enrichir depuis si longtemps des lobbies sur le dos de la communauté. Et pour ne rien arranger, voilà que tout est chamboulé en ces temps de pandémie de coronavirus, les activités au ralenti, malmenées par un virus qui s’est brutalement invité sur la scène du monde.
L’occident, continent le plus atteint par la maladie, alors qu’il était habité par des rêves fous qui l’amenaient à penser l’être humain comme une machine dont on pourrait remplacer les organes défectueux pour l’asseoir dans l’éternité, redécouvre tout d’un coup que la mort existe, qu’elle est un horizon indépassable. Il s’y ajoute qu’en restreignant ses mouvements, le confinement l’incite à poser un regard autre sur sa vision de la liberté qui avait fini par réifier l’individu. Et le voilà qui ressent dans les meurtrissures de sa chair que cette dernière n’a de sens que dans le cadre d’une interaction, d’un interagir avec autrui, avec son environnement.
Ahuri, si habitué à prendre de haut tous les autres continents, à les voir se débattre avec la maladie, la guerre, la famine, le chômage de masse, l’occident découvre qu’il est aussi sujet à ces dangers archaïques. Et surtout, qu’il n’était plus préparé à y faire face. Déstabilisé dans ses certitudes bien ancrées, il se surprend à être un continent comme un autre. Dans ce contexte, l’intérêt serait pour l’Afrique de voir l’occident non plus comme ce lieu où s’agitent de grands et performants «sorciers blancs», mais comme un continent qui a su se focaliser sur ses propres intérêts.
Aussi en cette période d’urgence sanitaire, nous revient-il de rompre avec cette propension à l’extraversion économique, culturelle, intellectuelle, pour prendre conscience, comme nous y invite la formidable énergie qui se développe à travers l’ingéniosité de nos médecins, de nos enseignants-chercheurs, de nos tailleurs, de notre pharmacopée traditionnelle, des solutions endogènes innovantes. Cette énergie dormante qui s’est réveillée sous l’effet conjuguée de la crise sanitaire et du sauve-qui-peut qui se sont emparé du monde, oblige à l’urgence de compter sur soi. De consommer ce que nous produisons. De produire ce que nous consommons.
Fort des richesses de son sous-sol, de la jeunesse de sa population, les enfants du continent ont plus que jamais pour mission de refuser la politique de la «main tendue» dénoncée par feu Sembène Ousmane. Ils sont attendus pour lutter avec détermination contre la corruption et la concussion qui gangrènent nos Etats.
Gageons que les manquements mis en exergue par ce virus mortifère puissent nous amener à rectifier nos errements et marquer durablement nos consciences si enclines à éjecter de la mémoire l’horreur des leçons inconfortables.
CALAME
LE SYSTÈME SANITAIRE AU BORD DE L’ASPHYXIE
Dans la bataille contre le coronavirus, ce n'est pas seulement le problème de la disponibilité de lits qui se pose. Le déficit de personnes qualifiées et de matériel de pointe surtout pour la prise en charge des cas graves, est préoccupant
Le Sénégal est entré de plein pied dans la phase 2 de l’épidémie. Un stade qui risque d’aller vite vers le basculement au stade 3 si la courbe de propagation du coronavirus continue d’évoluer de manière vertigineuse, comme l’attestent des spécialistes de l’épidémie. A la date d’hier, mardi 28 avril, 517 cas de Covid-19 sont sous traitement pour une moyenne d’enregistrement journalière de 50 cas positifs depuis la semaine dernière. Une situation préoccupante pour le Sénégal, quand on sait que le nombre de lits disponibles pour accueillir les cas positifs sur le territoire sénégalais s’élève à un plus de 500 lits comme l’annonçait le docteur Abdoulaye Bousso du Centre des opérations d’urgence sanitaire (Cous). Il s’y ajoute le manque de spécialistes (maladies infectieuses, anesthésistes réanimateurs) pour la prise en charge de cette pathologie surtout les cas graves hospitalisés dans les régions. Face à toutes ces préoccupations, l’Organisation mondiale de la santé alerte alors qu’au même moment, le professeur Massamba Diouf, épidémiologiste, fait savoir que « ces vagues vont conduire à un débordement des services de santé et vont forcément entrainer un engorgement de ces structures. En ce moment, le personnel ne pourra pas faire face».
Le Sénégal est classé 9ème depuis ce weekend parmi les pays du monde où le coronavirus évolue à une vitesse fulgurante. Depuis la semaine dernière, le Sénégal a rehaussé le dépistage en franchissant la barre des 500 tests par jour. Ce qui augmente le nombre de cas positifs. S’il y a dix jours, les malades guéris de Covid-19 étaient supérieurs au nombre en traitement, ce n’est plus le cas car la balance a très vite basculé en une semaine en faveur des patients pris en charge allant jusqu’à doubler le taux de guérison.
A la date du mardi 28 avril, 517cas sont retenus dans les centres de traitement implantés sur tout le territoire sénégalais contre 296 cas guéris depuis la déclaration de la maladie au Sénégal le 02 mars dernier pour un enregistrement total de 823 cas positifs. Si le comité de réponse de la pandémie avait fait une prévision de 500 lits pour accueillir les malades victimes de Covid-19 comme l’annonçait le docteur Abdoulaye Bousso du Centre des opérations d’urgence sanitaire (Cous) dans une de ces communications, ce nombre semble dépassé par les cas en traitement. Certaines localités à l’image de Touba qui est la 2ème ville la plus touchée par la pandémie après Dakar n’a plus de lits pour accueillir d’autres malades.
La population et certains acteurs de la santé ont fait la demande pour l’ouverture d’un autre centre pour venir en appoint au seul site de traitement. Dakar suit son objectif de mettre aux normes certaines structures de santé pour abriter les malades. Ainsi, après Fann qui est la structure de référence de prise en charge, des hôpitaux comme Dalal Diam, Principal, Ordre de Malte, Diamniadio ont ouvert leurs portes depuis la deuxième quinzaine du mois de mars pour désengorger le centre de Fann qui se trouve au niveau du service des maladies infectieuses.
Les hôpitaux comme Idrissa Pouye de Grand Yoff ex Cto, Le Dantec, Pikine entre autres se préparent pour accueillir des cas dans les jours à venir, font savoir des sources du ministère de la Santé et de l’action sociale. Ce qui favoriserait l’augmentation des lits disponibles. Cependant, malgré toutes ces prévisions faites par le ministère de la Santé et de l’action sociale, le Sénégal risque de ne pas tenir la corde si les cas déclarés continuent à flamber atteignant plus de 1000 cas en traitement comme le disait le professeur Moussa Seydi en charge du traitement du coronavirus.
A cet effet, au rythme où évolue le coronavirus dans le pays avec un enregistrement journalier de 50 cas positifs par jour, le Sénégal file tout droit vers la catastrophe, surtout qu’une prise en charge adaptée et adéquate va être impossible pour ces malades. D’où la pertinence de l’alerte de l’organisation mondiale de la santé (Oms) qui, par la voix de sa représentante résidente, a soutenu dimanche dernier sur les ondes de Sud Fm : « le Sénégal peut atteindre la barre des 1200 cas dès la semaine prochaine et 10 mille en un mois. Le taux d’occupation des lits est de 62%, mais si jamais les cas augmentent, il va falloir réviser la procédure et voir peut-être est-ce qu’il y aura des cas pris en charge à l’hôpital et pour d’autres une prise en charge extrahospitalière ». Pour le professeur Massamba Diouf, épidémiologiste qui se prononçait dans un média la place : « nous sommes à la phase 2 de l’épidémie. Cette phase correspond à la propagation de la maladie sur le territoire national. Mais si on n’applique pas des mesures appropriées avec des stratégies qui conviennent, on peut facilement basculer vers la phase 3 qui est caractérisé par une vague pandémique. Ces vagues vont entrainer un débordement des services de santé et vont forcément entrainer un engorgement de ces structures. En ce moment, le personnel ne pourra pas faire face».
Manque de personnel et plateau technique obsolète
Le coronavirus est venu mettre à nu l’incapacité des systèmes sanitaires à prendre en charge des épidémies. Et cette réalité est plus observée dans les pays en voie de développement qui peinent à prendre correctement en charge les malades atteints de coronavirus.
Ainsi, dans cette dispensation de soins, il n’y a pas seulement le problème de disponibilité de lits qui se pose mais le déficit de personnes qualifiées et de matériel de pointe surtout pour la prise en charge des cas graves. Au Sénégal, seul le centre de Cuemo peut être considéré comme celui qui respecte les normes édictées par l’Oms. Toutefois dans le pays, si les grandes villes disposent d’infrastructures de qualité, hôpitaux, clinique, structures d’urgence, ce n’est pas le cas dans les régions les plus reculées ou dans les périphéries. Certaines régions manquent même de spécialistes pour la prise en charge de certaines pathologies et leurs structures sont dépourvues de plateau technique qualifié. C’est le cas des régions de Ziguinchor, Sédhiou, Matam, Tambacounda, Kédougou, Louga entre autres.
Pour le centre de traitement de Covid-19 de Ziguinchor, le professeur Seydi avait déclaré lors de sa visite dans le centre de traitement que le service de réanimation de ladite localité ne répondait pas aux normes pour la prise en charge de cas graves. Une déclaration qui a mis mal à l’aise le ministère de la Santé et de l’action sociale. Face à cette situation, l’on se pose même la question de savoir dans quelles conditions travaillent les dispensateurs de soin, les médecins en spécialisation qui assurent la continuité des soins dans le but de sauver des vies. Et ces décès enregistrés à Louga, Ziguinchor n’étaient-ils pas les conséquences de cette « défaillance, faute de matériels adaptés».
Manque de personnels soignants
Il s’y ajoute un manque criard de spécialistes soignants. Ainsi, dans presque tous les centres de traitements, le personnel soignant est composé dans sa plus grande majorité par des prestataires de soins, des techniciens entre autres. Concernant les infectiologues, ils sont en voie de disparition au niveau du Sénégal. Le professeur Moussa Seydi fait figure de porte-étendard.
Dans un communiqué du collectif des médecins en spécialisation en date du 22 avril, le bureau exécutif soulignait à l’endroit du ministère de la santé et de l’action sociale que dans cette lutte contre le coronavirus : « L’histoire nous a donné raison dans notre combat pour la généralisation des bourses de spécialisation à tous les médecins, pharmaciens et dentistes car les spécialités que vous définissez comme étant non prioritaires telles que les maladies infectieuses et tropicales, la pneumologie (sur quels arguments) occupent aujourd’hui le devant de la scène dans la lutte contre Covid-19 ».
Et de poursuivre : « les médecins en spécialisation (Des) qui sont titulaires d’un diplôme d’Etat en médecine, assurent des consultations, le suivi des patients hospitalisés des gardes ainsi que certains actes médicaux et chirurgicaux. Dans l’écrasante majorité des hôpitaux de la région du Sénégal, on note l’absence de spécialistes. Face à cette situation, la réanimation des centres hospitaliers régionaux de Kaolack, Ziguinchor, Fatick, des services pédiatrie, Kaolack, Sédhiou, le centre cardio Kolda sont assurés en permanence par les médecins en spécialisation ». Aujourd’hui, le Sénégal fait face à 9 décès avec tout ce cocktail explosif, l’heure est grave et la situation critique avec un manque de respirateurs, à savoir moins de 15 dénombrés dans le pays et qui répondent aux normes de l’urgence.
par Oumou Wane
COVID-19 ET L'APPRÈS !
Pourquoi ne pas tirer profit des leçons que le coronavirus nous donne pour accélérer notre propre modèle de développement, nous réinventer ? Il est plus que temps de passer de l’économie de la survie à l’économie de la vie
Qui a vu les ravages de cette maladie dans l’un des pays au monde le plus sévèrement touché par le Covid-19, craint le désastre sanitaire partout où ce virus silencieux continue de se répandre parmi les populations.
Si notre système de santé, guidé par les directives de notre président semble aujourd’hui maitriser le rythme des décès et augmenter les cas guéris, la progression de la pandémie reste néanmoins constante au Sénégal. Avec 823 cas positifs enregistrés à la date du mardi 28 avril et 9 décès, notre pays continue pourtant de résister. Oui nous résistons.
C’est pourquoi, devant l’absence de certitudes face à une épreuve qui marque l’histoire du monde, notre riposte au Covid-19 doit être résolument collective et cohérente.
Cohérente, car il ne sert à rien de réitérer les erreurs de jugement et le tâtonnement qui ont généré la flambée épidémique dans des pays ou la transparence et l’anticipation ont fait défaut à la gouvernance. Nous devons continuer à apprendre du reste du monde et savoir nous protéger des drames et des catastrophes de cette pandémie, notamment par notre discipline et plus que jamais en respectant les règles définies par les médecins et les autorités.
Collective, parce que nul ne peut être à la hauteur tout seul et qui peut dire qu’il a la clé de cette profonde complexité face au Coronavirus ? Macky Sall, en proposant l’union sacrée avec l’opposition pour travailler sur cette crise dans la solidarité nationale, plutôt que de faire cavalier seul, nous donne un exemple et une marche à suivre. Nous devons nous concerter et renoncer aux polémiques stériles pour créer un nouveau pacte républicain que les sénégalais appellent d’ailleurs de leurs vœux. La République dans sa diversité doit retrouver la confiance et préserver l’espérance pour bâtir le laboratoire de l’après. Oui, car il s’agit d’un rendez-vous que nous devons prendre aujourd’hui avec notre propre avenir. Nous le pouvons.
Le Sénégal est encore dans sa phase 1 de la pandémie et son parcours exemplaire jusque-là n’empêchera pas le fléau économique pour nous autres, plus menaçant que le virus lui-même.
Au Sénégal, notre mode de vie sociale, nos habitudes, nos us et coutumes sont à l’opposé de ce que nous impose la gestion du virus. Cette crise bouleversera définitivement nos modes de vie individuels et collectifs, car nul doute que nous aurons à vivre avec ce virus jusqu’à la disponibilité d’un vaccin. Dès lors pourquoi ne pas tirer profit des leçons que le Covid-19 nous donne pour accélérer notre propre modèle de développement, nous réinventer ? Nous le devons.
Les enjeux du futur sont liés à ce que Jacques Attali appelle l’économie de la vie. En effet, il nous exhorte à concentrer nos efforts et nos moyens sur les secteurs de demain. Cette économie nouvelle, regroupe, selon lui, tous les secteurs qui, d’une façon ou d’une autre, de près ou de loin, se donnent pour mission, la défense de la vie, et dont on constate tous les jours, très pragmatiquement, l’importance vitale : la santé, la prévention, l’hygiène, la gestion des déchets, la distribution d’eau, le sport, l’alimentation, l’agriculture, la protection des territoires, la distribution, le commerce, l’éducation, la recherche, l’innovation, l’énergie propre, le numérique, le logement, les transports de marchandises, les transports publics, les infrastructures urbaines, l’information, la culture, le fonctionnement de la démocratie, la sécurité, l’assurance, l’épargne et le crédit. Le Plan Sénégal Emergent comporte déjà ces secteurs mais il s’agit d’aller plus vite désormais.
Notre président, qui ne ménage pas ses efforts pour l’émergence économique de notre pays s’est déjà engagé devant les sénégalais pour une économie solidaire et inclusive.
Il dit aujourd’hui que les conséquences économiques risquent d'être "plus dramatiques que les conséquences sanitaires du Covid-19", et c’est pourquoi il demande une annulation totale des 365 milliards de dollars de dette du continent africain. 'Il faut que cette demande soit prise en compte car l'Afrique fait partie du monde". Il a raison.
C’est en assumant ce leadership que les dirigeants africains éviteront la pire récession de tous les temps et qu’on évitera au continent le désastre économique lié à la pandémie…
Il est plus que temps de passer de l’économie de la survie à l’économie de la vie.
Mais notre pays à des rites et traditions qu’il faut savoir respecter. C’est pourquoi je veux finir ce papier en saluant mes compatriotes musulmans sénégalais, qui à cause de la pandémie ne pourront pas prier dans les mosquées, ni rompre le jeûne avec de grands repas partagés, alors que le Ramadan a débuté et que le couvre-feu est maintenu de 20h à 6h du matin.
Deux dimensions nous semblent peu mobilisées dans les efforts de sensibilisation et de communication. Il s’agit de l’engagement communautaire et du partenariat local.
Mobilisation des acteurs locaux
Par engagement communautaire, il faut entendre la mobilisation et l’implication des organisations à la base. En particulier, les organisations de jeunesse, les ASC, les volontaires formalisés et les (potentiels) bénévoles résidant dans les communautés. Nous parlons de bénévoles potentiels car nous nous interrogeons à propos des milliers d’étudiant(e)s qui ont été encouragé(e)s à retourner auprès des leurs sans questionnement, sans perspective autre que d’attendre la prochaine décision. N’avons-nous pas besoin de leurs contributions multiformes pour accompagner et rendre accessible les messages envisagés par les experts et les décideurs ? Certains étudiants et étudiantes sont dans les laboratoires pour expérimenter des outils et autres équipements aux fins de participer à la dimension sanitaire ou sociale de la pandémie. Mais un grand nombre attend, lit et échange des messages audio et/ou vidéo, le commentaire fusant et entrant en compétition avec les autres diffuseurs d’informations rarement vérifiées. Le ministère de la santé est aussi le département de l’action sociale. Pourquoi ne pas créer les conditions de mobilisation de ces milliers de jeunes, là où ils sont, pour contribuer aussi aux efforts à réaliser au niveau local et communautaire ? Quitte à mettre en place un dispositif de reconnaissance et de valorisation au niveau institutionnel et pour leur CV et parcours de formation et de développement personnel.
Concernant le partenariat local, il ne s’agit pas simplement de répondre à l’appel des autorités déconcentrées. La formalisation des processus a l’avantage de limiter le caractère spontané, informel et non suivi des manifestations d’intérêt, certains pouvant être simplement à finalité médiatique. En établissant un partenariat local dans le contexte du Covid-19, plusieurs catégories d’acteurs peuvent ainsi être activés, avec un suivi des interactions et des responsabilités.
Les autorités déconcentrés jouent pleinement un rôle de coordination et de prise de décision. Surtout qu’elles ont une délégation de pouvoir encore plus marquée depuis la Loi d’habilitation n° 2020-13. Qu’à cela ne tienne, les autorités locales connaissent autant leurs terroirs que les autorités déconcentrées, bien que leurs sources respectives d’informations et de données soient distinctes. Au-delà des questions liées à la distribution de vivre, impliquer davantage les élus locaux serait tout à fait cohérent par rapport à la continuité de la vie démocratique qui ne doit aucunement être en arrêt. Au travers de la conjugaison entre déconcentration et décentralisation, il s’agit principalement d’activer les Services techniques décentralisées (STD), les forces de défense et de sécurité, de même que les professionnels du Secours (Sapeurs-pompiers, SAMU, privé) et de l’Assistance (Croix-Rouge, etc.). Au-delà de la coordination, le principal défi consiste dans le suivi et la rapidité de réaction face aux situations observées quotidiennement. Il est clair que nous assistons à un retour fort de l’État, cependant le contexte est davantage indiqué pour une gouvernance participative et responsable. L’implication et la qualité des engagements respectifs ne seront produiront de réels effets qu’à cette condition. Si l’on s’accorde sur le fait qu’il y a nuance entre résultat (aides effectivement distribuées !) et effets (problèmes effectivement pris en charge !) ; l’impact étant à différer.
Les ONG humanitaires et/ou de développement ont, pour la plupart, suspendu leurs actions. Pourquoi ne pas les inviter à mettre l’accent sur les volets communications et mobilisations sociales qui sont déjà inscrits dans leurs projets aux fins de sensibiliser et de contribuer aux actions de veille et d’alerte qui peuvent et doivent également être menées dans les zones les plus éloignées. Si le personnel technique n’est plus présent, leurs référents locaux sont toujours en capacité active. Par ailleurs, il s’agit de partir du postulat selon lequel les populations se connaissent entre elles et, sur cette base, le contrôle social peut avoir plus de puissance coercitive qu’une loi ou un règlement. A côté des dynamiques de développement déjà en place, l’implication des chefs de quartiers et de villages et des guides religieux, l’implication des organisations de femmes, des organisations de jeunes peut favoriser une démultiplication de la surveillance, tant au niveau des frontières extérieures que par rapport aux mouvements « clandestins » internes.
Communication institutionnelle ou communication sociale
Cette implication des acteurs locaux amène par ailleurs à penser la communication sociale sous un angle qui la distingue mieux de la communication institutionnelle.
Concrètement, il s’agirait d’adapter la communication à la cible et, dans cette optique, mettre en œuvre une communication par les paires, entre autres approches. Pour illustration : le boutiquier parle aux boutiquiers à propos des dispositions et attitudes à adopter dans l’organisation-aménagement des espaces d’entrée et de sortie des clients, l’achalandage, l’évitement des contacts directs lors des échanges, les obligations de mesures-barrières de la part du client, les obligations de mesures-barrières de la part du boutiquer lui-même, entre autres. Le charretier s’adresse aux charretiers par rapport à la protection de soi et la responsabilité de non diffusion du virus. La femme parle aux femmes par rapport au regroupement de personnes (évènements, courses à effectuer, etc.). Le chef de ménage lambda s’adresse aux chefs de ménages par rapport à l’organisation et l’occupation de l’espace familial sans dénuer le sens de la vie sociale et domestique. Entre autres types d’illustrations.
Les formes comiques (sketches), les chansons, etc., jouent un rôle salutaire, certes. Toutefois, au risque de saturation pourrait s’ajouter un risque de banalisation du message parce que diluer par la fixation sur le « messager » bien connu dans un autre contexte mais peu crédible (voire soupçonné d’intéressement) dans le contexte du Covid-19.
L’exceptionnalité sénégalaise qui était jusqu’ici questionnée ou chantée relève, entre autres, de la réactivité des autorités politiques et sanitaires, avec singulièrement la limitation très vite opérée des entrées frontalières, ainsi que la mise en avant d’un discours d’alerte (mais qui devait et doit se limiter dans le temps pour ne pas générer des effets pervers par un caractère redondant et cérémoniel à tendance insipide). Mais, dès l’instant où le virus circule au sein des communautés, sa propagation ne peut être réalisée (ou éviter) que par les phénomènes de masse, en termes de regroupement des individus. Les marchés, les points de distribution (« Auchan », etc.) et d’achat (exemple du pain), les arrêts de bus en fin de journée, constituent aujourd’hui les principales niches de transmission du virus à une échelle exponentielle. S’il s’avère difficile de mettre en place des mesures de confinement, il reste tout de même dans l’ordre du possible de circonscrire les risques de regroupement dans les niches précitées. En mobilisant les énergies et en prêtant attention aux innovations suggérées par diverses catégories de Sénégalais, l’intelligence collective peut parvenir à adapter les dispositifs aux objectifs visés et partagés avec le public, à condition qu’il y ait un minimum de coercition. Cette coercition dont une des formes ne se manifeste que la nuit (au couvre-feu) doit nécessairement s’exprimer et être ressentie à tout moment, qu’elle soit visible ou pas. Il n’y a pas de contrôle social lorsque les individus foulent au pied la règle sociale. Cette transgression n’est possible que dans une société où le régulateur est absent. Or, un des constats les plus partagés, ici ou ailleurs, c’est que les citoyens ont besoin de l’État pour faire mieux faire société.
Toutefois, dans cette adresse au public, il y a aussi nécessité de revoir les concepts mobilisés. Comme dans le champ politique, les « éléments de langage » sont utiles autant pour parfaire la communication que pour favoriser l’évitement de certains écueils, surtout chez le non-communicant. Car, lorsque les concepts sont mobilisés (ici, on pourrait dire reproduits) sans prise de distance, cela peut induire des approches malencontreusement éloignées de leur finalité. Cette précaution épistémologique, c’est comme le doute, en matière de foi : il est nécessaire pour visiter sa foi ; plus encore chez le croyant qui désire nourrir sa foi et le pratiquant qui se doit de la traduire en acte. Dans le contexte du Covid-19 et de la communication mise en exergue, la notion de distanciation sociale connaît un emploi non questionné, au regard de nos contextes africains où les rapports sociaux connaissent un niveau d’interactions fondées sur le collectif plutôt que sur l’individuation des perspectives. La tendance observée consiste à évoquer la distanciation sociale pour figurer une distanciation physique. La distanciation physique n’est pas la distanciation sociale. La distanciation sociale intègre la distanciation physique, tout comme elle intègre le confinement. Pour saisir la gradation vers la distanciation sociale, notons que le confinement consiste d’abord dans une forme de retrait physique par rapport à un espace (géographique) déterminé, avec une idée de cloisonnement symbolique ou effectivement matérialisé. Il procède de la distanciation physique choisie ou imposée. Mais, par induction, le confinement va au-delà du retrait physique pour revêtir une forme de renoncement (ou interdiction) à entrer en interaction avec l’ailleurs (pas nécessairement autrui). Pour opérer ce renoncement, l’individu doit en saisir les motifs (pourquoi doit-on se retirer ?) et en partager l’intérêt (pourquoi ce mode et pas un autre ?) et les enjeux (à quoi est-ce qu’on peut s’attendre par la suite ? Quel est le bénéfice partagé au niveau global ?). Ce faisant, l’individu organisera d’autant mieux ce retrait pour continuer à s’accomplir sous une autre forme et, certainement, dans un périmètre (de déploiement) beaucoup moins important et qu’il sera appelé à partager, au risque d’exiger de sa part (suivant son statut dans ce périmètre) de nouvelles sociabilités et, consciemment ou pas, un nouveau mode de gouvernance de soi.
C’est en cela que les dispositifs d’aide, d’assistance et de régulation des rapports à l’environnement familial, social et professionnel – le cas échéant – doivent offrir des réponses urgentes et adaptées, en même temps que des perspectives réalistes qui prennent en considération la crise économique et sociale qui résultera des décisions politiques de l’heure.