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21 juillet 2025
LA CHRONIQUE HEBDO D'ELGAS
FATIMATA DIALLO & BITY KEBE, LETTRES JUMELLES
EXCLUSIF SENEPLUS - Professeures de Lettres, écrivaines, féministes, amies voire complices, elles présentent tous les traits de la gémellité littéraire. Un tandem au cœur d’une littérature nationale en quête de renouveau - INVENTAIRE DES IDOLES
Professeures de Lettres, écrivaines, lectrices, féministes, dakaroises, mères de famille, amies voire complices, Bity Kebe & Fatimata Diallo présentent tous les traits de la gémellité littéraire. Un tandem au cœur d’une littérature nationale en quête de renouveau. Portrait croisé.
Au numéro 10 de VDN (Voie dégagée Nord) à Dakar, la façade du local de la maison d’édition l’Harmattan Sénégal est discrète. Sur l’auguste avenue qui fend la capitale en deux, on voit à peine les lettres vertes capitales orner la devanture sur une pâle peinture blanche. Au rez-de-chaussée, une fois le seuil franchi, le rayon des parutions récentes, les stocks de bouquins, un comptoir discret, donnent à la librairie des airs rustiques. Une fois dedans, on est saisi par la profusion et la vitalité productive de la littérature sénégalaise dont l’Harmattan Sénégal, non sans essuyer des critiques assassines, s’est fait le moteur et le catalyseur. Au premier étage, comme salle témoin de cette nouvelle vie des lettres nationales, une pièce où beaucoup de cérémonies de présentations de livres prennent place, comme cet après-midi d’avril 2019, où celle qui est l’affiche est une romancière qui vient d’offrir au public, un roman remarqué, Des cris sous la peau, publié aux éditions Presses Panafricaines en juin 2018. Fatimata Diallo Ba est presque noyée dans l’effervescence de son évènement, qui a rassemblé une partie du gotha des lettres locales : entre autres Pape Samba Kane écrivain, Kibili Demba Cissokho, journaliste culturel, Abdoulaye Diallo, docteur en littérature et boss de la maison Harmattan Sénégal, sont de la partie. Connaissances et anonymes garnissent aussi l’affluence. Dans le public, très endimanché, l’évènement ne manque pas de drainer une certaine solennité, et sur la scène ont déjà pris place les acteurs du jour qui doivent débattre du livre. Les choses se font en grand comme le veut la tradition des séances de lancement, au risque d’une atmosphère parfois un peu guindée. Un pupitre est dressé d’où le maître de cérémonie, à la manière d’une réunion politique, déroule le menu. Se succède ensuite série d’intervenants. Fatimata Diallo est en retrait. Sur son visage, la vedette du jour alterne des moues de pudeurs et de gratitude, habillée dans la majesté simple d’une tunique sénégalaise jaune et d’un foulard assorti. Elle scrute la salle, salue, congratule, du haut de ses 50 ans révolus, avec son visage sérieux où perce une joie notable.
Livres de femmes « empêchées »
Les avis sur ce livre ont été unanimes ou presque. Des échos de la rencontre le confirment, où on salue cette écriture visuelle, et la grande pondération dans la dénonciation de la condition des femmes. Des cris sous la peau est en effet un livre qui, sous de fausses apparences poétiques, glisse immanquablement dans l’abîme. On rencontre les tourments d’une « petite fille de 45 ans » qui tient la narration, le drame de sa cousine Arame, la rétrospection dans le drame fondateur, la pénétration presque surnaturelle avec un personnage venu des âges qui se nomme Saran. Tout à la fois féminin et féministe, le texte charrie une grande violence, même si – miracle - il ne tombe pas dans le précipice. L’écriture campe les paysages extérieurs comme intérieurs, dresse la psychologie des personnages, tous frappés par des malédictions indicibles. Roman de femmes, où les rares apparitions masculines sont minorées ou anonymes, il prend la société par le col, pour la forcer à voir comment la destruction des corps et des esprits peut être causée par le viol. Un traumatisme fil conducteur sourd, progressif et épilogue du livre. En période de procès de la domination masculine, l’art du récit fournit quelques pièces à convictions supplémentaires, dans une société conservatrice où la femme paye un double tribut, celui de la misère des corps et des âmes. L’intrigue est lente à être percée à jour, et tout au long des 150 pages ou presque, c’est le roman des vies volées. La violence sociale étouffée émerge comme un cri libérateur. La tentation est grande de dresser un parallèle entre cette « fille de 45 ans », et l’autrice d’une cinquantaine d’année. Elle balaie pourtant : « ce n’est pas elle, mais son avatar ». Des éléments biographiques ? « Oui », comme toujours. Mais ce qui a déclenché l’écriture de ce livre, qui a séduit jusqu’au jury du prix Les Afriques, où il a figuré sur la liste des sélectionnés, c’est un épisode récent, d’apologie du viol dont s’est rendu coupable un chroniqueur très écouté de la place dakaroise. Eprouvée par cette violence, la romancière agrège diverses expériences, pour expulser ce « cri » qui la démangeait.
Chez Presses panafricaines, maison canadienne fondée par des expatriés sénégalais, c’est comme si on s’était donné le mot. Quelques mois plus tôt, en janvier 2018, paraissait un autre ouvrage où on retrouve sinon les mêmes tonalités, au moins la même fibre du cri et le souci de l’esthétique. Mes vicissitudes, signé Bity Kebe, renoue avec un art poétique qui plante la plume dans le drame des amours contrariées, sans rien laisser des sentiments annexes, comme la gratitude, l’hommage, l’amitié. Le recueil de Bity Kebe, divisé en six parties, étend l’horizon de Fatimata Diallo et celui du roman. Dans ces tableaux dakarois, plane l’ombre de Baudelaire dont elle cite de mémoire les passages quand on pointe des affinités. Avec la souplesse des vers, l’incursion dans les calligrammes, une puissance de la simplicité coule le long des pages, où la pudeur et une certaine élégance viennent empêcher l’explosion finale. Au cœur du texte, la condition féminine, l’éloge de la femme, la thérapie face aux drames de la vie, tout se bouscule dans ces vers où le jeu avec la langue, marque une certaine maîtrise des petites subtilités linguistiques, au risque même de paraître parfois, scolaire. Bity Kebe a l’habitude des lettres, inculquées très tôt par un père comptable, avec une grande inclination littéraire et journalistique. Lire, elle en fait son hobby, sa routine, jusqu’à devenir une régulière de l’émission de TV Impressions de Sada Kane, où elle présente plusieurs ouvrages, ceux de Felwine Sarr notamment, dont elle admire l’œuvre. C’est sur cette scène, avec un visage calme qu’un ouragan ne saurait perturber, que le public sénégalais l’a découverte. Lectrice consciencieuse, elle entre dans les textes avec la minutie nécessaire et l’honneur de la restitution fidèle. Bity Kebe a des élans de grande royale, une pudeur naturelle, inculquée très jeune, un port et une tenue qui inspirent le respect. A 50 ans, la mère de 4 enfants cultive une élégance, celle de la mère sénégalaise marquée par le soin et la grande retenue. Toutes vertus que l’on retrouve dans son livre, au risque parfois d’être tenté, comme lecteur, par la frustration, tant l’on s’imagine, ce que pourrait donner plus d’audace.
Deux livres, accords et à cris
Lire ces deux ouvrages, à un intervalle rapproché, c’est expérimenter une télépathie peu commune, tant les deux livres paraissent avoir été écrit à quatre mains, par le même cœur et la même âme, comme en miroir dans des genres différents. Par leur âge, leurs affinités professionnelles - toutes deux sont professeurs de lettres à Dakar avec plus de 20 ans de métier - par leurs sujets, par une saisissante ressemblance physique et une amitié qui s’est déclarée sur le tard, comme par vocation, les deux femmes présentent tous les traits de la gémellité littéraire, qui dépasse le cadre de la simple intuition. Elles sont des ambassadrices des lettres sénégalaises actuelles, inscrites - à l’instar de Sokhna Benga - dans un calendrier national. Elles disent et perpétuent cette longue fibre présente dans la littérature sénégalaise, dont Mariama Ba fut l’une des pionnières et Fatou Diome, une autre réplique récente. A la tentation de dresser des filiations, les deux femmes ont deux réactions sensiblement différentes face à ces idoles devenues classiques. Bity Kebe a été, jeune lectrice, « choquée » par le Babob Fou de Ken Bugul, par sa liberté de ton, son impudeur, même si, elle a reconsidéré cette ancienne appréciation ; Fatimata Diallo elle, a été « surprise », mais adopte l’inclassable autrice dans ses références. Leurs tempéraments, même si Fatimata a eu la révolte précoce et encore tonique, font d’elles plutôt des héritières d’Aminata Sow Fall, dont la douceur et la componction toute bourgeoise ont créé un genre plus en phase avec l’image de sagesse maternelle. Elles s’en nourrissent, mais cultivent aussi, au milieu de la ressemblance, des trajectoires uniques. Le poids des contraintes, les conditionnements sociaux, pèsent de leur poids sur ces deux femmes mariées, tenues par une obligation de rassurer les inquisiteurs, et qui ne peuvent se permettre, au vu de ce pedigree, de s’autoriser les embardées d’une Ken Bugul ou d’une Fatou Diome chez qui, le cri avec forces et faiblesses mêlées, s’émancipe du qu’en dira-ton. Ce qui forge encore plus leur complicité, c’est que les deux femmes ont publié relativement tard, pour deux férues de lettres, lectrices précoces, qui citent volontiers Senghor et Victor Hugo dans leur panthéon commun. Si elles n’ont pas écrit plus tôt, peut-être la raison se trouve-t-elle dans des parcours atypiques, des contraintes conjugales. La conséquence elle, c’est que leurs livres portent le sceau de la maturité de l’âge mais aussi parfois celui de ses renonciations.
Jumelles précoces et tardives
C’est à Dakar, à la fin des années 60 que les deux femmes voient le jour. Fatimata grandit entre Liberté 5 et Baobab, deux quartiers dakarois. Scolarité sans secousses pour cette jeune fille brillante qui très tôt se révolte contre « l’assassinat des moutons pour la tabaski ». Expérience dont elle garde un souvenir précieux, comme l’annonce d’une vie de bienveillance au service des plus faibles. Cette fille d’enseignants fréquente tôt la bibliothèque, obtient son bac au Lycée Kennedy, une institution réputée de la capitale qui forme l’élite féminine. Elle enchaine avec une prépa en lettres à Poitiers. L’école normale supérieure se refuse à elle, elle est reçue toutefois au CAPES (Certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré) mais un imprévu se dresse sur son chemin : elle n’est pas française et ne peut être titularisée. Elle devient donc professeur contractuelle à l’académie de Paris, dans les prestigieux lycées comme Henry IV où elle enseigne les lettres, étudiées successivement, dans son cursus précédent, à la faculté de Poitiers et ensuite à la Sorbonne. En 99, elle obtient enfin cette nationalité et, bonne joueuse, repasse le CAPES qu’elle revalide, avant d’être affectée à Nanterre, dans les Hauts-de-Seine. Comme contractuelle ou titulaire, elle transmet son savoir pendant plus de 15 ans en France, avant de demander un détachement à Dakar où depuis 2007 elle fait le bonheur des élèves du lycée français Jean Mermoz de Dakar. Ce même lycée, où Bity Kebe fait aussi des piges en 2019, après un parcours bluffant de ressemblance avec celui de Fatimata.
C’est aussi à Dakar que la professeure de Lettres naît, dans la banlieue à Pikine. Elle grandit sous la protection et l’influence de sa grand-mère, quand ses parents vivent eux à HLM Guédiawaye. Elle fréquente l’école Pikine, ensuite le CEM Canada, et le lycée Limamou Laye. En 88, l’année blanche a raison de son Bac. Par un stratagème savant, grâce à une connaissance de la famille, elle finit, avec ses résultats brillants, au lycée Kennedy. Comme un écho primal, les deux femmes manquent à peine de se croiser dans l’institution pour filles. Bity Kebe poursuit en Lettres à Dakar à l’université Cheikh Anta Diop, après avoir hésité entre le Droit, l’Anglais et la Sociologie. Elle décroche sa maîtrise mais suit son mari en France. Son mentor Bassirou Dieng, homme de lettres, lui conseille alors de tenter l’ENS de Dakar. Elle a aussi en vue le métier de journaliste avec le CESTI en ligne de mire. Elle est enceinte pendant la période du concours auquel elle renonce donc, et c’est finalement l’ENS qui la reçoit dans un scénario digne d’un film loufoque : alors que son nom est dans la liste des admis, elle ne le découvre qu’un mois après la rentrée, informée par des amies. Elle en sort avec le CAEM (Certificat d'Aptitude à l'Enseignement moyen), enseigne 10 ans dans son ancien lycée Limamou Laye dans un retour prodigue. Mais la jeune femme se sent incomplète, elle repasse à l’ENS pour décrocher le CAES qui lui permet de monter en grade, soutient un mémoire de DEA. Elle postule ensuite à une thèse à laquelle elle doit partiellement renoncer, à l’affut des dispositions idoines pour réveiller cette ambition. Restée à Dakar, elle n’est pas enchantée par une affectation à Diourbel qui se profile, elle la refuse, risquant ainsi sa place et une radiation. C’est finalement par un savant arrangement qu’elle obtient gain de cause : elle enseigne au Lycée Blaise Diagne. Depuis 2018, elle est formatrice, n’a plus les craies en main, mais ne renonce pas. Elle a un livre à paraître, son deuxième, incessamment sou peu chez Presses Panafricaines.
On s’imagine bien la réaction alors de Bity Kebe, quand Fatimata Diallo lui a proposé d’enseigner à Jean Mermoz en 2019. Elles y travaillent toutes deux désormais, Bity Kebe encadre les élèves en difficulté dans un programme « Mieux réussir ». Un signe ? Pour ces deux femmes, les signes sont se sont multipliés en réalité. C’est curieusement sur Facebook, très récemment, par post interposés, que les deux jumelles se sont mutuellement séduites. Fatimata admire alors « la précision des formules de Bity, et sa grande érudition sur les subtilités de la langue » ; Bity elle, « apprécie le don pour narrer les paysages » de Fatimata. Même virtuelle, l’amitié est scellée. Pour des jumelles, la vraie naissance est tardive, retardée seulement de cinquante années qui ont mûri une affection mutuelle. Elles ont fait leur entrée en littérature en même temps, chez le même éditeur, dans la même collection Soleil d’hiver, et continuent d’écrire cette histoire de la femme au cœur de la littérature, avec chacune une fibre qui fait écho en l’autre et surtout, un grand talent de plume. A Dakar, cette ressemblance commence à s’ébruiter de plus en plus, au-delà du trait physique. Leur regard sur la société sénégalaise est désenchanté mais elles confient leur espoir aux livres. Pourquoi écrire le cruel en le dépouillant, ce vernis d’une langue douce sur un épiderme malade ? Des cris sous la peau, l’image ne dit-elle pas le bâillonnement ? Fatimata plaide « l’intelligence des situations », la volonté de ne pas « heurter », de ne pas donner de la « matière pour les détracteurs de ne pas juger l’œuvre mais la personne ». Bity abonde dans le même sens, elle tient aux « liens de parenté, au tact », et recourt à cette anecdote sur ses frères qui avaient fait preuve de courage pour la protéger d’une agression contre des malfrats entre Niayes et Cambérène quand elle était jeune fille. La « franchise » et la « gratitude » en valeur cardinales, elle les partage avec Fatimata Diallo. Il y a chez elle, naturellement, « une mesure » jusque dans le regard à la fois magnétique et timide, qui n’est pas une fuite lâche, assure-t-elle. Elle parie sur la « force des écrits » pour sédimenter dans la société, dont toutes les deux fustigent le patriarcat.
Références classiques
A part les classiques français du 19e siècle qu’elles citent en chœur, les deux jeunes filles de 50 ans, citent volontiers des écrivains actuels comme lectures enrichissantes. Fatimata évoque Sami Tchak, singulier auteur togolais, même si elle n’a pas toujours aimé son œuvre, Mbougar Sarr et Khalil Diallo dont elle aime beaucoup l’écriture. Bity Kebe dit son admiration pour Felwine Sarr, Fatou Diome, Aminata Sow Fall… Les critiques de leurs livres ne sauraient manquer. Appréciations qui pourraient, légitimement, questionner l’ambition des deux textes dont l’écriture peut paraitre à certains « sirupeuse ». La littérature peut-elle frayer avec la volonté de maintenir certaines pudeurs, sans y perdre la force de son authenticité ? Le compromis n’est-il pas toujours au profit de l’ogre régnant ? Comment dire la vérité, sa vérité, si on doit faire une halte face au tribunal des élégances ? L’appréhension de la réaction du lectorat, ou des proches, n’est-elle pas signe d’autocensure ? La nuance est-elle un moyen temporaire ou l’horizon final, au risque d’être une sagesse de la démission ? Voilà autant de questions que les deux livres éludent partiellement tout en gardant une belle vigueur. Mais ils participent, mutatis mutandis, à l’édification de nouvelles lettres, avec leurs lieux, leurs temps forts, leur habitus, leurs thèmes forts inscrits au cœur du drame social, au cœur du pays et du continent. Fatimata Diallo s’est d’ailleurs un peu plus engagée dans la vulgarisation des activités littéraires d’une institution naissante, très volontariste, la CENE Littéraire. L’association, avec son prix Les Afriques, contribue au rayonnement des lettres africaines, sous la houlette de sa cheffe camerounaise, basée en Suisse, Flore Agnès Nda Zoa. Bity Kebe aide à faire infuser une tradition des livres, grâce à ses nouvelles fonctions et à sa présence à la télé comme chroniqueuse.
C’est sur le plan de la littérature, comme conscience du monde lointain et proche, qu’il s’agit de questionner ces deux livres qui en annoncent d’autres, pour les lire avec l’exigence, la critique, l’intransigeance, dont dépend toute véritable vie littéraire respectable. Au milieu de leur complicité, les deux jumelles divergent pourtant sur une question quand on les pousse dans leurs retranchements. Une question présente seulement en filigrane dans leurs livres : celle de la polygamie. Alors que la jeune génération s’accommode de plus en plus de la polygamie comme en attestent les statistiques affolantes de l’ANSD (Agence nationale de la statistique et de la démographie), les jeunes femmes n’y voyant pas une régression, les deux écrivaines disent elles, leur dégoût de ce fait patriarcal. Chacune cependant à sa manière, comme une métaphore de leur légère différence. Fatimata juge que la polygamie est « une trahison impardonnable » ; le jour où elle se présente dans son couple, elle y met fin déclare-t-elle. Pour Bity, la réaction est plus nuancée, « à son âge » dit-elle, son dégoût, bien que potentiellement réel, n’irait peut-être pas jusqu’à cette « extrémité ». C’est la seule éventualité de nature à séparer ces sœurs presque siamoises dans leurs conceptions. Peut-être un livre à quatre mains sur le sujet, un jour ? Quatre comme le chiffre maudit des droits maritaux de l’homme sur la femme…
La quasi-totalité des agences du pays sont les vaches à lait des ministres et ministères. Tout Dg d’une agence qui veut conserver son poste qu’il doit à son ministre, est obligé de prendre en charge les dépenses du département de ce dernier. Une pratique vivement critiquée par le rapport de la Cour des Comptes qui a demandé aux directeurs généraux des agences de mettre un terme à la prise en charge des dépenses de la tutelle technique et de veiller au respect de la circulaire primatoriale n°02421/PM/SGG/BSC/SP du 12 août 2013 relative à la tutelle des départements ministériels sur les structures autonomes.
Ce que l’etat donne d’une main aux agences, les ministères assurant la tutelle de ces mêmes agences le reprennent d’une autre main. C’est le constat amer fait par les auditeurs de la Cour des Comptes dans leur rapport 2016 portant sur 14 agences auditées. Il faut préciser que de 2010 à 2014, les 14 agences auditées (Adepmee, Ageroute, AGMV, Ana, Anacim, Anam, Anamo, Anat, Ansd, Anepctp, Anev, Anrac, Apda, Anida) ont disposé de ressources pour un montant total de 848 milliards 277 876 173 dont 594 milliards 716 776 242 au titre des subventions de l’état et 224 milliards 416 707 964 frs alloués par les partenaires financiers et 27 milliards 604 167 967 frs pour les autres ressources. De 96,2 milliards en 2010, les subventions de l’état sont passées à 119,1 milliards en 2014 avec un pic en 2013 où elles étaient de 139,3 milliards de f CFA. Elles représentent en moyenne 70 % des ressources allouées aux agences. Sur toute la période sous revue, soit quatre ans, les transferts de l’état se sont élevés à 594,7 milliards de f CFA, la contribution des bailleurs à 224,4 milliards de f CFA et les autres ressources à 27,6 milliards de f CFA.
Hélas, cette colossale manne financière provenant des caisses de l’etat n’a pas seulement servi à la réalisation des objectifs et missions de ces agences. en effet, elle a aussi servi à prendre en charge des dépenses privées et de fonctionnement de ministères. Malheureusement, tout Dg réfractaire à un tel système de détournement d’objectifs, à cette manière de détournement de deniers publics risque son fauteuil sans aucune force de procès. La Cour a constaté que certaines agences prennent en charge des dépenses de leur ministère de tutelle sous la forme d’ « appuis institutionnels ». et a cité des exemples précis dans son rapport. C’est le cas de l’Agence nationale des Eco-Villages dépendant du ministère de l’environnement et du Développement durable. Ce dernier a demandé au Coordonnateur du Projet eco villages Pnud Fem de prendre en charge plusieurs factures relatives à des dépenses pour le compte du ministère.
L’organe cité par Mamadou Faye a cité entre autres le paiement d’une facture pour 1000 litres gasoil, l’appui au cabinet du Ministre d’un montant de 825 000 frs, l’Achat carburant/ appui directeur général Anev pour le compte du Medd 396 000 frs, l’Appui journée de l’arbre 2013 du Medd à la Direction des eaux et forêts 1 000 000 de frs, le paiement DSA (frais mission) à Durban à M. Sakhoudia THIAM, conseiller technique, Ingénieur des eaux et forêts pour participer à la CoP17 pour 2 880 000 frs, le paiement DSA à Durban suivant la lettre n° 680 du Ministère des Eco villages du 1 /12/2011 pour la prise en charge des DSA du Ministre à Durban en Afrique du Sud 900 000, le paiement DSA pour Amadou Lamine Diagne, Directeur des financements verts et des partenariats 1 620 000 et l’achat de billet d’avion Medd pour participer à la conférence des parties à la convention sur les changements climatiques à LIMA au Peru pour 2 218 700…).
L’AGEROUTE aussi…
L’autre cas illustratif du détournement de l’argent d’une agence vers son ministère de tutelle, c’est l’Ageroute. « en plus des dons à titre d’oeuvre sociales, l’Agence supporte des dépenses pour le compte du Ministère des Infrastructures et des Transports assurant la tutelle technique sous forme d’appui institutionnel. Ces dépenses sont relatives à l’acquisition de mobiliers, de carburant, de véhicules, de téléphones, de billets d’avion, de frais de mission, d’entretien des locaux, de paiement de salaires. La prise en charge de ces frais constitue un abus dans l’utilisation des ressources de l’Agence » estiment les auditeurs de la Cour des Comptes. Ils citent plusieurs cas au niveau de l’Ageroute. entre autres (mission Dubaï / Koweit Kebou Ndiaye 1 600 000 ; frais de mission Dg des Infrastructures, entretien véhicule MICCATI 16 163 546 entretien véh MICCATTI, Secomme SArl 14 897 500 ; Achat de consommables et de matériel Informatique, billet Dkr –Amst –Koweït Babacar Ba 7 321 000, Absence de justificatif à part la facture billet pays du Golfe pers. Miccati 16 107 600 Absence de justificatif à part la facture, 10 23 631 529 réfection Locaux MICCATI, Visio contact 5 900 000 Système vidéo Surveillance MICATTI, achat téléphone portable BlackBerry 3 540 000 Téléphone portable pour MICATTI, achat matériels &consommables infor 9 234 680 matériel informatique pour MICCATI, entretien locaux immeuble Tamaro 7 894 200 entretien cabinet ministre, achat ipad & téléphone BlackBerry 9700 3 717 000 téléphone port pour MICCATI, salaires Lena Diedhiou janvier 11 416 500 salaire agent MICCATI, entretien réparation véhicule ministère 14 500 000 réparation véhicules pour MICCATI, séminaires planificat° inv ministère 14 977 150 financement séminaire pour MICCATI…). Inutile de dire que ces dépenses remontent à la période où le ministère des Infrastructures, tutelle de l’Ageroute, avait à sa tête un certain… Karim Meïssa Wade. Car, curieusement, les teigneux contrôleurs de la Cour des comptes se gardent soigneusement, pour l’essentiel, de soulever les cafards de l’actuel régime !
Pour en revenir à notre affaire, se référant uniquement à ces deux cas (ministères de l’environnement et des Infrastructures, de la Coopération internationale etc., la Cour demande aux directeurs généraux des agences de mettre un terme à la prise en charge des dépenses de leur ministère de tutelle et de veiller au respect de la circulaire primatorale n°02421/PM/SGG/bSC/SP du 12 août 2013 relative à la tutelle des départements ministériels sur les structures autonomes. « Malgré l’importance des ressources financières mises à la disposition des agences, les dysfonctionnements dans leur pilotage et leur gouvernance ainsi que dans leur gestion budgétaire, financière et comptable limitent leur efficacité.
Le caractère insoutenable de leurs dépenses de personnels dû à des recrutements non nécessaires, une capacité d’autofinancement faible, des obligations et charges fiscales et sociales non honorées, des abus dans l’allocation de primes et l’octroi de dons et subventions, des largesses au bénéfice de la tutelle technique constituent de réels écueils à l’optimisation de leurs ressources et à l’atteinte des objectifs qui leur sont assignés » concluent les auditeurs de la Cour des Comptes. Dire que l’alors candidat Macky Sall avait promis de supprimer la plupart de ces agences ! Une fois arrivé au pouvoir, il les a non seulement maintenus, mais aussi renforcées dans la plupart des cas. Mais les promesses électorales, on le sait, n’engagent que ceux qui y croient…
LE SENEGAL EST-IL RETOURNE DANS L’ERE DE LA CLANDESTINITE ?
Mamadou Diop Decroix, Ibrahima Sène Pit et Madièye Mbodj And-Jef ne distribuent plus les mêmes « tracts » que ceux des années 60-70 !
Pape NDIAYE et Falilou MBALLO |
Publication 05/02/2020
La traque policière contre les distributeurs de tracts — ou flyers pour faire plus branché — semble avoir fait rétrograder le Sénégal à l’antique l’ère de la clandestinité politique ou citoyenne. Les nombreuses interpellations et arrestations des membres de « Nio-Lank » effectuées ces derniers temps nous rappellent le Sénégal des années 60 et 70. A cette sombre époque-là, les leaders de partis de gauche, de mouvements syndicaux et de l’opposition clandestine ventilaient nuitamment des tracts pour ne pas se faire embastiller par la police politique de Léopold Sédar Senghor. Presque 60 ans après Mamadou Diop Decroix (And-Jëf), Madièye Mbodj (Yoonou Askan Wi) et Ibrahima Sene du Pit ne distribuent plus les mêmes « tracts » alors que, durant ces années de braise, ils partageaient la même idéologie visant à conquérir la démocratie, la justice sociale et l’Etat de droit. « Le Témoin » quotidien vous replonge dans l’épopée héroïque et sublime des colleurs d’affiches et des distributeurs de tracts du temps de la clandestinité.
Dans les années 60, la majorité de la population actuelle de notre pays n’était pas encore née. et même s’il y a des Sénégalais qui avaient vu le jour au moment de l’accession de notre pays à l’indépendance survenue en 1960, la plupart d’entre eux étaient encore des enfants. Quant à ceux qui se souviennent de ces années bantoustans du lendemain de la seconde guerre mondiale où toute une génération de leaders africains tels que Léopold Sédar Senghor (Sénégal), Félix Houphouët-Boigny (Côte d’Ivoire), Modibo Keita (Soudan-Mali), David Dacko (Oubangui), Sékou Touré (Guinée) et autres formés par le syndicalisme ou dans les universités de la métropole (France), ils sont devenus une espèce en voie de disparition. Ces pionniers de la lutte pour l’indépendance, donc, les Senghor et consorts animaient et dirigeaient les syndicats de travailleurs ou d’étudiants, les courants de pensée et les partis politiques africains. Il a fallu attendre 1960 pour que la majorité de ces pays de l’Afrique occidentale française (Aof) accèdent à l’indépendance. une aubaine inespérée pour de nombreux dirigeants d’alors qui se sont autoproclamés présidents ! Au Sénégal, par contre, un collège électoral a fait de Léopold Sédar Senghor le premier Président du Sénégal indépendant. Pour maintenir des liens étroits et forts avec la France et le monde occidental, nous raconte-t-on, le président Senghor traquait les semeurs des idéologies marxistes et de l’anti-impérialisme français pour tenter de les réduire au silence ou les pousser à l’exil. Aux avant-postes de la lutte contre le régime « néocolonial » de Senghor, les partis de gauche clandestins comme le Parti africain de l’Indépendance (PAI) ou And-Jëf, puis plus tard de la Ligue démocratique et de la Ligue communiste des travailleurs (LCT), des syndicats de travailleurs ou d’étudiants.
Senghor dirigeant le pays d’une main de fer, toutes ces forces d’opposition à son régime se mouvaient dans la clandestinité totale. Pour résister, exister et protester, diffuser leurs idées auprès des masses aussi, leurs militants n’avaient qu’un seul et unique moyen de communication et de propagande : les tracts ! Car sous le Sénégal des années Senghor, l’interdiction, la censure et la répression furent le lot des rares « journaux » ou bulletins d’informations clandestins existants. Evoluant dans cette clandestinité politique, les leaders de gauche et de l’opposition n’avaient que les tracts pour véhiculer leurs messages et donner des mots d’ordre auprès des couches populaires et autres classes ouvrières.
Les gares ferroviaires (Dakar, Thiaroye, Hann, Rufisque, Thiès), les abribus ou ce qui en tenait lieu, les marchés (Kermel, Sandaga, Colobane), l’université et les lycées, les gares routières (Pompiers, Colobane) et les stades municipaux constituaient des lieux stratégiques pour ventiler les tracts édités de façon « artisanale ». La distribution de tracts se faisait en général nuitamment. De très lourdes peines de prison frappaient les distributeurs de tracts qui étaient arrêtés par la redoutable police senghorienne. et jugés par le Tribunal spécial ou la Cour de sûreté de l’état, c’est-à-dire des juridictions d’exception. Soixante (60) ans après notre accession à la souveraineté internationale, les arrestations et interpellations des membres de la plateforme « nio Lank » nous renvoient à l’ère de la clandestinité politique ou citoyenne.
Pour cause, ces activistes sont interpellés pour avoir distribué des « flyers » — ou tracts des temps modernes — visant à sensibiliser les populations sur la hausse du prix l’électricité. et, surtout, réclamer la libération de leur camarade Guy Marius Sagna. Des arrestations par un régime que Fadel Barro, l’un des coordinateurs de « y en a Marre », qualifie de « dictature rampante ». « C’est regrettable de constater cette poussée autocratique qui menace nos libertés. Pour une simple distribution de tracts, on vous embarque pour une garde-à-vue de 48h que rien ne peut justifier » avait-il déploré au lendemain de l’arrestation de ses camarades de la plateforme « ñoo lank ».
Parmi les interpellés pour cause de distribution de « flyers », Aliou Sané, le leader du mouvement « y en a marre » qui, après sa libération, s’étranglait de colère. « Nous étions 15 membres de différents mouvements citoyens issus du collectif nio Lank kidnappés par la Police. Notre seul tort, c’était d’être allés à la rencontre de nos concitoyens pour discuter avec eux sur cette hausse injustifiée du prix de l’électricité. Ce n’était ni un rassemblement, ni un attroupement, mais juste une simple opération de distribution de flyers » avait fustigé Aliou Sané avant de lancer avec ses camarades, en riposte, l’opération « flyers fepp ».
Un journal clandestin nommé « Xaré-Bi / La lutte »
A l’époque du parti unique et de la radio unique appelée « radio-Dakar » créée en 1950, la clandestinité était considérée comme une contrainte puisque la politique qui devait être par principe une activité publique ou citoyenne, était soumise à un régime d’oppression et de répression. Ce qui explique que les opposants au parti unique ups (union progressiste sénégalaise de Senghor) jouaient à l’équilibriste entre visibilité pour se faire connaitre et invisibilité pour échapper à la prison mais aussi à d’atroces tortures. Donc, pour la diffusion de leurs idées et mots d’ordre, seuls les tracts pouvaient faire l’affaire même si leur portée était limitée du fait qu’ils étaient distribués en cachette. Selon le secrétaire général d’And Jëf-Pads, le député Mamadou Diop Decroix, les vagues d’arrestations de jeunes du mouvement « nio Lank » lui rappellent les années 70 à l’ère de la clandestinité. « A l’époque, nous n’avions aucun moyen de communication car le parti au pouvoir contrôlait l’unique radio et le journal d’état. Et l’unique journal clandestin baptisé « Xaré-bi/La lutte » dont nous disposions était traqué par la police. Donc, les tracts étaient notre seul outil de communication que nous distribuions nuitamment pour ne pas nous faire prendre par la police. et si je vois cette même police d’état faire des arrestations tous azimuts contre des distributeurs de tracts, cela nous renvoie forcément 60 ans en arrière » se désole Diop Decroix, célèbre distributeur de tracts et colleur d’affiches des années de braise. « D’ailleurs, j’ai condamné cette répression d’une autre époque auprès de Famara Ibrahima Sagna dans le cadre du Dialogue national. Il faut que l’etat laisse les citoyens jouir de leurs propres outils d’expression ou communication tels que les tracts, les flyers, les réseaux sociaux etc. » invite le secrétaire général d’And Jëf et fer de lance de la contestation estudiantine de Mai-1968.
Pour Mme Fatou blondin Ndiaye Diop, membre clef de la plateforme « Aar Li nu book », Léopold Sédar Senghor doit se retourner dans sa tombe en apprenant l’arrestation de jeunes citoyens sous l’accusation d’avoir distribué des tracts pour lancer des messages. « Car nous croyions avoir dépassé cette époque où la police d’état pourchassait des colleurs d’affiches et autres distributeurs de tracts. en ce début du troisième millénaire, l’ère de la clandestinité politique ou citoyenne devrait être révolue au Sénégal des alternances pacifiques et démocratiques. Mais hélas ! » Déplore l’amazone des mouvements de « niakhtou » permanents.
Entre tracts des années 60 et flyers de « Nio-lank »…
Jusqu’à 1976 avec la révision constitutionnelle instaurant un multipartisme limité à trois partis politiques représentant autant de courants, à savoir le Ps (Parti socialiste), le Pds (Parti démocratique sénégalais) et le Pai (Parti africain de l’Indépendance), puis une autre modification introduisant le courant conservateur, et donc un quatrième parti, le Mrs (Mouvement républicain sénégalais de feu Me Boubacar Guèye), il n’y avait que le tract comme moyen de communication. Car la « Presse unique » demeurait ce qu’elle était c’est-à-dire une radio et un journal uniquement au service du Parti-état. Ibrahima Sène, dirigeant du Parti de l’Indépendance et du Travail (Pit, continuateur du Pai) et distributeur de tracts dans les années 60 se souvient et raconte. « Les tracts étaient notre seul support pour véhiculer nos messages auprès des couches populaires. en dehors des journaux clandestins, le tract constituait notre tribune d’expression et de contre-propagande (face à la propagande du parti-état, ndlr) pour tenter d’imposer des règles du jeu démocratique. Certes, on les distribuait nuitamment pour ne pas tomber dans les filets de la police » reconnaît le président du conseil d’administration de la Miferso avant de condamner paradoxalement les méthodes des jeunes de « nio-Lank ». Pourquoi ? « Parce que les temps ont changé ! Aujourd’hui, les manifestations sont autorisées, les partis sont nombreux, les médias sont libérés avec plusieurs journaux, radios et télévisions. Sans oublier l’internet, les réseaux sociaux etc. Donc, le flyer ou le tract n’a plus sa raison d’être. D’ailleurs, le terme « flyer » n’a existé qu’en 2007 lorsqu’il s’agissait de faire des déclarations invitant les citoyens sénégalais à boycotter la présidentielle. on n’utilisait les flyers que pour donner des mots d’ordre pacifiques.
Par contre, les jeunes de « nio-lank » utilisent les flyers pour des appels à manifester. Pire, ils ont détourné les flyers ou les tracts de leurs objectifs » se désole Ibrahima Séne du Pit. A l’en croire, à l’époque de la clandestinité, les tracts renfermaient de simples déclarations destinées à la classe ouvrière et la masse paysanne. « Parce qu’on était interdits de meetings. Aujourd’hui, la distribution de tracts et de flyers ne se justifie plus d’autant que nous sommes très loin de l’époque des interdits » prétend M. Sène de la mouvance présidentielle. Une chose est sûre : il a fallu presque 60 ans pour que les leaders contestataires d’alors ne distribuent plus les mêmes…tracts. Ou alors ne partagent plus la même idéologie. Du moins, la même cible. Il est vrai que Senghor n’est plus là et que son successeur Abdou Diouf avait ouvert les vannes toutes grandes en instaurant le multipartisme intégral ou illimité !
Rendant donc obsolète la lutte clandestine et la distribution de tracts. Avant que 39 ans après — le multipartisme intégral a été instauré en 1981 —, Le régime ne replonge le Sénégal dans l’ère sombre et inquiétante de la répression contre les distributeurs de tracts, pardon de flyers !
MADIEYE MBODJ, LE DERNIER DES MOHICANS, NOUS RACONTE…
Un des membres fondateurs d’And Jëf/PADS (Parti africain pour la démocratie et le socialisme), parti de gauche né dans la clandestinité en 1973 sous le règne de Senghor, est toujours, contre vents et marées, fidèle à ses idéaux politiques.
Pape NDIAYE et Falilou MBALLO |
Publication 05/02/2020
Un des membres fondateurs d’And Jëf/PADS (Parti africain pour la démocratie et le socialisme), parti de gauche né dans la clandestinité en 1973 sous le règne de Senghor, Madièye Mbodj est toujours, contre vents et marées, fidèle à ses idéaux politiques. Exclu des rangs de cette formation pour fronde et radicalisme en 2007, il évolue maintenant sous la bannière de son mouvement « Yoonu Askan wi » dans la coalition qui porte l’homme politique, Ousmane Sonko, chantre de l’antisystème. Madièye, 68 ans, a la carapace d’un moine politique, gardien des vestiges du temple de gauche. Il se livre au « Témoin » quotidien sur les contours de son combat idéologique.
Le Témoin : M. Mbodj, ces derniers jours, dans les manifestations contre la hausse du prix de l’électricité, l’actualité a été fortement marquée par des histoires de distribution de flyers, sur fond d’arrestations de jeunes du mouvement Nio Lank. Cette distribution de « tracts » n’est-ce pas là un moyen de lutte qui rappelle l’ère de la clandestinité des partis de gauche ?
Madieye Mbodj : en politique, c’est le contexte des situations et le terrain qui dictent les méthodes de lutte. Comme cela se dit dans le langage militaire : c’est le terrain qui commande. Dans la période de la clandestinité, nous n’avions pas la possibilité d’appeler à des manifestations publiques ouvertes. Mais nous avions la possibilité de créer des associations de masses comme les ASC, les mouvements de quartiers, les syndicats etc. et c’est à travers ces regroupements que nous menions des luttes ouvertes contre le système politique en face.
« À 1 heure du matin, on déposait des tracts aux devantures des maisons »
Je me souviens qu’on se réveillait à 1 heure du matin autrefois. on déposait des tracts aux devantures des maisons. Au réveil, tu avais l’impression que c’est des milliers de personnes qui étaient à l’œuvre de tels actes alors qu’il ne s’agissait que d’un petit groupe qui s’activait nuitamment. Cependant, il y avait des partis politiques qui, même s’ils jouaient un rôle dirigeant, ne se signalaient pas aux fronts. C’est quasiment ce qui passe actuellement sous nos yeux.
Pensez-vous que l’histoire se répète avec le régime du président Macky Sall ?
Tout à fait ! Mais sous une autre forme… Aujourd’hui, quand le pouvoir de Macky Sall interdit au mouvement nio Lank de manifester, c’est tout à fait naturel que les leaders de cette plateforme cherchent d’autres moyens d’expression appropriés et adaptés pour contourner cette situation de restriction des libertés. C’est de l’intelligence politique dont il s’agit là aussi pour combattre un système de répression mis en place par le régime actuel et qui s’est manifesté notamment à travers l’arrestation arbitraire de Guy Marius Sagna.
La gauche, dont la plupart des partis sont adossés au pouvoir actuel, est aujourd’hui dans une régression continue avec une perte de poids politique manifeste au regard des récentes statistiques électorales. Comment jugez-vous cette situation ?
C’est le mouvement même de la vie. on nait, on grandit et on meurt. Les partis de gauche ont eu des périodes de luttes glorieuses dans ce pays. Même la démocratie, Abdoulaye Wade se vante souvent de l’avoir introduite au Sénégal. Ce qui n’est pas le cas. Ce sont les partis de gauche qui se sont battus à mains nues avec beaucoup de sacrifices et d’emprisonnements. Sans oublier des gens assassinés et même d’autres forcés à l’exil. on a lutté durement en imposant au pouvoir d’alors un rapport de force sur le terrain jusqu’à ce que Senghor se plie à une ouverture démocratique.
« La gauche a abandonné son propre projet … pour se rallier aux libéraux »
Et pour cela, il fallait avoir un projet de société et y croire. Mais aujourd’hui, la gauche a quitté son terrain voire son milieu naturel. Elle a abandonné son propre projet de transformation sociale pour se rallier à celui des libéraux. Ces derniers, on les appelle ainsi, mais ils ne sont pas des libéraux en réalité. C’est de gens qui ne sont là que pour s’enrichir. Leur idéologie c’est : je m’enrichis, j’enrichis ma famille, mes proches et je me mets au service de l’impérialisme occidental. Par contre, parmi les gauchistes, il y en a qui restent toujours fidèles à leurs idéaux et combattent aux côtés des masses populaires
Depuis les législatives de 2017, vous êtes à côté de l’opposant Ousmane Sonko dont vous êtes d’ailleurs un conseiller proche. Dans le landerneau politique actuel au Sénégal, est-ce donc en lui que vous voyez l’incarnation parfaite des idéaux de la gauche ?
Il n’est pas le seul homme politique mais il incarne le leadership d’une nouvelle génération montante. Il s’agit d’une jeunesse patriotique qui porte le flambeau de la lutte. C’est une nouvelle gauche d’ailleurs. Je disais tantôt qu’on nait, grandit et meurt. et quant on meurt, on donne naissance à d’autres. C’est pourquoi, aujourd’hui, il y a une nouvelle forme de gauche, un nouveau militantisme de gauche qui incarne le combat et le refus. Et Ousmane Sonko fait partie de cette mouvance de même que les Guy Marius Sagna et d’autres jeunes résistants.
« Ousmane Sonko incarne le leadership de la nouvelle gauche »
Mieux, ils mènent ce combat avec des gens qui sont plus anciens qu’eux. Car, il faut assurer la jonction et l’intégration générationnelle entre cette nouvelle génération et l’ancienne de gauche qui est restée sur ses positions idéologiques pour défendre les intérêts du peuple sénégalais et du peuple africain contre la domination et le pillage des ressources de notre continent par la France. Donc, vous voyez, nous sommes toujours sur cette trajectoire de lutte pour répondre aux aspirations actuelles et futures des peuples africains !
Justement, dans ce bras de fer entre la France et l’Afrique, la question monétaire est actuellement au centre des débats en perspective du changement du F CFA à l’ECO. L’enjeu de la souveraineté des pays sous domination coloniale était jadis au centre des préoccupations des partis de gauche. Que vous inspire ce tollé relatif à notre monnaie 59 ans après l’indépendance ?
Cela me rappelle ce qui s’était passé dans les tractations avec la France pendant le processus de décolonisation des pays africains. On nous avait demandé de faire la différence entre le nom et la chose. Et avec l’Eco, c’est le même procédé. en 1960, on nous a dit : vous avez l’indépendance. Ca c’est le ‘nom’ qu’on nous avait donné. et avec ca, vous avez un hymne, un drapeau, un président etc. Mais la chose c’est quoi ? C’est la réalité à savoir le contrôle économique qui va de soi avec la souveraineté monétaire que la France a gardée.
« Nos élites ont capitulé pour faire le jeu de l’impérialisme »
Ceci a fait que nous n’avons pas de choix économique. nos entreprises qui devaient être gérées, promues et renforcées pour assurer notre propre développement sont mises de côté. or, nous avons en Afrique toutes les richesses pour nous développer. Malheureusement, nous sommes le continent le plus pauvre. Parce que, justement, nos élites ont capitulé pour faire le jeu de l’impérialisme. et pourtant, il est possible de faire décoller économiquement le Sénégal et l’Afrique en général.
«C’EST UNE VIEILLE PRATIQUE DES MOUVEMENTS DE GAUCHE»
De l’avis de Momar Thiam, spécialiste de la communication politique, « en général, la distribution de flyers était l’apanage des partis de gauche.
Pape NDIAYE et Falilou MBALLO |
Publication 05/02/2020
Ces derniers temps, les responsables de « Nio-Lank » ont usé des tracts et des flyers comme instruments de communication. Selon Dr Momar Thiam, expert en communication, il s’agit là d’une vieille pratique des mouvements de gauche à l’époque des entraves à la liberté d’expression.
Dernière méthode en date adoptée par le collectif « no lank » dans le cadre de la contestation de la hausse du prix de l’électricité et l’emprisonnement de l’activiste Guy Marius Sagna, la distribution de flyers. De l’avis de Momar Thiam, spécialiste de la communication politique, « en général, la distribution de flyers était l’apanage des partis de gauche. C’est une vieille pratique de communication des mouvements de gauche ».
Selon lui, à l’époque, ces formations politiques qui s’activaient quelques fois dans la clandestinité avaient adopté, dans un souci d’informer les populations, cette méthode pour pallier le non accès aux médias et pour contourner les entraves aux libertés démocratiques. Comme qui dirait, l’Histoire de la pensée et du parti uniques se répète avec le régime actuel. « A l’époque où cette méthode était utilisée, il n’y avait pas ces nouvelles technologies de l’information qui existent actuellement. Par ailleurs, la presse était à son apogée parce que les gens lisaient beaucoup plus les journaux. D’ailleurs, c’est ce qui explique même la naissance des journaux clandestins à l’époque », se souvient le docteur en communication dans son diagnostic des contours des manifestations populaires contre la flambée du prix de l’électricité.
Et actuellement, contextualise-t-il, ce phénomène est réapparu suite à un climat d’interdiction et de répression des manifestations d’opinions publiques comme ce fut le cas avec l’arrestation de Guy Marius Sagna. A propos de l’impact d’une telle démarche, Momar Thiam explique : « En allant directement, munis de ces flyers, vers les populations, les activistes (de nio Lank, ndlr) agissent sur le lien et jouent sur le côté relationnel. Des lors, cette forme de communication prend une tournure interpersonnelle. C’est pourquoi, maintenant, la donne a changé. Car, c’est une méthode qui paie. D’où même les réactions venant des autorités qui procèdent par des arrestations mais aussi par le biais des jeunes du pouvoir qui tentent d’adopter la même méthode pour contrecarrer le mouvement sur le terrain ».
Poursuivant son analyse, Dr Momar Thiam voit, à travers cette dynamique engendrée par le collectif nio Lank, une ébullition du climat social qui s’est répercutée sur la marche de vendredi dernier avec une forte mobilisation des populations. « Il y a également les syndicats qui se bousculent au portillon avec des arrêts de cours dans les établissements scolaires. Or, tout ceci n’est rien d’autre qu’un prétexte pour eux de marquer le coup dans un contexte de revendications collectives. Une manière également pour ces enseignants de mettre en synergie leurs forces avec celles des autres pour se faire entendre » explique Dr Momar Thiam à propos de la manifestation de vendredi dernier contre la hausse du prix de l’électricité.
Par Mamadou NDAO
LE 3E MANDAT, UN SYNDROME OU UN PONT D’INFLEXIONDE LA DEMOCRATIE ?
Les écuries politiques s’agitent, s’affrontent parfois, mais restent encore arc boutées à des convictions qu’elles estiment fortes, même si il n’y a guère longtemps elles avaient théorisé la fin des mandats longue durée
Comme par hasard, « la fièvre » du 3e mandat est en train de gagner une partie du corps de notre continent, je veux parler de tous les états qui s’acheminent vers la fin des mandats légaux et constitutionnels des exécutifs au pouvoir depuis bientôt 2 décennies pour certains et plus pour d’autres. Dieu sait qu’ils sont très nombreux ! Sénégal, Guinée, Côte d’Ivoire, Togo, Tchad, Rwanda, Congo…, la liste est longue.
Les écuries politiques s’agitent, s’affrontent parfois, mais restent encore arc boutées à des convictions qu’elles estiment fortes, même si il n’y a guère longtemps elles avaient théorisé la fin des mandats longue durée, comme étant une des facettes importantes pour la respiration démocratique de nos états, un modus opérandi pour le renouvellement du personnel politique qui, à vrai dire, va de plus en plus subir les contrecoups de la « politique bashing » par son comportement qui a fini de choquer. en regardant ce qui se passe autour de nous dans la sous-région, on se dit qu’on est bien loin du compte.
L’on se demande même si les préoccupations des citoyens ne sont pas reléguées aux calendes grecques, tant les débats publics sont éloignés des interpellations pressantes d’une frange importante de la jeunesse, des femmes urbaines et rurales…., Mais aussi des enjeux importants sur le climat, les perspectives de l’économie pétro-gazière et la révolution digitale.
Et pourtant les interpellations sont assourdissantes ! or, il me semble que, dans une conception répandue de l’idéal démocratique, le personnel politique a une obligation centrale, celle de se concentrer sur sa tâche, pour laquelle il a été porté au pouvoir, et non pas sur le futur, la prochaine échéance électorale, voire le prochain mandat. Hélas, notre réalité est tout autre. Les médias en premier, mais aussi les citoyens et acteurs politiques qui ont pris goût à la réalité des alternances successives au pouvoir, et qui rêvent de se constituer en alternative au(x) pouvoir(s) en place, semblent tous être, volontairement ou involontairement, dans une vaste conspiration contre l’idéal démocratique.
En effet, la politique est toujours perçue comme une lutte concurrentielle pour le pouvoir, comme le disait Max Weber. Soit ! Parce qu’on situe l’essence des partis politiques à cette seule aune, par conséquent on ne peut leur demander de faire totalement l’impasse sur l’objectif de l’élection. Pour autant, la dernière année de mandat pose la question du temps en politique et de la durée des mandats présidentiels. Les avis sont partagés, car pour certains ils sont trop longs, pour d’autres c’est trop court. Il n’y a pas à vrai dire de réponse tranchée sur le délai, si l’on sait que la démocratie est une question de cycle, rythmé par des alternances au pouvoir, mais aussi de continuité de l’état.
La psychose des lendemains en dehors du pouvoir hante certains gouvernants, faute de mécanismes permettant de leur assurer une autre vie hors du pouvoir en toute quiétude. Mais, le temps de gouverner peut-il se permettre de voir gaspillé tout un énième mandat à préparer le prochain ou la suite ? non, le prétexte du mythe du père fondateur de la nation est bien désuet. Il en est de même des thèses développementalistes, qui considèrent la démocratie comme secondaire face aux multiples et urgentes questions de développement à résoudre. Paul Kagamé, l’actuel président du Rwanda l’a d’ailleurs très bien compris ; lui qui décide de renoncer à se présenter en 2024.
La posture juste se trouve dans le retour à l’idéal démocratique, dans un contexte où la démocratie représentative est malmenée par les soubresauts de mouvements de citoyens dont les interpellations ne manquent pas toujours de pertinence. Il est temps de réfléchir à des mécanismes de garantie de sortie du pouvoir qui d’ailleurs font partie des atours de la démocratie, pour les dirigeants en exercice. C’est me semble –t-il la voie pour doter d’un second souffle nos démocraties qui, quoiqu’on dise, poursuivent leur marche quelque peu erratique avec leur lots de contestations. encore une fois le message du Président Obama lors de son voyage à l’union africaine, me semble particulièrement prémonitoire par les points qu’il soulève en ces termes : « Les progrès démocratiques sont en danger en Afrique quand les dirigeants refusent de quitter le pouvoir à l’issue de leur mandat. J’effectue mon second mandat, c’est un privilège extraordinaire de servir en tant que Président des USA. Je ne peux imaginer un plus grand honneur, de travail plus important. J’adore mon travail !
Sous notre Constitution (celle des USA) je ne peux pas me représenter. Je pense que je suis un bon président, et je pourrais gagner si je me représente. Mais je ne peux pas. Je ne peux pas ! J’attends avec impatience ma nouvelle vie après la présidence. Je n’aurai plus de contraintes de sécurité, je pourrai me promener, avoir d’autres moyens de servir, revenir en Afrique ! Je ne comprends pas pourquoi les gens veulent rester aussi longtemps au pouvoir, surtout s’ils ont autant d’argent. On entend certains dire que je suis le seul à pouvoir unifier ce pays. Si c’est vrai, ce dirigeant n’a pas su réellement bâtir ce pays.
Regardez Mandela, Madiba et même Georges Washington, ils ont laissé un héritage durable pas seulement sur ce qu’ils ont fait en fonction, mais en quittant leurs fonctions, et en transmettant le pouvoir pacifiquement. La question ne se trouve donc pas dans le bilan du mandat, qui est certes important parce qu’il témoigne des réalisations faites, de ce que l’on a laissé de son passage au pouvoir sur le chemin du développement. Mais c’est dans la transmission du pouvoir et dans les garanties mises en place pour que cette transmission puisse se faire dans la durée, en toute prévisibilité. Le challenge, il est là et pas ailleurs.
Mamadou NDAO
Juriste consultant, expert en communication,
Diplômé des universités de Montpellier1 et Paris 1 Panthéon Sorbonne Liberté 6 Dakar
Par Soro DIOP
MON DIADEME POUR «LES EMBLEMES DU DESIR»
Un aveu d’abord : j’ai eu d’interminables nuits d’extases, ponctuées par des cogitations «érectiles» avec «Les emblèmes du désir».
Un aveu d’abord : j’ai eu d’interminables nuits d’extases, ponctuées par des cogitations «érectiles» avec «Les emblèmes du désir». J’ai eu des désirs comme jamais inassouvis de lire et de relire ce recueil, nectar de mots, délices du verbe. Je me suis attardé, comme pour prolonger un bail de félicité, sur chaque poème qui se refuse à rompre le contrat de complicité que l’on a noué. Je n’ai pas rompu le bail avec ce recueil de chevet, mais il me fallait coucher et d’accoucher ces lignes, après de lentes et longues promenades à travers les méandres délicieuses des jeux de mots, des allitérations, des métaphores et autres figures de style qui peuplent si richement ce recueil de poèmes abouti, Victor Hugo dirait «obéi», de mon frangin et ami el Hadj Hamidou Kassé. Du poème d’ouverture en hommage à son père avec quelques senteurs du «dormeur du Val d’Arthur Rimbaud, l’enfant aux semelles du vent, à la dernière jouvence paradoxale qui invite «Dans le chaos… (à) continuer…», que de rencontres avec des pépites d’une langue si maîtrisée avec des mots si bien ciselés !
El Hadj, vous avez fait refluer dans les mémoires hélas si souvent poreuses à l’oubli, «le sol meurtri de Sangalkam», revécu les instants des épaisseurs tragiques ayant emporté Malick Bâ, épaisseurs tragiques auxquelles vous avez su pourtant donner des voluptés apaisantes en les enlaçant dans des vertus de «courage», de «dignité» et d’«intelligence» qui défient «le silence du monstre froid». Et puis à noël, vous avez encore fait surgir, en épistolier balzacien, «le tendre visage du Christ», en rallumant les étincelles d’une jeunesse debout. Toi aussi, tu es l’«enfant de noël» car tu sais, cher ami, que «demain c’est déjà le présent». Comme le printemps d’une lutte que tu évoques avec une délicate mais ferme écriture pour célébrer Mamadou Diop, le martyr du 23 juin et tous les martyrs des luttes émancipatrices.
Pour dire l’éternité ? Pour faire survivre la grande espérance ? Tu vois, camarade, qu’il restera toujours dans les péripéties de la vie, les sédiments des combats inaltérables ! éternels. Que nulle silhouette ne pourrait ensevelir ! Quel régal de l’esprit que ces poèmes aux surprenantes alliances fallacieuses, aux images insolites enrobées dans la musicalité des mots qui figent parfois des fugacités dans l’ «eternité» ! Comme «Alizées solitaires», «Passage», «Ici et maintenant», «Dés-astre», «Ciel absent», «Ici», «Déshérence», «Ailleurs et Ici», «Justice», «hasard», «Injonction», «le poète», «Constellation», etc…
Aux calices de l’eternité, on peut encore boire et reboire avec avidité les scintillements de la langue parée «d’images, de symboles et de rythmes» comme dans «occultation» où l’auteur veut «être ce néant qui passe… sur la piste de (sa) présence», «Cette voix», «écho des élégies de minuit…», mais qui sait pourtant par le «Lexique» que «le veilleur de nuit et guetteur des mots ne se satisfait pas des parallèles», car «il attend le mot dans l’insurrection du réel…un lexique défait, une nouveauté à nommer…» J’ai été littéralement envoûté, subjugué et sublimé par la dernière partie «Variations», constellée de poèmes qui ondulent sur un ancrage, on dirait obsessionnel, à la terre natale pour laquelle el Hadj Kassé éprouve «un amour presque tyrannique». Je me suis laissé emporter par ses brèves odyssées oniriques, bercé par «le mouvement des songes», leur «clameur», leurs «mélodies», leur «rythme surréel». Mais «Variations», ce sont aussi ces invariables lieux de mémoire : Dakar, Gorée, ngor, les Almadies, Saint-Louis.
Et les lieux d’enracinement, ce royaume d’enfance comme Mogo et ses «Mogolaises», mais ces beaux esprits revisités avec subtilité, monstres sacrés de la poésie noire comme Senghor, Aimé Césaire, du roman comme Cheikh Hamidou Kane et Abdoulaye Sadji, de l’art comme Mambéty Djibril Diop et Issa Samb, de la musique comme bird Parker, Duke Armstrong. «Variations», c’est aussi la fidélité, non pas à un amour, mais à des amours de cœur et de raison, avec des moments d’oasis goulûment savourés au milieu des tempêtes existentielles : Rella, Salimata, Djalika, Fama… J’ai refusé longtemps de fermer ce recueil de poèmes que Kassé a voulu clore par un seul thème, «Courage», comprenant un seul poème : «Dans le chaos, continuer… ».
Un courageux hymne à la persévérance, en dépit des vacillements de l’éthique, des idylles promises remises en cause, des «grondements sinistres» d’un «monde sans monde…Sans peuple…Sans vie ». Malgré tout, en «écho sonore» et en «travailleur de la raison pour faire bien vivre», tu prônes le courage… «De «continuer… Pour goûter à la réinvention festive Des idylles à venir». Tout un hymne à l’optimisme ! Un beau diadème que «Les emblèmes du désir» ; «Les emblèmes du désir», Poèmes (1911-201) par El Hadj KASSE,
Les Editions Maguilen. Mars 2019
Par Soro DIOP
par Nioxor Tine
REFUSER LA DIVERSION ET REFONDER LE SYSTÈME !
Pour renforcer nos institutions, le pouvoir doit aller au-delà de ces initiatives de set-setal, qui s’apparentent à des opérations cosmétiques - Notre organisme politique a plutôt besoin de purification telle qu’énoncée par les Assises Nationales
Depuis quelques semaines et en grande partie grâce aux mouvements de jeunesse patriotiques (FRAPP/France Dégage, Y’en à Marre, Nittou Deug, Gilets Rouges...), à la coalition Jotna de Sonko, à la CRD et à d’autres partis et mouvements, des changements qualitatifs sont observables sur la scène politique nationale.
Hormis les détentions arbitraires de manifestants aussi pacifiques qu’intrépides, il y a les longues et héroïques journées d’émeutes des pêcheurs de Mbour et de Saint-Louis, les protestations des populations de Tobène contre le projet d’extension des ICS, les grèves des secteurs de l’Éducation et de la Santé... qui témoignent de la détermination croissante des couches populaires à s’opposer aux mesures arbitraires qu’on veut leur imposer.
Dans le même temps, le mouvement de refus contre la hausse du prix de l’électricité, Ño lankk, initié par la société civile gagne en ampleur et en profondeur, à tel point que le pouvoir apériste serait bien inspiré de lui accorder tout le sérieux qu’il mérite, au risque de le voir envahir le centre-ville, comme un certain 23 juin 2011.
Par ailleurs, les organisations de défense des droits de l’Homme s’insurgent contre les atteintes aux libertés et la persécution inqualifiable dont est victime Guy Marius Sagna. Le Forum civil, quant à lui, se révolte contre la corruption endémique, qui gangrène l’administration sénégalaise et exige - entre autres - la renégociation du contrat de l’autoroute à péage.
Tout semble donc indiquer, que ce deuxième mandat du président Macky Sall sera très différent du premier, au cours duquel, il avait adopté une gouvernance tyrannique, confisquant les libertés publiques tout en envoyant en prison, pour des motifs aussi fallacieux les uns que les autres, plusieurs responsables du PDS et autres dissidents du Parti Socialiste.
De plus, usant du procédé méprisable de la transhumance, il s’était évertué à débaucher, jusqu’à la veille de la présidentielle de 2019, nombre de ses adversaires politiques, renforçant ainsi sa méga-coalition grégaire et unanimiste.
Mais depuis sa réélection frauduleuse en février 2019, les choses ont changé.
Chaque jour qui passe démontre un peu plus, au peuple sénégalais, la duplicité et le manque de scrupules de ceux qui nous gouvernent.
Premièrement, toutes les mesures antisociales préconisées par les officines financières internationales et qui avaient été gelées, pour des raisons électoralistes, sont en train d’être mises en œuvre.
Deuxièmement, l’opinion se rend compte que, depuis le coup de semonce des élections locales de 2014, les ténors de la coalition Benno Bokk Yakaar avaient institué une sorte de black-out sur toutes les informations sensibles. Ils se voient maintenant rattrapés par plusieurs scandales, dont ceux contenus dans les rapports compromettants de la Cour des comptes, qu’ils ont été forcés de rendre publics et qui ont fini d’enterrer le mythe de la gestion sobre et vertueuse.
Les politiciens de la majorité, furieux d’avoir été démasqués, cherchent à discréditer d’honorables patriotes, qui depuis des décennies font preuve de constance dans leurs rôles de sentinelles vigilantes de la bonne gouvernance et d’infatigables lanceurs d’alerte, en les présentant comme des maîtres chanteurs qu’ils sont loin d’être.
Pour dégager toute cette poussière et ces saletés que le président Macky Sall et ses courtisans de gauche et de droite avaient cachées sous le tapis et certainement pour faire diversion, on veut nous embrigader dans des soi-disant "cleaning days" qui, malheureusement, s’avèrent être de grand-messes politiciennes, orchestrées par les responsables politiques de la coalition au pouvoir, dans lesquelles on réussit parfois à enrôler – par réquisition, chantage moral ou corruption – des membres de l’administration territoriale ou des fonctionnaires craintifs.
En vérité, pour renforcer nos institutions, le pouvoir actuel doit aller au-delà de ces initiatives de set-setal, qui s’apparentent à des opérations cosmétiques superficielles. Notre organisme politique ou système politique a plutôt besoin de "cleansing days", c’est à dire de purification et de refondation, telles qu’elles avaient été énoncées par les Assises Nationales et la Commission Nationale de Réforme des Institutions.
POLEMIQUE SUR LE NON RAPATRIEMENT DES SÉNÉGALAIS CONFINÉS À WUHAN
Les parents des étudiants bloqués en Chine, se sont rassemblés en collectif. Ils ont lancé un appel aux autorités de Dakar pour organiser leur retour
Les parents des étudiants sénégalais bloqués à Wuhan, en Chine, se sont rassemblés en collectif et tiendront une conférence de presse ce mercredi 4 février. Treize sénégalais se trouvent actuellement confinés à Wuhan, épicentre de l’épidémie de coronavirus. Ils ont lancé un appel aux autorités de Dakar pour organiser leur retour.
Le président Macky Sall a déclaré lundi que le Sénégal « n’avait pas les moyens de rapatrier » ses ressortissants à Wuhan. Une déclaration qui suscite de nombreux commentaires, sur les réseaux sociaux, et à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar.
Dans sa chambre universitaire, Ahmed Thiam suit de près les informations à la télévision. Etudiant en médecine, il estime, comme le président, qu’un rapatriement de ses compatriotes « n’est pas simple ». « On ne peut pas, d’un point de vue épidémiologique, se permettre d’aller là-bas les bras ouverts, alors que le Sénégal n’est pas doté d’une logistique assez efficace. L’État du Sénégal se doit de les rapatrier, mais il s‘agit de mettre les moyens qu’il faut. »
Question de moyens ou plutôt de volonté politique, estime Isabelle. En pleine révision pour ses examens, cette étudiante en pharmacie se dit « solidaire » de ses compatriotes. « Ils ont tout de même le droit de revenir au pays, continuer leur période de quarantaine ici. C’est mieux que d’être en Chine, de ne pas pouvoir étudier ni sortir. Et ils n’ont aucune aide psychologique et familiale. Je ne trouve pas ça normal. »
L’État sénégalais a envoyé une aide financière de 600 000 francs CFA par étudiant bloqué à Wuhan, un peu plus de 910 euros. Ça ne suffit pas pour Babacar. « Je ne pense pas que ce soit un problème moi. Je pense qu’il (Macky Sall, Ndlr) ne veut pas contredire les Chinois. Il devrait soutenir ses ressortissants, comme beaucoup d’autres pays. Certains pays africains, comme le Maroc, ont déjà rapatrié leurs étudiants ! »
Le Maroc, mais aussi l’Algérie, qui a rapatrié des ressortissants algériens, tunisiens, libyens et mauritaniens. Ces étudiants appellent les autorités sénégalaises à s’organiser avec d’autres États de la région.
UNE INEQUATION EN QUETE DE SOLUTION
«Défis de l’emploi-jeunes dans l’Economie du Savoir », c’est autour de ce thème que les recherches du 19ème Forum du 1er emploi sont orientées cette année.
Pour sa dix-neuvième édition du Forum du 1er emploi, qui a démarré hier, le mouvement des entreprises du Sénégal (Meds) a réuni d’éminents experts sénégalais et internationaux pour plancher sur les grands défis de l’Emploi des jeunes dans l’économie du savoir. Une rencontre présidée par Mohammad Boun Abdallah Dionne, ministre d’Etat, Secrétaire général de la Présidence de la république.
«Défis de l’emploi-jeunes dans l’Economie du Savoir », c’est autour de ce thème que les recherches du 19ème Forum du 1er emploi sont orientées cette année. Une occasion pour son initiateur, le Président du Meds Mbagnick Diop, de faire un plaidoyer pour une formation adaptée et un accompagnement des jeunes dans leur démarche pour l’accès à l’emploi durable et innovant. «Nous devons absolument changer de paradigme et adapter, orienter notre système éducatif, nos métiers, en somme toute notre économie vers une base de connaissances durables», a déclaré Mbagnick Diop qui précise que le MEDS a accentué sa réflexion vers le bouleversement des certitudes, face à une nouvelle économie disruptive. « Ces nouvelles transformations ont impacté le monde du travail et de nouveaux métiers ont vu le jour. La compréhension et la maîtrise de l’économie de la connaissance nous apportent une excellente lecture des nouvelles grilles d’opportunités et un accès significatif à l’employabilité des jeunes, dans une nouvelle économie disruptive en Afrique, dont sa jeunesse représente près de 70% de la population et 32% de la population active en Afrique subsaharienne. L’Economie de la connaissance a une incidence très significative au niveau des entreprises, des lieux de travail, du marché du travail, des territoires, dans un système durable axé sur le travail décent et innovant», dit-il.
Venu présider la rencontre, le Secrétaire général de la Présidence de la République, Mahammad Boun Abdallah Dionne, n’a pas manqué de magnifier l’initiative du Meds qui vise à contribuer à l’employabilité des jeunes. «Aujourd’hui, il y a une offre de travail qui est là, malheureusement, cette offre a des qualifications qui posent problème, puisque la plupart des étudiants se tournent vers les filières comme banque-finance ou banque-assurance. C’est bien, mais nous évoluons vers une société d’économie de la connaissance. Et l’innovation tient une place particulière avec l’essor des Tic. On a donc besoin d’aller vers les métiers du futur», a martelé l’ancien Premier Ministre du Sénégal. C’est pourquoi, souligne-t-il, le chef de l’Etat a pensé, dans le cadre du Pse jeunesse 2030, qu’il était bon de modifier le profil de la formation de notre jeunesse. «On va donc orienter la carte universitaire et scolaire. Le chef de l’Etat est en train de bâtir des centres de formation professionnelle dans chaque département.
De même que des Instituts supérieurs d’enseignement professionnel(Isep), ainsi que des Universités à travers des Masters spécialisés pour qu’on puisse aller vers des compétences pointues dans certains secteurs relatifs à l’économie de la connaissance. C’est ça qui va permettre à la jeunesse d’être présente sur le marché international», dit-il. « Dès cette année, quinze centres de formation professionnelle seront construites dans quinze départements. Et l’objectif de cette initiative devrait être couvert en trois années», conclut Mahammad Boun Abdallah Dionne, l’air optimiste.