Dakar, 27 janv (APS) - Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, est arrivé ce lundi peu après 22 heures à Dakar, dernière étape de sa tournée africaine.
Le président turc et son épouse ont été accueillis par le ministre d’Etat, secrétaire général de la présidence de la République, Mahammed Boun Abdallah Dionne, et la première Dame Mariame Faye Sall.
Erdogan est accompagné d’une forte délégation comprenant le ministre turc des Affaires étrangères Mevlut Cavusoglu, ses homologues de la Défense, Hulusi Akar, de l’Industrie et de la Technologie, Mustafa Varank.
Le ministre turc de l’Énergie et des Ressources naturelles, Fatih Dönmez, le chef du service de renseignement Hakan Fidan et des opérateurs économiques sont également dans la délégation.
Cette visite s’inscrit dans le cadre des relations d’amitié cordiale et de coopération multiforme entre les deux pays.
Les deux chefs d’Etat Macky Sall et Erdogan auront mardi dans la matinée, un entretien bilatéral avant de présider la cérémonie d’ouverture du forum économique qui réunira des représentants des secteurs privés sénégalais et turc.
Le président Recep Tayyip Erdogan avait effectué, en février 2018, une visite à Dakar.
AU SENEGAL, IL SOUFFLE UN VENT ANTI-DOMINATION FRANCAISE
Le sentiment anti-français est-il une réalité ou une invention des médias internationaux ? Qu’en est-il du Sénégal qui est un partenaire traditionnel de la France et accueille une flopée d’entreprises françaises ?
Le sentiment anti-français est-il une réalité ou une invention des médias internationaux ? Ces derniers mois, on en parle en Afrique de l’Ouest. Les récents propos du président Macron, aux allures de sermon, lors du Sommet de l’Otan, n’ont fait que rajouter de l’huile sur le feu. Qu’en est-il du Sénégal qui est un partenaire traditionnel de la France et accueille une flopée d’entreprises françaises ?
‘’Elle sert à quoi, cette armée française !’’, lance le président du collectif Yèrè Wolo, moteur des manifestations contre la présence des forces françaises au Mali, en marge d’un rassemblement. ‘’Dehors, Barkhane dehors ! Les Forces armées maliennes peuvent sécuriser le Mali", "Le gouvernement français est un frein à notre développement" ou encore "À bas la France, Barkhane doit quitter", peut-on lire sur les pancartes brandies par les manifestants maliens sur la place de l’Indépendance, à Bamako, vendredi 10 janvier. Une énième manifestation pour réclamer le départ des troupes françaises, en raison de la multiplication des attaques terroristes, malgré leur présence sur le territoire depuis 2014.
L’ardeur est la même au Burkina Faso où l’opinion publique pose le débat de la pertinence de l’accord intergouvernemental de défense de décembre 2018 avec l’ancienne puissance coloniale ; surtout que, depuis, l’offensive djihadiste s’accentue. Autant de faits que le président Macron a qualifié de ‘’sentiment anti-français’’.
Au Sénégal, on ne parle point d’attaques terroristes. Mais, de plus en plus de voix haussent le ton pour dénoncer la gourmandise économique de l’ex-colonisateur. Au banc des accusés, sont principalement cités les groupes Auchan, Orange et Total.
Bien loin d’un discours radical et virulent comme chez ses pays voisins, on assiste à un sursaut qui tend à se généraliser et se trouve être plus perceptible sur Internet. Derrière un écran ou au travers d’un smartphone, les citoyens, jeunes pour la plupart, ne se font pas prier pour déverser leur bile sur la République française. ‘’La jeunesse a soif d’un mieux-être. Il ne s’agit pas d’un sentiment de mépris à l’endroit des Français. Je pense que ceux à qui nous en voulons le plus, ce sont nos dirigeants qui courbent l’échine face à la République française. Que ce soit dans le domaine politique comme économique, l’ex-colon a toujours son mot à dire. Pis, ses multinationales poussent comme des champignons, au détriment du commerce local’’, martèle l’étudiant en troisième année de médecine Mansour Faye.
Il est évident que grogne il y a, et Internet aidant, les informations circulent à la minute près. Ces derniers mois, les mouvements Frapp (Front pour la révolution anti-impérialiste populaire et panafricaine) France dégage et Aar Li Nu Bokk se sont le plus illustrés en matière de dénonciation et d’éveil de tout un peuple. A la mi-juillet 2019, le premier, dans un post Facebook, accusait la France de préparer un attentat terroriste contre le Sénégal ; une publication qui a fait l’effet d’une bombe et dont Guy Marius Sagna a fait les frais.
Pourtant, le 22 juillet 2019, le deuxième s’est chargé, lors d’une conférence de presse, d’étayer cette accusation. En proposant à l’opinion un enregistrement audio dans lequel on entend le député de Benno Bokk Yaakaar, Khoureichi Niasse, déclarer, lors d’un meeting en marge de la campagne électorale à Kasnack (Kaolack) : ‘’C’est la France qui nous a colonisés durant plus de deux siècles. Et la France n’a jamais pensé que le Sénégal aurait du pétrole, du gaz et bien d’autres ressources. Bien évidemment, il faut qu’elle vienne réclamer sa part. Quand elle est venue demander une zone pour exploitation, si le président Macky Sall avait refusé de lui concéder cela, la France allait ouvrir les portes du Sénégal aux djihadistes du Mali. Elle aurait aussi réarmé les rebelles casamançais et créé d’autres problèmes dans le pays.’’
Une déclaration visiblement passée sous silence par les autorités sénégalaises, à un moment où le débat sur la transparence dans l’attribution des blocs pétroliers était pourtant chaud brûlant dans les médias et grand-places.
Si, pour beaucoup de Sénégalais, le sentiment anti-français existe depuis belle lurette au Sénégal, certains pensent qu’il faut relativiser. De l’avis du jeune entrepreneur Amadou Wade, ‘’sur les réseaux sociaux, il y a de plus en plus de gens qui prennent tous les maux de notre pays, qui n’ont parfois rien à voir avec, pour dire que la source du problème c’est la France. Je pense qu’il y a un peu de fanatisme dans cette affaire. C’est le cas chez les partisans de ce nouveau parti dit antisystème. C’est comme s’ils sont passés de personnes antisystèmes à des fanatiques et rebelles qui ont modifié une idée politique en idéologie dogmatique telle une bible’’.
Une question détournée de son vrai sens
Quant à la montée en puissance d’un discours de rupture avec toute forme de domination, les avis divergent. Le professeur en géopolitique et relations internationales Lat Soucabé soutient, pour sa part, que le sentiment anti-français est loin d’être généralisé. Il est diffus, voire inexistant. ‘’Je ne le perçois pas. Il n’y a que quelques Sénégalais qui s’indignent sur Facebook ou Twitter. De plus, rien n’a changé dans la relation bilatérale entre la France et le Sénégal. Notre pays déroule sa politique économique et le président Macky Sall est en bonne intelligence avec Macron’’, dit-il. Et s’il ne s’agissait pas, en réalité, d’un sentiment dirigé contre la France ?
Ce contrepied est, en tout cas, le point de vue du leader de Pastef-Les patriotes. Selon le député Ousmane Sonko, il faut plutôt parler d’un sentiment pro-africain. Un désir ardent de la nouvelle génération et même d’anciens de voir un partenariat gagnant-gagnant entre la France et le Sénégal. Il est rejoint dans sa position par bon nombre d’hommes politiques. ‘’De manière globale, les Sénégalais n’éprouvent pas de sentiment anti-étranger, peu importe la nationalité. Cela ne répond pas à la culture sénégalaise qui prône la ‘Teranga’ (le sens de l’hospitalité). Toutefois, il n’y a pas de situation irréversible. Un peuple pacifique peut être amené à devenir violent. Tout dépend des circonstances. Ce fut le cas avec la Mauritanie, en 1989. Ce qu’il y a, c’est que l’impérialiste d’hier, qui a opprimé, est le même qui, aujourd’hui, implante ses tentacules chez nous, qui gagne les plus gros marchés. C’est encore le même qui vient imposer à nos gouvernements des politiques en matière étrangère et de défense’’, explique Madièye Mbodj, responsable du parti Yoonu Askan Wi. Il poursuit : ‘’La jeunesse ne réagit pas sur la base d’un sentiment anti-français, mais plutôt sur la base d’un sentiment anti-domination française, un sentiment anti-oppression de notre peuple. Un sentiment qui dit : nous sommes souverains chez nous. Nous voulons décider nous-mêmes, aux plans politique, militaire et économique ; la santé et l’éducation, un sentiment anti-impérialiste.’’
« IL EXISTE D’AUTRES MODÈLES DE DÉVELOPPEMENT PLUS ADAPTÉS À L’AFRIQUE »
Pour l’écrivain franco-congolais Alain Mabanckou, l’aide publique au développement doit prendre en compte les spécificités culturelles en Afrique pour encourager l’émergence de modèles de développement proprement africains
La notion de « développement » vient selon vous du Nord. Que voulez-vous dire ?
C’est un fait : les critères de développement sont formulés par les puissances économiques dominantes. Celles-ci décrètent, en quelque sorte, qui peut s’asseoir à la table du G7 ou du G20. Or ces critères ne coïncident pas forcément avec les critères de développement vus d’Afrique. Notre continent a ses propres traditions, une autre manière de gérer les conflits, un autre rapport aux institutions. Nos institutions traditionnelles sont, d’ailleurs, souvent perçues à l’extérieur comme étant incompatibles avec le sens de l’évolution des sociétés.
Finalement, c’est un peu comme la définition des critères de beauté. Dans plusieurs régions d’Afrique, une femme forte est très convoitée. En Europe, il faut être mince, voire anorexique, pour mériter la couverture d’un magazine ! En ce sens, l’idée dominante de la beauté est européenne tout simplement parce que les Européens ont tous les moyens de diffuser leur définition à travers leurs journaux, leurs médias, leurs produits. L’Afrique n’a pas cette capacité à imposer aux autres ses propres critères. Et la présence de régimes autocratiques, de mon point de vue, n’arrange pas les choses. Les notions de développement et d’autocratie sont en effet antinomiques, même si la Chine est une grande puissance incontournable, et l’Inde une puissance émergente de plus en plus forte.
Face au dérèglement climatique et dans un modèle économique fondé sur la croissance de plus en plus critiqué, l’Afrique a-t-elle une carte à jouer ?
L’Afrique regarde et s’inspire des autres nations émergentes, en particulier en Amérique latine. Elle observe notamment sa capacité, à travers la valorisation des cultures et des produits locaux, à se doter d’une certaine autonomie économique et à réguler les élans faussement généreux de certains gouvernements occidentaux qui reprennent de la main droite ce qu’ils ont d’abord donné de la main gauche. Il existe indéniablement d’autres modèles de développement plus adaptés à notre continent, intégrant la manière africaine d’exister, de gérer les conflits, de partager les richesses et aussi de les fabriquer.
Quel rôle assignez-vous à la diaspora africaine ?
Elle a un grand rôle à jouer. Celui-ci consiste non seulement à donner de l’enthousiasme aux populations du continent, mais aussi à accompagner les économies locales, par ses actions et initiatives économiques. La diaspora donne déjà beaucoup, à travers ses transferts d’argent du Nord vers le Sud ou par la création d’entreprises. De même, en repensant et en réécrivant l’Afrique, la diaspora intellectuelle – comme nos aînés dans les années 1930-1940, les Aimé Césaire et autres Léopold Sédar Senghor – lui donne la possibilité de se sentir fière d’elle-même.
Dans les pays du Nord, de nombreuses voix politiques disent vouloir instaurer un « partenariat d’égal à égal ». Qu’en pensez-vous ?
On est là dans un monde idéal. Pour instaurer une relation d’égal à égal, un équilibre préalable est nécessaire. Si je veux forger un véritable partenariat avec la France, la seule richesse ne me suffit pas. Un souffle démocratique, l’esprit d’entreprise, l’existence d’un gouvernement qui ne s’apparente pas à un syndicat de responsables pillant les ressources de l’État : tout cela est indispensable. Par ailleurs, une question se pose : si les comptes publics d’un partenaire ne sont pas clairs, la France doit-elle traiter avec lui ? Il faut pouvoir être sûr que l’aide parviendra bien dans les mains de ceux à qui elle est destinée et qu’elle sera utilisée à bon escient. Certes, on ne peut pas mettre un gendarme derrière chaque euro dépensé. Mais il faudrait instaurer des mécanismes de contrôle adéquats. Les gouvernements des pays riches octroient souvent leur aide en faisant confiance au gouvernement pour la répartir au sein de son peuple. C’est une erreur et cela crée beaucoup de suspicion parmi la population.
Face à un gouvernement autoritaire, susceptible de détourner l’aide internationale, faut-il alors s’abstenir ?
Ce serait une erreur. Les aides font partie de la courtoisie internationale. Elles nous distinguent de la bestialité. On ne peut pas accepter l’idée de non-assistance à peuple en danger. Par ailleurs, l’aide ne vient pas de nulle part, c’est un processus qui résulte de relations historiques, économiques, culturelles communes. La population de l’État qui aide doit avoir conscience qu’il a contribué, d’une certaine manière, à la détérioration de l’espace de l’État qui reçoit cette aide. Mais il convient aussi, je le répète, de s’assurer que l’aide octroyée de bonne foi est répartie équitablement entre les partisans et les adversaires du régime en place. Il faudrait même faire en sorte que cette aide favorise une certaine démocratisation du pouvoir. Car l’aide ne se suffit pas en elle-même, il faut en examiner les conséquences sur le terrain.
Le bailleur ne s’expose-t-il pas, dans ce cas, au soupçon de « l’ingérence postcoloniale » ?
Ce soupçon ne sera sans doute jamais totalement écarté. Mais si l’on pouvait tracer le cheminement de l’aide, depuis son déblocage jusqu’à sa réception par les bénéficiaires, cette suspicion, ce soupçon de connivence, disparaîtrait en partie. Le problème, c’est qu’en Afrique, l’aide atterrit souvent dans les poches du dirigeant local…
Y a-t-il une forme d’injustice de la part des pays du Nord à demander aux pays en voie de développement de contribuer à l’Accord de Paris ?
C’est le résultat du déséquilibre entre les pays développés et les autres. Mais les gouvernements africains ne peuvent pas laisser la forêt du bassin du Congo partir en fumée. Il s’agit d’un bien commun, qu’il faut protéger tous ensemble, de la même manière que certains monuments font partie du patrimoine mondial de l’humanité. Si nous perdons cette forêt, c’est un bien de l’humanité qui disparaîtra.
BRUTALISME DE L'ANTHROPOCÈNE
Dans un nouvel essai dense et ambitieux, le penseur Achille Mbembe donne un nom aux expériences qui sont les nôtres, à cette convergence étroite entre la raison politique, les logiques technologiques neuves et de violence dont les corps sont la cible
Brutalisme. Le mot renvoie spontanément à un courant architectural rendu célèbre pour son usage efficace du béton brut. En choisissant de le prendre pour titre de son nouveau livre, Achille Mbembe en propose une autre acception, qui toutefois lui fait écho tant architecture, politique, verticalité et matérialité habitent sa pensée.
Brutalisme (La Découverte, 2020) est un essai original, ambitieux, un livre de l'urgence qui sait prendre le temps long en considération pour faire face à toutes les grandes questions du moment.
Achille Mbembe :
"Dans "Brutalisme", le rapport à l'architecture est évident pour moi : je voulais donner un nom aux expériences qui sont les nôtres, à cette convergence étroite entre la raison politique, les logiques technologiques neuves et la sorte de violence dont les corps, les nerfs et la nature sont la cible, sur cette planète en pleine combustion. C'est à ce moment inédit que le terme "brutalisme" répond.
"Où en sommes-nous ? Je veux dire tous ensemble, sur cette planète, qu'il faut qu'on partage. Qu'en est-il du projet de l'humanité comme humanité libre ? En Afrique, nous ne pouvons nous permettre le luxe du catastrophisme, parce que nous avons fait l'expérience de la catastrophe depuis très longtemps. Et néanmoins, nous sommes toujours là. Le fait que nous soyons toujours là devrait être l'objet, non pas d'un étonnement, mais d'une nouvelle pensée critique."
"En 2000, j'ai écrit un livre, La Postcolonie, qui s'efforçait de penser la persistance de la tyrannie. Mais j'ai pu réviser ma posture de départ : ce que je croyais être spécifique à l'Afrique, en fait est partagé de façon assez diverse ici ou là. Et j'ai fini par comprendre que l'Afrique était un laboratoire, parmi plusieurs autres, de ce qui se passait dans le monde aujourd'hui."
PARTIS POLITIQUES, ENTRE ABSOLUTISME ET DÉMOCRATIE
EXCLUSIF SENEPLUS - Dire que l’actuel président ne peut prétendre à un troisième mandat et déclarer que l’APR doit se structurer sont des péchés irrémissibles au sein du parti au pouvoir
« Le parti politique est une association organisée qui rassemble des citoyens unis par une philosophie ou une idéologie commune, qui inspire son action, avec comme objectif la conquête et l’exercice du pouvoir. Il possède une organisation juridique fondée sur des statuts qui indiquent ses orientations idéologiques, ses objectifs, les grands principes de son fonctionnement, l'organisation de sa direction et les règles de la désignation et de remplacement de ses dirigeants », voilà comment les encyclopédies et bréviaires politiques définissent usuellement et universellement le parti politique. Donc la formation politique par essence doit être une organisation durable et sa vie doit transcender celle de ses fondateurs. Mais pour matérialiser cette durabilité, elle doit être une organisation bien structurée et perfectionnée au niveau interne et sur l’ensemble du territoire national. Ce qui veut dire que l’implantation nationale du parti est une condition sine qua non de sa longévité et de sa chance de conquérir le pouvoir. Par conséquent, le parti, au sens originel du terme, doit être ou avoir une organisation structurée aussi bien qu’à l’interne qu’à l'échelon national pour avoir des chances d’accéder au pouvoir et d’exister dans la durée. Si depuis les années 50, le Parti socialiste (PS) fondé par Léopold Sédar Senghor, Lamine Guèye, Ibrahima Seydou Ndao demeure encore un parti et ce même après avoir perdu le pouvoir depuis deux décennies, c’est grâce à son implantation dans tous les coins et recoins du Sénégal et sa structuration séculaire. On pourrait dire la même chose pour le PDS. Mais aujourd’hui, le parti fondé par Abdoulaye Wade en 1974 est en train de subir les contrecoups de sa non-restructuration et de l’absolutisme cultivé autour de son chef paradoxalement institutionnalisé comme une constante qui décide à la place des véritables instances devant animer la démocratie au sein du PDS. Des partis qui au début de leur aventure politique ont fait des scores électoraux importants qui les rangeaient dans la taxonomie vrais des partis politiques se sont effondrés comme des châteaux de cartes car n’ayant pas une implantation nationale mais souffrant aussi de mécanismes de fonctionnement démocratique. A ce titre, on peut citer l’Union pour le Renouveau démocratique (URD) de Djibo Ka qui a obtenu 11 députés aux élections législatives de 1978 et aussi l’Alliance pour les forces de progrès (AFP) de Moustapha Niasse qui s’est classée 3e à la présidentielle de 2000 après sept mois d’existence dans le champ politique. Ces partis ne doivent aujourd’hui leur existence qu’à leur arrimage au parti au pouvoir.
Un parti politique est par conséquent un regroupement de personnes ayant des opinions communes sur la façon de vouloir diriger le pays. Et cette convergence de vue sur la façon de gérer la chose publique qui est l’expression de la volonté générale des militants doit découler de leurs visions contradictoires mais non totalisantes pour ne pas dire non totalitaires. Mais traditionnellement dans les formations politiques sénégalaises, ceux qui refusent la vérité́ du chef et se désalignent de sa trajectoire sont considérés comme des brebis galeuses égarées qu'il faut remettre dans le droit chemin ou sanctionner sans aménités. Souvent dans les formations politiques sénégalaises, on est dans un système totalitaire qui n’accepte pas des schèmes de pensées qui détonnent avec ceux du leader assimilable à un timonier. Or c’est la démocratie qui est le levain de tout parti politique. Par conséquent, la démocratie au sein des partis politiques implique le degré d’inclusion de ses membres dans les prises de décisions et les délibérations. L’Espagne a tellement compris l’importance de la vitalité démocratique au sein des partis politiques qu’elle l’a consacrée dans sa Constitution en son article 6 : « Les partis politiques expriment le pluralisme politique, ils contribuent à la formation et à la manifestation de la volonté populaire et sont un instrument fondamental de la participation politique. Leur structure interne et leur fonctionnement doivent être démocratiques. » Le Nigeria constitue un autre exemple de pays où la démocratie interne des formations politiques est réglementée dans la Loi fondamentale. Et selon le Réseau du savoir électoral ACE « en Inde, chaque parti qui souhaite s’enregistrer officiellement doit accepter de respecter les principes de la démocratie. Il incombe également à la Commission électorale de s’assurer que la réglementation des partis renferme les dispositions adéquates pour assurer la démocratie au sein des partis politiques. Ainsi, des partis ont également été radiés après ne pas avoir tenu d’élections démocratiques pour des postes de direction ». C’est dire combien la démocratie active au sein des partis politiques est gage d’un Etat démocratique donc d’un Etat de droit.
APR : le triomphe de la pensée unique
Dans un entretien accordé au quotidien La Tribune à la veille des législatives de 2012, Moustapha Diakhaté, futur président du groupe parlementaire de Bennoo Bokk Yaakaar, mettait en garde Macky Sall sur un ton comminatoire : « Si le président dévie de son objectif, il me trouvera sur son chemin ». Déjà le ton était donné pour ceux qui prenaient le président de l’Alliance pour la République (APR) comme un être omnipotent, omniscient à qui il est permis de tout faire sans prendre en compte la démocratie qui est la base de fonctionnement de tout parti politique. Aujourd’hui, pour avoir usé de ce qui constitue l’un des piliers de la démocratie, c’est-à-dire la liberté d’expression, Diakhaté a été limogé de son poste d’abord de ministre conseiller du président avant d’être exclu trois mois plus tard du parti dans lequel il militait depuis sa naissance. Il faut signaler que dans la mesure d’exclusion de l’ancien président du groupe parlementaire de Bennoo Bokk Yaakaar considéré comme le mouton noir de l’APR, aucune procédure légale n’a été respectée. La soi-disant commission de discipline ad hoc n’est pas habilitée à prendre des mesures disciplinaires à l’encontre des militants qui se désalignent de la voie du chef. En laissant trois militants décider arbitrairement du sort de Moustapha Diakhaté, le chef de l’APR a fait du ponce-pilatisme comme pour se laver les mains de l’exclusion de son ancien chef de cabinet.
Dire que la Constitution ne permet pas à l’actuel président de prétendre à un 3e mandat et déclarer que l’APR doit se structurer et s’inscrire dans la dynamique de préparer l’après-Macky sont des péchés irrémissibles au sein du parti au pouvoir. Au sein de l’APR, la démocratie étouffe de la dictature du chef sous forme de sauvegarde de la discipline du parti. Ainsi, on érige l’absolutisme, la pensée unique en méthode de gouvernance au sein de la formation politique présidentielle. Le 3e mandat et la structuration du parti sont des sujets tabous au sein de l’APR qui, pourtant en ses articles 1 et 2, déclare être « un parti de masse, ouvert, basé sur les principes de la démocratie » et « s’engage à respecter ces principes de la démocratie ». Et on voit là les méthodes extrémistes, qui ont conduit le PDS à sa désagrégation progressive, germer au sein de l’APR. Ses dirigeants violent les textes et les bourreaux appliquent la sanction suprême à toute tête gondole qui aurait l’outrecuidance de donner son opinion sur la bonne marche du parti.
Si aujourd’hui les grands partis politiques connaissent régulièrement des secousses telluriques qui finissent très souvent par les déstabiliser, c’est dû essentiellement à la substitution des textes du parti aux desiderata du leader. Que reste-t-il du PS, de l’AFP, du PDS et, dans une moindre mesure, de la LD ? Depuis 2000, les scores électoraux de ces partis vont decrescendo et leur management monocratique, pour ne pas dire l’absence de démocratie interne, n’est pas étranger à leur contre-performance. L’APR semble ne pas avoir retenu la leçon des partis qui l’ont précédée au pouvoir. Et à force de vouloir mettre les statuts et règlements du parti sous l’édredon du chef et imposer ses décisions comme des dogmes indiscutables, on finit par abréger son espérance de vie dans la scène politique.