Sans cap ni boussole, la Gambie post-Jammeh n’est certainement pas celle dont rêvaient les jeunes du pays. Barrow voyage sans cesse, sans résultat tangible jusqu’ici
Jeune Afrique |
Ousseynou Nar Gueye |
Publication 22/01/2020
Depuis sa prestation de serment le 19 janvier 2017, le chef de l’État, élu pour cinq ans, est revenu sur sa promesse de démissionner au bout de trois ans. Un mandat pour rien ?
Le président gambien Adama Barrow a choisi son mandat contre ses mandants. Après avoir assuré à ces derniers qu’il ferait un « mandat de transition » (selon ses propres mots) d’une durée de trois ans au lieu des cinq ans que lui accordait la Constitution gambienne, le successeur de Yahya Jammeh a finalement fait volte-face. Il fera cinq ans de présidence. Au moins. S’il n’est pas réélu pour un second bail en 2021.
Ce respect à la lettre de la Constitution, parce qu’il est rare dans la sous-région ouest-africaine, n’en est que davantage suspect. Si la lettre est respectée, l’esprit des institutions républicaines gambiennes a bel et bien été perverti. Car Adama Barrow, le polygame (deux épouses), fan d’Arsenal – dont il lui arrive d’arborer le maillot sur des photos diffusées sur les réseaux sociaux -, est un président par accident. Presque par effraction. Et certainement de transition, dans ce petit pays de deux millions d’habitants où toutes les cartes devaient être rebattues, avec un préalable : l’éviction de Yahyah Jammeh.
Victoire inattendue
En 2017, c’est parce que le président du principal parti d’opposition (le Parti démocrate unifié, UDP), Ousseinou Darboe, est incarcéré pour longue durée depuis avril 2016, que son parti, puis une coalition de l’opposition (sept partis), se résolvent à investir Barrow candidat. Personne ne mise grand-chose sur ce challenger à la bouille rondouillarde, ancien vigile de supermarché en Grande-Bretagne, face à un Yahya Jammeh qui tient le pays d’une main de fer depuis son putsch de 1994 et qui brigue alors un cinquième mandat.
Coup de tonnerre dans une prison à ciel ouvert : la commission électorale gambienne déclare le 2 décembre 2016 Barrow vainqueur de cette élection à un tour, avec 45,54 % (263 515 voix) contre Jammeh, qui recueille 36,6 % (212 099 voix). À la surprise générale, en tout cas celle de la communauté internationale, habituée aux coups de sangs de Jammeh, à son auto-glorification comme « dictateur du progrès » et à ses frasques de président-soigneur de malades du VIH.
Janvier 2017 – janvier 2010 : quel bilan ? Trois années pour quoi faire ? Pas grand-chose. La seule grande avancée est que Barrow met son peuple devant le fait accompli, qui est qu’il ira au bout de son mandat de cinq ans. En mi-décembre et en ce début janvier, des manifestations ont eu lieu aux cris de « Three years Jotna» (« Trois ans, il est temps », dans un mélange d’anglais et de wolof), auxquels ont répondu, dimanche dernier (12 janvier), les proclamations de la contre-manifestation du mouvement « Barrow for five years » (« Barrow pour cinq ans »), à l’instigation du Nation’s People Party, la formation politique créée par l’actuel président, qui a depuis longtemps été expulsé du UDP.
Durant ces trois années, la seule chose que Barrow aura véritablement fait fonctionner est la Commission vérité et réconciliation, cache-misère dont le seul objectif semble finalement de vouloir imputer tous les maux (passés et actuels) de la Gambie et sa stagnation socio-économique au régime Jammeh.
L’inflation est galopante dans le pays, sans que la question de la monnaie gambienne, le dalasi, soit prise en charge. Dans le contexte actuel de la mise en place de l’eco, la monnaie ouest-africaine qui arrivera en juillet prochain, on n’aura pas entendu la Gambie. Le dalasi se justifiait encore, un tant soit peu, dans l’économie de contrebande que menait la Gambie, au détriment du Sénégal dans lequel il est enclavé, quand il n’y avait pas de liaisons terrestres.
Désillusions
Depuis la mise en circulation du pont de Farafenni qui relie les deux pays, cette économie de réexportation de marchandises vers le Sénégal ne prospère plus. Le gouvernement Barrow consacre des parts plus importante de son budget à la défense, à la sécurité, au renseignement et aux affaires étrangères. Ceci, au détriment des secteurs de la santé et de l’éducation.
En août dernier, un rapport du Département d’État américain a épinglé le président gambien pour ses dépenses extra-budgétaires effectuées au profit de l’armée et des renseignements, « sans supervision ni audit ». Barrow voyage sans cesse, sans résultat tangible jusqu’ici en termes d’investissements attirés dans le pays.
Après avoir voté avec des billes, les Gambiens votent désormais, de plus en plus, avec leurs pieds. En quittant le pays. Baromètre infaillible pour conclure de l’impéritie du régime Barrow.
par l'éditorialiste de seneplus, bacary domingo mané
OÙ EST L’ÉTAT ?
EXCLUSIF SENEPLUS - La lave incandescente de l’incivisme creuse son cratère. Le citoyen au milieu de nulle part lance, en vain, un appel de détresse à un Etat-déserteur qui, hélas, ne se signale que lorsque le pouvoir du Prince vacille
Bacary Domingo Mané de SenePlus |
Publication 22/01/2020
Nous avons failli céder à la tentation de chercher l’Etat dans les rues et les quartiers de Dakar, à l’aide d’une lanterne allumée en plein midi, pour le livrer au citoyen abandonné en pleine jungle. Mais à quoi cela aurait-il servi, si l’on sait d’emblée - à l’image de Diogène de Sinope tenant une lampe et parcourant Athènes pour rencontrer l’homme - que la recherche serait infructueuse. Face à l’anarchie ambiante, aux inégalités, à l’impunité, la lave incandescente de l’incivisme creuse son cratère. Le citoyen au milieu de nulle part lance, en vain, un appel de détresse à un Etat-déserteur qui, hélas, ne se signale que lorsque le pouvoir du Prince vacille.
Lorsque leur pouvoir est menacé, ils se mettent dans la peau de Hercule, en bandant des muscles, avec dans la bouche ce discours enflammé : «force restera à la loi !». Aussi promettent-ils l’enfer à ceux ou celles qui osent élever la voix pour revendiquer leurs droits. Un arsenal de guerre est mobilisé pour contenir la vague contestataire et repousser les assauts d’un peuple mécontent de la manière dont certains dossiers sont gérés, parce que mis sous le coude du Prince. Les forces de l’ordre font alors usage de canon à eau avec ses 15 litres à la seconde, de grenades assourdissantes (Gli F4), de gaz lacrymogène au poivre, de lanceurs «Cougar », de camions anti-émeute, etc. La loi est bel et bien présente lorsqu’il s’agit de réprimer les empêcheurs de tourner en rond, puisque l’enjeu est la conservation du pouvoir obtenu par les urnes, à l’issue d’un processus électoral partiellement transparent.
Mais pourquoi les citoyens ont le sentiment que cette «loi répressive» est souvent aux abonnés absents lorsqu’il s’agit de les protéger contre les abus de tous ordres ? Ils cherchent désespéramment les ailes protectrices de l’Etat face à l’injustice sociale dont ils sont l’objet dans leur quartier, lieu de travail, dans la rue, etc.
Le civisme du désordre
Dans la plupart des cités, les règles élémentaires de bon voisinage sont foulées aux pieds par des «intouchables», de gros bonnets ou des citoyens ordinaires protégés par le parti ou le marabout. L’anarchie prend ses quartiers sur les terres fertiles de l’incivisme dont l’inaction de l’Etat constitue l’humus. L’entretien du cadre de vie, la pollution sonore, la défiguration de l’environnement, etc. sont autant de sujets de préoccupations pour des citoyens qui veulent vivre dans la tranquillité et la sécurité, comme dans un vrai Etat de droit.
Ici, le baptême d’un nouveau-né vous donne le droit d’obstruer le passage, obligeant piétons et véhicules à faire un long détour ; les chants religieux «autorisent» les initiateurs à ouvrir au maximum le volume des haut-parleurs ou des baffles pour que leur dieu, insensible à toute discrétion, entende leurs prières. Ils ne se posent pas la question de savoir s’il y a, dans les maisons, des malades en phase terminale, des élèves qui doivent se lever à cinq ou six heures pour aller à l’école ; des travailleurs qui vont faire de même pour éviter les embouteillages. Pour ces «croyants», le fameux «Jeggulu» (pardon) adressé aux habitants du quartier à la fin du «thiant» suffit à réparer tout le mal causé. Où est l’Etat ? se demandent, à juste titre, ces derniers au beau milieu d’un sommeil à jamais perturbé. Hercule s’est retiré à pas feutrés derrière le rideau du silence, attendant la prochaine répression, laissant ainsi la place au civisme du désordre.
Quid de ce voisin qui prolonge de deux m2 ou plus le mur de sa maison pour y construire un enclos, une boutique, un atelier, etc. Ce voleur du bien de tous ne se laisse même pas intimider par le regard accusateur d’autrui. Que dire du locataire élevant ses moutons sur la terrasse de sa maison, en envoyant toute la puanteur à ses voisins ; du mécanicien vulcanisateur qui installe son atelier en plein virage, avec ces pneus superposés et ces véhicules garés, venus faire le plein d’air. Gare à celui qui osera attirer son attention ! En l’absence de l’Etat, il peut faire ce qu’il veut, sans craindre la moindre sanction.
La symphonie du vide
Ce particulier manipulant son portable dans la circulation, et ce chauffeur de camion frigorifique roulant à vive allure en plein centre urbain, sont tous logés à la même enseigne. Ils se laissent bercer par la symphonie du vide laissé par un Etat-déserteur qui semble moins se préoccuper du quotidien des citoyens.
Ajouter à cela, la surcharge des bus «Tata», des cars rapides, et cars «Ndiaga-Ndiaye» à Dakar et sa banlieue. Complétons le tableau avec ces téméraires chauffeurs de cars rapides ou de taxis «clandos» qui roulent sans permis de conduire. Le spectacle digne d’un film hollywoodien se déroule parfois en présence d’un élément des forces de l’ordre visiblement dépassé par le degré d’incivisme qui règne dans ce pays.
Admirez, s’il vous plait, le «numéro» des charretiers dont les chevaux étalent excréments et urines sur la chaussée, dégageant une odeur âcre à vous couper le souffle. Le plus marrant, c’est qu’ils vous disputent même la priorité, ces vil…. ! Pourquoi ce charretier qui se signale par ses haillons et amulettes bouderait son plaisir à profiter de ce vent d’anarchie qui souffle sur la capitale et le reste du pays.
Une pagaille indescriptible règne aussi sur nos routes nationales, avec ces camions remplis à ras bord de sacs, parfois sans feu de signalisation, ces jeunes conducteurs de bus de transport interurbain sous le coup de l’alcool ou du marijuana, somnolant au volant. Le citoyen excédé interpelle un Etat qui manque toujours à l’appel. Ne réveillez surtout pas un lion qui dort, si son pouvoir n’est point menacé par des activistes ou une jeunesse consciente de ses responsabilités.
Le citoyen dépassé
C’est la même interrogation que formule le travailleur face à un patron plein de connexions et qui fait ce qu’il veut : licenciement abusif, promotion canapé, stages «perpétuels », retards de paiements de salaires ou accumulation de mensualités impayées. L’employé attend que l’Etat vienne le secourir, en vain !
Des épaves de véhicules, des parkings à ciel ouvert, des gargotes, des étals, des vendeurs à la sauvette se faufilant entre les voitures, des demandeurs d’aumône avec leurs dreadlocks barrant les véhicules de particuliers et créant des bouchons monstres juste pour «arracher» quelques pièces ou billets de banque…
Les terres sont arrachées aux ayants droit au profit des agriculteurs du dimanche ou de promoteurs chercheurs invétérés de profits. Où est l’Etat ? La même question est adressée par l’accompagnant du malade qui a fait le tour des hôpitaux à la recherche d’un lit, après avoir, en vain, sollicité les services d’un Samu parfois aux abonnés absents. L’irréparable finira par se produire à cause d’une non prise en charge.
Le citoyen dépassé par ce qui se passe autour de lui, interpelle un Etat dangereusement aphone. Visiblement, la loi perd toute sa force tant qu’il
Un Sénégal tricéphale
L’Etat-déserteur a tourné le dos aux « faibles» condamnés de subir les foudres des «forts » ou des «protégés». La solidarité nationale bat en retraite face à la montée des inégalités, parfois exacerbées par un système qui se nourrit de prévarication, de corruption et de népotisme. Pourrait-il en être autrement dans ce Sénégal tricéphale, c’est-à-dire à trois têtes : celle de Macky Sall et de sa famille ; de ses amis ou de son camp et celle des autres, les laissés-pour-compte.
Le parti présidentiel invoque des "propos séditieux, fractionnistes (…) de l'ancien patron de la majorité à l'Assemblée nationale", qui "entache gravement son image", dans un communiqué signé du président de son conseil de discipline, Abdoulaye Badji
L’Alliance pour la République (APR), le parti de Macky Sall, déclare dans un communiqué avoir exclu définitivement de ses rangs un ancien collaborateur du chef de l’Etat, Moustapha Diakhaté.
"Le conseil de discipline (…) prononce l’exclusion définitive de Moustapha Diakhaté des rangs de l’Alliance pour la République", écrit ladite instance de l’APR dans un communiqué signé de son président, Abdoulaye Badji.
L’APR invoque des "propos séditieux, fractionnistes (…) du camarade Moustapha Diakhaté", qui "entache gravement l’image du parti".
Déjà dans une "mise au point" publiée lundi, le député Abdou Mbow, adjoint du porte-parole national du même parti, déclare que l’ancien député et collaborateur du chef de l’Etat "a tenté de disqualifier les instances" du parti au pouvoir "en visant directement son mode de fonctionnement".
Moustapha Diakhaté "est libre de créer un mouvement (…) en dehors de l’Alliance pour la République", a ajouté M. Mbow.
Selon certains médias sénégalais, M. Diakhaté aurait annoncé avoir créé une instance baptisée "Manko Taxawu Sunu APR".
KARAMBA DIABY, DE MARSASSOUM AU BUNDESTAG
Peu connu dans son Sénégal natale, le premier noir à siéger au Parlement allemand (Bundestag) jouit d’une grande renommée en Europe. Récit d’un engagement au service de la communauté
Karamba Diaby, ce Sénégalais n’est pas très bien connu dans son pays d’origine. Pourtant, il jouit d’une grande renommée en Europe. Il est, en effet, le premier noir à siéger au Parlement allemand (Bundestag). Nous avons récemment rencontré ce natif de Marsassoum, en Casamance, à Dakar, où il a participé à un symposium sur les migrations. Récit d’un engagement au service de la communauté.
Karamba Diaby est un digne fils de la Casamance. A force d’abnégation et d’engagement pour sa communauté, il est parvenu à se faire une place au Bundestag, le Parlement allemand. Elu conseiller municipal de la ville de Halle en 2013, il est reconduit en 2017, suite à des élections législatives très déterminantes en Allemagne qui dispose d’un système parlementaire. Il est parvenu à s’imposer dans une localité estampillée fief néonazi. Son succès est grandissant, des médias européens mettent le projecteur sur sa personne. Mais sur les réseaux sociaux, certains n’hésitent pas à lui coller des clichés dépréciatifs, le taxant même de «singe noir».
Dr Karamba Diaby, qui a subi des agressions verbales, montre une capacité à faire preuve de résilience dans les épreuves. «Il faut dire que l’extrême droite et le populisme ne sont pas spécifiques à l’Est de l’Allemagne, c’est un phénomène général que nous rencontrons en Europe et dans d’autres continents. Même si les partis populistes ont le quart de leur électorat à l’Est de l’Allemagne, je dis toujours que 75% de cette population sont démocrates et ouverts au monde», relativise-t-il, dans un entretien réalisé lors de son séjour à Dakar dans le cadre d’une conférence sur les migrations (le 13 novembre 2019).
Il souligne également qu’il a été une fois victime d’agression physique. C’était en mai 1990. « J’ai été agressée par deux jeunes durant l’unification de l’Allemagne. Cette période était très dure avec un impact sur le taux de chômage. La situation était tendue. Beaucoup d’usines étaient fermées. Mais cela ne s’est pas reproduit depuis lors», fait-il remarquer.
« A tous les racistes : je ne suis pas votre nègre ! »
Et mercredi matin dernier, la violence et l’intolérance sont montées de plusieurs crans lorsque des impacts de balle ont été découverts sur la vitrine de la permanence de Karamba Diaby à Halle. « Une vitrine avec mon portrait présente plusieurs impacts de balle. La police (...) enquête », a écrit le député de 58 ans. La police a confirmé que la vitrine comportait des impacts de balle mais qu'aucun projectile n'avait été retrouvé. La solidarité s’est aussitôt mise en marche. « Tout simplement inconcevable. Répugnant et lâche », a dénoncé le ministre des Affaires étrangères, Heiko Maas, sur Twitter. « Nous allons continuer d'être à vos cotés pour une démocratie libre, tolérante et plurielle. Maintenant plus que jamais! », a ajouté le chef de la diplomatie qui appartient lui aussi au Spd. En 2017, avant les élections législatives, il avait lancé ce message sur Facebook: « A tous les racistes : I'm not your negro! » (« Je ne suis pas votre nègre! »). « Les commentaires sont devenus très, très agressifs » sur les réseaux sociaux, avait également affirmé dans un entretien à l'Afp ce docteur en chimie.
Karamba Diaby, le sourire aimable, avec des gestes qui traduisent une politesse et une certaine courtoisie, montre aussi l’image d’un esprit généreux. D’ailleurs, il considère que son parcours est le fruit d’un engagement sans commune mesure pour le bien-être social. Il a toujours porté des combats d’avenir. « Pour être candidat à la députation, il faut se battre à la base et que celle-ci te soutienne de manière démocratique. En 2013, quand je posais ma candidature, il y avait trois candidats, parmi eux, un pédiatre d’origine allemande qui était très confiant. Mais, le Congrès régional de mon parti m’a élu à 68% en vote secret. Pour vous dire que l’origine et la couleur de la peau ne sont pas importantes, mais le niveau d’engagement au sein de la communauté, et l’espoir que les populations placent en vous priment sur tout. En 2017, j’ai été reconduit», partage-t-il.
Le député allemand, dont le visage s’illumine de joie quand il raconte son parcours, indique qu’il s’est toujours armé du courage d’évoluer selon ses aspirations. Son crédo : jouer un rôle que les populations sont en droit d’attendre. L’ancien militant de la gauche sénégalaise, qui est aussi un promotionnaire du Chef de l’Etat sénégalais, Macky Sall, le souligne. «Il faut reconnaître que notre génération regorge d’hommes et de femmes qui ont pu intégrer les sphères décisionnelles. Le Président Macky Sall en est la preuve. Nous avons partagé la classe de Terminale. Nous nous sommes toujours engagés, depuis le lycée, pour le développement de notre société».
«Je dois beaucoup à ma famille et au Sénégal»
Né à Marsassoum (région de Sédhiou, sud du Sénégal), Karamba Diaby, qui a obtenu son baccalauréat en 1982, au lycée Gaston Berger de Kaolack, après des études primaires à Sédhiou, quitte la Faculté des Sciences de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, après l’obtention d’une bourse d’études pour l’Allemagne. Il s’installe dans ce pays en 1985 pour étudier la Chimie. Mais il lui fallait d’abord maîtriser la langue allemande : la condition pour évoluer dans ce pays. Après une formation intensive de 9 mois, il s’inscrit à l’Université d’où il sort, quelques années plus tard, avec un doctorat en Géo-écologie dans le domaine de l’environnement. Sa thèse de doctorat a d’ailleurs porté sur les jardins urbains en Allemagne.
Se remémorant son enfance, il a témoigné sa gratitude à sa grande sœur et son mari qui ont su l’épauler et lui inculquer des valeurs fortes. «J’ai perdu ma mère quand j’avais 3 mois. Mon père est décédé quand j’avais 6 ans. Ma grande sœur, âgée de 17 ans, à l’époque, et son mari ont assuré mon éducation. Je leur suis très reconnaissant, c’est ce soutien familial qui m’a permis de me maintenir sur la bonne trajectoire».
Pour autant, son discours ne varie point. Pour le député allemand, l’engagement pour sa patrie doit être mis en bandoulière par tout citoyen. «C’est bien d’être brillant en classe, mais ce qui est plus important, c’est de s’engager dans sa communauté et de toujours œuvrer pour le développement de son pays, de se doter d’une bonne capacité pour analyser les situations locales et d’agir pour le bien commun», soutient-il. Cette philosophie a facilité son intégration en Allemagne.
L’homme, qui indique qu’il s’est toujours mis au service du bien commun, a été vite nommé président de l’association des étudiants étrangers de l’université de Halles, un an après son arrivée en Allemagne. Il a été le porte-parole des grévistes de l’Université de Dakar. «Je pense qu’il est important, quand on s’installe dans un pays étranger, de le considérer comme le sien et de se donner à fond pour la communauté dans laquelle on évolue, même si l’on pense retourner plus tard dans son pays d’origine. À l’université de Halle, où j’ai fait ma maîtrise, il y avait trois Sénégalais et plus d’une centaine d’étudiants étrangers. Et c’est sur ma modeste personne qu’ils ont porté leur choix», raconte-t-il.
Raffermissement des liens entre le Sénégal et l’Allemagne
Le parlementaire allemand, une personne avenante et pleine d’assurance, qui mène une vie tranquille avec son épouse allemande et leurs deux enfants sur sa terre d’adoption, souligne qu’il reste sensible aux multiples défis que le Sénégal doit surmonter. Il est, d’ailleurs, resté en contact permanent avec les autorités sénégalaises, de même qu’avec les institutions politiques allemandes présentes au Sénégal. «Le gouvernement sénégalais a des relations très particulières avec le gouvernement allemand. Mes collègues parlementaires viennent souvent au Sénégal, je pense qu’il y a des raisons d’être optimiste», avance-t-il.
Pour lui, il est tout aussi important d’encourager les pays européens à prendre en compte les intérêts et réalités des pays africains dans leur accord de partenariat pour éviter des rapports déséquilibrés. Karamba Diaby annonce la visite, en mars 2020, du vice-président du Parlement allemand, pour la première fois au Sénégal. Ce séjour devra consolider les relations entre les deux pays qui sont, du reste, très dynamiques. «Nous allons profiter de cette occasion pour rencontrer nos collègues sénégalais et discuter de plusieurs projets de développement, même si ; nous avons des systèmes politiques différents. Le Parlement a plus de poids que le gouvernement en Allemagne », rappelle-t-il, saluant ainsi les politiques des deux pays orientées vers l’action. «Je continuerai à nourrir des ambitions fortes pour mon pays, le Sénégal. Je dois beaucoup au Sénégal. La société sénégalaise m’a permis d’arriver là où je suis. C’est pourquoi, je reste ouvert à ce qui se passe, même si, l’électorat qui m’a élu est allemand».
Modèle d’intégration réussie
Présenté comme un modèle d’intégration réussie, Karamba Diaby, qui maîtrise aussi bien l’anglais, le français que l’allemand, indique également que la nouvelle loi définie par l’Allemagne sur les migrations, qui entre en vigueur en 2020, dégage de belles perspectives pour les candidats à l’émigration. «L’Allemagne veut ouvrir son marché aux Africains en leur offrant des conditions légales d’émigration. Nous avons voté, cette année, une nouvelle loi qui gère la migration et qui offre des possibilités de travail aux Africains, mais il faut parler allemand et avoir suivi une formation reconnue », explique le parlementaire. Poursuivant, il ajoute que les offres de cours d’allemand seront intensifiées. « Nous allons augmenter les budgets des institutions politiques allemandes comme l’institut Goethe qui donne des cours d’allemand afin que les personnes qui pensent émigrer puissent apprendre l’allemand et que si les diplômes sont reconnus, qu’ils puissent émigrer. Mais il est important de souligner que ce programme n’est pas uniquement destiné aux diplômés, il vise aussi la main d’œuvre qualifiée. En Allemagne, nous avons 1,2 million d’emplois vacants, nous avons besoin d’experts et de main-d’œuvre », informe-t-il.
L’Allemagne, accentue-t-il, à l’image d’autres pays développés, la fuite des cerveaux ? «C’est une critique qui peut s’avérer juste, mais il faut savoir que ces personnes qui quittent ne voient pas de perspectives dans leur pays, sinon elles n’allaient pas partir. On ne quitte pas volontairement son travail, sa famille, sa région, j’ai toujours aimé rester travailler au Sénégal. A la maison, en Allemagne, j’ai toujours mon "soupe kandja" (plat sénégalais à base de gombo et d’huile de palme) ».
S’il n’aime pas parler de situation interne du Sénégal, Karamba Diaby, qui a siégé avec un autre parlementaire allemand d’origine sénégalaise, plaide pour le maintien des acquis démocratiques du pays. « Le Sénégal est un pays stable avec une démocratie citée en exemple. Durant mes nombreux voyages, quand je dis que je suis Sénégalais, des personnes s’enthousiasment, on ne me voit pas simplement en tant que parlementaire allemand, pour vous dire que le Sénégal a préservé son image de marque à l’étranger, il faut redoubler d’efforts pour la garder», se félicite-t-il.
Toutefois, sur les manifestations contre la hausse du prix de l’électricité, le député souhaite que les autorités sénégalaises parviennent à dialoguer avec les partenaires sociaux, les syndicats pour trouver des solutions idoines dans un proche avenir. «Des parents m’ont font part de leur souci, car ne sachant que faire si les prix continuent à grimper», ajoute-t-il.
VIDEO
LA MAINMISE D'ISABEL DOS SANTOS SUR LES RICHESSES DE L'ANGOLA
L’enquête menée par le Consortium international des journalistes d’investigation révèle les montages financiers mis en place par la femme la plus riche d’Afrique, fille de l’ancien président angolais, pour accaparer l’argent de sociétés publiques du pays
Le Monde |
Joan Tiliouine |
Publication 21/01/2020
Nous devons créer un nou veau récit pour l’Afrique.» Regard droit et voix ferme, Isabel dos Santos présente sa vision du continent aux étudiants de la prestigieuse
université américaine Yale, le 13 avril 2018. L’auditoire est fasciné par le discours de la femme la plus riche d’Afrique, dont la fortune dépasse les 3 milliards de dollars. Télécom munications, banques, énergie, diamants, médias, grande distribution, immobilier... Rien n’a résisté à cette élégante quadragé naire, qui orchestre un empire économique et financier actif principalement en Angola et au Portugal.
Soucieuse de se défaire de son image d’héritière, la fille de l’ancien président angolais José Eduardo dos Santos, qui a régné sans partage de 1979 à 2017, écume les conférences internationales, en apôtre d’un afrooptimisme libéral, tendance décomplexée. Aussi à l’aise dans les conseils d’administration de sociétés qu’au sein de la jetset, elle s’exprime sans ambages au nom de l’Afrique tout entière. Ce 13 avril 2018, à Yale, elle appelle à l’avènement d’un « nouveau système ».
Pourtant, un mois plus tôt, le ciel s’était as sombri sur ses affaires. Les autorités angolai ses ont ouvert une première enquête judi ciaire sur des soupçons de détournement de fonds publics de 38 millions de dollars. Nommée en juin 2016 par son père à la tête de la société pétrolière publique Sonangol, Mme dos Santos est soupçonnée d’avoir détourné l’argent du contribuable au bénéfice d’une société de Dubaï, Matter Business Solutions DMCC, gérée par son conseiller financier personnel et dont l’actionnaire unique est une amie et associée portugaise de la milliardaire.
En réalité, ce sont 58 millions de dollars qui ont été transférés par Sonangol à Matter quelques heures après le limogeage d’Isabel dos Santos, le 15 novembre 2017, par le nouveau président de l’Angola, Joao Lourenço. Ce jour là, à 19 heures, elle reçoit par courriel une confirmation de virement vers la société émiratie soupçonnée d’être une de ses caisses noires. Matter et une autre coquille enregistrée à Dubaï, toutes deux liées à Isabel dos Santos, ont ainsi perçu environ 115 millions de dollars de Sonangol entre mai et novembre 2017.
Ces informations sont extraites des «Luanda Leaks», l’enquête menée par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) avec 36 médias internationaux partenaires, dont Le Monde, et qui s’appuie sur la fuite de 700000 documents. Ils jettent une lumière crue sur les pratiques corruptives présumées d’une nouvelle élite africaine, rompue aux rouages de la finance offshore.
Ces fichiers, d’abord reçus par la Plateforme de protection des lanceurs d’alerte en Afrique, dévoilent quelques uns des secrets de la nébuleuse d’Isabel dos Santos, composée de plus de 400 sociétés identifiées dans 41 pays. Les « Luanda Leaks » sont en partie issus de la société de gestion financière d’Isabel dos Santos, établie au Portugal. Cette fuite de données, transmise anonymement, probablement issue d’un piratage informatique, surgit dans un contexte politicojudi ciaire angolais propice aux manipulations.
Face à la récession qui frappe l’Angola, le nouveau chef de l’Etat, Joao Lourenço, a lancé une spectaculaire lutte anticorruption. De puis son arrivée au pouvoir en septem bre 2017, il a traqué les avoirs angolais à l’étranger et n’a pas épargné le clan dos San tos. La « princesse » de Luanda, ainsi qu’est surnommée Isabel dos Santos, dénonce une « chasse aux sorcières politisée », peste contre des accusations « fabriquées » et fulmine con tre le successeur de son père.
SAISIE PRÉVENTIVE DES COMPTES
« On est comme des moutons dans le couloir de l’abattoir », déclare au Monde Sindika Dokolo, son époux et associé. A 46 ans, l’homme d’affaires danois d’origine congolaise, lui aussi héritier d’un empire familial encouragé puis démantelé par Mobutu Sese Seko au Zaïre (actuelle République démocratique du Congo), parle plus volontiers de sa collection d’art que de ses sociétés offshore. Fin décembre 2019, la justice angolaise a ordonné la saisie préventive des comptes et des actifs d’Isabel dos Santos et Sindika Dokolo, accusés d’avoir dé tourné 1milliard de dollars des caisses de l’Etat. Au Portugal comme à Monaco, le parquet général vient par ailleurs d’ouvrir une enquête pour blanchiment d’argent public.
Alors, le couple a entamé une cavale de luxe entre Londres, Barcelone – où s’est finalement installé l’ancien président José Eduardo dos Santos et père d’Isabel – et Dubaï. Il regrette subitement l’ancien « système » népotique et kleptocratique qui lui garantissait un accès privilégié aux milliards de pétrodollars de l’Etat.
Née à Bakou en 1973, alors en Union soviétique, où son père poursuivait ses études, diplômée en ingénierie de King’s College, à Londres, à 21 ans, Isabel dos Santos parle six langues et s’essaie très tôt aux affaires dans un Angola encore plongé dans la guerre civile (1975-2002). Outre un restaurant au bord de la plage, à Luanda, elle s’essaye au négoce de diamants, dès le début des années 2000, par le biais d’une société enregistrée à Gibraltar.
Aux côtés de sa mère, Tatiana Sergueïevna Koukanova Regan, ingénieure russe passée par Sonangol, elle se voit octroyer par la présidence 24,5 % des parts de la société qui a le monopole sur les pierres précieuses, puis 25 % de participation dans Unitel. Joyau de son empire, le plus important opérateur de télécommunications d’Angola, surnommé « Isatel », revendique désormais 11 millions de clients et 3 500 emplois directs.
Après vingt sept ans de guerre civile, le pays, porté par une croissance phénoménale, se reconstruit, bénéficiant de la hausse des prix de l’or noir, dont l’Angola est le deuxième producteur d’Afrique subsaharienne. C’est à cette période que des dizaines de milliards de pétrodollars disparaissent des caisses de l’Etat, pendant que plus de la moitié des Angolais survit avec moins de 2 dollars par jour.
On ne refuse alors rien à la fille du chef de l’Etat qui élabore dans l’ombre un schéma d’accaparement des richesses publiques, comme le montrent les « Luanda Leaks ». Grâce à la bienveillance de son père, elle s’associe le plus souvent à des entreprises d’Etat qui lui apportent de l’argent du contribuable angolais ou qui empruntent dans des banques qu’elle contrôle. Avec ces fonds, Isabel dos Santos et son époux se chargent d’établir des jointventures qu’ils intègrent dans leurs circuits financiers offshore sophistiqués. Ceux-ci sont activés, officiellement pour faire fructifier l’investissement de ses partenaires publics, qui se disent privés des dividendes. Puis les sociétés publiques sont éjectées de l’affaire sans toujours être remboursées.
STRATAGÈME FINANCIER
C’est ainsi qu’en 2005 la Sonangol investit 200 millions de dollars dans un joint venture créé avec le couple, en 2005. Objectif : acquérir des parts du géant pétrolier portugais Galp. Pour ce faire, ils créent Esperaza, dont le capital se répartit entre Exem, la holding suisse de Sindika Dokolo, et Sonangol, majoritaire. Sauf que, rapidement, la société pétrolière publique se dit tenue à l’écart.
Son époux rachète pourtant encore à Sonangol pour 75 millions d’euros les parts détenues dans l’entreprise pétrolière portugaise Galp. Belle affaire que cette acquisition, dont l’actif est plutôt évalué à 340 millions d’euros. Cette fois, l’opération se fait par une société néerlandaise contrôlée par le couple, Exem Energy BV, qui ne règle que 11 millions d’euros. Le reste est transformé en un prêt qui n’aurait pas été remboursé, selon Sonangol. «Exem a accepté la condition selon laquelle le rembour sement serait effectué en kwanzas [la monnaie angolaise] au lieu d’euros lors d’un accord écrit et validé par le PDG de la Sonangol, fait sa voir M. Dokolo par le biais de ses avocats. Exem a remboursé l’intégralité du prêt, y com pris les intérêts, le 13 octobre 2017. »
Ces 40 % détenus dans Galp n’ont cessé de prendre de la valeur. Isabel dos Santos et Sindika Dokolo pourraient bien avoir réalisé une jolie opération sans avoir investi un euro de leur poche. « L’investissement commun était de 195millions d’euros. Aujourd’hui, cet actif vaut 1,7 milliard. Cet investissement a généré un grand rendement pour toutes les parties qui ont investi», réplique Isabel dos Santos.
Son stratagème financier va plus loin. Selon les « Luanda Leaks », Isabel dos Santos va s’accaparer les 126 millions d’euros de dividendes d’Esperaza versés par Galp à ses actionnaires angolais. Sonangol n’a pas de retour sur son investissement et ignore que les dividendes ont discrètement été placés sur un compte bancaire à la Deutsche Bank. Lorsque cette banque se rend compte que le clan dos Santos se cache derrière Esperaza, elle décide de bloquer des transactions. Les fonds sont alors placés à la banque portugaise BIC (devenue Euro Bic), dont Isabel dos Santos détient alors 45 % des parts. Ensuite, l’argent est transféré sur un compte ouvert dans la filiale de l’établissement au CapVert, où les moyens pour lutter contre le blanchiment sont faibles, selon les analystes. «A la demande de Sonangol, Esperaza s’est abstenu de verser des dividendes, car cela aurait pro voqué une importante retenue fiscale, vu qu’il n’y a pas d’accord de nondouble taxation en place », se défend M. Dokolo.
Ce qui ressemble à une manipulation financière imposée à Sonangol a été largement dupliqué par le couple avec d’autres entreprises publiques angolaises, comme dans le secteur du diamant, prisé par M. Do kolo. Dandy flamboyant, il s’offre des voitures de luxe et profite, avec son épouse, de leur yacht privé et de leurs propriétés à Luanda, à Monaco, à Dubaï, à Lisbonne...
Isabel dos Santos, elle, développe Unitel, son opérateur de télécoms, à sa manière. Elle a ainsi accordé, entre mai 2012 et août 2013, selon les « Luanda Leaks », 7 prêts à des conditions préférentielles pour un montant total d’environ 450 millions de dollars à une autre de ses sociétés néerlandaises, Unitel International Holdings (ex Jadeium). Malgré son nom trompeur, cette entité n’a aucun lien avec le groupe de télécommunications. En tant que présidente du conseil d’administration d’Unitel, la milliardaire n’a pas consulté les trois autres actionnaires que sont la compagnie pétrolière Sonangol, le groupe brésilien Oi (à travers sa filiale portugaise PT Ventures) et la société Geni, propriété d’une autre figure de proue du réseau clientéliste du clan détenue par Unitel, pour qui elle n’a généré aucune perte ». Début 2019, Isabel dos Santos a été condamnée à régler 650 millions de dollars à PT Ventures, qui s’estime aussi lésé de dividendes. Selon les « Luanda Leaks », Isabel dos Santos a pu bénéficier de plus de 1 milliard de dollars au total de dividendes et de prêts préférentiels de la part d’Unitel.
« Certaines choses dont vous nous accusez ne sont même pas illégales dans le droit angolais », rétorque M. Dokolo. Revient cette phrase qu’il avait prononcée lors d’un entretien accordé au Monde en 2017 sur les soupçons qui pesaient déjà sur lui : « Je préfère que la richesse du continent revienne à un Noir corrompu plutôt qu’à un Blanc néocolonialiste. » Contactée par Le Monde et ICIJ, Mme dos Santos nie tout « acte répréhensible », ne voyant «aucun mal à ce qu’un Angolais ait un joint venture avec une entreprise d’Etat ». José Eduardo dos Santos, 77 ans, établi dans l’une de ses propriétés de Barcelone, où il reçoit des soins médicaux, n’a pas souhaité réagir.
Grâce à ces circuits complexes qui ont pu permettre d’aspirer l’argent du contribuable angolais, le couple a développé ses projets toujours présentés comme « inspirants » pour l’Afrique. Isabel dos Santos devait une fois de plus raconter son histoire au Forum économique mondial de Davos, en Suisse, qui se tient du 21 au 24 janvier. Sa venue, comme dirigeante d’Unitel, a finalement été annulée. Le « nouveau récit » imaginé par Isabel dos Santos se réécrit sur le terrain judiciaire, en Angola comme en Europe. Cette fois, elle ne tient plus la plume.
par Pouye Ibra
ET SI LE PANAFRICANISME ÉCONOMIQUE DEVENAIT UNE RÉALITÉ ?
La Zlec doit être dans une logique de complémentarité entre états parce que l’Afrique, terre de Lucie, est ô combien riche mais mal exploitée, laissant ses propres populations en rade et dans une extrême pauvreté
L’Afrique, une autre réalité. L’Afrique, un autre terrain tellement glissant qu’on s’y perdrait. L’Afrique, un autre univers tellement compliqué qu’on y laisserait son âme. Ce que ahane à tout va la presse occidentale, abonnée aux malheurs et affres du continent africain. Inutile de ressasser cette idée saugrenue parce que l’Afrique est en marche et renaît peu à peu de ses cendres enfouies dans la braise.
En effet, le panafricanisme économique est en train de renaître grâce à certains chefs d’Etat qui veulent poursuivre le rêve déjà entamé des pères de certains dirigeants comme Kwamé Krumah, Thomas Sankara etc. Un projet-phare lancé par le président Paul Kagamé. Le sphinx africain. Un modèle de dirigeant même s’il est d’obédience libérale et gérant ce petit Rwanda avec une main de fer. Est-ce utile ce mode de gouvernance ? Une question faisant référence à une pléthore de réponses on ne peut plus claires. Au début de ce projet, le Nigeria, une des locomotives de l’économie africaine opposa un niet, faisant fi de cette unité africaine tant chantée par les pères fondateurs du panafricanisme. En fait, la Zlec permet aux économies africaines locales de tendre vers le développement et l’émergence mais dans un but purement inclusif et africain. La Zlec, du Caire au Cap en passant par Dakar à la corne de l’Afrique, permet aux pays africains de s’émanciper sur le plan économique. Ce rêve tant caressé est en train de devenir une réalité. L’Afrique s’unit enfin pour être une force pouvant porter très haut sa voix dans le concert des nations. La Zlec permet un libre-échange entre états en termes de personnes, de services, de marchandises et de transfert de capitaux. Mais ne serait-ce que cela? Serions-nous libres et autonomes à ce point ? Vu l’histoire nous liant à l’Europe. Car cette dernière nous avilit et continue de pomper nos richesses avec la complicité de certains chefs d'Etat du continent.
En effet, la Zlec est née pour être un grand marché africain. Sur le papier, le projet fait pâlir de jalousie certains. Ce dernier devient un rêve à portée de main. Et elle est aussi une autre forme d’expansion économique entre états africains. Elle deviendra la plus grande zone de libre-échange au monde. En fait, avec la Zlec, certaines contraintes tarifaires voire douanières seront levées. Une certaine émergence doublée d’une autonomie économique par le biais du libre-échange. Mais il est évident que ce projet mettra des décennies à se mettre en place mais l’idée est ô combien ambitieuse et audacieuse! Effectivement, il faut à l’Afrique de la folie dans ses idées pour pouvoir avancer cahin-caha sur le chemin du développement. Les difficultés s’amoncellent déjà et ne sont pas que d’ordre économique. Les obstacles sont aussi très politiques.
Regardons tout près de nous ; le Maroc et l’Algérie, le Rwanda et le Congo-Kinshasa empêtrés dans des conflits larvés sur fond de divisions. Les guerres sur fond de critères ethniques; au Mali, en Centrafrique et tutti quanti. La plupart des économies locales africaines sont trop tournées vers l’exportation, vers ce marché ô combien complexe ! Et laissant le marché intérieur africain exsangue. Peu d’entente entre états et une situation alarmante. En effet, la Zlec doit être dans une logique de complémentarité entre états parce que l’Afrique, terre de Lucie, est ô combien riche mais mal exploitée, laissant ses propres populations en rade et dans une extrême pauvreté. Produire différemment est le credo que s’est fixée la Zlec et échanger autrement aussi est le maître-mot de ce méga projet. Il faut industrialiser de plus en plus les matières premières. Les commercialiser pour les mettre sur les marchés de la concurrence. Mais cette Afrique-là devra se réinventer et se transformer si elle veut atteindre cette émergence tant criée et festinée sur tous les toits du monde. Un des problèmes majeurs de la Zlec est l’enclavement d’une dizaine de pays sur les 54 que compte le continent. Ce qui rend à priori le libre-échange continental difficilement applicable. En tous les cas, l’Afrique si elle veut réussir, devra imposer la notion de solidarité entre ses états. Et l’enjeu de ce projet est une question de survie. Le Nigeria, l’Afrique du Sud, l’Egypte, le Kenya ou le Ghana devront aider les autres qui sont dans le besoin. C’est cela la solidarité. Redistribuer les richesses aux plus pauvres. Gageons que la Zlec sera dans cette logique du partage des connaissances et des richesses sinon elle ne sera que pertes et profits.
Cependant, le bât blesse chez certains leaders du continent craignant une concurrence déloyale des pays asiatiques, notamment la Chine et l’Inde qui inondent le marché africain de produits manufacturés et à très bas coût. Mais pour parer à cette éventualité, le marché africain doit être sérieux et pouvoir se doter d’une arme redoutable, penser autrement tout en s’appropriant des réalités du terrain.
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LONDRES RENFORCE SES INVESTISSEMENTS EN AFRIQUE
Ibrahima Cheikh Diong, spécialiste des investissements avec le continent, revient sur les différents accords passés entre Londres et les pays africains, en marge du sommet Grande-Bretagne-Afrique
Ibrahima Cheikh Diong, spécialiste des investissements avec le continent, revient sur les différents accords passés entre Londres et les pays africains, en marge du sommet Grande-Bretagne-Afrique. Entre autres secteurs concernés : l'énergie et l'agrobusiness.
par Kako Nubukpo
ECO ET FCFA, QUATRE MARIAGES ET UN ENTERREMENT
Pourquoi le Nigeria accepterait-il d’être le prêteur en dernier ressort de la Cedeao, rôle qu’il n’a pas voulu jouer lors de la mise en place de la seconde zone monétaire de l’Afrique de l’Ouest (ZMAO) en 2002 ?
Jeune Afrique |
Kako Nubukpo |
Publication 21/01/2020
« Quand quelqu’un fait semblant de mourir, il faut faire semblant de l’enterrer », estime l’économiste Kako Nubukpo, qui envisage quatre scénarios consécutifs au remplacement du franc CFA par l’eco.
La libération de la parole monétaire en Afrique Zone Franc, consécutive à l’annonce le 21 décembre 2019 à Abidjan (Côte d’Ivoire) de la fin prochaine du franc CFA et son remplacement par l’eco, donne lieu à tous les excès possibles et imaginables, surtout de la part des « combattants de la 25e heure », qui découvrent aujourd’hui que le franc CFA n’est pas une monnaie compatible avec l’émergence de l’Afrique francophone.
Mais s’il est important de continuer à mettre la pression sur le franc CFA, il est également indispensable de proposer les contours envisageables de la transition vers la monnaie de remplacement, l’eco, dont la (re)naissance fut annoncée le 29 juin 2019 à Abuja (Nigeria) par le Sommet des chefs d’État et de gouvernement de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao). À cet égard, quatre options – parmi d’autres – paraissent tenir la route pour marier les 15 États membres conviés au banquet de l’eco [1] :
L’eco, simple avatar du franc CFA
Ce schéma, qui semble avoir inspiré les déclarations d’Abidjan du 21 décembre 2019, est fondé sur le respect des critères nominaux de convergence et une attraction forte pour un régime de change fixe avec l’euro. Il parie sur l’élargissement progressif de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) aux économies de la Cedeao ayant le même profil d’exportatrices de matières premières agricoles que celles de ses membres.
Dans cette option, la centralisation des réserves de change est fondamentale, et c’est le principal acquis de l’histoire du franc CFA. Elle suppose une grande solidarité politique entre États membres et il ne faudra pas l’oublier en cas d’élargissement de la zone monétaire. De même, la question de la garantie extérieure, telle que la France l’exerce dans le contexte institutionnel du franc CFA, a une forte dimension politique : elle fonde la stabilité du système en théorie et en pratique.
Si l’on garde le principe de la centralisation des réserves, mais en recentrant leur gestion dans un autre cadre institutionnel, la souveraineté monétaire passe de la France à l’Uemoa puis à la Cedeao. Se pose également la question de la parité : elle a fait l’objet il y a quelques années d’importants travaux pour proposer un système de changes flexibles, ou mieux, ajustables, car fondé sur un index calculé à partir d’un panier de monnaies. L’annonce faite à Abidjan du maintien d’un change fixe avec l’euro à titre transitoire est le véritable point d’achoppement entre les tenants d’une monnaie flexible (Cedeao) et ceux d’un eco-CFA (Côte d’Ivoire et Sénégal).
Un eco fondé sur la convergence réelle, celle du PIB/tête
Dans ce cas de figure, les économies de la Cedeao auraient l’obligation de converger vers le trio de tête que constituent le Cap-Vert, le Nigeria et le Ghana. L’eco aurait un régime de change flexible encadré par un ciblage de l’inflation. La dynamique de convergence serait alors toute autre et les États de l’Uemoa perdraient leur statut de bons élèves de la convergence, et donc de tracteurs du processus de mise en œuvre de l’eco.
Mais le Nigeria, véritable poids lourd de la Cedeao (70 % du PIB et 52 % de la population) est-il prêt à assumer un rôle de locomotive de la zone eco ? Pourquoi accepterait-il d’être le prêteur en dernier ressort de la Cedeao, rôle qu’il n’a pas voulu jouer lors de la mise en place de la seconde zone monétaire de l’Afrique de l’Ouest (ZMAO) en 2002, et surtout d’abandonner sa monnaie, le naira, dans un contexte actuel marqué par l’utilisation de la planche à billets pour résoudre les tensions internes à la fédération nigériane ?
L’eco-naira
On reviendrait ici à la philosophie initiale de la ZMAO. En effet, le 20 avril 2000 à Accra (Ghana), six pays ouest-africains (Gambie, Ghana, Guinée, Liberia, Nigeria, Sierra Leone) ont annoncé leur intention de créer une seconde zone monétaire en Afrique de l’Ouest avec comme monnaie l’eco, à côté du franc CFA de l’Uemoa. Le projet prévoyait une fusion ultérieure de ces deux zones, afin de faire coïncider les frontières de l’Union monétaire avec celles de la Cedeao. En avril 2002, la Zone monétaire ouest-africaine (ZMOA) fut instaurée, et chaque pays s’engagea à maintenir son taux de change à l’intérieur d’une bande de fluctuations de 15 % par rapport au dollar.
Depuis lors, l’inertie fut palpable, s’agissant de la mise en place de la monnaie unique, avant le Sommet de la Cedeao du 29 juin 2019 à Abuja annonçant la création en 2020 de l’eco et le communiqué du Conseil des ministres de la ZMAO du 16 janvier dernier, accusant les États de l’UEMOA de violer l’esprit de la monnaie eco suite à la déclaration d’Abidjan. Tout ceci pourrait déboucher sur la création d’un « eco-naira », sous la houlette d’un Nigeria piqué au vif par l’initiative francophone d’un « eco-CFA » en passe de se réaliser.
L’eco, monnaie commune et non unique
Il s’agirait d’un accord plus « léger » que celui d’une monnaie unique. Cette idée, premier pas d’un processus d’intégration entre pays, a été proposée dès 1960, par l’économiste sénégalais Daniel Cabou, qui deviendra plus tard le premier secrétaire général de la BCEAO. La proposition, reprise neuf ans plus tard par l’économiste égyptien Samir Amin dans un rapport au président nigérien Amany Diori, fut finalement délaissée.
Elle pourrait resurgir aujourd’hui, si les pays qui ne sont pas encore en mesure d’adhérer à la monnaie unique se lient à celle-ci par des accords de taux de change. Les mécanismes de résorption symétrique des déséquilibres de balance commerciale pourraient aider à une remise en circulation des surplus à l’intérieur de la zone Cedeao, en incitant à des processus de spécialisation entre économies qui sont la base d’une augmentation du commerce intra-zone. Laquelle est à son tour l’un des objectifs économiques et politiques majeurs du processus d’intégration.
Au final, plusieurs options sont sur la table des décideurs ouest-africains. Le processus de création de l’eco apparaît comme un véritable test de crédibilité de la vision et de la gouvernance ouest-africaines. Pour la France, ce processus serait plutôt un test de sincérité de sa volonté d’enterrer effectivement le franc CFA.
Un proverbe togolais dit: « quand quelqu’un fait semblant de mourir, il faut faire semblant de l’enterrer ». Organisons les funérailles du franc CFA et, au moment de son enterrement, c’est-à-dire lors de la création effective l’eco, on actera le décès de l’ex franc des colonies françaises d’Afrique. Si tel n’est pas le cas, il bougera et la lutte reprendra !
[1] Massimo Amato – Kako Nubukpo, Una nuova moneta per gli Stati dell’Africa dell’Ovest. Le condizioni teoriche e politiche della sua fattibilità, à paraître en mars 2020 dans Moneta e Credito, numéro spécial (Modelli di sviluppo e aree monetarie: percorsi alternativi e vincoli strutturali).