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30 mai 2025
ÉCHEC ET MAT POUR LES DROITS DE DOUANE DE TRUMP
La justice fédérale vient de suspendre les droits de douane "réciproques" imposés en avril dernier. Cette victoire des milieux économiques chamboule les négociations internationales et remet en cause les pouvoirs présidentiels en matière commerciale
(SenePlus) - Un revers juridique majeur vient de frapper l'administration Trump. Mercredi 28 mai, la justice fédérale américaine a suspendu les droits de douane imposés par le président lors de son "jour de la libération" du 2 avril, remettant en cause sa stratégie commerciale agressive et ses pouvoirs présidentiels.
Le Tribunal du commerce international de New York, saisi par cinq entreprises et douze États fédérés menés par l'Oregon, a estimé que Donald Trump avait outrepassé ses prérogatives. Les trois juges ont annulé "les droits de douane contestés" qui frappaient l'ensemble de la planète d'un minimum de 10%, ainsi que les taxes spécifiques imposées au Canada et au Mexique (25%) et à la Chine (20%).
La décision judiciaire s'appuie sur l'International Emergency Economic Powers Act (IEEPA) de 1977, que Trump avait invoqué pour justifier ses mesures. Selon Le Monde, "le tribunal n'interprète pas l'IEEPA comme conférant une telle autorité illimitée et annule les droits de douane contestés imposés en vertu de celle-ci."
Ces droits de douane, imposés lors du "jour de la libération" du 2 avril "Jour de la libération", visaient trois objectifs selon l'administration Trump : rééquilibrer la balance commerciale américaine, lutter contre le trafic de fentanyl et créer un effet de levier dans les négociations internationales.
Une victoire pour l'opposition et les milieux économiques
La réaction de l'entourage présidentiel a été immédiate et virulente. Stephen Miller, conseiller de Trump, s'est indigné : "Le coup d'État judiciaire est hors de contrôle", tandis qu'un porte-parole de la Maison Blanche, Kush Desai, a déclaré : "Il n'appartient pas à des juges non élus de décider de la meilleure façon de gérer une urgence nationale."
Paradoxalement, l'un des trois juges du panel avait été nommé par Ronald Reagan, et un autre par Trump lui-même, ce qui n'a pas empêché l'administration de crier au "coup d'État judiciaire".
Les marchés financiers ont salué cette décision avec enthousiasme. "Wall Street fêtait la nouvelle", rapporte Le Monde, avec des hausses de 1,6% pour le S&P 500 et de 2% pour le Nasdaq mercredi soir.
Les démocrates ont applaudi cette décision historique. Le sénateur de l'Oregon Ron Wyden a déclaré : "J'ai affirmé, dès le départ, que la déclaration de Donald Trump selon laquelle il pourrait simplement décréter de nouvelles taxes exorbitantes sur les produits importés requérait une déconstruction de la Constitution au point de la rendre méconnaissable."
La procureure générale de New York, Letitia James, y voit "une victoire majeure pour les familles de travailleurs, les entreprises et l'État de droit. Le président ne peut ignorer la Constitution et imposer des hausses d'impôts massives au peuple américain."
Les arguments juridiques du tribunal
Le tribunal a développé trois arguments principaux pour justifier sa décision. D'abord sur la séparation des pouvoirs : "Une délégation illimitée de l'autorité tarifaire constituerait une abdication abusive du pouvoir législatif au profit d'une autre branche du gouvernement", ont écrit les juges selon Le Monde.
Ensuite, ils ont récusé l'interprétation extensive de la loi IEEPA par l'administration Trump. "La Cour interprète l'expression 'réglementer les importations' comme l'octroi d'une autorité plus limitée afin de préserver 'l'exercice séparé et distinct des différents pouvoirs du gouvernement', essentiel à la préservation de la liberté."
Enfin, le tribunal a rejeté l'argument de l'urgence nationale invoqué pour justifier ces mesures exceptionnelles. "Les droits de douane mondiaux et de rétorsion ne respectent pas les limitations imposées par le Congrès au pouvoir du président de réagir aux déficits de la balance des paiements", ont tranché les magistrats.
Cette décision "chamboule les négociations en cours avec plusieurs pays, comme le Japon, le Vietnam ou l'Union européenne et elle ruine la tactique de menaces infligées puis retirées par Donald Trump", analyse Le Monde. Le représentant américain au commerce, Jamieson Greer, avait d'ailleurs averti qu'une décision de justice contre l'administration pourrait entraver les efforts de négociation.
L'administration Trump a immédiatement interjeté appel, ouvrant la voie à une bataille juridique qui pourrait remonter jusqu'à la Cour suprême. Le tribunal a donné dix jours au gouvernement pour suspendre ses droits de douane, selon le New York Times.
Cette décision ne concerne pas tous les droits de douane imposés par l'administration Trump, mais uniquement ceux relevant de l'IEEPA. Les taxes sur l'acier, l'aluminium et les automobiles, édictées sous d'autres autorités juridiques, restent en vigueur.
Il s'agit néanmoins d'un "tremblement de terre" politique et économique, selon Le Monde, qui rappelle que "le président agissait manifestement hors du cadre juridique américain" avec ces mesures d'urgence.
COMPRENDRE L'ASCENSION, FÊTE CHRÉTIENNE QUI CLÔT LE CYCLE PASCAL
Cette disparition du Christ vers les cieux structure la foi chrétienne depuis deux millénaires et explique notamment la centralité de l'eucharistie dans le culte
(SenePlus) - Ce jeudi 29 mai 2025, les chrétiens du monde entier célèbrent l'Ascension, une fête qui marque "la montée de Jésus vers Dieu" quarante jours après sa résurrection. Au-delà du jour férié bien connu, cette célébration revêt une signification théologique profonde qui structure la foi chrétienne depuis près de deux millénaires.
L'Ascension constitue "le troisième volet d'un triptyque essentiel pour les chrétiens", rappelle Le Monde. Après la crucifixion commémorée le Vendredi saint et la résurrection fêtée le dimanche de Pâques, elle marque l'ultime étape de la vie terrestre du Christ. Cette année, "pour les catholiques et une large partie des protestants, adeptes du calendrier grégorien (...), comme pour les orthodoxes, qui se basent toujours sur le calendrier julien", les célébrations ont lieu simultanément.
Selon les Évangiles, après sa résurrection, "Jésus apparaît aux apôtres, à ses amis et disciples, hommes et femmes, pour leur livrer ses derniers enseignements sur le règne de Dieu" pendant quarante jours. L'épisode de l'Ascension est relaté par les évangélistes Marc et Luc : "Le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, fut enlevé au ciel et s'assit à la droite de Dieu", écrit Marc, tandis que Luc précise : "Après quoi il les mena dehors jusqu'en Béthanie, et levant ses mains en haut, il les bénit. Et il arriva qu'en les bénissant, il se sépara d'eux, et fut élevé au ciel."
Contrairement à Pâques ou à Noël, l'Ascension n'appartient pas aux célébrations chrétiennes primitives. Alain Rauwel, historien spécialiste de l'Église latine, précise dans Le Monde que "l'Ascension est une fête secondaire par rapport aux grands cycles de Pâques et de la Nativité. À Jérusalem, elle n'est pas attestée à la fin du IVe siècle, mais seulement connue quelques décennies plus tard. À Rome, elle intègre le cycle festif au Ve siècle seulement."
Les premières communautés chrétiennes "semblent avoir fêté Pâques pendant cinquante jours, jusqu'à la Pentecôte, qui marque la venue de l'Esprit saint", avant de distinguer progressivement les différentes étapes du mystère pascal.
La clé théologique du christianisme
L'Ascension occupe une place centrale dans la compréhension chrétienne du salut. Pour les catholiques, le catéchisme affirme qu'elle "marque l'entrée définitive de l'humanité de Jésus dans le domaine céleste de Dieu d'où il reviendra."
Cette disparition du corps physique du Christ revêt une importance particulière pour la doctrine eucharistique. "Le corps eucharistique, dans le christianisme, est considéré comme le substitut sacramentel d'un corps physique absent", explique Alain Rauwel. "De ce point de vue, l'Ascension joue un rôle déterminant : il faut que le Christ-homme ne soit plus du tout présent sur terre pour que le sacrement eucharistique prenne tout son sens."
Cette dimension est particulièrement marquée dans le protestantisme. Daniel Marguerat, historien et professeur de théologie à l'université de Lausanne, souligne que "désormais absent, Jésus est le 'Seigneur caché du monde', reconnu par Dieu. Cette étape est particulièrement importante dans la foi protestante." Il ajoute : "On ne trouve d'ailleurs pas de crucifix dans les églises protestantes. La croix est nue parce que le Christ a été enlevé."
Le délai de quarante jours entre la résurrection et l'Ascension n'est pas anodin. Ce chiffre, récurrent dans la Bible hébraïque - "que l'on pense aux quarante jours du Déluge ou aux quarante ans d'Israël dans le désert" - puis dans le Nouveau Testament avec "les quarante jours de la tentation de Jésus par Satan dans le désert", possède une forte charge symbolique.
"L'homme a besoin de maturation", explique Daniel Marguerat. "Il existe des étapes dans la vie des hommes avec Dieu. Pendant quarante jours, les apôtres ont connu une expérience visionnaire intense, au cours de laquelle ils ont vu le Christ – vu, et non touché. Après cette période, lorsque les visions cessent, il faut un temps de deuil, en quelque sorte, pour admettre l'absence de Jésus."
En France, "le jeudi de l'Ascension est resté férié depuis l'accord concordataire passé entre Napoléon Bonaparte et le pape Pie VII, en 1801." Cette particularité française contraste avec d'autres pays catholiques où "les évêques ont décidé, dans les années 1970, de célébrer l'Ascension un dimanche, afin de ne pas ajouter de jour chômé", comme en Espagne ou en Italie.
L'Ascension s'inscrit dans une cosmologie biblique où "Dieu se trouve au-dessus de sa création : de la voûte céleste où sont les astres, de la terre où est la vie, du royaume sous-terrain des morts." Cette montée vers les cieux rappelle d'ailleurs "celles d'Hénoch et d'Élie, dans la Bible hébraïque", note Alain Rauwel, même si dans le cas du Christ, "l'ascension vient après la mort."
Au-delà de sa dimension liturgique, l'Ascension demeure ainsi "une clé de compréhension de la conception chrétienne du corps, de la vie, de la mort et du destin de l'homme", offrant aux croyants une perspective sur leur propre destinée spirituelle dans la foi en un "Seigneur" désormais "associé par Dieu à sa gloire."
par Pape Touty Makhtar Sow
LANDING SAVANÉ, UN HOMME DE MISSIONS
EXCLUSIF SENEPLUS - Ingénieur statisticien, poète, théoricien politique et panafricaniste : il a marqué plusieurs générations par la diversité de ses talents et la constance de ses convictions. Témoignage de cinquante ans d'amitié
Il y a cinquante ans, je partageais avec Landing Savané la même chambre au Camp Pénal de Dakar. Nous avions été reconnus coupables, en mars 1975, de diffusion d’un journal ronéotypé, nommé XAREBI, dans un contexte où les libertés démocratiques, notamment celles relatives à la presse, étaient bridées par le régime de Senghor. Nous avions été jugés par un tribunal d’exception, la tristement célèbre Cour de Sûreté de l’État, où le ministère public n'était pas représenté par un magistrat du parquet, mais par un commissaire désigné par le gouvernement. Celui-ci exhibait le fameux article 80 du Code pénal, véritable fourre-tout juridique, sanctionnant non seulement l’acte mais aussi l’intention, même insondable. Hélas, cette disposition inique est toujours en vigueur, de régime en régime, malgré les alternances politiques. À son sujet, Massamba Ndiaye écrit à juste titre : « Depuis l'indépendance, tous les régimes successifs l'ont utilisé de manière récurrente pour bâillonner la liberté de tout citoyen récalcitrant aux desiderata des autorités publiques. »
Nous étions alors un groupe de jeunes détenus venus d'horizons divers. Certains n’avaient commis pour seul "délit" que celui de connaître le frère de Landing, feu Alassane Savané, alias Lazo. C’est dire combien XAREBI suscitait la crainte : un véritable spectre qui hantait le sommeil des tenants du régime de Senghor. Parmi les compagnons d’infortune se trouvaient, entre autres : Ibrahima Sène, Roger Bonaventure Coly, Ibrahima Cheikh Niang, Nianthio Mané (paix à leur âme !) Alioune Diop, Moctar Diop et le professeur Djibril Samb. Revenant sur ces arrestations, ce dernier écrit dans L’heur de philosopher le jour et la nuit : « Nous étions jeunes et assoiffés d’émancipation, pris dans l’engrenage d’une machine judiciaire infernale qui, une fois lancée, produisait et déroulait sa paperasserie, ses procédures, ses preuves, son jugement et son exécution, le tout sans le moindre souci de la vérité. »
Notre vie carcérale s’organisait autour de longues journées de lecture et d’écriture, ponctuées, le soir, par des veillées poétiques et des discussions enflammées, autant sur la situation au Sénégal que sur les luttes de libération en Afrique — dans les colonies portugaises, contre l’apartheid en Afrique du Sud, entre autres. C’est grâce à une vieille radio SW (onde courte) grésillante, apportée secrètement par Néné Sagna et collée en permanence à nos oreilles, que nous avons appris, exaltés, la chute de Saïgon et le triomphe de l’armée populaire vietnamienne.
Cette cohabitation forcée dans une étroite cellule a forgé, au fil des mois, de solides liens de fraternité. C’est dans cette intimité que Landing — ou plutôt "Doch", comme nous l'appelions affectueusement — me confia un jour, en toute confiance, l’idéal quasi évangélique qui l'habitait depuis ses années au lycée Van Vo de Dakar : celui de se mettre au service de l’humain. Une voix intérieure l’enjoignait de consacrer sa vie au combat pour l’émancipation de l’Humanité. C’est à cet appel qu’il répondit avec enthousiasme et grandeur, dans la voie de l’engagement révolutionnaire. Dans ce choix de vie, il traça un sillon singulier, qui lui a ainsi ouvert un destin particulier dans l’histoire de sa génération.
Une vocation précoce pour l’excellence dans les études
Dès son plus jeune âge, Landing Savané fait montre d’une soif inextinguible de connaissances, cherchant à transformer chaque étape de son parcours scolaire en succès académique. Son éducation commence précocement à Bakel, avant qu’il ne parachève son cycle primaire à Thiès avec de nombreuses distinctions scolaires. Ses brillants résultats lui valent alors une place à l’internat au prestigieux lycée Van Vo. Au palmarès des cérémonies annuelles de distribution de prix, son nom retentit sans cesse comme un refrain dans l’oreille de ses condisciples. Ses performances scolaires annoncent une trajectoire exceptionnelle.
En 1963, s’ouvrent à Landing les portes des classes préparatoires scientifiques à Toulon, en France. Il réussit le concours d’entrée à deux grandes prestigieuses institutions académiques : (i) École nationale supérieure d’ingénieurs (ENSI), INSEE/ENSAE (École nationale de la statistique et de l’administration économique), bastion de la formation technique d’élite, où il se spécialise dans l’analyse des données et les enjeux socio-économiques. Il en sort diplômé avec le statut d’ingénieur statisticien-démographe, couronnement d’un beau parcours académique.
Un ingénieur politiquement conscient
Cette solide formation de cadre techniquement compétent le prédestine naturellement à une belle carrière professionnelle. Mais cette perspective ne suffit pas à son projet d'engagement civique et à sa soif de quête de sens. Déjà, l’admiration d’illustres personnalités africaines du combat pour les indépendances comme Sékou Touré, Kwamé Nkrumah et les sonorités de la musique du Bembeya Jazz de Guinée, alors porte-étendard artistique du panafricanisme et de l'indépendance africaine, avaient fait naître un embryon de conscience politique chez le jeune Landing.
C’est à Toulon, ville française chargée de mémoire — notamment celle des tirailleurs sénégalais, dont la contribution à la libération en 1944 a été récemment commémorée avec emphase à l’occasion du 80e anniversaire du massacre de Thiaroye — que cette conscience politique mûrit et se transforme en conscience révolutionnaire.
En plus de la presse politique française qu’il lit de manière assidue, il découvre, fasciné, la Chine révolutionnaire et s’abonne à la bibliothèque des œuvres de Mao Zedong. À une époque où la révolution soviétique semble marquer le pas, engluée dans une bureaucratie pesante, la Chine maoïste offre une alternative enthousiasmante qui fait souffler le vent d’Est. Les perspectives de la Révolution culturelle, avec le bloc ouvrier-paysan en tête, inspire un souffle nouveau aux militants du monde entier. Landing se reconnaît dans cette nouvelle gauche qui ravive l’idéal révolutionnaire et la pensée militante. Un engagement révolutionnaire qui lui dicte de rentrer au pays pour servir la cause du peuple et prendre soin de sa famille.
Un jeune paterfamilias aux lourdes responsabilités
De retour au pays, Landing Savané, avec sa fidèle compagne de cœur et d’esprit, Néné Sagna plus connue sous le nom de Marie Angélique Savané, Mme Sav ou encore MAS, est face à de lourdes responsabilités familiales.
Très tôt, Landoch devra à la fois assumer les devoirs de la famille construite avec MAS et aussi de la famille héritée, sans compter ceux de la famille extensive avec ses nombreux filleuls et homonymes à travers le pays et l’Afrique[1].
En effet son papa, Sitapha Savane, parti tranquillement sur la pointe des pieds, à la veille de son admission à bénéficier de ses droits à la retraite, (à l’époque c’était autour de 55 ans), a laissé derrière lui une grande famille résultant d’un ménage polygame. Ainsi, Doch, à peine a-t-il démarré sa nouvelle vie professionnelle et renoué avec ses activités militantes, doit faire face non seulement aux responsabilités de son propre couple mais aussi au tutorat d’une famille étendue, dispersée entre Dakar, Ziguinchor et Bignona. Il en devient le pilier et assure la tutelle sur ses frères et aussi sur les veuves de son papa. Sans distinction, il joue son rôle de paterfamilias, offrant à chacun sa part d’affection et d’assistance matérielle. En vérité, il était bien préparé à ses nouvelles charges par les valeurs de son éducation familiale, par les principes qui fondent son engagement politique et enfin par une personnalité propre.
Né le 10 janvier 1945 à Bignona en Casamance, il est issu d’une famille de mixité et donc de grande ouverture ; son père mandingue musulman et sa mère, baptisée chrétienne, s’est convertie à l’Islam. Très tôt, il a tété le lait de la tolérance religieuse avec un grand frère, des cousins et tontons catholiques, et a été nourri à la diversité, dans une cellule familiale où le diola, le mandingue et le wolof sont invariablement parlés.
La maman Khady Sagna, avait un instinct gémellaire (djaxanaay lay teuddé). Cette mère à nous tous, une grande générosité de cœur, était attentive à tous ses enfants, membres directs et indirects de la famille, amis voisins et autres passagers. La maison familiale de Ben Talli comme celle de Bignona étaient des lieux de débarquement et de transit obligé pour notamment les parents ou amis ressortissants des villages de Diourou ou de Bambadiong. Malgré ses bras accueillants, cette femme diola d’une forte personnalité, était ferme et rigoureuse dans ses méthodes d’éducation. Sa présence marquante assurait pleinement et totalement les charges de la vie familiale de Thiès à Bignona en passant par Dakar ; rien ni personne n’échappait à son contrôle vigilant.
Le papa Sitapha Savane, policier, ex garde-républicain des forces de Défense et de Sécurité (FDS), impressionnant par la taille, par le port de la tenue sans parler des attirails qu’ils arborent, était d’une grande douceur intra muros. Un père affectueux et fier de son fils aîné Landing qui manifestement lui donnait une grande satisfaction ; il ne se privait pas de relever les exploits scolaires de l’élève studieux.
C’est sur ce socle marqué à la fois par le modèle de bienveillance paternelle et celui d’hospitalité maternelle que Doch fondera son propre foyer. Son domicile à Gibraltar, maison-carrefour du couple Savane-Sagna, était un espace de rencontres, une auberge sénégalaise où frères, sœurs, neveux, nièces, camarades, pouvaient apaiser leur faim et étancher leur soif ; trouver refuge, voire havre de paix. Le seul bémol dans cette généreuse hospitalité, faut-il l’admettre, c’est le refus de Landing de partager le « kouthia » dont il avait- et a encore- une passion immodérée. Il s’agit d’une sauce onctueuse composée de bissap et de gombo, fouettée comme de la mayonnaise ; elle accompagne invariablement tous les repas de Doch, comme une substance aromatisante qui de plus facilite, dit-on, le transit.
Une mission familiale pleinement remplie grâce sans nul doute à son alter ego MAS. Une égérie du mouvement révolutionnaire maoïste du Sénégal, féministe assumée, partage la vie de Landing depuis bientôt 60 ans. La solidité du couple n’est plus à démontrer et la flamme est toujours éclatante. MAS est plus qu’une épouse, plus qu’une camarade, disons une compagnonne. Un couple uni affectivement et politiquement, dans une grande complicité intellectuelle, a su solidairement malgré les épreuves de l’engagement politique et les contraintes professionnelles, bâtir un petit cercle avec deux garçons.
Landing, patriarche de la famille Savané, sous une douce et tendre autorité, est reconnu et aimé des siens. Récemment en janvier 2025, son épouse, MAS, co-constructrice avisée du patrimoine familial en étroite complicité avec ce frère de tous les jours Vieux Savané, lui a renouvelé sa flamme avec une touchante tendresse. C’est sur ce terreau fait d’affection, de solidarité, d’engagement et de savoir que leurs enfants, devenus adultes, ont évolué. Ils en portent le sceau et font la fierté de leurs parents, de la famille et des différents cercles social et professionnel qu’ils fréquentent.
Une constance dans un engagement politique permanent
C’est donc en France, fortement impressionné par la dynamique de la Révolution de démocratie nouvelle conduite par Mao, que Landing tombe finalement sous le charme de la révolution culturelle. C’est à travers l’UJCML (Union des jeunesses communistes marxistes-léninistes) qu’il renforce sa formation idéologique marxiste-léniniste et aiguise sa conscience politique. Parallèlement, avec des amis parmi lesquels, Amady Baro, Abdourahmane Kounta dit Ferkhass, Bouba Keita, Mamadou Lakh, Mazide Ndiaye, Pascal Ndong, Alya Dramé, Lamine Diop, MAS…ils créent le Groupe Marxiste-Léniniste (GML), organisé en cellule de lecture et de discussions ML. C’est d’ailleurs ce groupe qui finit par conquérir en 68 la direction de l’AESEF, branche sénégalaise de la FEANF (Fédération des étudiants d’Afrique noire en France). Dans le feu des manifestations de mai 68 en France, il initie l’occupation de l’Ambassade du Sénégal pour soutenir les étudiants et les travailleurs du Sénégal en lutte contre les conséquences des politiques néocoloniales du régime répressif de Senghor.
À son retour au Sénégal, avec ses camarades du GML, il se joint aux jeunes dirigeants du mouvement élève des années 68 et 69 et aux militants du Parti Communiste Sénégalais (PCS) pour former en 1970 le Mouvement des jeunes marxistes-léninistes (MJML). Un mouvement révolutionnaire ML d’obédience maoïste qui compte parmi ses membres des figures comme Oumar Blondin Diop, Ndèye Sow, Joe Ouakam ou Mamadou Wane Mao, Amadou Top, Abdou Salam Kane dit Billy…etc. Mais cette organisation succombe deux ans plus tard aux maladies juvéniles du communisme.
Après une année de gestation, en Mai 73, voit le jour, sous le leadership de Landing, une nouvelle organisation ML : Reenu Reew mi (RR). Ce mouvement est fondé sur des bases plus solides avec l’exigence d’une maîtrise de la situation concrète du pays par l’enquête et la recherche (ERO) et par la liaison avec les populations à la base, au premier chef les ouvriers et les paysans. Refusant de se substituer aux masses par des actions d’éclat sans lendemain, l’ERO est défini comme le principe de base de l’implantation politique durable avec comme objectif d’appuyer les masses à l’Auto organisation, l’Auto défense et l’Auto développement (3 Auto). Dans le même temps, une stratégie de survie et d’autonomisation des militants est conçue pour briser l’encerclement économique du système néo colonial sur le mouvement révolutionnaire, contraint à la clandestinité et sous la pression de l’ostracisme économique de ses cadres.
Le banc d’essai de cette organisation nouvellement constituée est précisément la coordination des actions de protestation contre l’assassinat de Oumar Blondin Diop, compagnon de Landing et cofondateur du MJML entre 70 et 71. C’est vraiment avec le lancement en 1974 du XAREBI (La Lutte), journal clandestin publié en français et en wolof, que le courant ML maoïste au Sénégal prend un nouveau tournant qui ne laisse pas indifférentes les autorités d’Etat.
En effet, l’écho retentissant de cette publication inquiète vivement le pouvoir politique qui déclenche une vaste opération de neutralisation des auteurs de cette initiative jugée subversive. Dès le mois de décembre 74, puis en juin 75, de nombreux militants et sympathisants tombent sous les coups de filet de la police. L’objectif est de mettre rapidement un terme aux effets sur l’opinion des dénonciations des scandales politiques et financiers des tenants du système néo colonial sous domination française. En effet, de parution en parution, le Xarebi suscite intérêt et sympathie dans de nombreux secteurs sociaux du pays, surtout en milieu rural avec la version Wolofal du journal.
C’est ainsi que Landing, considéré comme le principal responsable de cette effervescence politique contestataire, est ciblé, recherché puis interpellé dès son retour de voyage en mars 75. Son frère Alassane Savane et moi-même, étions déjà arrêtés depuis décembre 74. Alassane dit Lazo s’est joué des policiers pour finalement se retrouver en Guinée Bissau pendant que nous étions écroués au camp Pénal où nous rejoint Landing.
En avril 75, se tient le procès pour atteinte à la sûreté de l’Etat. Landing, condamné à deux ans de prison ferme, fait montre d’un sens élevé des responsabilités. Il proclame devant le Tribunal : « Messieurs les juges, la plupart des inculpés présents à ce box, le sont parce qu’ils connaissent et ont des liens avec mon jeune frère Lazo. En tant que son aîné, je me sens seul responsable et affirme ma conviction sur leur innocence. Je leur exprime tous mes regrets. » Malgré cette plaidoirie, 13 condamnations sont prononcées par ce Tribunal d’exception et Landing restera en prison jusqu’en mai 76.
Libéré grâce à l’Amnistie de 1976, après avoir refusé toutes les offres de compromission du Gouvernement[2], Landing reprend service et participe au processus de reconstruction de l’organisation fortement éprouvée par la répression subie entre 74 et 75. En accord avec la direction de l’organisation, il emprunte un nouveau parcours professionnel et se déploie à l’échelle internationale. Une nouvelle carrière qui lui donne l’opportunité d’élargir le réseau des relations internationales et surtout de pouvoir soutenir le processus de reconstruction. En l’absence de feu Bougouma Mbaye, je peux témoigner solennellement que l’organisation n’a fonctionné qu’avec les seules ressources provenant de ses propres militants et au premier chef, Landing, principal pourvoyeur.
Dans cette période dite de Mouvement bilan critique rectification (MBCR)[3], la contribution de Landing a été importante non seulement dans le domaine politique et idéologique mais surtout au plan logistique et financier[4]. Il a concouru de manière décisive à la reconstitution de l’équipement en imprimerie et en matériel audio-visuel, après les saisies de juin. Il a également assuré la pérennité financière de la presse militante (Jaay doolé Bi et Xarebi) et a mis la main à la poche pour la mise en place de la librairie-maison d’Edition XAMLE, en partenariat avec un homme d’affaires patriote. Son appui a été constant à la troupe culturelle Alin Sitoe, impulsée par le Front Culturel Sénégalais (FCS), devenue l’identité voire l’ADN de notre mouvement et marqueur durable de la vie culturelle nationale comme en témoignent des acteurs comme Baba Maal, les frères Guissé, Ngari Law (Abou Thiam) ou les célèbres Pape Cheikh.
Ce n’est qu’à la fin des années 70 qu’il revient au pays en vue de mieux se consacrer à la mise en œuvre de la stratégie de redéploiement du parti And-Jëf, désormais engagé dans le champ légal, avec l’avènement du régime de Diouf. Désigné à la tête de la nouvelle direction du Parti, après de longues hésitations de sa part, il décide de lui donner toute son énergie et se libère de ses charges de fonctionnaire, dans le cadre du programme de départs volontaires qui s’inscrit dans les politiques d’ajustement structurel (PAS) imposées par le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale (BM).
Membre fondateur de Aj/Xarebi, organisation nationale démocratique née dans la clandestinité puis de AJ Mouvement révolutionnaire pour la démocratie nouvelle (AJ/MRDN) dans la légalité qui deviendra successivement AJ/Parti Africain pour la démocratie et le socialisme puis AJ/PADS authentique, Landing a été de tous les combats politique, social et économique de la Gauche depuis les années 68. Dès son retour au Sénégal, il intègre le Syndicat des techniciens du Sénégal (SDTS) et contribue au mouvement de redéploiement syndical national.
Dans cette période, Landing est reconnu comme le porte-étendard du courant de la Nouvelle Gauche révolutionnaire, assise sur le socle de classes ouvrier-paysan et ouverte à tout le mouvement patriotique pour de nouvelles conquêtes démocratiques contre le régime néocolonial. A ce titre, il noue des relations avec le monde ouvrier syndical, les mouvements en milieu rural et dans les quartiers. Dans le même temps, il côtoie d’éminentes personnalités politiques qui l’ont profondément marqué.
D'abord le président Mamadou Dia qu'il a connu personnellement. Son père était le chef de la sécurité de la résidence de Médina où résidait Mamadou Dia. De là se sont nouées des relations d’amitié et de fidélité. Des sentiments de sympathie voire de solidarité se sont alors tissés entre les deux familles Dia et Savané. Le profil scolaire de Landing a bien évidemment retenu toute l'attention de celui qui avait fait de l'excellence scolaire un axe de sa politique de l'éducation à l'aube de l'indépendance. Le grand Mawdo Dia acceptera de le soutenir lors de l’élection présidentielle de 1993.
C’est avec l’illustre patriote Abdoulaye Ly, un grand intellectuel, chercheur émérite, que les relations sont poussées jusqu’à obtenir l’adhésion de son courant Organisation pour la démocratie populaire (ODP_ ex-Parti du Regroupement Africain _PRA Sénégal ) à And-Jëf. Dans cette nouvelle phase militante, Abdoulaye Ly continue de produire des textes et ouvrages éclairants sur les relations entre l'Afrique, notamment le Sénégal, et le colonialisme français et sur les tâches de la RNDP que s’est fixé AJ. Sans conteste, A Ly, à coté de Landing, a contribué à donner une nouvelle puissance politique et théorique au courant d’And Jef.
Riche de ces apports, AJ, sans illusion électoraliste, propose Landing comme candidat à l’élection présidentielle de 1988. Il profite alors de la tribune de la campagne électorale pour mieux faire connaître les idées portées par le courant de la révolution nationale démocratique et populaire. Une vague de sympathie et de fraîcheur politique déferle avec des fleurs prometteuses.
Les acquis enregistrés lui permettent dès l’élection suivante (en 1993) de s’imposer dans le trio de tête, derrière Diouf et Wade. La déferlante « folli » symbolisée par le fameux carton rouge a marqué les esprits. De plus en plus l’électorat, la jeunesse en particulier le porte, ce que confirmeront les bons résultats obtenus aux élections locales de 1996 où sa percée en Casamance Bignona et au Nord est notable ; il en sera de même aux législatives de 1998 avec 4 députés élus, sous sa conduite.
En 2000, la Gauche dans son entièreté décide de se mettre derrière Abdoulaye Wade, président du parti libéral le Parti démocratique sénégalais (PDS) pour débouter le régime du Parti socialiste (PS), au pouvoir depuis 40 ans. A ce front « Coalition Alternance 2000 (CA2000) » il représente le courant de la nouvelle gauche, devenu And Jëf / PADS. Cette coalition a finalement permis la première alternance démocratique au Sénégal et l’élection de Abdoulaye Wade à la présidence de la République du Sénégal.
Comme les autres leaders de la Gauche, Landing participe au nom de AJ/ PADS au gouvernement de coalition. Pour la première fois, il accède à un portefeuille ministériel après avoir décliné de nombreuses offres dont celle qui lui a été faite à travers ma personne par le président A. Diouf avec l’entregent de Djibril Diouf, frère du Président et Amadou Bator Diop, ancien ministre, (Paix à leurs âmes !), lors d’un déjeuner dans une des suites de l’hôtel Téranga. Dans ce nouvel attelage issu de l’alternance Landing occupe le poste de Ministre des Mines, de l’artisanat et de l’industrie et initie des politiques et des stratégies innovantes pour l’industrialisation et la modernisation d[5]e l’artisanat. A l’échelle africaine, il joue un rôle de premier plan à la Conférence des Ministres de l’Industrie de l’Afrique (CAMI) et à l’Alliance pour l’Industrialisation de l’Afrique (AIA) et fait, sous le sceau de l’Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel (ONUDI), un vibrant plaidoyer pour l’industrialisation de l’Afrique.
La rupture d’alliance avec le PDS de Abdoulaye Wade le conduit à poser sa candidature en 2007 sans succès. Cet échec a fait naître une grave crise au sein du parti AJ et a abouti à de profondes divisions et finalement à la scission en plusieurs groupes. D’autres partis de gauche subiront finalement le même sort de la fragmentation.
Ce chapitre controversé du parcours politique de AJ, plus généralement de la Gauche, relève de la responsabilité de tous et au premier plan de celle des dirigeants. D’abord écartons quelques malentendus et quelques jugements d’intention dont les motivations ne sont pas toujours marquées du sceau de l’objectivité.
De quoi cette crise historique qui a abouti à la quasi dislocation organisationnelle et au recul politique que de la Gauche est-elle le nom ? En s’affranchissant des principes idéologiques et des considérations de classes pour le triomphe du pragmatisme politique, la Gauche sénégalaise, dans son ensemble, a décidé à partir des années 90 de passer des politiques d’alliance tactique à de nouvelles formes de groupements stratégiques sous l’hégémonie de forces politiques et sociales qui ont objectivement intérêt à la continuité du système hérité de la colonisation, à travers la consolidation du présidentialisme néo colonial. Le bilan de cette politique de participation insuffisamment maîtrisée à ces différentes coalitions gouvernementales reste à approfondir en ayant comme boussole l’évaluation des avancées et des régressions en rapport avec le projet de libération nationale et d’émancipation sociale des masses populaires.
Ce serait la pire des malveillances à l’endroit des grands ténors de la gauche révolutionnaire, qui ont consenti toutes sortes de sacrifices, que de penser à une simple attirance par les lambris dorés et ornements des palais et palaces. En tous cas, la frugalité légendaire de Landing n'autorise pas à le classer parmi l’élite avide de prestiges. Il est connu de tous pour sa simplicité naturelle, la parcimonie avec laquelle il dépense pour lui-même et son obsession contre le gaspillage ; des attitudes aux antipodes des artifices et luxes superflus. Comme je l’ai déjà noté, ses ressources personnelles ont régulièrement alimenté les caisses du Parti et non un patrimoine personnel. Il lui arrivait bien souvent de sacrifier les moyens du foyer pour répondre aux urgences du Parti au grand dam des membres de sa famille.
J’estime, pour ma part, que Landing, primum inter pares, a su bien tenir le gouvernail du mouvement maoïste de And-Jef de sa fondation dans la clandestinité à l’alternance de 2000. Sûrement a-t-il pu commettre des erreurs de jugement politique, comme je le pense de mon poste d’observation hors des dynamiques partisanes bien avant 2000, lors de la crise interne qui a abouti à l’exclusion du courant qui donnera naissance à Yoonu Askan Wi.
Un panafricaniste militant
La dimension politique de Landing dépasse les frontières du Sénégal. L. Savané se réclame panafricaniste militant. Il s’impose comme médiateur dans de nombreux conflits : du Liberia au début des années 1990, au Sierra Leone en 1995 et au Congo en 1997. Avec Thomas Sankara, il tisse une profonde amitié dès 1984. Il est personnellement attaché à des dirigeants comme Denis Sassou Nguessou et Pascal Lissouba (Congo), Laurent Gbagbo, ancien président de la Côte d'Ivoire. Il est également lié aux présidents Blaise Compaoré (Burkina Faso), Alpha Omar Konaré (Mali). En Mauritanie, de solides et historiques relations le lient avec le Parti des Kadihines de Mauritanie (PKM) de la Mauritanie avec son ami feu Ba Bocar Moussa, en Guinée avec Alpha Konde avec lequel il a milité à la Fédération des Étudiants d’Afrique Noire en France (FEANF) en France. Un parcours commun avec Mohamed Bozoum dans l’opposition a fait de Landing un des invités d’honneur lors de l’investiture du nouveau président du Niger élu en avril 2021, avant d’être évincé en 2023 par un coup d’Etat militaire.
Au plan institutionnel, Landing siège comme député au parlement de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest). Il fréquente ensuite l’Institut panafricain de stratégies (IPS) pour l’organisation du Forum « Paix et Sécurité en Afrique », dirigé par Cheikh Tidiane GADIO, son ancien camarade de parti et non moins collègue dans le Gouvernement issu de la 1ere alternance politique du Sénégal.
Le militantisme panafricain de Landing est éclairé par des travaux de recherches. Cet ouvrage : « Le Grand tournant » (Presses Panafricaines, 2015) est une véritable proclamation de sa foi panafricaniste ; il chante l’Afrique comme « berceau de l’homme, terre des pharaons et des grands empires. » Dans ce livre, il écrit notamment : « L’Afrique noire enfin pleinement rétablie dans ses missions, comme berceau de l’humanité et comme nation-race majoritaire de la planète, pourra, de nouveau, faire découvrir à l’humanité les vertus d’une cohabitation harmonieuse, sans confrontations et sans provocations, dans un monde respectueux et curieux des différences mais aussi soucieux de garantir un avenir meilleur à l’ensemble des habitants de la Planète. » (Le Grand tournant). Cette ferveur panafricaniste débordante ne signifie nullement enfermement identitaire mais ouverture car Landing n’entrevoit l’avenir de l’Afrique que : « dans la paix et le développement, la réconciliation des sociétés humaines, enrichies de leur diversité, par une meilleure compréhension des uns et des autres. » Un parti pris humaniste que relève avec pertinence Amadou Elimane Kane : « Landing dans sa poésie repousse toutes les appartenances et toutes les frontières car son récit trouve sa place dans la chronologie de l’humanité ». (Cf. www.Seneplus.com)
Une expertise au service de son pays et du Continent
Rappelons que Landing rentre au Sénégal en 1969. Chef de la division de la démographie et des enquêtes à la Direction nationale de la Statistique, il conduit le premier recensement démographique général post indépendance. En précurseur avisé, il mobilise de nombreux jeunes, notamment des étudiants, fortement motivés à sillonner les campagnes pour remplir leurs tâches. Cette mission stratégique lui donne l’occasion de redécouvrir le Sénégal des profondeurs, celui du royaume de son enfance : Bakel, Thiès, Dakar et Saint-Louis. Cette ville tricentenaire de Ndar, « citadelle séculaire de Mam Coumba Bang, ville de sable, des fils du fleuve » où il a délivré en 1970 au Centre culturel français une mémorable conférence sur : « la Planification socialiste Vs la planification bureaucratique. »
Nous avons déjà souligné le rôle de Landing dans la conception et la promotion des politiques démographiques de développement en Afrique. Il a mis aussi à profit ses compétences techniques à la disposition d’organismes internationaux comme l’Institut de Formation et de Recherche Démographiques (IFORD) au Cameroun, l’Union internationale pour l’étude scientifique de la population (UIESP), coordonnateur de l’unité socioéconomique et démographique (USED) du CILSS Bamako, et l’Union africaine (UA) à Addis Ababa, le FNUAP et l’Organisation internationale du Travail (OIT. Landing a sillonné tout le Continent africain en vue de plaider la mobilisation de l’atout démographique et la promotion de l’emploi en Afrique.
Notre ami Babacar Fall rappelle justement que sa grande contribution a été de se démarquer des théories malthusiennes de limitation des naissances en préconisant l’intégration des natalités dans les politiques de développement économique en équilibrant la production d’infrastructures éducatives, sanitaires et sociale à la croissance démographique. Il conduit plusieurs pays Africains dont le Sénégal en 1988 à se doter de Déclaration de Politique de Population qui exprime leurs spécificités, leur vision, leur culture et les stratégies choisies pour une maîtrise de la forte croissance démographique sur la voie d’un développement accéléré et durable avec la pleine utilisation de tous les potentiels de ces pays.
En plus de l’expertise pratique, Landing est un homme de pensée qui conduit des recherches dans son domaine de compétences et aussi dans la marche du Monde, en particulier la place du Continent africain.
Chercheur en sciences sociales et poète
Landing est un intellectuel de la praxis, il unit pensée et action de manière dynamique. En effet, depuis plus de 50 ans, il réfléchit sur les questions démographiques du Monde et sur l’évolution de la Planète. Dans « le Grand tournant du 20e siècle, un regard africain sur le siècle des ruptures », ouvrage de maturité, que l’auteur lui-même considère comme : « un produit actualisé d’une réflexion depuis les années 70 et que l’évolution de notre planète n’a cessé de stimuler depuis cette époque ». En effet, au milieu des années 80, il avait déjà publié aux éditions EPO (Belgique) un premier livre intitulé : « Populations : Un point de vue africain. » où il dénonce le néomalthusianisme et plaide pour une politique africaine de planification économique et sociale qui intègre la natalité démographique.
Landing a une grande facilité d’écriture. C’est fascinant de le voir noircir avec son stylo « Bic » les feuilles blanches avec une extrême rapidité au point que je le surnommais le TGV[6] de la plume ! C’est cette même plume qui taquine également les muses.
Parallèlement à ses essais, Landing produit également de la poésie. Un poète engagé qui défend la cause révolutionnaire, l’émancipation sociale et aussi la promotion de l’amour de l’humain. Commentant ses deux parutions (Lutte et lueur (Silex 1987) et Errances et espérances (PanAfrika/Silex, 2018), celle-ci dédiée à Thomas Sankara et à tous les martyrs de la cause africaine », Amadou Elimane Kane (2/2/2025 in seneplus.com) : « Landing est un poète, un homme dans l’univers aux côtés des condamnés, des martyrs, des sages, des faibles. Sa poésie est aussi une ode à la liberté et aux combats pour l’avenir ». Sans compter « la place faite au sentiment et à l’évasion » qui laisse transparaître l’ombre de la compagne de toujours. (Cf. Ibrahima Wane, La Plume et les passions de Savané).
Caractères d’un leader attachant
Nous avons évoqué le parcours du passionné de connaissances qui n’a pas hésité « d’aller jusqu’en Chine en quête de savoir ». Nous avons aussi parlé du politique, porteur des idéaux de gauche, et de l'expert reconnu par ses pairs et par de nombreux organismes internationaux. À présent, abordons l'homme, Landing, et la façon dont il s'est forgé un caractère exceptionnel qui force l’attachement, l’empathie.
L'engagement de Landing est une flamme vive qui guide sa vie et ses combats. Passionné par l'Afrique et, au-delà, par le destin de l'humanité, il tire sa force d’une famille aimante, d’une puissance idéologique forte et des épreuves qui ont renforcé sa résilience. Face aux difficultés de la vie militante, familiale et professionnelle, il reste un optimiste légendaire, refusant de se laisser abattre.
Il puise son inspiration dans la confiance au peuple et trouve refuge dans la force du collectif et de l'organisation. Il sait trop bien que ce sont les masses, et non des héros adulés, qui font l’histoire. Sans esbroufe, sans fanfaronnade ni agenda caché, Landing exerce un leadership fondé sur la collégialité, la délégation. Pour Landing, les éclats de la partie visible de l’iceberg tirent leur énergie des précieuses ressources des fonds marins, que sont les valeureux fantassins, travailleurs de l’ombre, pour paraphraser notre ami Adama Mboup dit Damel.
Landing est un homme de synthèse et de compromis pour des consensus dynamiques. Il accepte de s’aligner quand il est en minorité comme il peut renoncer en étant sur une position majoritaire. Parfois il donne l'impression de naïveté et même de candeur mais ce serait se méprendre sur sa fermeté sur les principes et son attachement à des valeurs. En effet, Landing est un passionné dans les débats mais jamais polarisé, ce qui témoigne, sans nul doute de son ouverture d’esprit. Landing n’a jamais accepté de jouer le leader vénéré inaccessible ; à vrai dire, sa personnalité faite de simplicité et d’humilité ne s’y prête guère.
La force calme que dégage Landing marque les esprits. Quand l’orage éclate, son réflexe n’est jamais de se laisser perturber par le doute et le désespoir. Il sait faire preuve de patience et de persévérance et laisser passer l’orage. Lors d’un voyage par avion au Sahara, sur invitation du Front Polisario, nous avons vécu un moment de très fortes turbulences en air survenues avec une grande soudaineté et une extrême intensité. La peur était au paroxysme, les cris fusaient de partout, les estomacs étaient noués ; c’était vraiment la panique à bord. Dans ce grand tumulte qui n’épargnait même pas le personnel navigant, Landing gardait un calme olympien, susurrant à mon oreille avec une sérénité déroutante : « on meurt toujours de quelque chose. » C’est alors que j’ai mieux compris ce que m’avait dit une fois un camarade : "Si un jour le Ciel nous tombe sur la tête, Landing se bornera à dire avec le sourire que le ciel est tombé, il faut dégager." C’était aussi le cas au début des années 80, au moment où le conflit armé de la Casamance était au summum, nous avons organisé un voyage avec deux camarades français (Catherine Kiminal, sociologue et Benjamin Coriat, économiste) engagés avec nos amis de l’Antex[7] dans la défense des intérêts des travailleurs immigrés en France à travers les permanences anti expulsion (PAE). Au cours de ce périple en Casamance, nous sommes tombés en panne nocturne. Notre petite R4 essoufflée nous a lâchés en pleine forêt de Diouloulou. Pendant que l’angoisse gagnait le groupe, le conducteur, en l’occurrence Landing, se prêtait à son jeu favori de rire à gorge déployée et d’humour facile comme pour apaiser nos invités. C’est bien ce trait de caractère que souligne un ami en ces termes : " Doch (Landing) que je connais est toujours en train de rire. Il sait, par le rire, transformer toute douleur en force motrice pour se surpasser et en sortir fortifié. Une fois, en prison il me disait, à moi meurtri, enfin je bénéficie pour la première fois d'un congé depuis que je travaille." (Cf. Forum WhatsApp Xarebi)
Djibril Samb, dans L'heur de philosopher (2019, Harmattan), décrit ainsi Landing :"Landing était alors un jeune homme pondéré, calme et réfléchi. Il n’avait rien du militant dogmatique, fiévreux et un rien intolérant. Il ne posait jamais, mais son attitude, qui n'était en rien feinte, manifestait une certaine gravité qui signifiait, pour moi, qu’il avait pris la mesure des choses ! Plus tard, devenu ingénieur statisticien et cadre dans la haute administration sénégalaise, nécessairement instruit de l’expérience qu’induisait cette situation, il confirmera ces qualités."
Landing est aussi un homme de commerce plaisant, pétri d’humour. Il a un art consommé de produire des affirmations d’une évidence qui crève les yeux, souvent tautologique mais parfois d’une sagesse remarquable et accessible qui emporte le bon sens. En effet, son humour est simple et ne manque pas de faire sourire, comme avec les lapalissades. Une légèreté qui trouve sûrement sa source dans ses premières lectures. Un de ses condisciples du Lycée Van Vo, le Pr. A. Elimane Kane confiait que Landing était un grand et fidèle lecteur de bandes dessinées, en particulier Lucky luke, ce fameux cow-boy américain justicier, peu enclin à la cupidité. Des valeurs qui ont sans doute laissé des empreintes sur le jeune élève qui deviendra un militant déclaré des causes justes.
Comme de nombreux jeunes de sa génération, Landing s'est engagé très tôt dans la voie militante, de combat pour le changement et la rupture avec l’ordre néocolonial et l’émancipation des peuples d’Afrique. Un mélange de patriotisme et de générosité envers les populations que l’adhésion au marxisme-léninisme, armé de la pensée maoïste, transforme en conscience politique révolutionnaire. Toutefois, cette option idéologique forte n’a pas empêché dans la longue durée de retrouver, dans le cheminement personnel, la dimension spirituelle. En effet, c’est au cours de la présentation de son dernier ouvrage « Le Grand tournant du XXe siècle : Regard africain sur le siècle des ruptures », dédicacé à Serigne Saliou Mbacké, que Landing proclame publiquement son adhésion au Mouridisme. Ce grand soufi, 5e khalife de Serigne Touba, l'a particulièrement marqué par son humilité et sa foi islamique vécue en actes ; il est devenu pour lui une source d’inspiration constante.
Des enseignements à transmettre
Avant de conclure, je m’autorise à récapituler quelques enseignements que ce parcours exceptionnel peut offrir à cette jeunesse africaine engagée à remplir ses responsabilités, non sans une relative opacité, dans la voie de la construction d’un nouveau Monde où l’Afrique et les africains occuperont leur véritable place. C’est sur les sentiers de ce patriotisme révolutionnaire et du combat pour l’émancipation de l’humanité que la transmission s’impose.
D’abord et avant tout, pour Landing il faut se nourrir de savoir, s’ouvrir aux cultures dans la richesse de leur diversité et se doter d’une solide formation professionnelle pour être rouge et expert, c’est-à-dire techniquement compétent et politiquement conscient.
Ensuite, assumer dans un engagement désintéressé et constant les missions de sa génération pour faire avancer la cause des peuples du Monde et répondre aux devoirs familiaux avec générosité.
Enfin, s’exercer à un comportement fait d’humilité et d’altérité avec un sens élevé de l’éthique.
En guise de conclusion
J’ai tenté de restituer avec délicatesse mais dans la véracité les dimensions personnelle, familiale et politique du parcours d’un camarade et ami.
Ce récit n’est pas, à proprement parler une célébration, encore moins une apologie, mais bien le témoignage d’un compagnon qui a vécu et milité avec Landing, et son confident dans les années de braise.
De son lointain Boundou oriental, Landing panafricaniste résolu est un passionné du Fouta[8], un fils adoptif de Touba, un originaire de la Casamance, resté viscéralement attaché à ses terroirs de Bignona et de Bambadiong (Sédhiou).
Il a cheminé dans une période où l’enrichissement intellectuel exigeait un effort permanent de formation technique et de quête de culture et où le bouillonnement révolutionnaire, porté par une jeunesse enthousiaste, fringante, émettait des bulles enfiévrées par le Marxisme-Lénisme et la Pensée Mao.
Sans cléricalisme ni dogmatisme idéologique, Landing, un des illustres piliers de la gauche, a assuré dans une grandeur silencieuse un leadership empathique, s’abstenant de jouer les dignitaires de la révolution.
C’est donc avec dignité que Landing, alias Doch, a assumé les missions qu’il s'était assignées pour la cause de l'émancipation de l'Afrique dans un monde de paix, de liberté et de justice. A-t-il réussi le mandat qui lui a été confié ? En tout cas, nous témoignons que Landing, chantre de notre humaine condition, homme de bien et de bienveillance, pour sa famille, ses amis, pour le peuple du Sénégal et pour l'Afrique, a fait sa part. Même si toutes les fleurs n’ont pas tenu leurs promesses, les sillons tracés marqueront durablement le champ de la libération de l’Afrique, de la démocratie sénégalaise. Oui, Landing a servi, avec constance et non sans accrocs, les tâches de sa lettre de mission ; le reste appartient à l’histoire. Comme le dit Marc-Aurèle ce grand philosophe stoïcien : « Fais ce qui est juste. Le reste ne t’appartient pas. ».
Bro Doch ! Affecto te ab imo pectore.
[1] On compte au moins une dizaine dans la seule région du Fouta.
[2][2] Parallèlement aux messages portés par des avocats à la demande du régime de Senghor visant à persuader les dirigeants de AJ de s’inscrire dans la voie obscure d’une légalisation personnalisée, il faut noter l’approche insistante de deux hautes personnalités politiques (A.S et D. K.), émissaires du Gouvernement auprès de la maman de Landing afin qu’elle persuade son fils des opportunités de belle carrière administrative et politique qui l’attendent s’il rejoint le camp du pouvoir; offre qu’elle récusa fermement.
[4] C’est dans ce processus que AJ, impulsée par Réénu Réwmi (RR), s’est muée de groupe de propagande en une véritable organisation révolutionnaire, construite autour du bloc ouvrier paysan, structurée à l’échelle nationale. Elle s’est progressivement dotée de comités locaux, de détachements dans les secteurs syndicaux, dans le mouvement paysan, les organisations féminines et les ASC de quartier, ainsi que dans la diaspora avec l’Antenne extérieur (Antex) ; s’ajoutent ensuite les départements spécialisés dans le domaine idéologique et culturel qui animent les publications internes, organe de débat politique et idéologique, et une presse externe sans compter la mise ne place d’une librairie et d’une maison d’Edition (XAMLE). C’est le lieu de rendre encore une fois hommage au corps de cadres révolutionnaires professionnels (RP) qui ont nourri de leurs sacrifices tout ce dispositif. Contrairement aux idées reçues, rappelons que la grande majorité des membres de la direction de cette période étaient effectivement des RP.
[5][5] Offre que A. Diouf personnellement avait déjà adressée à sa sœur Ciré Savané précisément en 1984 lors d’une cérémonie de présentation de condoléances à Grand-Dakar, rue 10.
[8] Les Foutanké le lui rendent bien ; ils l’ont magistralement démontré lors de la cérémonie de Sargal du 17 mai 2025
QUAND LA SCIENCE A INVENTÉ LES 'RACES'
Comment une innovation des naturalistes des Lumières at-elle fini par justifier l'esclavage et le génocide ? L'histoire du concept de « race » révèle les dérives possibles quand la science épouse les préjugés de son époque
L'idée de race humaine, aujourd'hui largement rejetée par la communauté scientifique, trouve ses racines dans les classifications naturalistes du XVIIIe siècle. Retour sur trois siècles d'histoire d'un concept qui a légitimé les pires dominations.
Contrairement aux idées reçues, le terme "race" n'a pas été inventé par les idéologues racistes du XIXe siècle. Son histoire commence bien plus tôt, dans les laboratoires et les traités de sciences naturelles des Lumières.
Dès le XVe siècle, le mot "race" circule dans plusieurs domaines. Dans le vocabulaire religieux, il désigne des lignages marqués par les fautes de leurs ancêtres – comme la "race d'Adam" héritant du péché originel. La noblesse française en fait une catégorie juridique : être "noble de race" signifie descendre d'un lignage vertueux depuis des générations.
L'élevage utilise déjà cette notion pour créer des "races" par sélection. Enfin, les récits de voyage emploient le terme pour décrire des populations partageant une même origine géographique.
"La notion de race est intimement liée à l'idée d'une généalogie", explique Claude Olivier Doron, historien des sciences à l'université Paris Diderot et auteur de "L'homme altéré : race et dégénérescence (XVIIe-XIXe siècle)".
Buffon réinvente le concept pour la science
Au milieu du XVIIIe siècle, les naturalistes bouleversent leurs méthodes de classification. Fini les catalogues artificiels de Carl von Linné : place aux rapports de parenté et à la transmission héréditaire.
Le comte de Buffon intercale alors la notion de "race" entre "espèce" et "variété" pour décrire des variations qui se transmettent de manière stable à travers les générations. Cette innovation répond à un problème scientifique concret : comment classer des formes vivantes héréditaires sans remettre en cause l'unité et la stabilité des espèces ?
L'idée fait école. Emmanuel Kant l'adopte, tout comme de nombreux botanistes qui l'appliquent aux plantes. Le concept devient même central pour les futures théories de l'évolution.
Charles Darwin n'hésite pas à utiliser le terme dans le titre complet de son œuvre majeure : "L'origine des espèces au moyen de la sélection naturelle ou la préservation des races favorisées dans la lutte pour la survie".
Pour le père de l'évolutionnisme, les espèces ne sont que des races qui se sont fixées au fil du temps. La "raciation" précède la spéciation dans son modèle théorique. Cette conception perdurera jusque dans la "synthèse moderne" du XXe siècle.
Le glissement fatal vers la hiérarchisation
Rapidement, l'étude des "races humaines" dérape. Dès la fin du XVIIIe siècle, les scientifiques abandonnent le critère de couleur de peau, jugé peu fiable, pour se concentrer sur la morphologie crânienne.
Georges Cuvier, figure emblématique de l'anatomie comparée, franchit la ligne rouge. Dans sa célèbre dissection de Saartjie Baartman, surnommée la "Vénus noire", il prétend déduire des capacités intellectuelles et morales à partir de l'angle facial et de la forme du crâne.
"Sa tête osseuse présente une combinaison frappante des traits du nègre et de ceux du calmouque", déclare-t-il devant l'Académie de médecine en 1815, ajoutant : "Je n'ai jamais vu de tête humaine plus semblable aux singes que la sienne."
Cette "science des races" ne naît pas dans un vide idéologique. Elle accompagne et justifie les nouvelles hiérarchies sociales de l'ère libérale. Dans un monde proclamant l'égalité des droits, elle fournit une explication "naturelle" aux inégalités persistantes.
Le savoir racial légitime ainsi les dominations coloniales tout en servant d'étendard à des populations européennes en quête de reconnaissance politique – Germains, Slaves, Celtes. Paradoxalement, le même concept sert à la fois l'oppression et la revendication identitaire.
Une persistance post-1945 méconnue
Contrairement à une idée répandue, le concept de race ne disparaît pas après la Seconde Guerre mondiale. L'UNESCO adopte une stratégie de distinction entre "usages scientifiques légitimes" et "dévoiements idéologiques".
La génétique des populations des années 1950-60 continue d'utiliser cette catégorie, persuadée de pouvoir enfin lui donner une définition rigoureuse. Il faut attendre les années 1970 pour qu'une critique radicale émerge, démontrant l'inadéquation fondamentale de cette notion pour décrire la diversité humaine.
Aujourd'hui, la communauté scientifique reconnaît que les variations génétiques sont plus importantes à l'intérieur des groupes qu'entre eux, invalidant définitivement l'idée de races biologiquement distinctes chez l'Homo sapiens.
LES LIMITES DE L'INSCRIPTION AUTOMATIQUE
Sans un état civil fiable et une administration moins corrompue, l'inscription automatique sur les listes électorales présente de graves risques pour la démocratie sénégalaise
Sans un état civil fiable et sécurisé, et une administration publique moins corrompue, une telle option présente de graves risques sur la sécurité et la crédibilité des scrutins.
Pastef l'avait promis dans son programme. Élu président de la République, Bassirou Diomaye Faye l'a réaffirmé à plusieurs reprises. Et c'est une des questions qui sera au cœur du Dialogue national dont le lancement est prévu aujourd'hui au Centre international de conférences Abdou Diouf de Diamniadio. Les termes de référence précisent qu'il s'agira, entre autres, de “débattre de l’inscription automatique sur le fichier électoral dès l’établissement de la carte nationale d’identité biométrique CEDEAO et dès l’âge de la majorité”. Dans le même sillage, il a été évoqué “la nécessité de remplacer la Commission électorale nationale autonome (Cena) par une Commission électorale nationale indépendante (Ceni)”.
Il faut rappeler que cette question est hautement sensible, si l'on sait que, de tout temps, la question du fichier électoral a suscité pas mal de controverses. Elle a été le lit de nombre de tensions et de polémiques à la veille presque de chaque élection. Ce, malgré l'encadrement strict et les verrous stipulés dans le Code électoral. Un encadrement qui date des années 1990 et qui a permis de réaliser trois alternances.
Il ressort de ces dispositions que les partis politiques sont au début et à la fin du processus électoral. “Le ministère chargé des Élections fait tenir le fichier général des électeurs, en vue du contrôle des inscriptions sur les listes électorales. La Cena ainsi que les partis politiques légalement constitués ont un droit de regard et de contrôle sur la tenue du fichier”, dispose la loi électorale, qui laisse au chef de l'État le soin de fixer par décret “les modalités pratiques d’exercice de ce droit de regard et de contrôle de la Cena et des partis politiques légalement constitués sur le fichier ainsi que ses conditions d’organisation et de fonctionnement”.
Moundiaye Cissé : “Il y a des préalables d'ordre technique, administratif et financier qu'il faut d'abord adresser.”
Qu'adviendrait-il de ce droit de regard et de contrôle, si le fichier électoral doit se confondre au fichier d'état civil et que les inscriptions sur les listes doivent se faire de façon automatique ? La question est d'autant plus légitime que l'état civil sénégalais pose de sérieux problèmes de fiabilité, avec des audiences des inscriptions de complaisance, la corruption dans l'Administration, les fraudes en tous genres, sans parler la lancinante question des audiences foraines. Autant de facteurs qui poussent à se demander si le Sénégal est véritablement prêt pour aller vers cette option.
Réunies avant-hier en prélude au Dialogue national, plusieurs organisations de la société civile se sont montrées favorables, mais sous quelques réserves. Dans la déclaration commune rendue publique, ils préconisent d'envisager “ce basculement automatique à long terme à partir des fichiers d'état civil fiabilisés”. Interpellé, le directeur exécutif de l'ONG 3D est revenu en détail sur la proposition : “Notre position est que c'est une bonne chose, mais il y a des préalables qui sont techniques, administratifs, mais aussi financiers.”
En ce qui concerne les contraintes techniques, Moundiaye Cissé a précisé : “D'abord, pour voter, on doit indiquer son adresse électorale qui doit donc figurer sur la carte d'identité. C'est une équation technique qu'il faut d'abord régler avant d'envisager ce basculement. C'est pourquoi on dit qu'il faut plus ou moins de temps.”
Aussi, renchérit-il, il faudrait bien étudier toutes les implications qu'une telle mesure pourrait avoir. En sus de la fiabilité et de la sécurité du fichier, il y a le fait que cela risque de porter les électeurs à un nombre très important. “Actuellement, on a un fichier d'un peu plus de sept millions d'électeurs et c'est autour de quatre millions qui votent. Les meilleurs taux de participation sont autour de 60 %. Si l’on fait le basculement, on peut se retrouver avec un fichier de 10 millions d'électeurs. Et si c'est seulement quatre millions qui votent, imaginez le taux de participation que cela va donner. On risque de se retrouver avec des taux de moins de 40 %. C'est aussi des questions à prendre en compte, parce qu'il y va de la crédibilité du scrutin”, souligne M. Cissé, non sans ajouter : “Quand on a un fichier de 10 millions d'électeurs, on est obligé d'avoir 10 millions de bulletins par candidat ; ce qui a un cout important.”
Il convient de préciser que selon les données de l'Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD), en 2023, le nombre d'habitants âgés de moins de 15 ans était estimé à 7 091 128. Si l'on sait que la population totale était estimée à 18 126 390 habitants, cela donne un total de 11 035 262 pour les populations de plus de 15 ans.
Forum civil : “Il faut éviter la facilité consistant à verser automatiquement dans le fichier tout Sénégalais ayant l'âge de voter.”
Dans ses recommandations, l'organisme dirigé par Birahime Seck a insisté sur la nécessité de confier la gestion du fichier électoral à une structure indépendante (Ex : ANSD), administrativement et financièrement, en collaboration avec la Direction de l’automatisation des fichiers. Le Forum civil a aussi préconisé des périodes de révision exceptionnelle assez longues, permettant aux citoyens de s’inscrire sur le fichier électoral ; de communiquer massivement autour de ces périodes de révision ordinaire pour garantir un traitement permanent du fichier électoral, permettant ainsi d’éviter les goulots d’étranglement, les ruées vers les commissions administratives en période de révision exceptionnelle.
Dans la même veine, Birahime Seck et Cie recommandent d'informatiser la distribution des cartes d’électeur par une mise en place d’un réseau d’information connecté aux commissions de distribution.
Selon le Forum civil, il faudrait aussi aller vers le découplage de la carte d’électeur et de la carte nationale d’identité, “pour éviter les mentions “Ne peut pas voter”. Le Forum s'est voulu très précis au titre de l'inscription automatique. Il faut éviter, selon l'organisation, “l’option de la facilité consistant à verser automatiquement dans le fichier électoral tout
citoyen sénégalais ayant l’âge de voter et privilégier l’inscription sur la base de l’expression de la volonté du citoyen de s’inscrire”.
Une telle option, souligne le Forum civil, viendrait remettre en question le principe de l’inscription volontaire dans un système où le vote n’est pas obligatoire. “Par ailleurs, le défaut d’adressage au Sénégal risque d’être un gros obstacle au moment de la distribution des cartes. En outre, la non-fiabilité du fichier d’état civil est un autre facteur de risque. Enfin, les conséquences économiques et logistiques méritent réflexion”, avertissent Birahime Seck et ses camarades.
Établissement et révision des listes électorales
En attendant les résultats du dialogue, il faut rappeler que le législateur sénégalais prévoie une série de mesures pour l'établissement et la révision des listes électorales, justement pour limiter le contentieux. Aux termes desdites dispositions, les listes électorales sont permanentes. “Elles font l’objet d’une révision annuelle initiée par l’Administration. Sauf cas de force majeure, cette révision dite ordinaire se déroule dans les délais fixés par le présent code”.
En sus de la réglementation des délais, la loi régit également la composition des commissions administratives chargées de mener ces opérations. “La révision est exécutée par les commissions administratives composées d’un président et d’un suppléant désignés par le préfet ou le sous-préfet, du maire ou de son représentant et d’un représentant de chaque parti politique légalement constitué ou coalition de partis politiques légalement constitués, déclarée à cet effet auprès de l’autorité compétente”, prévoit le code. Après validation de la liste des membres nommés par l’Administration, la Cena est tenue de désigner un contrôleur auprès de chaque commission administrative pour supervision et contrôle.
A noter que les commissions administratives des communes sont compétentes dans leur ressort pour procéder, sous la supervision et le contrôle de la Cena, aux opérations d’inscription, de modification, de changement de statut et de radiation dans les conditions fixées par décret.
“Avant chaque élection générale, une révision exceptionnelle est décidée par un décret qui détermine la durée des opérations et le délai des contentieux. Dans ce cas, il n’y aura pas de révision ordinaire. Toutefois, la révision exceptionnelle peut être décidée dans la même forme en cas d’élection anticipée ou de référendum” dispose la loi électorale.
par Abdourahmane Ba
LE CAS DE LA DÎME SALARIALE DU PASTEF
L'instauration par le parti d'une contribution obligatoire de 10% imposée aux ministres et hauts fonctionnaires soulève des questions sur la neutralité administrative. L'administration est transformée en instrument de captation des ressources d'État
Clientélisme partisan et crise de la gouvernance publique au Sénégal
L’instauration par le parti Pastef d’une contribution salariale obligatoire de 10 % au profit de son organisation, imposée aux ministres et hauts fonctionnaires affiliés, soulève des interrogations fondamentales sur l’avenir de la neutralité administrative, la déontologie de la gouvernance publique et les mutations contemporaines du clientélisme en Afrique francophone. Si cette mesure est présentée comme un mécanisme vertueux d’auto-financement partisan, elle engage en réalité des implications profondes sur les plans institutionnel, juridique, éthique et politologique.
Le phénomène s’inscrit dans une logique typique de clientélisme politique, redéfini non comme un simple échange de faveurs électorales, mais comme un système organique d’obligations mutuelles entre un parti au pouvoir et les agents placés sous sa tutelle. La littérature sur le néo-patrimonialisme en Afrique subsaharienne, notamment les travaux de Bratton, van de Walle et Médard, permet de situer cette pratique comme un prolongement d’un État faiblement institutionnalisé, où l’accès aux ressources publiques reste conditionné par l’allégeance politique. Le prélèvement de 10 % sur les salaires publics introduit une logique de réciprocité financière qui structure le champ politico-administratif en réseau de dépendances.
D’un point de vue historique et comparatif, ce système renoue avec les pratiques du spoils system américain du XIXe siècle, dans lequel les fonctionnaires nommés par le parti au pouvoir versaient une partie de leur rémunération à l’appareil partisan. Cette méthode, abolie par la réforme de la fonction publique aux États-Unis en 1883 (Pendleton Act), fut condamnée comme une forme d’appropriation privative de l’État. La pratique du Pastef, bien qu’inscrite dans un contexte démocratique pluraliste, en reproduit les dynamiques centrales : accès aux positions publiques par canal partisan, maintien en poste conditionné à la loyauté financière, et confusion des sphères publique et partisane.
L’examen éthique de cette pratique révèle une distorsion fondamentale du principe de probité administrative. En exigeant une redevance politique sur une rémunération publique, le dispositif alimente une tension entre la vocation universelle du service public et les exigences d’un militantisme de fidélité. La neutralité, la réserve et l’impartialité, principes cardinaux de l’éthique administrative dans les régimes républicains, se trouvent affaiblis par cette contractualisation implicite du lien hiérarchique, qui devient aussi financier. Ce brouillage ouvre la voie à des conflits d’intérêts structurels, notamment lorsque les décisions administratives touchent à la redistribution de ressources, aux recrutements ou à la passation de marchés.
Sur le plan juridique, la légalité formelle du dispositif peut être reconnue dans le cadre de la loi sénégalaise de 1981 sur les partis politiques, qui autorise le financement par cotisations des membres. Toutefois, cette légalité ne suffit pas à lui conférer une légitimité républicaine. Aucun texte ne définit les modalités encadrant les prélèvements internes, ni ne prévoit de plafonnement ou d’instances de contrôle indépendantes. Ce flou juridique génère une zone d’ambiguïté où le consentement des agents est difficilement vérifiable, et où la liberté d’adhésion se mue en obligation tactique pour la préservation de carrière.
Le statut général de la fonction publique, bien qu’octroyant une liberté d’opinion aux agents de l’État, impose aussi un devoir de neutralité et de service exclusif de l’intérêt général. En réalité, les postes dits « à la discrétion du gouvernement » sont devenus les vecteurs privilégiés de la politisation de l’administration. La contribution salariale obligatoire renforce cette politisation en rendant matériellement visibles les appartenances partisanes au sein même de l’appareil d’État. Elle introduit un critère financier dans le processus de sélection, de maintien ou de limogeage des hauts fonctionnaires et fragilise l’égalité d’accès et la transparence.
La pratique du Pastef participe également d’une mutation de la gouvernance publique vers une logique de captation des ressources. Selon la théorie de la capture institutionnelle, un acteur politique structure les dispositifs publics pour servir ses intérêts propres, tout en respectant formellement le cadre légal. Le financement du parti par les appointements issus du budget de l’État incarne un tel phénomène : le parti ne détourne pas directement les fonds publics, mais les capte en instaurant une redevabilité financière à partir des ressources publiques salariales, ce qui brouille ainsi la finalité du service rendu.
À l’échelle internationale, les exemples sud-africains (EFF, ANC) et kényans montrent que la dîme partisane existe, mais qu’elle est de plus en plus encadrée et contestée. Là où les prélèvements restent symboliques et volontairement consentis, ils sont perçus comme légitimes. En revanche, dès que l’exigence devient systématique, proportionnelle au revenu et liée au maintien en poste, elle dérive vers une logique coercitive. L’absence de financement public régulier des partis politiques, comme au Sénégal, accentue cette dépendance aux contributions internes, mais ne peut justifier leur caractère obligatoire sans déroger aux normes démocratiques de séparation des pouvoirs.
Sur le plan de la gouvernance démocratique, la confusion entre administration et parti affaiblit la confiance des citoyens dans la neutralité de l’État. Le principe d’impartialité, qui fonde la légitimité des politiques publiques, est compromis lorsque les agents perçoivent leur fonction comme dépendante d’un flux financier vers le parti. Cette perception crée un déséquilibre dans la chaîne de responsabilité : l’agent n’est plus redevable uniquement devant la loi ou la hiérarchie administrative, mais aussi devant une organisation politique qui s’institutionnalise comme organe de redistribution parallèle.
Le risque systémique est celui d’une transformation de l’administration en bras armé du parti, sur le modèle des régimes de parti unique, où les nominations, les promotions et les décisions stratégiques dépendent de la proximité idéologique et financière avec l’appareil partisan. La contribution imposée de 10 % agit ici comme un filtre de loyauté, produit une auto-sélection des agents alignés et élimine progressivement toute forme de pluralisme institutionnel. Cette logique, si elle perdure, transforme la République en une démocratie de façade qui masque un parti-État.
La justification avancée – refus du financement illicite et volonté de transparence – ne résiste pas à l’analyse si la pratique s’opère en l’absence de contrôle externe et de traçabilité. Une transparence réelle supposerait que les montants collectés soient publiés, auditables, et leur usage traçable dans les comptes certifiés du parti. Sans ces garde-fous, le système contribue à opacifier la gestion des ressources partisanes tout en créant un précédent délétère pour la qualité de la démocratie sénégalaise.
Il est donc urgent de doter le Sénégal d’un cadre légal robuste sur le financement politique. Ce cadre devrait garantir un financement public minimal pour réduire la dépendance aux contributions internes, fixer des plafonds raisonnables, interdire les prélèvements obligatoires liés à l’exercice d’une fonction publique, et créer une autorité indépendante de contrôle. Sans cela, la tentation de monétiser les postes publics persistera, avec un impact durable sur l’équité et la performance institutionnelle.
Sur le plan théorique, cette situation confirme l’actualité du concept de "démocratie capturée", où la domination électorale ne débouche pas sur une consolidation de l’État de droit, mais sur une instrumentalisation des institutions à des fins partisanes. Ce type de régulation par le bas (via les membres du parti) plutôt que par le haut (via le droit et la Constitution) révèle un déplacement inquiétant du centre de gravité normatif, où la règle interne supplante la norme républicaine.
En conclusion, la contribution salariale obligatoire imposée par le Pastef, bien que juridiquement admissible, constitue une rupture profonde avec les principes d’impartialité, de transparence et de mérite qui fondent toute administration républicaine. En transférant laa logique de fidélité du champ électoral au champ administratif, elle alimente une dynamique de politisation structurelle, affaiblit la crédibilité de l’État et altère la confiance publique. Une réforme législative s’impose, non pour sanctionner un parti, mais pour préserver l’État contre les dérives partisanes, en consolidant une gouvernance fondée sur la compétence, l’équité et l’éthique.
Dr. Abdourahmane Ba est expert en Développement International, politiques publiques, management et suivi et évaluation.
Quatre ans après son coup de force « sanglant» qui a mis un coup d’arrêt à la dérive autoritariste d’Alpha Condé, le général Mamady Doumbouya ne suscite plus l’enthousiasme qui qui avait suivi son avènement. Au point de pousser malheureusement certains guinéens à regretter Alpha Condé. Pour cause, il semble lui-même tomber presque dans les même tard qu’il a dénoncé après son coup d’Etat. En effet, après son putsch sanglant de 5 septembre 2021Il avait dit vouloir rétablir la démocratie, protéger les droits humains, unir ses compatriotes, redonner le pouvoir au peuple, mais à la tâche, le général ne ses préoccupe que de son pouvoir, un pouvoir clanique du reste. Pour consolider son pouvoir, le général intimide le pueple, musèle la presse, enlève des journalistes et des activistes à tour de bras, traques les opposants. Des journalistes qui critiquent son pouvoir englué dans la corruption et népotisme son soit exilés de force soit en prison
Son avènement à la tête du pays, le 5 octobre 2022, avait suscité beaucoup d’espoir au sein d’une large partie de la population guinéenne, qui pensait avoir trouvé en lui un libérateur face à la dérive dictatoriale et au forcing d’Alpha Condé. Mais il n’en est rien. Plus de quatre ans après son coup de force sanglant, les maux que le général Mamady Doumbouya dénonçait semblent aujourd’hui plus prégnants encore, voire exacerbés : corruption, clanisme, confiscation du pouvoir et privation des libertés.
Quid des élections promises dans les meilleurs délais après son putsch ? Il n’en est même plus question. Dans la foulée, des journalistes et des activistes sont arrêtés ou portés disparus, les leaders politiques les plus en vue presque contraints à l’exil, tandis que les partis politiques et la société civile sont réduits au silence.
Face à ce tableau sombre que connaît actuellement la Guinée, le journaliste Pepe Guilavogui sort de sa réserve. À travers un single remixé, il s’adresse directement aux militaires au pouvoir, en particulier à leur chef, le général Doumbouya, qui régente tout le pays en maintenant une véritable chape de plomb sur les citoyens.
Dans une interview exclusive accordée à Seneplus, le journaliste pointe du doigt la déception du peuple guinéen et dénonce les méthodes autoritaires de la junte, qui muselle les médias critiques et dirige avec une gouvernance qui laisse de plus en plus à désirer.
LA SOCIÉTÉ CIVILE FORMÉE SUR LES RISQUES DU MÉTHANE
Face aux enjeux environnementaux liés à l’exploitation pétrolière et gazière, des représentants de la société civile ont été formés à mobiliser les outils nécessaires pour défendre les intérêts des communautés.
Des acteurs de la société civile sénégalaise ont été outillés, lors d’un atelier de deux jours, pour influencer de manière constructive les politiques et pratiques qui encadrent la gestion des émissions de méthane, a constaté l’APS.
‘’L’objectif général de cet atelier est de renforcer les acteurs de la société civile sénégalaise en connaissance et outils leur permettant d’influencer de manière constructive les politiques et pratiques qui encadrent la gestion des émissions de méthane’’, a déclaré la responsable de l’Institut national de gouvernance des ressources (NRGI), Aïda Diop.
S’exprimant à la clôture de cet atelier ouvert mardi, elle a rappelé que les opérations pétrolières et gazières s’accompagnent de défis liés à l’aspect environnemental, notamment les émissions de gaz à effet de serre, particulièrement le méthane, qui est 26 à 80 fois plus puissant que le gaz carbonique ou CO2 en termes d’émission.
Elle a ainsi estimé qu’à l’approche de la révision de la Contribution déterminée au niveau national (CDN) et dans le contexte du nouveau décret d’application du Code de l’Environnement, il est crucial que la société civile s’implique activement dans les débats nationaux.
‘’Elle doit mettre en œuvre un plan de plaidoyer structuré en veillant à ce que les mécanismes de gouvernance prévoient des incitations et des sanctions efficaces, afin d’assurer la conformité des entreprises et le respect des objectifs du pays en matière de réduction des émissions’’.
La responsable de NRGI estime que dans un contexte de production pétrolière et gazière, le Sénégal doit faire face aux risques d’émissions de méthane, il qu’il est important d’outiller la société civile.
‘’La société civile joue un rôle clé en veillant à l’amélioration et à l’application des réglementations environnementales, en soutenant les communautés pour anticiper les risques économiques, environnementaux et sociaux’’, a-t-elle rappelé.
Aïda Diop a en outre indiqué qu’en dépit des initiatives du gouvernement sénégalais, il reste beaucoup à faire, notamment dans le cadre juridique réglementaire, notant qu’il n’existe pas ‘’de réglementation spécifique liée aux émissions de méthane”
La secrétaire adjointe du conseil local de la pêche artisanale de Saint-Louis, par ailleurs, transformatrice de produits halieutiques, Fama Sarr, s’est réjouie de la tenue de cet atelier de formation, soulignant son ”importance capitale”.
Pour elle, l’atelier permet aux communautés de base ‘’d’amener les multinationales à respecter les règlements et lois du Sénégal’’ en matière énergétique, environnementale et halieutique.
Fama Sarr a ainsi souhaité une implication totale des communautés en réclamant la traduction simplifiée d’un guide pour faciliter le partage de l’information.
Le représentant des communautés de Sangomar, Mamadou Diouf, a souligné que cet atelier vient à son heure, parce que jusque-là, les populations ne savent absolument rien de cette nouvelle situation d’exploitation des hydrocarbures.
‘’Nous avons vraiment suivi, à travers cet atelier, ce qui est en train de se faire au niveau de l’Etat pour que les lois et règlements soient mis aux normes pour aider les populations à bénéficier des effets des changements’’.
Mamadou Diouf a en ce sens promis de mener le plaidoyer pour que le Sénégal prenne en compte la question des émissions de gaz à effet de serre.
MORT DE NGŨGĨ WA THIONG'O
L'écrivain kényan est décédé mercredi à 87 ans. Cet homme qui a consacré six décennies à documenter la transformation de l'Afrique et à défendre l'écriture en langues africaines laisse derrière lui une œuvre monumentale
(SenePlus) - L'écrivain kenyan Ngũgĩ wa Thiong'o, figure emblématique de la littérature africaine moderne, est décédé à l'âge de 87 ans, a annoncé la BBC mercredi. Cet homme qui a consacré sa vie à documenter la transformation de son pays natal et à défendre l'écriture en langues africaines laisse derrière lui une œuvre monumentale de six décennies.
Né James Thiong'o Ngũgĩ en 1938 sous la domination coloniale britannique, l'auteur a grandi à Limuru dans une famille nombreuse d'ouvriers agricoles aux revenus modestes. Ses parents "ont économisé sou par sou pour payer ses frais de scolarité à Alliance, un internat dirigé par des missionnaires britanniques", rapporte la BBC.
L'enfance de Ngũgĩ sera marquée par les violences de la répression coloniale. Dans une interview citée par la BBC, "Ngũgĩ se souvenait être rentré chez lui depuis Alliance à la fin du trimestre pour découvrir que son village entier avait été rasé par les autorités coloniales." Sa famille fut parmi "les centaines de milliers contraintes de vivre dans des camps de détention pendant la répression du mouvement Mau Mau", ces combattants de l'indépendance.
Le traumatisme le plus profond survient lorsque son frère Gitogo est "abattu dans le dos par balle pour avoir refusé d'obéir à l'ordre d'un soldat britannique. Gitogo n'avait pas entendu l'ordre car il était sourd", relate la BBC.
En 1959, Ngũgĩ quitte le Kenya pour étudier à l'université Makerere en Ouganda, "qui reste l'une des universités les plus prestigieuses d'Afrique". C'est là que sa carrière littéraire prend son envol. Lors d'une conférence d'écrivains, il partage le manuscrit de son premier roman avec l'auteur nigérian respecté Chinua Achebe.
"Achebe a transmis le manuscrit à son éditeur au Royaume-Uni et le livre, intitulé Weep Not, Child, est sorti avec les éloges de la critique en 1964. C'était le premier grand roman en langue anglaise écrit par un Est-Africain", précise la BBC.
Le succès est immédiat. Ngũgĩ enchaîne avec deux autres romans populaires, A Grain of Wheat et The River Between. En 1972, le Times britannique déclarait que "Ngũgĩ, alors âgé de 33 ans, était accepté comme l'un des écrivains contemporains exceptionnels d'Afrique".
Le tournant de 1977 : rupture et engagement
L'année 1977 marque une transformation radicale. Ngũgĩ abandonne son nom de naissance James pour devenir "Ngũgĩ wa Thiong'o" et "abandonne sa langue de naissance coloniale". Il "abandonne aussi l'anglais comme langue principale de sa littérature et fait le vœu de n'écrire qu'en kikuyu, sa langue maternelle", explique la BBC.
Son dernier roman en anglais, Petals of Blood, publié cette année-là, marque également une radicalisation politique. Contrairement à ses précédents livres critiquant l'État colonial, ce roman "attaquait les nouveaux dirigeants du Kenya indépendant, les dépeignant comme une classe d'élite qui avait trahi les Kenyans ordinaires".
La même année, il co-écrit la pièce Ngaahika Ndeenda (I Will Marry When I Want), "un regard incisif sur la lutte des classes au Kenya". La réaction du gouvernement est brutale : "Sa représentation théâtrale fut fermée par le gouvernement du président Jomo Kenyatta et Ngũgĩ fut enfermé dans une prison de haute sécurité pendant un an sans procès."
Cette incarcération devient paradoxalement fructueuse. "Ngũgĩ écrit son premier roman en kikuyu, Devil on the Cross, en prison. On dit qu'il a utilisé du papier toilette pour écrire tout le livre, car il n'avait pas accès à un carnet", relate la BBC.
Libéré après l'accession au pouvoir de Daniel arap Moi, Ngũgĩ apprend quatre ans plus tard, "alors qu'il était à Londres pour le lancement d'un livre, qu'il y avait un complot pour le tuer à son retour au Kenya."
S'ensuit un exil de 22 ans aux États-Unis et au Royaume-Uni. Son retour au Kenya en 2004 tourne au drame : "des assaillants ont fait irruption dans l'appartement de Ngũgĩ, attaquant brutalement l'auteur et violant sa femme." Ngũgĩ a qualifié cette agression de "politique", selon la BBC.
Champion des langues africaines
En exil, Ngũgĩ devient "l'un des principaux défenseurs de la littérature écrite en langues africaines" face à la domination de l'anglais et du français. Dans son essai emblématique Decolonising the Mind, il pose cette question provocante : "Quelle est la différence entre un politicien qui dit que l'Afrique ne peut se passer de l'impérialisme et l'écrivain qui dit que l'Afrique ne peut se passer des langues européennes ?"
Cette position lui vaut même une brouille avec Chinua Achebe, celui-là même qui avait lancé sa carrière. "Ngũgĩ critique Chinua Achebe - l'auteur qui avait aidé à lancer sa carrière - pour avoir écrit en anglais. Leur amitié s'aigrit en conséquence", rapporte la BBC.
Au-delà de sa carrière littéraire, Ngũgĩ a connu de nombreuses épreuves personnelles. Marié et divorcé deux fois, père de neuf enfants dont quatre sont auteurs publiés, il plaisantait en 2020 : "Ma propre famille est devenue l'un de mes rivaux littéraires."
Des accusations de violence domestique ont également été portées par son fils Mukoma wa Ngũgĩ, qui a écrit sur les réseaux sociaux : "Certains de mes premiers souvenirs sont moi allant rendre visite à ma mère chez ma grand-mère où elle cherchait refuge", selon la BBC. Ngũgĩ wa Thiong'o n'a pas répondu à ces allégations.
Sa santé s'est détériorée ces dernières années. Diagnostiqué d'un cancer de la prostate en 1995 avec "trois mois à vivre", il s'est rétabli. Il a subi "une triple opération de pontage cardiaque en 2019 et a commencé à lutter contre une insuffisance rénale."
Malgré de multiples nominations, le prix Nobel de littérature lui a toujours échappé, "laissant ses admirateurs consternés à chaque fois que la médaille lui glissait entre les doigts", note la BBC.
Comme l'avait dit l'écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi Adichie, Ngũgĩ était "l'une des lumières directrices de la littérature africaine". Sa disparition laisse "le monde des mots un peu plus sombre", conclut la BBC.
LE GHANA RECADRE TRUMP
"Une insulte à tous les Africains" : c'est ainsi que le président ghanéen John Mahama qualifie les accusations de Trump contre Ramaphosa. Dans une tribune cinglante, Il rappelle les persécutions subies par les Sud-Africains noirs pendant l'apartheid
(SenePlus) - Le président ghanéen John Dramani Mahama monte au créneau pour défendre son homologue sud-africain Cyril Ramaphosa, après les accusations non fondées de Donald Trump concernant un prétendu "génocide blanc" en Afrique du Sud. Dans une tribune publiée mercredi dans The Guardian, le dirigeant ghanéen dénonce une "insulte à tous les Africains" et replace ces attaques dans le contexte historique de la colonisation et de l'apartheid.
Selon Mahama, la rencontre à la Maison Blanche entre Trump et Ramaphosa portait "au fond, sur la préservation de vérités historiques essentielles". Le président ghanéen souligne que "les affirmations du président américain concernant un génocide blanc entrent en conflit avec les persécutions raciales et massacres réels qui ont eu lieu pendant les deux siècles de colonisation et près de 50 ans d'apartheid en Afrique du Sud", rapporte The Guardian.
Pour étayer son propos, Mahama cite l'écrivain kenyan Ngũgĩ wa Thiong'o : "La conquête par le langage, contrairement à la forme militaire où le vainqueur doit soumettre directement toute la population, est moins chère et plus efficace." Il dénonce ainsi l'utilisation du langage comme prolongement des injustices passées contre les peuples africains indigènes.
Le dirigeant ghanéen rappelle les liens indéfectibles entre nations africaines face aux injustices. Évoquant l'indépendance du Ghana en 1957, il cite le premier Premier ministre Kwame Nkrumah : "Notre indépendance n'a de sens que si elle est liée à la libération totale de l'Afrique."
Cette solidarité s'est particulièrement manifestée lors du massacre de Sharpeville en 1960, qui a fait "69 morts et plus de 100 blessés". Mahama témoigne : "Au Ghana, à des milliers de kilomètres, nous avons manifesté, protesté, offert refuge et protection. Une solidarité similaire existait dans les nations souveraines à travers le continent."
Trump "refuse d'écouter" selon Mahama
Le président ghanéen évoque également l'impact personnel du soulèvement de Soweto en juin 1976, quand il avait 17 ans : "La photo désormais iconique d'un jeune homme, Mbuyisa Makhubo, portant le corps inerte de Hector Pieterson, 12 ans, qui venait d'être abattu par la police, m'a hanté pendant des années."
Mahama pointe les inégalités persistantes en Afrique du Sud post-apartheid. Selon The Guardian, il rappelle que "malgré leur représentation de moins de 10% de la population, les Sud-Africains blancs contrôlent plus de 70% de la richesse nationale."
Il mentionne l'existence actuelle de communautés séparatistes comme Kleinfontein et Orania, cette dernière ayant "ses propres écoles enseignant uniquement l'afrikaans, sa propre chambre de commerce, ainsi que sa propre monnaie, l'ora, utilisée strictement à l'intérieur de ses frontières."
Le président ghanéen décrit comment "Ramaphosa a été pris au dépourvu par Trump avec ces accusations non fondées et l'exposition d'images déformées - dans une image, des photos d'enterrements provenaient en réalité du Congo." Il précise que "Trump a refusé d'écouter alors que Ramaphosa insistait sur le fait que son gouvernement n'avait aucune politique officielle de discrimination."
Citant l'archevêque Desmond Tutu, Mahama conclut : "Si vous voulez détruire un peuple, vous détruisez sa mémoire, vous détruisez son histoire." Mais il rappelle que "la mémoire est longue. Elle coule dans les veines de nos enfants et de leurs enfants."
Pour le dirigeant ghanéen, tant que ces histoires continueront d'être racontées "à la maison, à l'église, chez le coiffeur, dans les écoles, dans la littérature, la musique et à l'écran, alors nous, fils et filles d'Afrique, continuerons de savoir ce que nous avons survécu et qui nous sommes."
Face aux "vraies crises" mondiales - réfugiés refoulés, aide internationale suspendue, génocides en cours -, Mahama appelle à se concentrer sur les défis réels plutôt que sur des accusations sans fondement qui détournent l'attention des véritables injustices contemporaines.