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18 juillet 2025
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L'AMNISTIE, UNE IMPASSE CONSTITUTIONNELLE
Selon Maurice Soudieck Dione, l'abrogation créerait paradoxalement l'impunité, tandis que l'interprétation se heurte à la clarté du texte initial. Il pointe un dilemme révélateur des contradictions héritées d'une transition politique mal négociée
Ce dimanche 23 mars 2025, l'émission "Point de vue" de la RTS recevait le professeur Maurice Soudieck Dione, agrégé de sciences politiques à l'université Gaston Berger de Saint-Louis, pour dresser le bilan de la première année du gouvernement Bassirou Diomaye Faye. Parmi les sujets brûlants abordés, la controverse entourant la loi d'amnistie votée par l'ancien régime précédent a particulièrement retenu l'attention.
"Cette loi d'amnistie est une loi assez particulière", explique l'invité. "L'amnistie, comme vous le savez, c'est une amnésie provoquée et organisée juridiquement. Elle porte sur des faits passés, alors que l'abrogation d'une loi n'a d'effets que pour l'avenir."
Au cœur du débat se trouve une proposition de loi interprétative portée par le député Amadou Ba, visant à exclure du champ d'application de l'amnistie les auteurs de crimes de sang et de torture. Face à cette initiative, l'opposition et la société civile réclament une abrogation totale.
Maurice Soudieck Dione souligne toutefois une contradiction juridique majeure : "Comment une loi qui ne peut viser que l'avenir peut-elle régir un temps du passé ? Si on abroge la loi d'amnistie, en réalité, on crée l'impunité, puisqu'en droit, la loi nouvelle n'a d'effet que pour l'avenir."
Il précise également que la loi d'amnistie actuelle est parfaitement claire dans son exposé des motifs, qui mentionne que "pendant longtemps, le législateur a voulu privilégier l'amnistie de plein droit pour effacer toutes les infractions sans aucune distinction". Par conséquent, selon lui, "il n'y a pas matière à interprétation".
Pour le politologue, le véritable enjeu dépasse le cadre juridique : "C'est très grave ce qui s'est passé au Sénégal. Il y a eu un ensauvagement de la culture politique sénégalaise et ça, c'est extrêmement grave parce qu'après, cela produit des effets de désinstitutionnalisation démocratique."
Avec près de 80 morts lors des manifestations entre 2021 et 2024, une situation sans précédent dans l'histoire politique du Sénégal, Maurice Soudieck Dione insiste sur la nécessité de faire la lumière sur ces événements : "Si on ne fait pas la lumière, qu'est-ce qui va se passer ? On aura l'impression que ces faits-là sont passés par pertes et profits, et que finalement, on est dans une sorte de banalisation du mal."
Face à cette impasse juridique, le professeur suggère d'explorer d'autres voies : "Peut-être qu'on aurait dû aller vers des concertations plus larges et ne pas avoir seulement une perception juridique et judiciaire. Peut-être avoir une perspective plus englobante, non seulement judiciaire, mais également culturelle, sociale, psychologique, de prise en charge des victimes, de réconciliation, et pourquoi pas une loi constitutionnelle qui permettrait de surmonter cette difficulté."
Maurice Soudieck Dione rappelle que l'Histoire sénégalaise a connu plusieurs épisodes de violence politique, mais que la vague récente représente une dangereuse escalade qu'il faut absolument stopper : "Ce qui est sûr, c'est que si on laisse les choses passer de cette manière, on aura l'impression que la violence, c'est normal, et cela peut se reproduire à tout moment."
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LA GUERRE DES MOTS ENTRE OUAGADOUGOU ET JEUNE AFRIQUE
Le président Ibrahim Traoré accuse le magazine d'avoir tenté de lui soutirer de l'argent contre une couverture favorable. La réponse du média ne s'est pas fait attendre, dénonçant une "tactique de diversion" typique des régimes autoritaires
(SenePlus) - Lors d'un récent discours prononcé à Ziniaré, le président Ibrahim Traoré a consacré une portion significative de son intervention à critiquer les médias internationaux, qu'il accuse de mener ce qu'il qualifie de "guerre de communication" contre son pays. "Dans ce combat que nous menons aujourd'hui, le plus dangereux c'est la guerre de communication," a-t-il déclaré, tout en exhortant les Burkinabè à demeurer vigilants face à ce qu'il considère comme des tentatives de désinformation.
Le président a particulièrement ciblé Jeune Afrique dans ses critiques, affirmant que ce média aurait tenté d'établir des relations financières avec son gouvernement : "Ces mêmes médias, je le dis aujourd'hui haut et fort, surtout Jeune Afrique, nous ont courtisés au tout début 2022-2023. Ils sont passés par plusieurs canaux pour nous aborder, pour nous faire payer et laver notre image comme ils le disent. Nous avons refusé."
Selon les propos du dirigeant burkinabè, ce type de médias fonctionnerait selon un système bien établi de chantage à l'image : "C'est comme ça qu'ils fonctionnent, et beaucoup de chefs d'État tombent dans leurs pièges. Ils versent de l'argent chaque mois pour qu'on publie des articles pour laver leur image. Vous payez l'argent, ils mentent pour laver votre image. Vous refusez, ils mentent pour détruire votre image."
Les accusations du président Traoré vont plus loin encore, imputant à ces médias une responsabilité dans plusieurs crises africaines : "Ils ont procédé par la même méthode pour mettre le feu au Rwanda, par la même méthode pour détruire le Soudan, par les mêmes méthodes pour détruire l'Afrique."
La réaction du magazine panafricain a été prompte et directe. Dans un éditorial publié le 23 mars 2025, Marwane Ben Yahmed, directeur de publication de Jeune Afrique, a riposté avec un texte incisif intitulé "Ibrahim Traoré ou l'art de la diversion".
Dès les premières lignes, le ton est donné : "Ce n'est pas en portant des accusations grossières contre Jeune Afrique que le chef de la junte fera oublier qu'il a mis la démocratie burkinabè à genoux. Sans parvenir à gagner une fois de terrain face aux terroristes."
Qualifiant l'intervention du président de "diatribe nauséabonde", Ben Yahmed analyse cette stratégie comme une tactique classique des régimes autoritaires : "C'est vieux comme les dictatures, et Ibrahim Traoré est coutumier du fait : désigner un bouc émissaire, l'impérialisme, les médias, les Ivoiriens, l'Occident, les Peuls, les Martiens..."
L'éditorial conteste également les affirmations du gouvernement sur les avancées sécuritaires, arguant au contraire d'une détérioration de la situation : "La restauration de la sécurité et la guerre contre les terroristes, qui avaient servi de honteuse justification aux putschs contre Roch Marc Christian Kaboré puis contre Paul-Henri Sandaogo Damiba, demeurent un mirage. La situation sur le terrain a même empiré."
Le directeur de publication dénonce par ailleurs ce qu'il considère comme des atteintes à la liberté de la presse : "La propagande officielle tourne à plein régime, les médias publics ont été transformés en Pravda sahélienne, les médias étrangers (dont Jeune Afrique) ont été interdits."
par Souleymane Gueye
RENIEMENT PERPÉTUEL ET INVARIABLES CHIENS DE GARDE
De Wade à Diomaye, la politique sénégalaise reste marquée par des promesses non tenues que des "experts" s'empressent de justifier par des arguments techniques. Une trahison systémique des valeurs fondamentales du pays
Au Sénégal, la parole donnée est sacrée. C’est une valeur fondamentale, ancrée dans notre culture, qui définit l’honneur d’un homme. Mais en politique, cette règle ne semble pas exister. Pire encore, chaque reniement est couvert, justifié, légitimé par une caste bien organisée : les chiens de garde du système qui veille à ce que rien ne change vraiment.
Des promesses envolées, des excuses bien rodées
Abdoulaye Wade jurait qu’il ne ferait pas de troisième mandat ? Il a tenté le coup, et ses sbires ont trouvé une astuce juridique pour nous le vendre.
Macky Sall s’était engagé à réduire son mandat à 5 ans ? Il a renié sa parole, et une armée d’experts est sortie de l’ombre pour nous expliquer que « c’était techniquement impossible ».
Diomaye avait promis de sortir le président du Conseil supérieur de la magistrature et Sonko lors des législatives d’annuler la loi d’amnistie ? Aujourd’hui, ils reculent… et comme par magie, les mêmes voix s’élèvent pour nous dire que « le contexte a changé ».
À chaque reniement, le même scénario : on nous endort avec du jargon technique, on nous fait croire que nous ne comprenons pas les « réalités du pouvoir »
Les chiens de garde du système
Ces experts, hauts fonctionnaires, consultants et juristes ne servent pas la démocratie. Ils servent le pouvoir. Leur mission ? Tuer dans l’œuf toute réforme qui pourrait réellement changer le système. Ils ne sont ni neutres ni objectifs : ce sont les gardiens du statu quo, ceux qui trouvent toujours une raison pour nous dire « ce n’est pas possible ».
Quand un président trahit sa parole, ce ne sont pas les électeurs qui protestent le plus. Non. Ce sont ces technocrates qui viennent nous faire la leçon : « Vous ne comprenez pas les réalités de l'Etat ».
Une caste d’experts au service du prince nous explique, avec un jargon compliqué, pourquoi « c’est plus compliqué que prévu ».
Mensonge ! Quand on donne sa parole, on la tient. C’est une question d’honneur, pas de technicité !
Ce qui a besoin de trop d’explications techniques n’est ni démocratique ni populaire
La démocratie repose sur une idée simple : le peuple décide et doit comprendre les choix faits en son nom. Or, chaque fois que l’on nous inonde de jargon et d’arguments techniques pour justifier une trahison, c’est une tentative d’éloigner le peuple du débat. Une loi, une réforme, une décision politique doivent être accessibles à tous. Si un gouvernement a besoin de longues explications complexes pour légitimer ses décisions, c’est qu’il sert des intérêts cachés et non la souveraineté populaire.
Une vraie réforme n’a pas besoin de justifications interminables : elle doit pouvoir être expliquée en une phrase. Si ce n’est pas le cas, c’est qu’elle ne vise pas l’intérêt du peuple, mais celui de quelques privilégiés.
Le peuple doit reprendre le pouvoir
Les Sénégalais doivent cesser d’accepter ces reniements sous prétexte qu’un expert leur a dit que c’était normal. La démocratie ne fonctionne que si le peuple exige des comptes !
Un président fait une promesse ? Il doit la tenir !
La technostructure s’oppose aux réformes ? On la balaie !
On nous dit que le système est trop complexe ? On le simplifie !
Assez des chiens de garde du pouvoir ! Assez de ces traîtres à la parole donnée ! Le Sénégal mérite mieux qu’une élite qui protège ses privilèges pendant que le peuple attend, toujours déçu, toujours trahi.
Les belles feuilles de notre littérature par Amadou Elimane Kane
ROUGES SILENCES DE FATIMATA DIALLO BA OU L'INTENSITÉ D’UN RÉALISME MAGIQUE
EXCLUSIF SENEPLUS - L’auteur semble nous dire toute l’importance de notre patrimoine éducationnel, celui qui nous aide à maintenir l’architecture de notre maison, même quand celle-ci chavire sous la tempête et les tremblements de la vie
Notre patrimoine littéraire est un espace dense de créativité et de beauté. La littérature est un art qui trouve sa place dans une époque, un contexte historique, un espace culturel, tout en révélant des vérités cachées de la réalité. La littérature est une alchimie entre esthétique et idées. C’est par la littérature que nous construisons notre récit qui s’inscrit dans la mémoire. Ainsi, la littérature africaine existe par sa singularité, son histoire et sa narration particulière. Les belles feuilles de notre littérature ont pour vocation de nous donner rendez-vous avec les créateurs du verbe et de leurs œuvres qui entrent en fusion avec nos talents et nos intelligences.
Il existe des romans, fonctionnant en fragments, qui s’apparentent à la nouvelle en reprenant les codes narratifs du texte court. Dans sa définition, la nouvelle est un genre littéraire qui est un récit court et qui comporte une action unique et intense, avec peu de personnages, et où le lecteur est immergé rapidement au cœur du récit. De manière classique, la résolution de la nouvelle est plutôt inattendue. La nouvelle peut être réaliste, fantastique ou provoquer un suspense intense jusqu’à l’acmé fulgurant du récit.
Rouges silences, le roman de Fatimata Diallo Ba, fonctionne comme un récit réaliste en fragments avec des passages qui relèvent du réalisme magique et qui produisent une voix narrative à part entière. Chaque personnage est très incarné et occupe un chapitre avec des formes variées entre narration extérieure et narration intime. La psyché des personnages et leurs contradictions humaines sont animées de pensées dont le style est propre à chacun.
Composée dans un style très fluide, la construction narrative est cependant astucieuse car elle utilise des variations hybrides avec une forme réaliste et fantastique à la fois.
Elle décide d’ouvrir les voix du vent, des arbres et des oiseaux. Le grand cèdre du Liban s’avance majestueusement et lui glisse son approbation aux oreilles.[1]
Ce procédé fait avancer le récit tout en produisant une surprise poétique et lyrique, tout en créant une écriture au langage singulier et qui s’apparente au réalisme magique.
On dit que celui-ci est venu de la littérature latino-américaine. Mais avec ses thèmes de solitude, d’amour, de temps et d’identité, le réalisme magique a rapidement transcendé les frontières. Dans le réalisme magique, les règles de la réalité sont flexibles et surprenantes. Les événements fantastiques sont acceptés comme une partie naturelle du monde décrit. Par exemple, un personnage peut converser avec des fantômes en toute simplicité ou une pluie de fleurs peut tomber du ciel sans que cela ne soulève de questions.
On peut dire également que la littérature africaine s’inspire de ce modèle depuis des décennies, voire que ce procédé est à la source de ses écrits littéraires.
Rouges silences raconte une histoire assez simple, celle d’une famille déracinée. Il y a le père Mor et la mère Yandé, mariés à leur insu, qui quittent le Sénégal pour s’installer à Paris en France. Ils ont deux filles, Sarra et Marie, nées en France qui se distinguent par leur appréhension culturelle et le monde qui les entoure. L’une est ancrée dans le désir d’apprendre et l’héritage africain tandis que l’autre se révolte et côtoie les limites en s’infligeant des violences. En arrière plan, il y a un personnage extérieur à la famille, Claudie, une femme prostituée, qui se dessine comme un contre-point à l’unité du récit.
Au moment où débute le récit, Mor est réduit à la solitude qui le ramène à ses démons et craint d’être tombé malade.
Mor a peur. Une peur sourde et intime l’étreint à chaque fois qu’il pose le regard sur les correspondances étendues sur le buffet blanc. [...] Mor a peur. Il n’ose pas ouvrir les lettres posées là, sur le buffet. Elles sentent la mort. S’il les ouvre, à coup sûr, il trouvera la confirmation du mal mystérieux dont il souffre.[2]
Mais la venue d’un homme le fait basculer dans l’horreur de la mémoire brisée par les violences de l’enfance. Et l’écriture de Fatimata Diallo Ba est là pour traduire ce qui ne peut être dit et qui s’est réfugié dans le corps de Mor comme une brutalité incontrôlable.
Ses sens perçoivent les grondements de la mer qui vient se briser en milliards de gouttes nappées d’écume blanche. Au loin des vagues furieuses et noires avancent, menaçantes vers les terres avant de se raviser et de mourir de dépit sur la plage. Une cabane perchée sur les hauteurs du village saturé d’odeurs de poissons séchés ou frits.[3]
Au même moment, Yandé est dans l’avion qui la ramène du Sénégal d’où elle est allée puiser la force de continuer. Son mariage avec Mor lui a été imposé et la violence a constitué leur union. Mais Yandé, éprise de justice et habitée de voix ancestrales, cherche à comprendre la férocité qui agite les actes de son mari, issus de la maltraitance de l’enfance. Chaque personnage est dessiné en fonction du tableau imposé par l’éducation et les affres qu’ils ont subies. Yandé reçoit la parole des ancêtres comme des voix qui exposent la vérité et qui l’aident à se relever.
Puis c’est un concert de claquements, de sifflements, de grondements, de frôlements qui occupe le silence de l’habitacle et enveloppe la jeune femme. Ah! Ces harmonies célestes qui saisissent son âme. Elle se glisse dans un espace clos où chantent en chœur plusieurs personnes qui semblent avoir le même âge.[4]
Ainsi les deux êtres que forment ce couple n’ont pas la même vision. Mor est emporté dans la profondeur de son passé qui se transforme en terreur tandis que Yandé se défait de ses tourments par la lumière spirituelle et de ce que l’on lui a enseigné.
Ici, l’auteur semble nous dire toute l’importance de notre patrimoine éducationnel, celui qui nous aide à maintenir l’architecture de notre maison, même quand celle-ci chavire sous la tempête et les tremblements de la vie. Les filles de Mor et Yandé ont pris de l’un et de l’autre. Sarra est du côté de l’éclat maternel transis que Marie se débat avec le feu qui l’habite, comme une héritière des déchirements de son père.
Ainsi la fonction spatio-temporelle du roman est renversée régulièrement par les va-et-vient entre la dureté du monde réel, l’obscurité du passé et la possibilité d’une éclaircie qui chevauche ce qui va advenir. Yandé est à la source des valeurs et malgré ses ressentiments envers Mor, elle l’accompagne sur la voie de la paix.
Le récit, qui se situe à Paris, apporte son lot de souffrances : exil, discriminations, mariage subi, violence conjugale, misère morale, prostitution et invisibilité humaine. Mais Yandé, force féminine et volontaire, s’accroche à la beauté de la terre africaine, aux symboles et aux rites pour transcender son quotidien. Le mythe revisité par la culture devient un soutien dans sa force évocatrice. Yandé possède la bonté du soin des corps et des âmes pour réparer le mal qui a été fait. Tout comme elle s'accroche à la lecture et à l’écriture pour comprendre le monde. De cet héritage, elle en fait un trésor qu’elle transmet à ses filles et à son entourage, comme une évidence.
Malgré la maladie, la mort et la difficulté à être dans un monde qui ne reconnaît pas la différence, l’issue du récit est plutôt tournée vers l’espérance. L’auteur nous dit que toute vie est un combat mais que celui-ci est affaire de chacun et de tous, arriver à former le chemin de sa destinée à travers les mots, à travers l’amour, à travers le pardon et espérer encore et toujours.
Rouges silences de Fatimata Diallo Ba est un roman qui bouleverse par les émotions qui traversent les personnages et qui sont traduites dans un style épuré mais tourné vers un cheminement poétique. La variation entre le réel et l’imaginaire constitue ici l’unité du récit. Fatimata Diallo Ba possède une vision littéraire singulière et surprenante qui s’inspire du caractère composite de la littérature africaine contemporaine qui, métissée par les espaces et le temps, propose un univers où les voix plurielles produisent des échos puissants et renaissants.
KHADY DIENE GAYE VEUT METTRE LES ACTEURS DE LA LUTTE AU PAS
Invitée de l'émission "Objection" ce dimanche, la ministre des Sports met fin au laxisme dans l'organisation des combats de lutte. Désormais, le dernier coup d'envoi sera sifflé à 18h30, sans exception
La ministre de la Jeunesse, des Sports et de la Culture, Mme Khady Diene Gaye, était l'invitée de l'émission "Objection" sur Sud FM ce dimanche 23 mars 2025. Parmi les sujets abordés, la question de l'indiscipline dans la lutte a particulièrement retenu l'attention.
Face aux problèmes récurrents de sécurité lors des combats de lutte, Mme Gaye a annoncé une série de mesures strictes qui seront désormais appliquées. "J'ai reçu l'ensemble des acteurs, les promoteurs, les associations de lutteurs, ainsi que le CNG de lutte, et plusieurs résolutions ont été adoptées," a-t-elle expliqué.
"Désormais, le dernier combat devra commencer au plus tard à 18h30, pour une fin à 19h, ce qui permettra à tous les spectateurs d'évacuer le stade en toute sécurité." Elle a insisté sur le fait que cette règle devra être "scrupuleusement respectée par les différents acteurs."
Autre point crucial abordé par la ministre : le respect des itinéraires prédéfinis pour les cortèges des lutteurs. "Très souvent, les champions demandaient le changement d'itinéraires au dernier moment, ce qui entraînait des problèmes de planification et de sécurisation," a-t-elle précisé. Dorénavant, "les lutteurs devront se conformer strictement aux itinéraires tracés en amont."
Concernant la billetterie, Mme Gaye a confirmé que les promoteurs n'émettront jamais plus de 20 000 billets pour l'arène nationale, dont la capacité est de 22 000 places. Les places restantes seront réservées aux accompagnants des lutteurs, aux membres du CNG et aux personnes concernées par le combat.
La ministre a également annoncé la création de portes d'entrée supplémentaires pour les lutteurs. "Souvent, ils se croisent au niveau de la même porte d'entrée à la même heure, ce qui était à l'origine d'échanges verbaux aboutissant parfois à des bagarres," a-t-elle expliqué.
Durant l'entretien, Mme Gaye a également abordé d'autres aspects de sa politique, notamment son plan d'investissement de 3,225 milliards FCFA pour la création de 25 plateaux sportifs multifonctionnels dans différentes communes, ainsi que ses projets pour le développement culturel.
Concernant la transparence dans la gestion, elle s'est engagée à mettre en place une revue trimestrielle de l'utilisation des fonds. "Je n'attendrai pas la fin de l'année budgétaire pour contrôler l'utilisation des ressources," a-t-elle assuré.
Native de Dakar mais ayant grandi à Joal-Fadiouth, Mme Gaye a rejoint le parti Pastef dès sa création en 2014. Après un an à la tête de ce ministère stratégique, elle reste convaincue que le sport et la culture sont des vecteurs essentiels de cohésion sociale et de développement pour la jeunesse sénégalaise.
PAR CHEIKH TIDIANE MBAYE
LA FIN DU SYSTÈME OU UNE NOUVELLE IMPASSE ?
Le Sénégal se retrouve dans une situation paradoxale : un pouvoir qui se veut révolutionnaire mais qui peine à rompre avec les pratiques du passé, jonglant entre radicalité affichée et compromis dissimulés
Le Sénégal traverse une transformation sociopolitique majeure, incarnée par le phénomène Ousmane Sonko. Son ascention fulgurante repose sur un ensemble de facteurs structurels et conjoncturels, dont la remise en question du système néocolonial, la crise du modèle confrérique dans la sphère politique et le transfert du fanatisme religieux vers un fanatisme politique.
Si Sonko symbolise la rupture avec l'ancien système, il pose également la question du type de gouvernance qu'il incarne et des conséquences de sa démarche politique sur le tissu social sénégalais.
La fin d'un cycle : le recul de l'influence politique des marabouts
Depuis les années 2000, on observe une évolution du rapport entre confréries et politique. Jadis piliers du système, les marabouts perdaient progressivement leur emprise sur les choix électoraux de leurs disciples. Ceux-ci restent fidèles à leurs confréries, continuent et respectent leurs guides spirituels, mais ils tendent à séparer de plus en plus leur allégeance religieuse de leurs choix politiques.
La défaite du "ndigël" (consigne de vote) en politique a marqué le début de ce changement. Aujourd'hui, l'aura d'Ousmane Sonko à Touba illustre cette mutation : il est défendu avec plus de ferveur que certains marabouts eux-mêmes.
Ce phénomène s'inscrit dans une dynamique plus large que j'avais anticipée dans ma thèse de doctorat sur l'avenir des confréries musulmanes du Sénégal. La légitimité des marabouts en politique s'effrite, laissant place à des nouvelles formes d'adhésion, souvent plus politisée et radicales.
Un transfert du fanatisme religieux vers le politique
Le suivisme inconditionnel dont bénéficie Sonko ne peut se comprendre sans analyser le transfert du fanatisme religieux vers un fanatisme politique.
Une partie de la population, frustrée par des années de promesses non tenues et de gouvernance défaillante, projette désormais son espoir sur un leader politique, avec la même ferveur que celle autrefois réservée aux guides religieux.
Ce phénomène est une forme de sublimation des frustrations accumulées, créant un culte du leader qui dépasse la rationalité politique ( instinct de combinaison ).
Ousmane Sonko a su habilement canaliser ce besoin de rupture en se positionnant comme l'antithèse du système en place. Mais dans cette quête du renouveau, la manipulation politique n'est jamais loin : la confusion entre ses problèmes personnels, la lutte contre le régime ancien et l'avenir du pays entretiennent un climat de tension permanente.
Un système en mutation, mais vers quoi ?
Dans mon livre "Senegal : le système dans tous ses états", j'annoncais déjà la mort progressive du système néocolonial basé sur la dépendance occidentale, le clientélisme politique et le contrat social tacite entre marabouts et pouvoirs politiques.
Cette prédiction semble se confirmer aujourd'hui. Mais le véritable enjeu est de savoir si le système proposé par les nouvelles autorités est une réelle alternative ou une régression.
La démarche politique adoptée par le régime actuel, fondée sur l'affrontement, les règlements de comptes et une perpétuelle posture victimaire, risque de fragiliser davantage le tissu social sénégalais.
Depuis leur arrivée au pouvoir, les nouvelles autorités n'ont toujours pas posé les bases d'un véritable projet de développement. Un an déjà, les attentes sont immenses, mais les signaux rassurants se font attendre.
Le récit historique est également en train d'être réécrit pour faire croire que le Sénégal commence en 2021 et que seuls les défenseurs inconditionnels de Sonko sont légitimes.
La violence et le "gatsa gatsa" (politique de confrontation) sont présentés comme les éléments déclencheurs de l'alternance, alors qu'en réalité, d'autres dynamiques ont été déterminantes.
Une souveraineté détournée par la radicalité politique
Le projet de rupture prôné par PASTEF repose sur des promesses de souveraineté, de justice et d'ancrage aux valeurs profondes du Sénégal. Pourtant, dans la pratique, le pays semble plongé dans une spirale d'affrontements et de règlements de comptes qui entrave toute dynamique constructive.
PASTEF s'est imposé à la fois comme créateur de crises et le principal bénéficiaire des solutions qui en découlent.
Leur posture oscille entre victimisation et volonté de tout reconstruire sur les ruines du système précédent, sans proposer une véritable alternative apaisée. Si leur discours martèle l'urgence de la justice et de la transparence, leur gestion de certaines décisions politiques clés, comme la loi d'amnistie, témoigne d'un pragmatisme qui frôle la contradiction.
Une loi d'amnistie aux contours flous et des négociations mystérieuses
L'amnistie a été présentée par Pastef comme une décision imposée par Macky Sall, alors que des zones d'ombre persistent sur le rôle réel du parti dans son élaboration.
Ousmane Sonko lui-même a reconnu avoir discuté avec l'ancien président sur cette question, même s'il affirme qu'aucun des points de négociation ne faisait consensus entre eux.
Pourtant, au moment du vote de cette loi, leur position n'était pas aussi radicale qu'ils le laissent entendre aujourd'hui. Certes, ils ont voté contre sous la pression populaire, mais sans mobiliser une opposition frontale.
Une question essentielle demeure : Pourquoi Pastef a-t-il jugé nécessaire de négocier cette amnistie alors qu'en ce moment là, Sonko, Diomaye et leurs militants détenus n'en avaient pas besoin pour recouvrer la liberté ?
Le vent de l'opinion publique leur était largement favorable, et le peuple semblait prêt à les libérer par les urnes et les installer au pouvoir sans qu'aucune loi d'amnistie ne soit nécessaire.
Alors, qu'a réellement contenu cette négociation ? Quelles garanties ont été obtenues ? Qu'est ce qui a été retenu en coulisses? Le mystère reste entier. D'autant plus que Macky Sall, dans ses derniers actes en tant que Président, a adopté une posture surprenante, laissant planer le doute sur d'éventuels accords tacites. Il a non seulement facilité l'accession de Pastef au pouvoir en installant Diomaye Faye, mais il a aussi accepté une transition sans accroc, contrairement à ce que certains auraient pu anticiper.
Aujourd'hui, alors qu'ils avaient promis d'abroger intégralement cette loi, les nouvelles autorités se contentent d'une abrogation partielle, ciblant certains acteurs tout en protégeant d'autres. Cette incohérence alimente la confusion : veulent-ils réellement faire toute la lumière sur cette période ou cherchent-ils à en contrôler le récit à leur avantage ?
Le Sénégal se retrouve donc dans une situation paradoxale : un pouvoir qui se veut révolutionnaire mais qui peine à rompre avec les pratiques du passé, jonglant entre radicalité affichée et compromis dissimulés.
Loin d'un projet de refondation nationale, nous assistons à une instrumentalisation politique du discours révolutionnaire. Le Sénégal est-il en train de sortir du système ancien ou de sombrer dans une version plus radicalisée et incertaine. L'avenir nous édifiera, mais une chose est sûre : la cuisine n'embaume pas encore, et les urgences du pays ne peuvent être éternellement sacrifiés sur l'autel des luttes partisanes.
SELON CAROLE DIOP, DIAMNIADIO EST UNE ERREUR
"Si on ne fait pas preuve de courage, Dakar finira par exploser". L'architecte dénonce l'absence de vision des autorités et l'impasse que représente Diamniadio, ville nouvelle construite sur des sols inadaptés et dépourvue des infrastructures essentielles
(SenePlus) - Dans un entretien accordé à Jeune Afrique, l'architecte Carole Diop, co-auteure avec Xavier Ricou de l'ouvrage "Dakar, métamorphoses d'une capitale", livre une analyse sans concession des défis urbanistiques que connaît la capitale sénégalaise. Entre préservation du patrimoine historique, frénésie immobilière et explosion démographique, Dakar se trouve à la croisée des chemins, et Diamniadio, la ville nouvelle censée désengorger la métropole, représente selon l'architecte "une erreur" stratégique majeure.
L'ouvrage, fruit de "deux personnes qui aiment vraiment cette ville, qui y sont nées et y ont grandi", comme le souligne Carole Diop, retrace l'évolution de Dakar depuis les premiers peuplements lébous jusqu'à ses défis contemporains. Xavier Ricou, co-auteur, partage ce sentiment de désarroi face aux transformations rapides : "Quand on a connu, comme moi, Dakar dans les années 1970-1980, on est forcément désemparé face aux changements de la ville, dans le domaine urbain, architectural et social."
Les chiffres parlent d'eux-mêmes : l'agglomération de Dakar occupe seulement 0,28% de la superficie du pays, mais concentre 22% de sa population et 80% de son activité économique, générant 60% du PIB sénégalais. Une hypercentralisation qui ne cesse de s'accentuer puisque, selon les projections citées dans l'entretien, l'agglomération comptera 7 millions d'habitants en 2030, contre 4 millions actuellement.
Face à cette pression démographique, les autorités ont misé sur la création de la ville nouvelle de Diamniadio pour désengorger la capitale. Une stratégie que Carole Diop critique sévèrement : "Diamniadio est une erreur. C'est une ville trop proche de Dakar, installée sur un terrain qui est plus propice à l'agriculture qu'à la construction."
L'architecte pointe notamment les problèmes techniques liés à la nature du sol : "Il comporte en effet beaucoup d'argiles gonflantes, ce qui nécessite l'utilisation de micropieux qui s'enfoncent à 15 mètres sous le sol." Au-delà de ces contraintes techniques, elle souligne l'absence des infrastructures essentielles à la vie urbaine : "Il lui manque aussi ce qui fait d'une ville une ville : des loisirs, des commerces, des écoles... Mais ce n'était pas la priorité des promoteurs."
L'entretien révèle également la tension permanente entre préservation du patrimoine et développement urbain. Carole Diop évoque les traces encore visibles de la présence historique des Lébous, premiers habitants de Dakar : "Certains 'péncs', ces villages mythiques traditionnels, composés d'un ensemble de concessions familiales qui regroupent des descendants d'un ancêtre commun, subsistent : il en reste six, toujours actifs, au Plateau, et six à la Médina, siège de la communauté lébou."
Cependant, elle constate que "la ville a pris le dessus sur ces sites. Les péncs sont devenus des espaces résiduels par rapport à ce qu'ils étaient." Cette évolution reflète une rupture plus profonde entre l'urbanisme moderne et les modes de vie traditionnels : "Dans l'habitat traditionnel, chaque membre de la famille a son espace privatif, et tous se retrouvent dans une cour intérieure ('heut', en wolof). La disparition de cet espace, autrefois réservé aux cérémonies religieuses et familiales, a entraîné le phénomène d'occupation des rues."
Au cœur des problèmes de Dakar se trouve le manque de planification, que les auteurs considèrent comme un "luxe réservé aux pays riches". Carole Diop insiste sur la nécessité d'une vision à long terme : "La planification d'une ville se fait sur un siècle ou un demi-siècle. Il y a des choses qui ne pourront pas être résolues, mais il faut arrêter les frais tant qu'il est encore temps."
Elle souligne également que "la démographie va plus vite que la planification de la ville" et exprime des doutes sur la destination réelle des nouvelles constructions : "Je doute que tous les immeubles qui sont en cours de construction soient destinés à ceux qui en ont vraiment besoin..."
Xavier Ricou partage cette inquiétude et lance un avertissement : "Il faut siffler la fin de la récréation. Ce n'est pas seulement une question de patrimoine, c'est une question de santé publique, de vivre-ensemble, une question économique. Si on ne fait pas preuve de courage, la ville finira par exploser, ou imploser."
Malgré ce constat alarmant, Carole Diop perçoit des signes encourageants dans l'attitude des nouvelles autorités. "L'Ordre des architectes réintroduit le dialogue avec le ministre de l'Urbanisme. Les nouvelles autorités se sont montrées ouvertes et à l'écoute, en attente de propositions et de solutions", affirme-t-elle.
Elle plaide pour un retour aux fondamentaux : "Si on respectait la réglementation et le rôle des architectes, ce serait déjà une bonne chose." Une approche qui rappelle l'époque de Léopold Sédar Senghor qui "avait une vision pour la ville : il a mis en place l'Ordre des architectes en 1972. Il a beaucoup travaillé avec des professionnels. Cela n'a pas été le cas de ses successeurs."
À travers cet entretien, Carole Diop et Xavier Ricou invitent à repenser fondamentalement le rapport à l'espace urbain. Comme ils l'écrivent dans leur ouvrage : "Nos villes doivent, dans leur architecture, leurs plans d'urbanisme et leurs élans, refléter les formes du vivre-ensemble que nous avons choisies. Ce qui suppose que nous ayons résolu la question de savoir, non pas qui nous sommes, mais plutôt qui nous voulons devenir."
POUR ERWAN DAVOUX, LE PARTI-ÉTAT ÉTOUFFE LA DÉMOCRATIE SÉNÉGALAISE
Journalistes intimidés, opposants persécutés, économie à l'arrêt : le Sénégal de Diomaye-Sonko inquiète. Le directeur de Geopolitics.fr analyse pointe "la dérive autoritaire" d'un duo obnubilé par sa" vengeance contre l'ancien régime"
(SenePlus) - Dans une analyse publiée sur le site Marianne, Erwan Davoux, directeur de Geopolitics.fr et ancien chargé de mission à la présidence de la République, dresse un bilan préoccupant de la première année de présidence de Bassirou Diomaye Faye. Son constat est sans appel : l'exercice du pouvoir par le Pastef révèle des tendances autoritaires inquiétantes qui menacent l'équilibre démocratique du pays.
Selon l'analyse d'Erwan Davoux, le parti majoritaire a réussi à concentrer un pouvoir considérable dans ses mains. Après la victoire de Bassirou Diomaye Faye à la présidentielle de mars 2024 avec 54% des voix, son parti a remporté une majorité écrasante lors des législatives d'octobre, s'attribuant "130 sièges sur les 165 que compte l'Assemblée nationale". Cette configuration politique inédite au Sénégal a mis fin à l'équilibre des pouvoirs qui caractérisait auparavant le pays.
"Au sein de la précédente Assemblée, une coalition de partis disposant d'une courte majorité invitait au compromis et au respect des droits de l'opposition. Tel n'est plus le cas", souligne l'auteur, qui cite comme exemple significatif l'abandon de la tradition qui voulait que la vice-présidence de l'Assemblée nationale revienne à l'opposition.
L'une des critiques principales formulées par Erwan Davoux concerne l'obsession du nouveau pouvoir pour le règlement de comptes avec l'administration précédente. "Tout le débat politique est monopolisé par les attaques contre l'ancien pouvoir alors que le Pastef est aux responsabilités depuis presque un an", note-t-il.
Au cœur de cette stratégie se trouve la question de la loi d'amnistie. Votée sous la présidence de Macky Sall, cette loi couvre "tous les faits susceptibles de revêtir la qualification d'infraction criminelle ou correctionnelle, commis entre le 1er février 2021 et le 25 février 2024" dans un contexte politique. Paradoxalement, cette même loi a permis à Diomaye Faye et à son Premier ministre Ousmane Sonko de sortir de prison avant les élections.
D'après l'analyste, "le Pastef avait claironné haut et fort qu'il l'abrogerait afin de mettre en cause les dirigeants précédents mais fait désormais machine arrière", probablement parce que l'abrogation "pourrait mettre dans une fâcheuse posture Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko qui en ont bénéficié".
L'article d'Erwan Davoux met également en lumière de graves atteintes aux libertés, notamment à la liberté de la presse. "Les journalistes qui entendent exercer leur métier avec une certaine indépendance sont dans le collimateur", affirme-t-il.
Le cas du site Dakaractu est emblématique : "l'un des [sites] plus suivis du pays a été contraint de fermer ses bureaux à Dakar et à l'exil, n'étant plus un média reconnu par le pouvoir". L'auteur rappelle également que le 4 octobre, le magazine Jeune Afrique s'interrogeait : "Sénégal : peut-on encore contredire Ousmane Sonko ?"
Le traitement réservé aux opposants politiques est tout aussi préoccupant. Davoux cite le cas du maire de Dakar, Barthélémy Dias, "ancien compagnon de route d'Ousmane Sonko avec lequel il est désormais brouillé", qui se trouve "interdit d'entrée dans son hôtel de ville" et a été "démis de ses fonctions de maire par un arrêté préfectoral".
Les députés de l'opposition ne sont pas épargnés : "Farba Ngom, un proche de l'ancien président, a vu son immunité levée dans des conditions pour le moins suspectes : aucune procédure judiciaire à son encontre mais un simple signalement effectué contre lui par une instance créée par le Pastef".
Pendant que le pouvoir se concentre sur sa "volonté de revanche", l'économie sénégalaise souffre, selon l'analyse. L'audit des finances publiques lancé par le nouveau gouvernement, qualifié de "bien tardif" par l'auteur, a eu des conséquences désastreuses : "L'effet indéniable et immédiat de ce document, qui poursuivait des fins avant tout politiciennes, a été de freiner les investisseurs, renforcer les difficultés à trouver un accord avec le Fonds monétaire international (FMI) et la dégradation de la note du Sénégal par l'agence de notation Moody's comme Standard & Poor's".
Le secteur du BTP est particulièrement touché : "En effet, il a été décidé l'arrêt des constructions dans une dizaine de zones du pays (afin de vérifier la légalité des permis de construire), dont le littoral de Dakar. Initialement prévue pour durer deux mois, cette situation perdure. Ce sont 10 000 emplois qui ont été perdus".
Sur la scène internationale, Erwan Davoux constate que "la voix du Sénégal, traditionnellement l'une des plus fortes sur le continent africain, grâce à l'excellence de sa diplomatie et à des chefs d'États emblématiques est quasiment atone".
Il rappelle que sous la présidence de Macky Sall, le Sénégal avait obtenu "que l'Afrique soit représentée au G20" et jouait "un rôle actif dans le dénouement de crises intra-africaines". Désormais, selon l'auteur, "tout cela appartient au passé" car le président et son Premier ministre "sont portés par un panafricanisme régional ambiant".
En conclusion, Erwan Davoux s'inquiète pour l'avenir de la démocratie sénégalaise. Il rappelle que "le Sénégal n'est ni le Mali, ni le Niger, ni le Burkina. C'est un pays à la tradition démocratique bien ancrée et dans lequel la conscience politique est élevée".
Face à cette situation, l'auteur s'interroge : "Pour l'instant, le duo qui dirige l'État résiste. Pour combien de temps encore ?"
par Thierno Alassane Sall
SUITE D’UNE HISTOIRE DE TROMPERIE
Contrairement à ce qu’ils racontent dans les médias depuis deux jours, la nouvelle proposition de loi interprétative demeure dans le même esprit que l’ancienne : Pastef veut une abrogation partielle de la loi d’amnistie
Nous avons pris connaissance de la nouvelle proposition de loi d’interprétation de la loi d’amnistie de Pastef qui prend la forme d’un amendement. Dans un document de six pages, le régime Pastef réécrit substantiellement le texte initial.
Cette modification est le signe que Pastef a compris le rejet de leur manipulation par les Sénégalais. En revanche, au lieu de se résoudre définitivement à réaliser la demande claire du peuple Sénégalais d’une abrogation totale de l’amnistie, Pastef continue dans la tromperie à travers la nouvelle mouture de sa proposition.
Contrairement à ce qu’ils racontent dans les médias depuis deux jours, la nouvelle proposition de loi interprétative demeure dans le même esprit que l’ancienne : Pastef veut une abrogation partielle de la loi d’amnistie. Leur « interprétation » s’inscrit dans cette logique en visant la modification du champ d’application de la loi d’amnistie. Leur faux débat sémantique sur la rétroactivité concerne alors également leur texte.
Nous y reviendrons dans les jours à venir dans une réponse détaillée à ce nouvel épisode du feuilleton de la tromperie.
DECONSTRUIRE ET REMODELER
Fatou Kandé Senghor est une touche-à-tout. Du cinéma à l’écriture, de la photographie à l’installation, tous les mediums lui sont utiles pour déconstruire et remodeler les récits.
Artiste pluridisciplinaire, Fatou Kandé Senghor est une touche-à-tout. Du cinéma à l’écriture, de la photographie à l’installation, tous les mediums lui sont utiles pour déconstruire et remodeler les récits.
Du rose, du rouge, un balcon festonné, des paillettes ! La structure a une forme à mi-chemin entre la pagode et le château fort. Elle trône dans la cour du Musée de l’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan). Quand tombe le soir, les lumières qui s’allument déposent un voile enchanteur sur ce fanal. L’installation de Fatou Kandé Senghor, Fanal (2024), est une réinterprétation d’une vieille tradition de Saint-Louis, la première capitale du Sénégal. Dans Le Larousse, le fanal a plusieurs significations. Le mot désigne la lanterne placée à l’avant de la locomotive ou à l’arrière du dernier véhicule d’un train. Il peut aussi désigner une lampe à pétrole employée à bord des anciens navires pour signaler leur position. Enfin, sur les côtes, le fanal érigé en phare servait de repère lumineux aux navires et prévenait les naufrages. Mais à Saint-Louis, la ville côtière située le plus au Nord du Sénégal, le fanal a depuis longtemps pris une autre tournure. A la Saint-Sylvestre, le fanal devient un évènement culturel qui célèbre l’histoire complexe de la ville. Pendant une nuit, Saint-Louis est envahie par une féerie de lumières. Les maquettes des bâtiments les plus emblématiques de la ville ou du pays sont promenées à bord de chars rutilants, accompagnées de chants et danses des belles Saint-Louisiennes qui, pour l’occasion, retrouvent les costumes de leurs aïeules. Ce sont les origines de cette vieille tradition que Fatou Kandé Senghor interroge à travers son installation.
Dans la cour de l’Ifan, la structure imposante attire le regard. Un porche d’une couleur verte, où sont inscrits des signes cabalistiques noirs, fait office de porte d’entrée. Tout autour de la pièce festonnée de rubans, une véranda couverte à la façon des vieilles bâtisses coloniales du Sénégal sur laquelle des lumières sont accrochées. Sur les côtés, un fragile escalier montre le chemin de l’étage et de sa toiture rose. Le tout est une féerie de couleurs et de lumières. Les passants s’arrêtent, s’interrogent ou parfois, prennent une photo. A l’image de ce fanal que les Saint-Louisiens se sont réapproprié en choisissant plutôt de représenter les plus beaux édifices de leur ville, Fatou Kandé Senghor, artiste pluridisciplinaire qui vogue du cinéma à la photographie, de l’installation à l’écriture, ne cesse de se réapproprier et d’interroger les histoires cachées dans les symboles qui l’entourent. Quelle que soit l’œuvre ou la thématique, elle cherche inlassablement à travers ses œuvres, à expliquer au public, à décanter l’histoire, éclaircir ses zones d’ombre, démêler les choses. «En tant qu’artiste, on est obligé de démêler des choses. A mon âge, je veux démêler fil par fil», dit-elle comme une profession de foi. Cette entreprise passe ici par une réappropriation du récit de ces femmes réduites désormais dans l’imaginaire collectif, à de simples objets sexuels. Un récit qui, pour elle, doit être délesté de ses relents colonialistes imbriqués dans l’histoire de cette ville.
A l’origine du Fanal de Saint-Louis, de vieilles traditions de Signares, ces riches femmes métisses qui se sont bâties un mode de vie particulier sur les bords du fleuve Sénégal, au 18e siècle. Le dernier jour de l’an, elles se rendaient à l’église à minuit, parées de leurs plus beaux bijoux et accompagnées de leurs servantes et chambellans. Ces derniers portaient des lanternes illuminées de l’intérieur par des chandelles. Ensemble, les Signares et leurs servantes formaient une lente procession lumineuse à travers les rues obscures de l’île. Au fil des décennies, les Saint-Louisiens se sont réappropriés cette coutume pour en faire une véritable fête traditionnelle. De lanternes de bois et papiers, on en est arrivé à de gigantesques créations, reconstituant le plus souvent les grandes bâtisses, les édifices ou monuments de la ville (la Grande Mosquée, l’église, le palais du Gouverneur ou le Pont Faidherbe). Si le fanal de Fatou Kandé Senghor recrée ce qui est devenu le symbole de Saint-Louis, c’est paradoxalement pour en dépasser les aspects esthétiques et festifs, et en interroger l’histoire, mais surtout interroger la mémoire de ces femmes pionnières.
De «reines» à «maîtresses»
«Toutes nos histoires ont été changées», estime Fatou Kandé Senghor. Celle des Signares l’interpelle tout particulièrement. En effet, tout commence quand les Lançados, ces juifs portugais, arrivèrent sur les côtes africaines au 16e siècle. Par des jeux d’alliance, ils s’unissent aux filles des chefs locaux dont l’activité commerciale autour des cotonnades ou du cuir était florissante. Devenues des Señoras, ces femmes tiennent d’une main de maître le commerce. Les Señoras de la petite côte sénégalaise jouissent alors d’une liberté que même leurs sœurs d’Occident n’avaient pas. C’est seulement au 19e siècle, avec la Révolution industrielle, que les femmes occidentales seront reconnues pour leur participation à la vie économique. Au Sénégal, quand les Français mettent la main sur cette colonie vers 1639, la donne change. Saint-Louis devient la capitale de l’empire colonial français en Afrique occidentale. De puissantes femmes d’affaires, les compagnes des nouveaux maîtres, deviennent dans la nouvelle version de l’histoire réécrite et disséminée par les Français, de simples et vulgaires «maîtresses». «1854- 1857, Général Faidherbe a une grande mission : installer la capitale du tout jeune empire colonial français. Ils sont venus faire fortune. Indigènes ou métisses, c’est du pareil au même pour eux. Le mépris est bien distribué. Nous avons un nouveau statut et de nouveaux rôles. La coquetterie, la fête, les nouvelles us et coutumes. Nous passons de cheffes à maîtresses», écrit FKS sur les murs intérieurs de son fanal. Le nouveau Code civil appliqué vers 1830 interdit aux femmes les activités commerciales. Le pouvoir économique leur est arraché.
En quête d’identité
Pour comprendre cette quête incessante de restauration de récits historiques, il faut revenir sur le parcours de l’artiste. Fatoumata Bintou Kandé de son vrai nom navigue dans l’interdisciplinarité et passe d’un médium à un autre. «Je m’intéresse à toutes les sociétés, leurs mutations, leurs perceptions des uns et des autres. Je m’intéresse à l’éveil, à la conscience, à la connaissance, à la psychologie. Je suis une citoyenne du monde, un produit du voyage, de la rencontre. C’est le côté universel qui m’intéresse dans tout», confie-t-elle. Elle aurait pu rajouter qu’elle s’intéressait également au travail des autres artistes. Fidèle à son désir de transmission, elle met ses talents de documentariste au service d’autres artistes sénégalais pour présenter leur travail au public. Tantôt elle filme l’artiste céramiste Seyni Awa Camara en Casamance dans son acte de création, tantôt c’est l’émergence d’une jeune chanteuse de rap qu’elle fige à l’écran dans la série Walabok, issue de l’ouvrage du même titre qu’elle a écrit. Walabok, une histoire orale du hip-hop au Sénégal, paru chez Amalion Publishing en 2015, est la synthèse de 30 années de travail. Pendant ces années, elle écoute et photographie les pionniers du hip-hop sénégalais. Et ce qui devait devenir un documentaire au départ finit en une anthologie du rap sénégalais, puis en série. La série met en avant le personnage d’une jeune fille qui lutte pour son indépendance et sa liberté dans un monde masculin par excellence, celui du hip-hop. Walabok, comment va la jeunesse ? (2020, 30 épisodes) remporte le Prix de la meilleure série au Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco) en 2021. Quant à l’ouvrage de 304 pages, il plonge dans cet univers du rap qu’elle a côtoyé depuis toute jeune. Le rap, ce rythme revendicateur et engagé d’une jeunesse en quête d’identité, fait écho aux interrogations internes de la jeune fille qu’était Fatou Kandé Senghor à l’époque, à ces mêmes questions qui la taraudent depuis son plus jeune âge. Dans le court métrage documentaire Giving Birth (2015) que Fatou Kandé Senghor a présenté à la Biennale de Venise en 2015, elle filme l’artiste céramiste Seyni Awa Camara qui n’a pas d’enfants, mais dont la cour est remplie des enfants de son mari. Et à travers les statuettes anthropomorphes qu’elle réalise, des sculptures hybrides mi-humaines mi- monstres tout droit sorties d’un autre monde, et toujours accompagnée d’enfants, l’artiste transcende sa condition de femme sans enfants dans une société où l’on ne peut être femme qu’en donnant la vie.
Raconter nos propres histoires, sur notre vie en communauté, développer à l’écran, dans les installations et d’autres mediums, des contre-récits qui restaurent la vérité historique, telles sont les invitations constantes de l’artiste dans ses œuvres. Fatou Kandé cherche à restaurer une version de l’histoire des Signares. Mais en fin de compte, quand elle décide d’exhumer la vérité autour de la vie des Signares, elle choisit de mettre en lumière des pans occultés de la vie de ces belles femmes. De «maîtresses» de ces conquérants européens, elles prennent dans l’œuvre de l’artiste, les habits d’habiles femmes d’affaires dont la puissance économique est avant tout un héritage familial.