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18 juillet 2025
SORTIE DU FCFA, CE QUE DIT LE PROJET DE LOI FRANÇAIS
Si les représentants de la France ne siègeront plus au sein des instances monétaires, Paris conservera un droit de regard, notamment en cas de crise, sur la gestion de la nouvelle monnaie
Jeune Afrique |
Alain Faujas |
Publication 22/05/2020
Deuxième étape vers la disparition du franc CFA et son remplacement par une monnaie unique baptisée Eco, le Parlement français devrait adopter avant la fin du troisième trimestre le projet de loi paraphé le 20 mai en conseil des ministres et destiné à ratifier l’accord de coopération monétaire conclu à Abidjan le 21 décembre 2019 avec les gouvernements des États membres de l’Union monétaire ouest-africaine (Umoa).
Deux changements majeurs y sont prévus : d’une part, il n’y aura plus de représentants de la France dans les instances techniques de gouvernance de la zone – où ils disposaient de voix non prépondérantes. D’autre part, la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) ne sera plus obligée de déposer au moins 50 % de ses réserves en devises sur des comptes d’opérations du Trésor français. Deux points qui cristallisaient particulièrement les tensions autour de la monnaie ouest-africaine.
Le gouvernement français semble pressé de s’écarter de la mauvaise réputation du CFA. Paris a déjà cessé d’envoyer des représentants du Trésor et de la Banque de France dans les instances monétaires de l’Umoa.
La France deviendra « un strict garant financier de la zone », précise la note explicative publiée par le gouvernement. Deux piliers demeurent : « le régime de change, avec un maintien de la parité fixe avec l’euro [et] la garantie illimitée et inconditionnelle de convertibilité assurée par la France ».
Quel successeur aux comptes d’opérations ?
Bien qu’absente des instances monétaires, la France sera informée de l’état de santé de la nouvelle monnaie, précise le nouvel accord de coopération, qui prévoit qu’en cas de crise « sévère » (si le taux de couverture de la monnaie descendait en-dessous de 20 %, contre plus de 70 % en ce moment), « la France pourra désigner, à titre exceptionnel et pour la durée nécessaire à la gestion de la crise, un représentant au comité de politique monétaire de la BCEAO ».
« Il était illusoire de penser que le Sénégal gagne grand-chose du pétrole avant 2030. Et cela va encore être retardé »
Le rêve pétrolier et gazier s’éloigne encore un peu plus pour les Sénégalais. Initialement prévue en 2020, l’exploitation des deux principaux projets d’hydrocarbures, le champ pétrolier offshore Sangomar et le gisement gazier Grand Tortue Ahmeyim (GTA) partagé avec la Mauritanie – tous deux découverts en 2014 – avait déjà été retardée à trois reprises.
La pandémie due au Covid-19 vient à nouveau de repousser d’un an, à la fin de 2023, le lancement de la production commerciale. Un coup dur pour le pays qui compte sur ces ressources pour dynamiser son économie, créer des emplois et développer les infrastructures.
« L’effondrement des prix du pétrole brut ainsi que le ralentissement des activités du secteur (…) ont amené certains de nos partenaires à évoquer le cas de force majeure qui pourrait impacter les délais de livraison », indique un communiqué de Petrosen datant du 10 avril. La compagnie nationale sénégalaise reste tributaire des majors du pétrole et de leurs sous-traitants pour exploiter les 500 millions de barils de pétrole en réserve.
Ainsi, c’est un consortium de compagnies australiennes et britanniques qui détient près de 90 % des parts du projet Sangomar. Fin avril, l’australien Far, dont la participation s’élève à 15 %, a fini par se retirer du financement.
« Cas de force majeure »
Quant au gisement gazier GTA, le géant pétrolier britannique BP, qui en détient 60 %, a lui aussi brandi un « cas de force majeure » pour retarder d’un an l’installation de sa plate-forme offshore aux larges des côtes sénégalo-mauritaniennes.
Ce énième report inquiète Ndèye Fatou Ndiaye Diop, co-coordonnatrice de la plate-forme citoyenne Aar Linu Bokk (« Préserver nos biens communs », en wolof), mobilisée pour une gestion plus transparente des ressources pétrolières. « Malgré les incertitudes liées à ce projet, le Sénégal avait tout misé sur le pétrole. Il a perdu », estime la militante.
De fait, les conséquences économiques de ces nouveaux délais pourraient être lourdes. « Cette crise est un avertissement pour le Sénégal qui a emprunté une trajectoire d’endettement en se basant sur l’exploitation à venir des hydrocarbures », explique Luc Désiré Omgba, chercheur associé au laboratoire BETA-CNRS et spécialiste en économie de l’énergie. Le pays a d’ailleurs été parmi les premiers, au début de la pandémie, à faire campagne pour réclamer un allègement de la dette du continent africain.
Depuis 2012 et l’arrivée au pouvoir du président Macky Sall, la dette publique du Sénégal est passée de 42,9 % à 67 % du PIB en 2020, selon le Fonds monétaire international (FMI). Cet accroissement s’explique d’abord par les investissements massifs dans des projets d’infrastructures et de développement réalisés dans le cadre du Plan Sénégal émergent (PSE), mais pas seulement. « Le pays a augmenté les salaires des fonctionnaires dès 2018. Il a aussi mis en place des subventions en faveur du secteur énergétique, malgré une hausse des cours », précise M. Omgba.
Subir les contrecoups de la récession
Des dépenses engagées immédiatement alors que les retombées du pétrole sur l’économie ne sont pas prévues avant plusieurs années. « Il était illusoire de penser que le Sénégal gagne grand-chose du pétrole avant 2030. Et cela va encore être retardé », insiste Ousmane Sonko, président du parti d’opposition le Pastef.
Vice-président de l’Assemblée nationale et président de l’Institut panafricain de stratégies (Ips), Cheikh Tidiane Gadio revient, dans cet entretien, sur les enjeux qui attendent l’Afrique pour l’après-Covid-19. Il est convaincu que les pays africains n’ont pas le choix : ils devront mutualiser leurs forces pour exister dans cette reconfiguration de la géopolitique qu’il estime inéluctable. De l’annulation de la dette à la lutte à la rivalité sino-américaine, l’ancien ministre des Affaires étrangères aborde toutes les questions.
Le monde est frappé par une crise sans précédent. Quelle lecture en faites-vous ?
Pendant longtemps, l’humanité a vécu toutes sortes de calamités, de grandes crises sanitaires ou économiques. Par exemple : les virus du Sida et Ébola en Afrique, le virus du Sras en Asie, la crise financière de 2008 qui a failli effondrer l’économie mondiale. Mais, ce qui est extraordinaire, et j’espère que cela ne va pas se répéter cette fois-ci, c’est que l’humanité subit ces crises, s’affole, se bat, finit par les résoudre et, malheureusement, oublie immédiatement les enseignements tirés de ces dernières. Aujourd’hui, il y a, de toute évidence, un déficit de concertation mondiale, en plus de la malheureuse tentative de marginaliser et de se défausser sur l’Organisation mondiale de la santé (Oms) pour absoudre ses propres errements dans la gestion de la crise. Chaque pays, visiblement, y va avec ses recettes et ses stratégies.
Quelles peuvent en être les conséquences?
Cette crise va forcément refonder la marche de l’humanité en général, mais aussi reconfigurer radicalement la géopolitique mondiale. Nous Africains, nos pays et nos peuples étaient perçus comme étant les champions toutes catégories de la vulnérabilité. Mais aujourd’hui, nous réalisons davantage que Dieu est très démocrate quant à la vulnérabilité des peuples. Il n’y a que lui qui détient la puissance absolue. Les grandes puissances du monde offrent un visage presque pathétique. Nous avons pratiquement envie de compatir à leur désarroi et de venir à leur rescousse. Avec l’état du monde actuel, nous constatons que ces grandes puissances peuvent faire voler des avions pendant 20 heures, faire marcher l’homme sur la lune, réussir toutes sortes de prouesses technologiques, médicales (…) et que malgré tout cela, elles se retrouvent désarmées et désemparées face à un virus microscopique qui fait plus preuve d’ingéniosité et de capacité destructrice fulgurante.
Si on dit, aujourd’hui, que l’Amérique compte plus de victimes que lors de la guerre du Vietnam, nous nous rendons compte de l’hécatombe que le Covid-19 est en train de créer dans ce monde.
C’est quand même difficile à comprendre ?
Il y a plusieurs niveaux de lecture. C’est trop simpliste de penser qu’il s’agit juste d’une pandémie qui est venue déstabiliser le monde. Est-ce que le monde n’était pas déjà perturbé, marchant sur la tête, sens dessus dessous, évoluant dans un équilibre de façade, attendant juste un élément comme le coronavirus pour laisser exploser ses vulnérabilités et ses « fake certitudes » ? Je crois qu’il y avait trop d’injustices sociales, trop de fractures sociales et sanitaires; le très petit nombre de privilégiés barricadés dans leurs privilèges souvent indus, l’écrasante majorité se sentant hors-place et écrasée au quotidien…
En conséquence, nous nous retrouvons dans un monde totalement déséquilibré et en désarroi. Richard Haas, un grand spécialiste américain de la géostratégie et de la géopolitique, a écrit un livre prémonitoire, il y a trois ans à peu près, sur le monde en désarroi et « la crise du vieil ordre mondial » sur fond d’échec des politiques de globalisation « équitable », de multipolarité positive, de paix, de stabilité et de justice pour tous. C’est là où nous nous trouvons exactement.
Nous sommes dans une situation où personne ne sait pas de quoi demain sera fait. Ce qui est également remarquable du point de vue de la géopolitique, c’est que non seulement les rapports de force vont changer, mais les vulnérabilités des grandes puissances ont aussi déjà été révélées à la face du monde. Et comme beaucoup peuvent le constater, l’Afrique, avec très peu de moyens, très peu de ressources, semble s’en tirer relativement bien. Nous le disons toujours en touchant du bois. Mais, pour l’instant, il y a une sorte de résilience africaine qui ralentit la maladie et sûrement d’autres facteurs que nous ne maîtrisons pas encore sur le plan scientifique.
Est-ce à dire que l’Afrique s’en sortira mieux que les grandes puissances ?
Si je prends l’exemple du Sénégal, le Gouvernement a très bien réagi et très vite. Le Président Macky Sall a pris une initiative majeure en appelant à une consultation nationale. Il n’était pas obligé de le faire. Il y a très peu de pays qui l’ont fait.
Concernant l’Afrique, elle est indéniablement le ventre mou du système international. Elle est le continent le mieux doté en termes de richesses naturelles et en même temps le plus démuni. Aujourd’hui, nous avons la ressource la plus rare du monde et la plus importante qu’on appelle la ressource « jeunesse ». Cependant, nous nous sommes arrangés pour être dans une posture où, effectivement, le reste du monde sous-traite ses malheurs, ses angoisses et ses désarrois avec l’Afrique. Vous voyez des pays qui comptaient 20 000 morts quand l’Afrique, au même moment, en dénombrait 200. Au lieu de se focaliser sur leur sort, ces États plaignaient notre continent pour ses vulnérabilités et son impréparation. Et apparemment, ils ont la larme à l’œil quand ils parlent de l’Afrique. C’est presque un exercice d’exorcisme : chasser le malheur de son esprit en le déménageant chez les autres, particulièrement chez les Africains, surtout qu’en plus d’être vulnérables, ils n’ont pas droit à la parole, même dans les instances internationales.
Conséquence d’une telle logique : les gens se sont mis à épiloguer sur la faiblesse des infrastructures sanitaires de l’Afrique qui prouvent, à leurs yeux, que dès que le virus envahira le continent, ce sera la dévastation, la catastrophe et des millions de morts. Mais, le paradoxe extraordinaire dans tout cela est, malgré le fait qu’ils soient mieux dotés en infrastructures, ce sont eux qui souffrent le martyre et la désolation. Au lieu de gérer ce problème, ils se sont mis à pleurer sur le désastre qui va s’abattre sur l’Afrique. C’est suspect ! Plus que suspect !
Il y a quand même un paradoxe ?
Personnellement, je me suis dit est-ce que ce n’est pas dû au fait que le continent noir est le réservoir de ressources naturelles de ces pays ? Ils doivent se dire : veillons à sauver nos pays mais aussi à sauver l’Afrique qui a très peu de moyens. Si nous ne le faisons pas, demain, cela va se retourner contre nous. C’est un devoir de solidarité par défaut, mais surtout par intérêt. Mais, Dieu a fait que nos savants, nos scientifiques, nos chercheurs et nos médecins ont prouvé à la face du monde un talent extraordinaire, un calme, une sérénité, pour tout dire, une force tranquille insoupçonnée. Ils n’ont pas pris l’avion pour aller à Paris, Washington ou Pékin chercher des connaissances, de l’expertise, du coaching ou des débuts de solutions. Ce sont eux-mêmes qui sont recherchés et sollicités par les autres pour échanger sur les débuts de solutions. C’est d’ailleurs en cela que la géopolitique mondiale est totalement bouleversée et rien ne sera plus comme avant.
Maintenant, je dis à mes proches de faire attention quand nos amis occidentaux nous disent que plus rien ne sera comme avant. Je suis très suspicieux (rires).
Qu’est-ce que vous soupçonnez ?
Ils veulent continuer à diriger le monde. Ils veulent prendre cette phrase et lui donner l’orientation et le contenu qu’ils souhaitent. Si on n’y prend garde, le post-coronavirus va encore faire place aux mauvaises habitudes internationales. Vous allez voir une situation dans laquelle les gens vont se battre bec et ongles pour reconquérir le statu quo ante. Les privilèges qu’ils avaient, la domination du monde qu’ils avaient, les règles de partage injuste des richesses du monde ; ils vont vouloir retourner à cela tout en disant que « plus rien ne sera comme avant ». Donc, cela peut être une façon de nous endormir.
La planète entière a subi les chocs du coronavirus et doit, en principe, être prêt à accepter un monde plus juste et plus équilibré. C’est pour cela que je dis aux Africains : « Ayons notre propre discours du ‘‘plus rien ne sera comme avant’’ ! » Construisons-le nous-mêmes ! Et ne dépendons pas, encore une fois, de ce que les grands analystes européens, américains et asiatiques vont définir comme l’après-coronavirus et nous l’imposer. C’est une nouvelle façon de violer, de « buguer » encore notre intégrité intellectuelle et de nous tromper. L’Afrique doit avoir son propre discours et, impérativement, changer de logiciel, car elle aussi est condamnée à des changements majeurs. Nous devons aussi parler contre le statu quo, nous dresser contre leur volonté de dominer le monde. « Le plus rien ne sera comme avant » doit se traduire par une remise en cause de la Pax americana issue de la Deuxième Guerre mondiale, c’est-à-dire la domination du monde par l’Amérique et ses alliés occidentaux. Aujourd’hui, il y a forcément et fatalement une permutation des places qui va advenir. Après chaque grande catastrophe mondiale, comme la Première ou la Seconde Guerre mondiale, le monde s’en est sorti avec une permutation de places. L’Angleterre qui était l’une des grandes puissances du monde jusqu’à la Première Guerre mondiale a dégringolé pour céder la place aux États-Unis. Nous avons également vu que l’Union soviétique a émergé brutalement, à l’époque, comme puissance mondiale. D’autres candidats au statut de puissance mondiale comme la Chine se préparaient calmement, presque confidentiellement, à leur irruption dans les premières loges.
En quoi consiste la permutation ?
Le monde post-coronavirus sera un monde nécessairement et fortement reconfiguré. Est-ce que les États-Unis vont pouvoir garder leur statut de première puissance mondiale ? Est-ce que la Chine qui talonnait les États-Unis ne va pas avoir une meilleure gestion de la crise et de l’après-crise et se repositionner ? La Chine, il faut le noter, talonnait de près les États-Unis du point de vue de la permutation. Est-ce que donc le Covid-19 ne va pas créer les conditions d’une reconfiguration des rapports de force et d’une nouvelle géopolitique mondiale dans laquelle la Chine sera la puissance mondiale numéro un, les États-Unis numéro deux et l’Inde se rapprocher bientôt de la 3ème place ? Et là se pose maintenant la question de l’Afrique. L’Afrique n’a aucun avenir si, avec ce qui se passe avec le Covid-19, nos leaders continuent de prêcher « l’intégration lente au rythme d’une tortue avec des freins » et s’ils continuent de refuser l’unité politique ou le fédéralisme. Ce serait là la vraie catastrophe qui pourrait frapper le continent. Si l’Afrique, justement, dit que rien ne sera plus comme avant et prend en main son destin, cela pourrait être intéressant.
Aujourd’hui, par exemple, relativement à la posture des 54 pays africains, je trouve que le Président du Sénégal, Macky Sall, tient un discours réaliste et de rupture avec la situation antérieure dans la mesure où il affiche et affirme ouvertement son panafricanisme. Il a raison puisque seule une démarche concertée des pays africains pourrait nous sortir de la situation actuelle. Imaginez n’importe quel pays d’Afrique avec 10 000 personnes contaminées qui ont besoin d’un espace dans les salles de réanimation. Ce serait la catastrophe ! Nous n’avons pas ces moyens.
C’est pourquoi le Président Macky Sall, depuis lors, est en train de prêcher une concertation et une solidarité agissante des pays africains. Les solutions seront certes appliquées sur le plan national puisque le développement de la maladie dans chaque pays se présente différemment, mais l’expertise, le partage d’expériences et de bonnes pratiques doivent être mutualisés et s’opérer au niveau régional et continental.
Certains Chefs d’État africains se sont entretenus récemment par visioconférence ou ont même tenu des sommets. C’est excellent. Je pousserai une telle dynamique jusqu’à souhaiter la tenue urgente d’un « sommet extraordinaire de l’Union africaine par visioconférence ». Chaque Chef d’État devrait y participer et l’Oms en serait l’invité d’honneur, tout comme certaines sommités scientifiques africaines, comme celles du Sénégal, du Maroc, et d’autres pays qui font un excellent travail. Ces savants, chercheurs et médecins africains de classe internationale s’adresseraient aux Chefs d’État et feraient des propositions de réponse africaine solidaire et concertée contre le Covid-19. Il faut critiquer et se démarquer de ce que j’appelle « les chevauchées solitaires de nos États ». Si après le Covid-19 nos États maintiennent le statu quo, retournent à la situation antérieure, cela ne sera plus une chevauchée solitaire, mais une chevauchée suicidaire. Le monde va se reconfigurer, nous laisser sur le quai et continuer de jouir de nos faiblesses auto-infligées et de nos richesses.
Est-ce le seul moyen pour l’Afrique de figurer dans ce que l’on appelle de plus en plus le nouvel ordre mondial ?
Exactement. Il y a un concept qui était apparu il y a 10 ans ou 15 ans et était intéressant : les « New World Global Players » (les nouveaux acteurs de niveau mondial). L’Afrique ne peut pas, avec 54 États nains, balkanisés, émiettés, avec des budgets nationaux équivalant au budget d’une université américaine, faire partie des « New World Global Players ».
Ici, il faut rendre un hommage appuyé et affectueux au président Amadou Mahtar Mbow. Vers la fin des années 70, en sa qualité de directeur Général de l’Unesco, il a mené un combat héroïque pour ce qu’on appelait le Nomi, « le Nouvel ordre mondial de l’information ». Il se disait que tant que les Africains, les Asiatiques, les pays de l’Amérique latine et les autres peuples reçoivent de l’information sur leur réalité, sur leurs problèmes des médias occidentaux, ils auront toujours une image déformée de leur réalité et ils ne pourront jamais transformer cette réalité.
Les Américains ont alors mené une guerre farouche contre lui, beaucoup d’Occidentaux se sont mobilisés contre lui. Cela lui a coûté son poste à l’Unesco. Aujourd’hui, à nos Chefs d’État qui se battent pour « le nouvel ordre mondial », je rappelle la « jurisprudence Mbow » pour leur dire « soyez extrêmement prudents, « ils » vous ont à l’œil, « ils » se battront pour qu’après-Covid-19, « tout change, pour que rien ne change ! » Eux-mêmes prendront en charge le discours sur un nouvel ordre mondial afin d’obtenir un paradoxal « nouvel ancien ordre mondial ». Vigilance, voire vigilance absolue !
Comment rebondir ?
Chaque pays africain, chaque leader africain allant seul, court les risques de ce qui s’est passé depuis 1960. On élimine les leaders qui ont une vision et on nous propulse des leaders qui sont aux ordres et qui acceptent le discours des dominants. Il faut des ruptures paradigmatiques fortes. Il faut courageusement se dire « voilà les paradigmes sur lesquels nous avons fondé et basé le développement de l’Afrique 60 ans après. Le résultat n’est pas reluisant ! » Le progrès a été tellement faible en termes de là d’où nous sommes partis et là où nous voulions arriver. Exactement là où la Corée du Sud et la Malaisie sont arrivées de nos jours en 60 ans. L’éducation n’est pas réglée, l’agriculture, la santé, les infrastructures de base… Nous ne pouvons pas nourrir nos populations. Nous ne cultivons pas ce que nous mangeons et nous ne mangeons pas ce que nous cultivons. Nous sommes les pauvres les plus riches du monde et les riches les plus pauvres du monde. Nos leaders voient alors toutes leurs options se réduire en une seule : rompre avec le paradigme de 1960 (indépendance en solo) et Addis-Abeba, 1963 (apologie de la balkanisation et neutralisation du projet de l’État fédéral africain), et donc, relancer et laisser éclore le paradigme du « destin fédéral de l’Afrique » (Cheikh Anta Diop), en y incluant, bien sûr, l’indispensable diaspora africaine. Or donc, le Covid-19 pourrait être ce « choc fédéral » tant attendu.
Le Chef de l’État plaide pour l’annulation de la dette. Que pensez-vous de ce combat ?
Aujourd’hui, nous taquinons, dans les toutes prochaines décennies, les deux milliards d’habitants en Afrique. On sera, peut-être, la première puissance démographique du monde, en plus d’être le dépositaire de l’essentiel des ressources naturelles du monde. Cela montre la force et la puissance des Africains. La tristesse dans cette affaire, c’est que le monde entier en est convaincu, sauf les Africains eux-mêmes. Maintenant comment faire pour en convaincre les Africains ? Nous sommes potentiellement la première puissance du monde à tout point de vue. Tout ce qui nous manque, c’est de mutualiser, d’aller ensemble et d’arrêter de nous battre les uns contre les autres. Un Chef d’État africain (Macky Sall) se lève et demande l’annulation de la dette de l’Afrique. Sans surprise : qui sont les plus grands adversaires de Macky Sall, aujourd’hui, dans la lutte pour l’annulation de la dette de l’Afrique ? Ce sont des Africains. Ils se sont levés pour dire qu’il faut qu’on se respecte, il faut qu’on soit responsable, il faut assumer nos dettes. Notre opinion est aux antipodes d’une telle perception de la dette. Pour nous, l’Afrique, de l’indépendance à nos jours, a surpayé sa dette. Avec les taux d’intérêt usuriers, on ne fait que repayer, encore repayer, toujours repayer. Maintenant, sachant que les gens vont dire que la dette privée, c’est avec des privés, le Président Sall a bien précisé qu’il parle de la dette publique africaine qu’il souhaite voir annulée purement et simplement ! Même le Président français Emmanuel Macron s’est levé pour féliciter son homologue sénégalais. Et pourtant, ce sont des experts africains qui ont dit « non » à Macron : « Un moratoire ferait l’affaire ». D’après le Président français, ils lui ont donné comme argument que « c’est plus facile et plus rapide à obtenir ». Pendant qu’on agonisait sur la question du « pourquoi une telle attitude ? » d’autres personnalités africaines sont venues à leur rescousse pour défendre « le moratoire et non l’annulation ».
Donc, le mal est africain ?
Le problème est fondamentalement entre Africains. Chaque fois qu’un Africain a une brillante idée, au lieu que les autres Africains se battent pour enrichir la proposition et le rejoindre, ils préfèrent le tirer vers le bas. C’est comme si rien de bon ne pouvait venir d’un Africain. Qui a dit qu’en demandant l’annulation de la dette de l’Afrique que notre pays est en train de bouleverser les règles internationales ? Peut-être que ces règles devraient être bouleversées parce qu’elles sont fondamentalement injustes et nous ont coûté très cher. J’entends des gens dire que ce n’est pas bien puisque les bailleurs vont dire, demain, que ce pays ne respecte pas sa signature souveraine en matière de dette. C’est tellement faux ! Toute l’histoire de la dette, de l’économie des 20 ou 30 dernières années, même après les annulations, les bailleurs sont revenus proposés leurs prêts ou les consentir sans réticence. Parce qu’ils font trop d’argent chez nous, qu’ils peuvent même nous supplier pour nous prêter. C’est faux de nous dire que si le Président Macky Sall demande l’annulation de la dette publique de l’Afrique, cela va décrédibiliser le continent et que les gens vont hésiter avant de nous octroyer, à nouveau, un prêt. Je fais même une hypothèse. Est-ce que certains pays occidentaux qui se sont empressés de soutenir la question de l’annulation de la dette de l’Afrique ne sont pas plus intelligents que ceux qui s’y sont opposés ? Parce que si l’économie de l’Afrique post-Covid-19 s’effondre, elle emportera ses principaux créanciers. Ces derniers n’ont pas intérêt que l’on ferme boutique. L’effondrement des économies africaines, le cas échéant, précipiteraient leurs entreprises et multinationales implantées chez nous dans la faillite et le désarroi. C’est peut-être même une projection intelligente dans l’avenir qu’ils font en se disant qu’il faut leur donner une perfusion pour les maintenir sur pied après le Covid-19. Je ne comprendrai jamais, en tant que citoyen africain lambda, que des bailleurs de fonds créanciers nous disent qu’ils sont intéressés par la discussion sur l’annulation de la dette africaine et que des Africains se lèvent pour dire non : moratoire oui, annulation, non merci !
D’aucuns estiment que dans son combat pour l’annulation de la dette, Macky Sall est en train d’asseoir son leadership à l’échelle africaine…
C’est une affirmation qui a sa pertinence. Mais, dans un autre volet, dès que vous le dites, une mobilisation se forme pour combattre ce leadership. Un leadership, cela vient naturellement, vu le style du Président Sall. Lui-même ne se bombe pas le torse et ne se prétend pas leader de l’Afrique. Je pense qu’il fait le travail naturellement, et beaucoup de ses collègues l’appellent pour requérir son avis sur certaines questions. C’est là où un leadership commence à être accepté et va s’imposer de lui-même. Parce que dans la pratique et dans les faits, les gens constatent que vous avez des idées innovantes et une vision claire. Je crois que l’insistance du Chef de l’État sénégalais sur le fait que notre voie de salut pour les problèmes du contient soit le panafricanisme lui sert, sert le Sénégal, mais sert surtout l’Afrique. Mieux vaut le laisser dans cette dynamique. Un leadership qui émerge naturellement est mieux qu’un leadership qu’on force par des proclamations. Donc, je pense qu’il faut faciliter l’acceptation de ce leadership par ses propres homologues. Pour ce que j’en sais, les leaders africains sont très satisfaits des initiatives et du « style poli et courtois » du Président Macky Sall. Non seulement il a fait des propositions très fortes pour contenir le Covid-19, mais il a fait applaudir notre pays à travers le monde pour notre modèle de gestion de la pandémie, bien qu’il y ait actuellement des débats de remise en cause. J’estime que ce sont des débats sains entre experts. Ce n’est rien de méchant. Mais, en même temps que le Président Sall le faisait pour le Sénégal – je le sais pour en avoir échangé avec lui – son souci était que l’Afrique présente une réponse africaine à cette crise. D’où d’ailleurs l’éditorial signé dans votre quotidien, « Le Soleil », pour présenter « le point de vue d’un Africain ». Il pouvait bien le formuler en point de vue d’un Sénégalais. C’est cela qui est très appréciable.
Pourquoi à chaque fois qu’une solution vient de l’Afrique, elle est accueillie avec des pincettes ?
Effectivement. Si ce qui a été découvert à Madagascar ou dans d’autres pays d’Afrique était sous-traité avec des laboratoires occidentaux discrètement et confidentiellement, le succès allait nous revenir avec des applaudissements. Mais, dès que c’est l’Afrique, cela devient suspect. On pense déjà que nous ne sommes pas assez compétents et que nous n’avons pas des laboratoires et des équipements nécessaires. C’est purement et simplement de la stigmatisation. Maintenant, ce serait une erreur de répondre à cette stigmatisation par des bravades. Par exemple, si on découvrait ici, au Sénégal, que le « niim » ou toute autre plante médicinale pourrait apporter des solutions véritables au Covid-19, je ne pense pas que ce soit un politicien qui doit monter au créneau. Il faut transférer le débat aux scientifiques qui sont de classe internationale et de statut mondial. Alors, laissons à ces gens les résultats des découvertes et laissons les leur donner, en plus du label de l’authenticité africaine, le label de l’authenticité scientifique.
Une telle démarche est préférable tant nous avons tous été témoins, et avec beaucoup de fierté, de la compétence et de la bravoure de notre corps médical devant l’adversité et le danger. Nos soignants sont comme nos « Jambars » qui donnent leurs vies pour la patrie sans « hésitation ni murmure ». Au demeurant, nos médecins, chercheurs et scientifiques, comme tous les Africains talentueux, sont obligés d’être meilleurs parmi les meilleurs » pour être simplement « normaux et traités avec respect ».
par Makhtar Diouf
LE CORAN, LA SOUNNA ET LE CORONAVIRUS
EXCLUSIF SENEPLUS : Nous sommes en droit d’attendre que les partisans de l’ouverture des mosquées dans cette situation de pandémie présentent des versets du Coran et des ahadiss à l’appui de leur position
Voltaire en 1741 intitule une de ses pièces ‘’’Le fanatisme ou Mahomet le prophète’’. Montesquieu dans ‘’L’esprit des lois’’ en
1748 relie le fatalisme à l’Islam : « Cela est dans les décrets de Dieu, il faut donc rester en repos ». L’orientaliste Jacques Berque, dans sa traduction du Coran, a corrigé ces présentations déformées de l’Islam : « Je n’évoque pas ici la tendancieuse accusation de fatalisme que contredisent tant d’appels du Coran à la liberté et à la responsabilité humaine ».
Au Sénégal avec l’éclosion du coronavirus, une dissension est née entre les croyants à propos des lieux de culte : consensus chez les catholiques, mésintelligence chez les musulmans sur l’ouverture ou la fermeture des mosquées. Ce qui n’est pas sans rappeler le problème du fatalisme et du fanatisme qui vont de pair.
Le prophète (psl) exhortait de prier à la mosquée, disant que la prière en
groupe est 25 fois plus bénéfique que la prière faite tout seul, que chaque pas que fait le fidèle entre sa demeure et la mosquée est béni, de même que le temps qu’il reste assis dans la mosquée en attendant la prière. Il a même menacé, sans l’avoir jamais fait, de brûler les maisons des musulmans qui n’allaient pas à la mosquée (Sahih Bukhari, Mouslim). Mais toutes ces prescriptions ont été assorties de dérogations, c’est-à-dire exception à l’application pour cause de force majeure, toutes rapportées par Mouslim (1487-1491) :
En cas de forte chaleur, il recommandait de reculer la prière du milieu de la journée (tisbar). Lorsque le repas était servi, il demandait de manger avant de prier.
En cas d’intempéries (vents violents, pluies fortes …), il déconseillait d’aller à la mosquée. La prière du vendredi à la mosquée est une obligation pour le musulman qui n’a pas d’empêchement majeur, mais le prophète (psl) disait : « Je ne veux pas vous voir marcher dans la boue avec un sol glissant pour venir à la mosquée même pour cette prière». Dans de telles situations, il demandait au muezzin d’ajouter après l’appel à la prière : « Restez dans vos habitations ».
Le prophète (psl) demandait aux maris d’autoriser leurs épouses qui le désiraient, d’aller prier à la mosquée. Mais il conseillait aux femmes de prier à la maison, surtout avec les prières du matin et du soir pour une question de sécurité.
Le prophète (psl) qui recommandait aux musulmans de se dispenser d’aller à la mosquée pour ne pas être incommodés par des intempéries aurait-il demandé de les ouvrir dans une situation de pandémie comme le coronavirus qui peut conduire à la mort ? Les imams sénégalais qui ont fermé leurs mosquées n’ont fait que le suivre.
Lors de prière en mosquée, le prophète (psl) recommandait de serrer les rangs, de ne laisser entre les fidèles aucun espace où pourrait se glisser quelque dissension entre eux. Compte tenu du coronavirus, l’obligation faite de prier en mosquée à la condition de respecter la distanciation sociale fait fi de cette tradition prophétique. Raison majeure ? On accepte la raison majeure à l’intérieur de la mosquée, mais on la refuse en permettant d’y entrer. Et puis, avec la limitation du nombre de fidèles dans la moquée (comment sont-ils choisis ?) qu’en est-il de la frustration de ceux qui sont refoulés ?
Le prophète (psl) a certes dit que la prière en groupe est supérieure à la prière faite individuellement, mais la prière en groupe ne se fait pas uniquement en mosquée. Tout responsable de famille doit aussi être imam dans sa maison. Le prophète (psl) a aussi dit que « les lieux de la terre les plus chers à Allah sont les mosquées » (Mouslim), car c’est à Dieu qu’appartient toute mosquée comme le dit le Coran. Mais il a dit aussi : « la terre entière est une mosquée pour vous ; vous pouvez prier partout où vous vous trouvez à l’heure de la prière » (Mouslim). La prière (salat) figure 67 fois dans le Coran et la mosquée (masjid) 28 fois (sans la kaaba et la mosquée de Jérusalem).
Dans les pays occidentaux où le nombre de morts du coronavirus se compte par milliers, les foyers de propagation ont été des regroupements de personnes au mois de février 2020 : aux Etats-Unis, une cérémonie de mardi gras en Louisiane ; en France, les élections municipales, et une messe protestante à Mulhouse avec la présence de plus de 2 000 personnes ; les matches de football de huitièmes de finale de coupe d’Europe, en Angleterre, Espagne, Italie, France, Allemagne. Ces pays comptent pour plus de 80 pour cent des infections et décès du coronavirus dans le monde.
Le Coran a prévenu : « Et Nous vous éprouverons par un peu de peur, de faim, de perte de biens, de vies, et de récoltes, mais donne de bonnes nouvelles aux patients » (Coran 2 : 155). La patience n’est pas la résignation. Le Coran exhorte à l’action, à la précaution. Ce ne sont pas les versets qui manquent à cet effet :
- Et ne vous jetez pas par vos propres mains dans la destruction (Coran 2 : 195)
- Et ne vous tuez pas par vous-même (Coran 4 : 29)
Ô croyants ! prenez vos précautions … (Coran 4 : 71)
Allah vous veut la facilité et ne vous veut pas la difficulté (Coran 2 : 186)
Allah n’impose à personne ce qui est au-dessus de ses capacités (Coran 2 : 286 ; Coran 23 : 62).
Le prophète (psl) a poursuivi la sensibilisation sur la prise de précaution. Lors de la survenue d’une épidémie de peste, il lance cette mise en garde :
« Si vous êtes informés de l’éclatement de peste dans un lieu, n’y allez pas ; mais si la peste éclate dans un lieu pendant que où vous y êtes, ne le quittez pas (Boukhari, Mouslim) ».
C’est ainsi que le khalife Omar (rah), sur son chemin vers Cham (la Syrie) avec sa cavalerie, apprenant que cette région est infestée par la peste, fait demi-tour (rapporté par Mouslim).
Lors d’une épidémie, les autorités médicales conseillent d’éviter la transmission du virus d’une personne infectée à une personne saine. Le prophète (psl) ne dit rien de différent :
« Que celui qui croit en Allah et au jour dernier ne dérange pas son voisin » (Bukhari)
- « N’entrera pas au paradis celui qui inflige un tort à son voisin » (Sahih Mouslim n° 74, rapporté par Abou Huraira) ». Le terme utilisé dans le texte arabe est bawâ’iq traduit par le lexicographe anglais William Lane en ces termes : calamité, désastre, malheur, gêne… tout ce qui peut incommoder une personne pour lui rendre la vie difficile.
Selon le Coran, une calamité comme la pandémie peut survenir dans un monde et à une époque de perversité où l’on a oublié Dieu. Cette calamité se présente comme un démon, un compagnon dont personne ne veut. Et alors chacun pourrait dire :
« J’aurais aimé qu’il y ait entre toi et moi la distance séparant l'Est et l'Ouest ! Quel mauvais compagnon tu es ! » (Coran 43 : 38).
Le coronavirus est bien un compagnon dont personne ne veut, surtout qu’on ne le voit pas. C’est pour cela qu’il est recommandé la distance sociale entre les individus. Les lieux de culte (mosquées, églises …) sont des lieux appropriés de promiscuité entre les fidèles, avec forte propagation de virus. Au Sénégal, les musulmans qui s’opposent à la fermeture des mosquées s’en remettent à Dieu. Tout croyant s’en remet à Dieu, mais « Attache ton chameau, et place ta confiance en Allah ».
« Attache ton chameau, et place ta confiance en Allah ». Selon Anas ibn Malik, c’est un hadîss rapporté par At Tirmidji (sounan 2517) : il est tenu par le Prophète (psl) à un homme qui lui demande s’il peut entrer dans la mosquée et laisser son chameau libre. Il lui est ainsi enseigné que l’Islam n’a rien à voir avec le fatalisme, que le tawakul mentionné dans le Coran (distingué de tawaakul ) c'est-à-dire le fait de s’en remettre à Dieu, n’exclut pas la prise de précaution.
Le prophète (psl) en a donné l’exemple. Lorsqu’il décide d’émigrer à Médine, il prend toutes ses précautions, préparant son voyage méticuleusement dans le secret, demandant à Ali (rah) de dormir dans son lit, prenant un guide sûr, un compagnon sûr Aboubakr (rah) qu’il rassure. se basant sur ce verset : Une fois que tu as pris ta décision, place ta confiance en Allah (Coran 3 : 159). La prise de précaution précède la prise de décision.
Si les lieux de culte n’avaient pas été fermés ces derniers temps, le nombre d’infections et de décès aurait été beaucoup plus important. Des croyants infectés du coronavirus sans s’en rendre compte en auraient contaminé d’autres. La comparaison ne s’impose pas avec les épidémies de peste ou de grippe du passé ; celui qui en était atteint se savait malade et n’allait pas dans un lieu de culte qu’il n’était d’ailleurs pas besoin de fermer. Le problème avec la pandémie actuelle, comme nous le disent les spécialistes, est qu’une personne peut porter le virus sans se sentir malade.
Dans une période sans endémie, si une horde d’abeilles envahit une mosquée, personne ne voudra y entrer tant qu’elle n’aura pas été complètement désinfectée. Pourtant, une piqure d’abeille, même si elle peut être mortelle ne se transmet pas.
D’ailleurs, la fermeture des mosquées n’est en aucun cas définitive. Elle dure le temps que la pandémie soit maîtrisée. Les mosquées fermées restent en fait bien vivantes avec les appels à la prière (azann) qui y sont faites cinq fois chaque jour. Le azann est un condensé remarquable de l’enseignement de l’Islam : il contient les deux premiers piliers de l’Islam, et la wahdâniya (unicité de Dieu).
Cela dit, nous sommes en droit d’attendre que les partisans de l’ouverture des mosquées dans cette situation de pandémie présentent des versets du Coran et des ahadiss à l’appui de leur position. Même si nous la respectons.
Le verset (Coran 2 : 114) Y a- t-il plus injustes que ceux qui empêchent d’évoquer le nom d’Allah dans Ses mosquées et visent à les détruire ? n’a rien à voir avec la fermeture de mosquées en cas de force majeure et encore moins avec l’intention de les détruire. Le verset s’adressait aux païens idolâtres qui voulaient empêcher l’accès de la kaaba aux musulmans. Les appels à la prière qui sont maintenus lors de la fermeture des mosquées en cas de danger évoquent le nom d’Allah et font plus.
En cette occasion et en cette fin du mois béni de Ramadan au Sénégal surtout, il est opportun de rappeler ce propos du prophète (psl) :
‘’ J’ai demandé au Seigneur trois choses. Il m’a accordé les premières. Je Lui ai demandé que ma oumma ne soit pas détruite par la famine, Il me l’a garanti. Je Lui ai demandé que ma oumma ne soit pas détruite par des calamités naturelles, ni par une occupation étrangère, Il me l’a garanti. Je Lui ai demandé que ma oumma ne s’entredéchire pas, Il ne me l’a pas garanti ».
C’est peut-être, contrairement aux apparences, ce qui participe à ce renforcement de l’Islam partout dans le monde.
PS : C’est la tradition de rédaction en langue anglaise sur l’Islam qui a imposé la formulation hadîth (le th terminal anglais se prononce ss). Ce texte étant en langue française, il est plus logique d’écrire hadîss au singulier, ahadiss au pluriel.
par Siré Sy
MACKY ET LES JOURNALISTES
EXCLUSIF SENEPLUS - Pape Djibril Fall est parti pour être contre Macky Sall, ce que Latif Coulibaly et Souleymane Jules Diop fussent contre Abdoulaye Wade
Si Macky n’était pas géologue, certainement, il serait devenu un journaliste. N’est-ce pas ? Macky et les journalistes, c’est une longue histoire. Tantôt à crédit. Tantôt au débit. Mais toujours en équilibre. Comme ‘’il est Midi’’, ce beau temps qu’il fait toujours, au beau milieu de la journée. Tout en équilibre entre le jour et la nuit. Une certaine opinion disait que le président Macky Sall s’est fait entourer tellement de journalistes et de communicants en ce qu’il y avait d’aussi brillant (Hamidou Kassé, Abou Abel Thiam, Racine Talla, Abdou Latif Coulibaly, Souleymane Jules Diop, Madiambal Diagne, Yakham Mbaye, Mamadou Thiam, etc.) que ses pourfendeurs les plus virulents ne pourraient pas venir de la presse et des médias. Que nenni. En période électorale, c’est Ousmane Sonko qui empêche le président Macky Sall et son régime, de dormir du sommeil du juste. Exit le temps électoral, arrivent le temps politique et le temps médiatique. Et si tant est qu’il n’en ait jamais eu, ce sont, hélas, des journalistes, tout aussi brillants que les journalistes partisans et militants au régime de Macky Sall, qui empêcheraient le calme et le répit dans le maquis. Ils ont pour noms, Adama Gaye, Pape Alé Niang et Pape Djibril Fall.
Pape Alé Niang, le Chroniqueur ‘’critiqueur’’
Pape Alé Niang, dans le registre de la contestation et des attaques, est à l’image du noble charbonnier, chiffonnier et démineur. C’est lui qui va au front, descend dans les entrailles de la terre, pour dénicher les sujets à polémique. Même s’il ne se déclare pas organiquement militant de Pastef, à son corps défendant et à travers les actes qu’il pose, on pourrait dire que politiquement, ‘’Sonko est le plus grand bénéficiaire du travail de Pape Alé’’. A défaut d'être militant organique de Pastef, Pape Alé semble nourrir une certaine sympathie pour Ousmane Sonko. Toutefois, Pape Alé Niang est aussi dans le fond, dans son corpus et dans son argumentaire de contestation et d’attaques tous azimuts. Pape Alé s’interroge et nous interroge. Avec un verbe piquant et incisif. Dans ce Sénégal où parfois, des personnes laissent sortir de confuses paroles et posent souvent des actes difficilement explicables. Pape Alé Niang fait de la contestation sur pièce et sur place. Dans ses attaques tous azimuts, Pape Alé est dans la communication (le lien) quand le gouvernement est dans l’information (le message). Et c’est en cela que Pape Alé fait mouche dans chacune de ses sorties. Et pour réduire le gap creusé par Pape Alé, le gouvernement gagnerait à élever ses mots mais pas sa voix (disait Jalal Ad-Din Rûmi) parce que ‘’c’est la pluie qui fait grandir les fleurs, pas le tonnerre’’, enseignait Rûmi.
Pape Djibril Fall, le verbe en chantant
Pape Djibril Fall est la nouvelle coqueluche des téléspectateurs sénégalais et la nouvelle attraction à la télé au Sénégal. Dans l’espace audiovisuel, à chaque période, sa nouvelle figure et les Sénégalais aiment le nouveau, l’écarlate, le croustillant et l’étincelant, comme
l'est Pape Djibril Fall. Depuis un certain temps, le débat politique public s’est appauvrit. Il tourne autour d’un ordre du discours dénonciateur sans force de perspectives et d'espérances collectives (Opposition) et un ordre du discours de type message (information) sans croisement fertile, ni relations et ni mise en perspective pour nourrir et tisser le lien. Pape Djibril Fall fait du journalisme révolutionnaire : rebelle, originalité et imprévisibilité. Avec de (belles) idées devant la tête et un talent d’athlète du verbe…
Petit retour vers le futur. Au Sénégal, le journalisme (privé) est né et s'est nourri aux origines, dans une forme de conflictualité diffuse avec le pouvoir politique – quel que soit celui qui l’incarne -. Au point que dans l’imaginaire collectif, le ‘’bon journaliste’’ serait celui qui est dur et critique avec et envers le régime en place. N’importe lequel. En tout temps et en tout lieu. Le métier de journaliste et la profession de journalisme au Sénégal, sont fortement traversés et nourris par les idéaux de la Gauche, au point qu’en face du pouvoir, le journalisme doit choisir son camp qui ne saurait être que celui de la contestation et des attaques, celui de la sentinelle et de la vigie. Parce que le pouvoir et ceux qui l’incarnent, dans un imaginaire collectif et par un subconscient tenace, seraient par excellence, contre le peuple et seraient dans les combines et dans les calculs d’épiciers du dimanche, ne seraient pas de vrais patriotes, ont une courte vision des défis et ne seraient pas tout à fait au fait des véritables enjeux. Waw....! A l’époque, le journalisme était une stratégie de la Révolution qui elle-même reposait sur le triptyque : le Maquisard, le Guérillero et le Journaliste. Quand le Maquisard et le Guérillero traquent les corps ennemis par les armes, le Journaliste s’arme de sa plume et s’attaque aux esprits, en les travaillant corps à corps.
Et c’est sur cette vague que Pape Djibril Fall surfe et réussit si brillamment par son élégance dans sa posture, dans son éloquence dans le verbe et dans la suite dans ses idées. Depuis le repli stratégique d'un certain Abdou Latif Coulibaly et un abandon de combat d'un certain Souleymane Jules Diop, les consommateurs de produits, biens et services politiques, guettaient un nouveau messie. Car, la nature a horreur du vide. Et le vide fait le talent, dit-on. Et Pape Djibril Fall est parti pour être contre Macky Sall, ce que Latif Coulibaly et Souleymane Jules Diop fussent contre Me Wade. Pape Djibril est encore un verbe en chantant, un sophiste, et il a de la marge et le talent pour devenir philosophe. Le Sophiste convainc sans avoir raison et le philosophe cherche les chemins de la vérité. Parce que la critique est facile, mais l'art est difficile.
Siré Sy, Think Tank Africa WorldWide Group
par Souleymane Jules Diop
ÉPÎTRE À MON AMI ABDOURAHMANE SARR
EXCLUSIF SENEPLUS - Il n’existe pas de pays pauvres très endettés pour la bonne raison que ce sont les riches qui prêtent et ils ne prêtent pas aux pauvres. Quand ils le peuvent, ils les rançonnent
Tu sais jusqu’à quel point je te tiens en estime. Tu es, à n’en pas douter, un homme d’une grande stature intellectuelle et il m’est arrivé souventes fois, de faire appel à ton jugement en des matières relevant de ton domaine, l’Economie. Je pense que tu as été, de nous tous - n’en déplaise à tes contempteurs - celui qui a le plus influencé et donné de la crédibilité à notre marche vers une souveraineté monétaire, dont les premiers jalons viennent d’être posés.
Nous avons eu de longs échanges sur ces points qui longent ton curriculum. Je me suis rendu en ta résidence pour te les voir évoquer et j’en suis toujours revenu comblé, comme une abeille savourant son nectar.
En revanche, je te trouve, sur la question de la dette, d’un absolutisme qui frise l’arrogance et qui trahit ce que tu es vraiment : un homme à qui il a parfois manqué de la nuance, mais un homme ouvert quand même. Or, de la nuance, c’est ce que tu devrais apporter au jugement sévère que tu portes sur le texte de l’ancien Premier ministre Mohamed Dionne.
Que dit-il finalement ? Que nous sommes dans une crise (une guerre pour d’autres) et qu’il nous faudrait trouver le moyen de relancer nos économies par l’investissement public, après avoir financé cette sale guerre qui nous prend nos vies. En somme, nous devons faire du keynesianisme en 2020, dans un contexte de décapitalisation (les investisseurs ont retiré 90 milliards de dollars des marchés émergents). Nous ne pouvons le faire jusqu’ici (ou avons pensé pouvoir le faire) qu’en empruntant aux autres ou en taxant nos propres concitoyens. Leur reprendre par une main ce que nous leur avons donné par l’autre, au risque de soulèvements populaires, de licenciements massifs et de crises sociales. Cette dernière hypothèse nous semble inacceptable, parce qu’elle est injuste. Or donc, si les conditions de l’emprunt (que les citoyens paieront en dernier ressort par des impôts futurs) n’ont jamais été aussi favorables, nous ne pouvons y recourir sans remettre en cause nos grands équilibres et dégrader notre notation.
Au demeurant, les pays de notre espace économique et monétaire ne pourront plus respecter les critères de convergence hérités arbitrairement, tu le sais bien, de Maastricht. Y aurait-il une troisième voie ? C’est ce que Mohamed Dionne appelle « un troisième moyen terme ». Son inférence est donc nouvelle, tout comme la conclusion à laquelle il parvient. Il nous faut, dans un premier temps, accorder un moratoire aux pays africains pour que les ressources allouées traditionnellement au service de la dette servent à des besoins urgents dans les secteurs de la Santé, en soutien aux entreprises et aux ménages.
Ensuite, requalifier cette dette pour qu’elle ne devienne pas un frein à la relance de notre Economie. Il est devenu évident, pas seulement pour le Sénégal, mais pour le monde entier, mon cher Abdourahmane, qu’une réponse définitive doit être apportée à la question de la dette. En 2008, beaucoup de pays se sont endettés pour renflouer les banques et les grandes entreprises. Ce sont les contribuables qui ont finalement payé à la place des financiers, économistes qui ont promu et théorisé le laissez-faire dévastateur. En France, des acteurs politiques de premier plan posent avec pertinence la problématique d'une dette, de toutes les façons, impossible à payer par les Etats !
Les dettes des pays vont à nouveau exploser parce qu’il faut financer la « guerre » et financer la reprise. Bien avant la pandémie, le monde avait déjà un niveau d’endettement qui dépassait largement le PIB mondial. De nombreux pays ont dépassé les 100% de leur dette rapportée à leur PIB. Le Japon a dépassé les 200% suivi de pays comme l’Italie (150%), la France (115), les Etats-Unis dans les mêmes proportions.
Le débat sur la dette, mon cher Abdourahmane, devrait être abordé autrement. C’est une réflexion qui m’est venue quand Idrissa Seck, dont j’étais le conseiller, s’est félicité fièrement il y a bientôt 20 ans, du « point d’achèvement de l’initiative Pays pauvres très endetté. Il n’existe pas de pays pauvres très endettés pour la bonne raison que ce sont les riches qui prêtent et ils ne prêtent pas aux pauvres. Quand ils le peuvent, ils les rançonnent. Tous les pays très endettés sont des pays riches, figure-toi. Ensuite, aucun pays riche, en dehors de ceux qui vivent de rente pétrolière comme la Norvège, les pays du Golfe, qui sont créditeurs, ne s’est développé sans avoir eu recours à la dette.
A ce sujet, ton jugement selon lequel notre pays a accumulé un stock de dette sans résultats n’est pas juste : malgré les critiques bien justifiées sur nos choix en matière d’orientation, d’investissement, nous sommes plus riches que nous l’étions en 1960. Alors que nous n’étions qu’un million et que nous en faisons maintenant 15, nous sommes devenus plus riches en routes, en autoroutes, en infrastructure, en outils de production, en écoles, en universités, centres de formation, en entreprises, en entrepreneurs prospères et bientôt en rente gazière et pétrolière. En 1960, le goudron était une rareté et la voiture, un luxe réservé à de riches hommes.
Pour en revenir au sujet qui nous occupe, il va de soi que les Etats ne pourront jamais payer leurs dettes. Que faudrait-il faire ? Entrer dans un cycle de son remboursement par l’émission de nouveaux titres de dette ? Ou préconiser une solution durable comme celle qu’expose fort éloquemment Mohamed Dionne ?
Le vrai débat, celui qui doit nous occuper a été bien posé dans le cadre du PSE. Il nous faut créer les conditions d’une transformation structurelle de notre Economie, générer assez de valeur ajoutée dans nos secteurs les plus productifs, pour produire plus de richesse, taxer cette richesse pour faire face à nos besoins en développement et payer nos dettes.
Ce que la proposition de Mohamed Dionne a de pertinent, et il me semble que tu le restitues de manière injustement biaisée, c’est qu’elle apporte une réponse à une situation de pure aporie : les besoins urgents sont là, il faut les financer ; les intérêts de la dette sont échus, il faut les payer.
En ce qui me concerne, mon point de vue sur la question n’est pas d’ordre économique, il est moral. La dette des pays africains s’est constituée à partir du début des années 70, avec ce que Senghor a appelé « la détérioration des termes de l’échange ». Les règles imposées par les grandes puissances ont appauvri nos paysans et réduit au quart nos capacités budgétaires. Nous étions peu industrialisés, peu monétarisés pour faire face à une situation qui nous était imposée après trois siècles d’esclavage et un siècle de colonisation. Ensuite, les plus grandes victimes ont été les populations, pendant une longue période dite d’ajustement, qui a été une longue période de crises politiques et syndicales successives, parce que les populations ont légitimement refusé de se voir imposer le dictat du Club de Paris. Pourquoi les populations devraient-elles payer une dette à laquelle elles n’ont pas consenti et qui compromet tous leurs moyens de vivre ? Et en quoi demander son annulation peut-elle à ce point irriter ?
Mon cher Abdourahmane, il ne s’agit donc pas se ré-endetter comme tu sembles l’indiquer (ce sur quoi je suis d’accord avec toi). Il s’agit de se ré-endetter dans des conditions plus équitables pour des investissements dans des secteurs porteurs de notre économie, et rompre ainsi la chaîne de la dépendance aux facteurs exogènes qui nous inhibent.
Des économistes de votre trempe devraient justement faire preuve de courage en imaginant le monde d’après Covid, qui ne peut plus être celui d’avant, en rompant avec les paradigmes anciens. C’était le génie de Keynes de créer les conditions de la mise en place de l’Etat providence après la seconde guerre.
Le monde que nous imaginons doit être plus juste. Le PSE nouveau doit garder pour principale ligne directrice la réduction du gap entre riches et pauvres, villes et campagnes, réinventer les modalités de son financement, avec un rôle plus assumé de l’Etat dans ce domaine. C’est ce que nous avons voulu faire avec ce que j’ai appelé les 5P : Pse, Pudc, Promoville, Pumaf, Ppdc.
Et si le philosophe que je suis se mêle à ce débat d’initiés, c’est que vous êtes, Mohamed et toi, adeptes d’une discipline dont je conteste la dignité scientifique. Plus qu’une science qui a élaboré ses mécanismes de validation et de transmission, l’Economie est une pensée. Il existe chez vous comme chez les philosophes, des débats d’écoles et de pensée toujours remises en question.
Il s’y ajoute que les deux contemporains qui ont le plus marqué et infléchi vos méthodes d’analyse et vos moyens d’intervention n’ont rien à voir avec l’Economie. L’un est chimiste de formation, c’est Margaret Tatcher ; l’autre acteur de cinéma, c’est Ronald Reagan. Ils sont les deux parents de la « New Public Governement », que tu as dû approfondir lors de ton passage remarqué à Harvard. Nous sommes, Mohamed Dionne et moi, disciples d’un homme qui y a enseigné la philosophie politique jusqu’à sa mort en 2002. Il s’appelait John Rawls, auteur de « Justice as equity ».
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NOTRE COLLÈGUE, AMI ET FRÈRE, L’EXPERT ABDOURAHMANE FAYE S’EN EST ALLÉ
Nous avons le regret et la profonde douleur de vous faire part du décès de notre collègue et ami Abdourahmane Faye, ingénieur agronome, expert associé à l’IPAR. Son décès est survenu ce jeudi 21 mai 2020 à Dakar.
Nous avons le regret et la profonde douleur de vous faire part du décès de notre collègue et ami Abdourahmane Faye, ingénieur agronome, expert associé à l’IPAR. Son décès est survenu ce jeudi 21 mai 2020 à Dakar.
M. Faye était connu pour son engagement pour la promotion de l’agriculture familiale et son récent ouvrage « Réussir l’agriculture sénégalaise : Déconstruire les utopies ! Changer de cap ! Ecouter les paysans ! » atteste des idées généreuses qu’il avait pour l’agriculture et le monde rural.
Dans son dernier article titré « L’Agriculture et le monde rural à l’épreuve du CORONAVIRUS », il écrit : « … le monde rural, qui respire par son agriculture au sens large, est touché au poumon et devient un « cas contact » qu’il convient de suivre de très près par les acteurs du secteur, car les perspectives ne sont guère rassurantes. » Il ne sera malheureusement pas témoin de ces lendemains post-COVID.
La Direction Exécutive de l’IPAR présente ses condoléances les plus attristées à sa famille, à ses collègues et au mouvement paysan sénégalais.
Repose en paix cher Abdourahmane. Qu’Allah SWT t’accueille au Paradis Firdaous, Aamiin.
DÉCÈS DE MORY KANTÉ
Le chanteur et musicien guinéen, connu pour le tube planétaire «Yéké yéké» dans les années 1980, est décédé d'une longue maladie vendredi à l'âge de 70 ans
Le chanteur et musicien guinéen Mory Kanté est décédé d'une longue maladie ce vendredi 22 mai à l'âge de 70 ans, dans un hôpital de Conakry. C'est ce qu'a annoncé son fils, Balla Kanté, à un correspondant de l'Agence France-Presse ce vendredi. La musique africaine et plus précisément, guinéenne, perd un monument, avec la disparition de l'interprète du titre "Yéké Yéké".
Mory Kanté s'est éteint "vers 9H45 ce matin à l’hôpital sino-guinéen", a dit son fils. "Il souffrait de maladies chroniques et voyageait souvent en France pour des soins, mais avec le coronavirus ce n’était plus possible", a-t-il ajouté. "On a vu son état se dégrader rapidement, mais j’étais surpris quand même car il avait déjà traversé des moments bien pires", a-t-il dit.
Mory Kanté, surnommé le "griot électrique", a contribué à populariser la musique africaine et guinéenne à travers le monde.
Après avoir quitté le Super Rail Band de Bamako, Mory Kanté a révolutionné dans les années 80 la musique ouest-africaine, en électrifiant son instrument et en ouvrant les musiques traditionnelles mandingues villageoises aux beats électroniques et aux "grooves" plus urbains.
"Yéké Yéké", sorti en 1987, s'est vendu à des millions d'exemplaires et a atteint les sommets des hit-parades dans de nombreux pays. Avec "Yeke Yeke", il a décroché en 1987 un tube planétaire et amené la musique mandingue sur les pistes de danse. Et l'album "Akwaba Beach" où figure cette chanson demeure l'une des plus grosses ventes mondiales dans le domaine des musiques d'Afrique noire.
Le grand public s'est ensuite lassé à partir de la décennie suivante d'un musicien employant toujours la même recette et ayant eu du mal à se renouveler. Malgré tout, Mory Kanté n'a jamais cessé de tourner. Il était une personnalité incontournable de la musique mandingue moderne.
Dans les années 2000, il s'était un temps orienté vers une musique plus acoustique, au sein d'un orchestre où prédominaient les cordes.
Dans "La Guinéenne" (Discograph), enregistré au pays, ce musicien a choisi la formule du grand orchestre, celle de l'âge d'or de la musique ouest-africaine moderne dans les années post-indépendances.
Ce disque, qui se veut un hommage aux femmes du monde, est une suite de mélodies mandingues entonnées sur des grooves occidentaux, aux accents funk, reggae, zouk, et un appel à "bouger".
Les notes cristallines de sa kora (instrument à cordes pincées emblématique du Mandé) y sont soutenues par une rythmique basse-batterie endiablée, les salves d'une section de cuivres répondent au balafon, et le synthétiseur se marie avec la flûte peule.
Mory Kanté, maître de la kora et chanteur-griot à la puissante voix de tête, renouait dans "La Guinéenne" avec la formule du grand orchestre, chère à la Guinée des années 60-70.
par la chroniqueuse de seneplus, Rama Salla Dieng
FÉMINISME, RELIGION ET CULTURE AU SÉNÉGAL
EXCLUSIF SENEPLUS - L’Islam est interprété pour asseoir la position dominante des hommes - Cette suprématie masculine est la cause de toutes nos revendications - ENTRETIEN AVEC MAIMOUNA E. THIOR ET ADAMA POUYE
Elles sont jeunes et pleines d’énergie. Débarrassées du complexe de la femme chosifiée auquel la gent feminine est souvent en butte dans la société sénégalaise, elles ont décidé d’épouser l’idéal féministe pour un changement de comportement à l'endroit de leurs paires. Entretien croisé avec Maimouna Eliane Thior, vivant en France et Adama Pouye, à Dakar.
Bonjour Maimouna et Adama, c’est un plaisir d’avoir récemment échangé avec vous au sujet de l’actualité sénégalaise. Pouvez-vous vous présenter s’il vous plait ?
Maimouna: Bonjour Rama, merci de nous offrir cette tribune pour pouvoir nous exprimer sur ces questions. Je m’appelle Maimouna Eliane Thior, j’ai vingt-six (26) ans. Je suis en deuxième année de doctorat en sociologie et je travaille sur l’histoire politique et socio religieuse des sénégalaises et leur rapport à la globalisation: entre féminisme occidental et féminisme islamique. Je m’intéresse à l’évolution et/ou au changement de l’identité des sénégalaises partagées entre la religion majoritaire du Sénégal qu’est l’Islam et le legs de la culture occidentale accentué par la mondialisation et la modernité à travers les médias sociaux.
Adama: Bonjour Rama, le plaisir est partagé. Je suis Adama Pouye et j’ai vingt-trois (23) ans. Je suis étudiante en master 2 communication, bibliothécaire de profession. J’ai commencé à réellement m’engager sur les questions féministes depuis peu. Je travaille actuellement, dans le cadre de mon mémoire de master, sur la place du corps féminin dans la publicité ces dernières années.
Quelle est votre définition du féminisme ? Et quelles sont vos influences et inspirations feministes ?
Maimouna: Ma définition du féminisme est très simple, j’emprunterai la réponse de Mariama Bâ dans Une si Longue Lettre: « Si défendre l’intérêt des femmes c’est être féministe, oui je suis féministe ». Je m’inspire des noires américaines, qui à elles seules peuvent subir toutes formes de discriminations qui puissent exister. Au-delà des discriminations dues aux rapports sociaux que chaque femme subit dans le monde, les américaines peuvent être confrontées aux discriminations liées à la race, à la religion, au capitalisme…Je vois les africaines en situation d’immigration subir ces mêmes injustices, et cela qu’elles veuillent conserver leur culture d’origine ou pas. Je convoque très souvent l’outil “intersectionnalité”, qui est en sociologie une notion de réflexion politique développée par une universitaire américaine (Kimberlé Crenshaw) pour évoquer la situation des personnes subissant simultanément plusieurs formes de stratification. Ce concept me permet donc, d’analyser les différentes oppressions des sénégalaises à un niveau local mais aussi les situer dans la hiérarchisation mondiale en terme de race.
Adama: Pour moi, le féminisme est une revendication des droits de la femme, une aspiration vers l’équité. Equité au lieu d’égalité pour être plus juste. L’équité fera que dans tous les domains, on verra la femme au-delà de son genre, rien ne sera plus basé sur le sexe. Le féminisme est une dénonciation pour tendre vers une société plus juste et plus humaniste. Une de mes grandes influences est Chimamanda Ngozi Adichie avec son “happy feminism” qu’elle a mentionné dans “nous sommes tous féministes”
Chaque mois, nous remarquons des scandales sexistes sur les plateaux d’émission télé. Nous nous rappelons toutes avec émoi l’affaire Songué, et il y a eu cette semaine l’émission de Sen TV qui a aussi été le théâtre de propos misogynes intolérables, quelle lecture faites-vous de ces événements?
Maimouna: Je trouve que ces émissions reflètent la réalité de nos sociétés actuelles. La plupart des « expressions choquantes » est ce que pense vraiment la majorité. Cela nous choque parce c’est à la télé et qu’on met des visages sur ces mots. Il faut regarder ces émissions pour savoir comment les gens pensent pour trouver des solutions de sensibilisation afin de changer certaines visions. La dernière émission sur le féminisme sur la SenTV a fait voir qu’il y avait différentes catégories de femmes, celles qui défendent la polygamie, celles qui veulent un époux possessif et rigoureux, celles qui ne travaillent pas pour être au service exclusif de l’époux, les plus diplomates, les féministes radicales… Sans oublier les deux hommes qui s’accrochent à leur pouvoir. Cela devrait nous rappeler qu’il y a encore du travail à faire en occupant l’espace public, les médias et même impacter l’éducation nationale. Nous n’avons plus le droit de baisser les bras et écourter les travaux entamés par nos aînées qui nous ont permis d’aller massivement à l’école. Maintenant qu’on a toutes massivement été l’école jusqu’à un certain niveau, le défi serait de rendre la prochaine génération plus autonome et plus libérée dans leurs choix de vie.
Adama: Ces nombreuses sorties scandaleuses peuvent être vues comme encouragées par le peuple sénégalais lui-même. Plus les émissions choquent plus elles attirent le grand public. Les offenses faites aux femmes ne se limitent pas à la presse audiovisuelle. En décembre passé, le quotidien L’observateur, l’un des journaux les plus lus au Sénégal avait à sa une “Objet de tous les désirs: IPhone fait perdre la tête aux sénégalaises. Elles sont capables de vendre leur corps pour un IPhone”, quelques jeunes ont dénoncé par-ci par-là à travers Twitter, entre autres média social, mais sans résultat. Les auteurs s’en sortent pratiquement toujours indemnes. Pour revenir sur le plateau de cette semaine sur la SenTV, il y avait des femmes qui étaient sur le plateau qui semblaient même encourager ces dires. Une des femmes a d’ailleurs dit ouvertement “dama bëgg goor bu tang”, comme quoi certains sévices dont sont victimes nombre de femmes sont normalisés et mêmes appréciés. Un plateau où il y avait plus de cinq femmes n’a guère découragé le monsieur qui a comparé les femmes à des chiennes.
J’ai personnellement partagé les passages en question sur mon compte Twitter et sur mon statut Whatsapp pour m’en indigner. La majeure partie des réactions étaient du genre: “ils n’ont rien dit de grave, c’est à prendre au sens figuré”. Notre société elle-même a associé aux femmes l’acceptation, le silence et ces dernières l’ont accepté de la manière la plus naturelle.
Ces propos ne sont-ils que le reflet de la société sénégalaise? Pensez vous qu’ils sont dus à l’ambivalence de notre société à califourchon entre culture islamique et occidentale? Doit-on parler d’un patriarcat ou de plusieurs patriarcats?
Maimouna: Comme je l’ai dit plus haut, ces propos ne sont pas des révélations exclusives. Les personnes invitées dans ces émissions donnent leurs avis sincères sur les sujets liés aux rapports sociaux. En effet, le Sénégal est partagé entre héritage islamique et occidental. Ces propos choquent très souvent parce que dès lors qu’on évoque des questions féminines, nous sommes souvent renvoyé.es à des références religieuses pour essayer de bloquer un débat. Une bonne partie des sénégalais.es ont grandi donc avec ces rhétoriques et ont fini par croire qu’il n’y avait d’autres versions en dehors de celles rattachées à la religion. Or, j’estime que les sources religieuses font l’objet d’interprétations diverses dépendant de la culture, de l’époque, de la position géographique, etc. Il y a aussi ces sénégalais.es foncièrement coutumiers (ères) qui peuvent faire des amalgames entre des traditions et les préceptes de l’Islam. Ils/Elles ne croient pas à une quelconque évolution de la culture au nom de la modernité ou de la mondialisation. De la même façon, ils conservent le traitement d’un verset concocté pour un contexte ou une situation précise. Dans ces cas-là, le cocktail des us et de la religion peut être explosif.
Pour ce qui est des influences occidentales, bon nombre de sénégalais sont allergiques à des concepts modernes comme le féminisme. Il est vu comme un outil péjoratif qui cherche à détruire l’écosystème sénégalais. Dakar peut vivre au rythme de Paris en termes de mode, d’actualité, de façon de parler, de manger dans une famille nucléaire, mais se rétracte dès qu’il s’agit d’émanciper les femmes ou leur donner du pouvoir. Encore que le pouvoir des femmes dans des sphères professionnelles peut-être bien vu, mais la phobie réside principalement dans les répercussions au niveau des ménages ou la répartition des rôles.
Adama: Effectivement, comme l’a dit Maimouna, ces sorties reflètent la réalité sénégalaise. La condition de la majorité des femmes reste précaire malgré que les femmes ells-mêmes pensent le contraire. Beaucoup d’anti-féministes se fondent sur la religion pour rejeter la place que la femme doit occuper dans la vie sociale, professionnelle, religieuse. L’Islam est interprété pour asseoir la position dominante des hommes, assouvir les envies d’un mari irresponsable qui ne se base sur la religion que quand il a tort, conserver des privilèges qui ne reposent sur aucun mérite. La religion musulmane peut être vue comme l’une des plus féministes qui soit, la femme y occupe une grande place. D’aucun.es diront que la femme ne doit pas occuper de hautes responsabilités ou diriger un homme ; pourtant le prophète Mouhamed PSL travaillait pour celle qui devint son épouse (Khadija). Cette dernière était une très grande commerçante à l’époque et donc une entrepreneure ou businesswoman à la nôtre, pourtant elle était la femme modèle en Islam. Voyez la contradiction avec ce que veulent nous faire croire les prêcheurs et prêcheuses. Certaines sources notamment du côté du sociologue britannique et australien Bryan Turner en matière de sociologie des religions nous révèlent qu’avant l’arrivée de l’Islam, dans certaines tribus arabes, existaient des pratiques d’infanticides de filles et que le statut de la femme y était médiocre. Cela a été d’ailleurs rapporté que Ibn Abbas, un des compagnons du Prophète (PSL) en avait parlé « Si vous voulez découvrir l’ignorance des Arabes (avant l’Islam), lisez le verset de la sourate « El An’am» : « Ils sont perdus ceux qui ont tué leurs enfants par sottise et par ignorance et qui déclarent illicites les choses que Dieu leur a dispensées. Ils sont égarés et ne suivent point la bonne direction. » (Coran 6.140). L’Islam a permis d’abolir ce genre de pratiques, de valoriser la femme. La culture islamique ne peut donc être la raison d’une si grande méprise des relations de genre dans le discours de certains Sénégalais.
Nous devons dès lors chercher les raisons de cet acharnement du côté de la tradition sénégalaise et du côté des valeurs qu’elle inculque. Kocc Barma, cité comme une référence en matière de sagesse disait “Jigeen sopal te bul woolu”(Oumar Sall, a récemment montré qu’il pourrait s’agir d’une déformation, et plutôt: “Jigeen soppal, du la woolu”). D’autres expressions comme celles-ci sont répétées à longueur de journée aux hommes et aux femmes le fameux “jigeen moytul” ou encore “jigeen day mugn ngir am njabott bu baax” ou encore lorsque l’enfant commet des maladresses “doom ja, ndey ja”. Tous ces messages misogynes véhiculés dans l’apprentissage de comment devenir un(e) adulte, durant la circoncision (neegu goor), les discussions avant mariage pour la femme (yebb) et notamment dans l’affectation des tâches ménagères instaurent un subconscient arrêté qui ne peut concevoir une certaine égalité en droit, en dignité entre sexe féminin et masculin. C’est un message implicite, subtil, que les Sénégalais(es) se passent de génération en génération sans forcément s’en rendre compte.
Au Sénégal, quels sont les stéréotypes les plus établis qui sont associés aux féministes (colériques, mal-baisées, anti-hommes)? Qu’est-ce qui les explique? Pensez-vous qu’ils soient dus à la pseudo incompatibilité entre culture africaine ou sénégalaise et féminisme?
Maimouna: Je pense qu’on cherche à nous rabâcher un cliché qui vient d’ailleurs. Les premières féministes européennes étaient traitées d’hystériques, aujourd’hui on leur reproche de trop réfléchir parce que le féminisme est devenu un outil intellectuel admis à l’université. Dans une société où le mariage détermine la valeur de la femme, je ne vois pas comment les Sénégalaises peuvent être anti-hommes. Dans une société où l’éducation sexuelle (même sous l’angle religieux) est taboue, où l’aspect érotique du couple est réservé qu’aux femmes, je ne pense pas qu’elles se connaissent assez pour savoir si elles sont bien ou mal baisées. Les sénégalais.es ont besoin d’une définition spécifique du féminisme pour pouvoir l’adopter. Ce qui est très normal parce qu’il y a autant de féminisme(s) que de pays, il s’adapte selon les besoins et les urgences de chaque société. Si les sénégalais.es ont besoin qu’on leur explique que les féministes sénégalaises ne cherchent pas à copier le modèle occidental, nous devons recommencer à zéro. Il est très souvent dit que les africaines ont toujours été féministes dans la pratique, là où les européennes ont eu une liberté d’expression. Nous avons alors une base sur laquelle il faut ajouter des notions modernes à l’image des réalités de notre époque.
Adama: Il faut savoir que la mentalité populaire sénégalaise place toute l’essence de la femme chez l’homme. Pour elle, femme épanouie est surtout une femme mariée avec des enfants. Toujours si l’on s’y base, lorsqu’une femme est heureuse elle n’a pas besoin de se plaindre et donc de se soucier de questions féministes “importées”. Le travail des féministes sénégalaises contemporaines devra s'intéresser à un processus de déconstruction de toutes ces idées faites. Le féminisme est large et mène plusieurs combats. A nous de contextualiser chacune des revendications, que les problèmes féministes soulevés soient les nôtres, conformes à notre société et exprimés dans un langage qui parle au Sénégalais. Ainsi, je pense qu’au fur et à mesure le large public s’y retrouvera et ces clichés disparaîtront peu à peu. Persévérance !
Un mot sur les violences basées sur le genre?
Maimouna: Les violences basées sur le genre sont de plus en plus dénoncées, la parole se libère avec l’arrivée des médias sociaux et des dispositifs mis en place par des hommes et des femmes pour éradiquer ce fléau. Cependant, il s’agit d’informer et d’éduquer les femmes afin qu’elles connaissent leurs droits juridiques pour leur propre bien-être mais aussi pour leur progéniture. Beaucoup de femmes hésitent à quitter leurs foyers, si oppressées, par faute de moyens. Elles ne savent pas si elles doivent bénéficier de pension ou non. Je suis contente de constater qu’il y a une sensibilisation progressive sur ce domaine parce que les violences physiques et sexuelles des femmes sont une atteinte à leur dignité, leur sécurité et leur autonomie.
Adama: Injustes ! Elles sont récurrentes, que ce soit dans la presse ou à travers les histoires rapportées dans les quartiers. Le travail à faire consiste à faire comprendre les limites du “muugn” et du”sutura” qui retiennent certaines femmes dans les ménages où elles en sont victimes. Les violences ne sont pas que physiques, elles peuvent être orales et tout aussi destructrices. Il faut que chaque femme soit consciente que c’est une offense à sa dignité qui doit être dénoncée, que la peur du “xawi sa sutura” ou du “je n’ai pas les moyens” ne soit pas une entrave à la traduction en justice. Les associations de femmes doivent réfléchir à un appui pour leurs paires, que ce soit en logement, en apprentissage de métier, ou sous forme de soutien social, moral et psychologique.
A votre avis, comment changer le discours, les normes et valeurs, et les réalités patriarcales?
Maimouna: Sensibiliser, communiquer, débattre. Ce sont les mots-clés pour un changement de paradigme social. Une culture n’est pas figée, mais un changement brusque pourrait heurter. Nous avons beaucoup de bonnes valeurs à conserver et à partager avec le reste du monde, ce qui ne devrait pas nous empêcher de nous ouvrir aux autres pour nous enrichir et évoluer dans le temps et l’espace.
Adama: Je dirai aussi qu’il faudra remonter jusqu’aux racines, changer l’éducation. Il est important, avant de dénoncer qu’on puisse comprendre et faire comprendre ce qu’est le patriarcat, ce qu’est le féminisme. Dans les foyers, il faudrait équilibrer les droits des uns et des autres et apprendre les tâches ménagères aux femmes comme aux hommes. Il est aussi important d’omettre ou de reformuler tous les proverbes sexistes du dictionnaire Wolof et d’avoir des interprétations du Coran faites par des femmes averties. Dans les écoles aussi, Il faut avoir des cours via lesquels faire passer des messages d’égalité homme/femme.
Quel est le rôle et la place de l’hégémonie masculine, acceptée et magnifiée par les femmes, et du capitalisme dans cette critique sociale de la société sénégalaise ?
Maimouna: Je dis très souvent que le patriarcat est une machine nourrie par des hommes et des femmes contre toutes les femmes. Ce sont les femmes qui entretiennent le patriarcat de façon consciente et/ou inconsciente pour véhiculer depuis plusieurs générations des pratiques qui portent atteinte à l’intégrité morale et physique des femmes. Même les hommes sénégalais sont victimes de ce système parce qu’ils sont élevés par les mères comme des rois, ne devant participer à aucune tâche domestique, entre autres. Les rares hommes qui participent aux tâches domestiques sont vus comme des peureux ou des « toubabs », d’autres pensent qu’ils « aident » ou font une « faveur » à leur épouse alors que c’est leur foyer à eux deux, leurs enfants à eux deux si progéniture il y a. Cette suprématie masculine est la cause de toutes nos revendications, mais je pense que les hommes sont tout autant prêts à en découdre avec nous pour préserver leurs privilèges.
Adama: Je suis d’accord avec Maimouna. C’est justement ce sur quoi toute cette critique est basée.
Pourquoi, à votre avis, y a t-il un tel tabou à parler de sexe et de plaisir féminin, entre femmes sénégalaises plus jeunes ?
Maimouna: Euuuh, personnellement je ne vois pas qu’il y’a un tabou à parler sexe. J’ai l’impression d’ailleurs qu’on ne parle que de sexualité dans les réseaux sociaux. Les jeunes filles en âge de se marier ont des bons plans pour attiser leur intimité. Si jadis, on préparait sérieusement les filles à affronter le mariage selon les règles de leur ethnie ou de leur famille, aujourd’hui on les outille de « feem » ou astuces pour retenir leur homme. C’est mon impression.
Adama: Tout ce qu’a dit Maimouna, en plus de la peur d’être taxée de “tiaga”, de dévergondée. La peur que les propos tenus soient rapportés aux parents (qui témoignerait d’une vie sexuelle active), le focus sur la chasteté de la femme. Le débat est pensé comme réservé aux femmes mariées.
Comment, à votre avis, la pandémie du coronavirus a-t-elle renforcé les inégalités de genre au Sénégal où vous vivez Adama? Et en France où vous vivez Maimouna?
Maimouna: En France, j’ai remarqué que les secteurs qui n’étaient pas concernés par les arrêts d’activité étaient souvent des lieux où travaillent des femmes. Parmi ces femmes-là, il y a beaucoup de noires ou racisées. Je les ai remarquées dans les grandes surfaces, les deux femmes de charge de mon immeuble n’ont pas été concernées par le confinement et une jeune étudiante d’origine sénégalaise à la station d’essence. Il y a aussi le taux de violence conjugale qui a accru à cause de la promiscuité. Des numéros secours ont été mis à disposition pour dénoncer son conjoint ou même sa voisine en situation de danger. Je n’aurai pas hésité à appeler au besoin parce que rien ne justifie une forme de violence basée sur le genre.
Adama: Déjà les femmes sont très exposées par rapport à cette maladie. Le corps sanitaire est majoritairement composé de femmes (53% de l’effectif global, selon l’audit genre du ministère de la Santé, 2015), elles sont donc au chevet des malades et fragilisées. Dans les ménages, c’est aussi les femmes qui font les courses au marché, s’occupent des tâches domestiques et sont encore fragilisées face à la menace. Un passage d’un article intéressant du Dr Selly Ba nous ramène aux effets de la «féminisation de la pauvreté ". En effet, dans ce récent article, elle analyse le fait que “ Covid-19 peut davantage renforcer la féminisation de la pauvreté qui à son tour peut limiter la participation des femmes au marché du travail et l’inégalité devant l’accès aux ressources et la jouissance de celles-ci”.
A celà s’ajoute les violences domestiques accentuées par la promiscuité de certains ménages où les humeurs ne tiennent plus avec la cohabitation familiale imposée par le couvre-feu.
Quelle est votre routine de bien-être?
Maimouna: Ma première source de bien-être, est de beaucoup communiquer avec mes proches au Sénégal. Le fait d’échanger avec mes parents me fait beaucoup de bien, ils supportent tous mes projets, connaissent toutes mes activités au détail près. Le simple fait de savoir que je peux compter sur eux à mon grand âge me fait beaucoup de bien.
Je suis passionnée d’images et de videos « vintage », j’aime tout ce qui est images, films, musiques rétro ayant trait au Sénégal. Je passe du temps à collecter ces belles archives.
La lecture et l’écriture sont aussi des thérapies pour l’apprenante que je suis. J’essuie mes larmes avec l’écriture, parce que je pleure très souvent quand je suis déprimée par la solitude, la morosité, la routine de la France.
J’aime aussi la mode, je tiens beaucoup à mon style vestimentaire parce que c’est une partie de mon identité. Dès que la météo me le permet, j’enfile mes tenues cousues au Sénégal et qui renvoie à l’Afrique de façon générale. Savoir que je fais des choses pour le Sénégal, au Sénégal, savoir que je m’habille Sénégal, que mes turbans renvoient au Sénégal… Tout cela me procure beaucoup de bien. Je suis une Sénégalaise dans l’âme, après plusieurs années en France, j’ai toujours l’impression de laisser mon âme à Dakar, et qu’elle ne se reconnecte à mon physique que quand je foule le sol dakarois. En gros, ma vie n’a de sens qu’au Sénégal.
Adama: Je n’en ai pas vraiment, je suis une grande “viveuse au jour le jour”. Ma routine du lundi peut différer de celle du mardi et de tous les autres jours de la semaine. Je suis mes envies au réveil, quand bien même je peux dire qu’un bon sommeil réparateur, une bonne douche chaude, une mise impeccable me font me sentir la plus heureuse !
Mes petits plaisirs tournent autour de la lecture, des photos, de la mode, des conversations avec mes proches.
Dr. Rama Salla Dieng est écrivaine, universitaire et activiste sénégalaise, actuellement maîtresse de conférence au Centre d'études africaines de l'Université d'Édimbourg, Ecosse.
Cette interview fait partie de la série d’entretiens sur les féminismes en Afrique: Talking Back, éditée par Rama Salla Dieng sur Africa Is A Country. Il sera publié en anglais sous peu. Rama est aussi la co-éditrice de Feminist Parenting: Perspectives from Africa and beyond avec Andrea-O’Reilly, ouvrage collectif qui a reçu les contributions de parents feministes du monde entier.
MAMADOU TALLA EXPLIQUE COMMENT IL VA SAUVER L’ANNEE SCOLAIRE
Invité de l’émission «Yoon wii» sur «Rfm», Mamadou Talla a indiqué que la reprise des cours dépend du protocole médical que son département a validé avec les autorités médicales.
C’est une question qui fait beaucoup jaser tant du côté des enseignants que des élèves. Et pour rassurer tout le monde, le ministre de l’Education Nationale, Mamadou Talla, a décliné une stratégie pour réussir une bonne reprise des cours le 02 juin prochain.
Invité de l’émission «Yoon wii» sur «Rfm», Mamadou Talla a indiqué que la reprise des cours dépend du protocole médical que son département a validé avec les autorités médicales. Dans le même sillage, il informe que le transport des enseignants va débuter le 26 mai prochain.
Il n’y aura pas de reprise des cours le 02 juin sans un respect strict des consignes médicales validées avec les autorités médicales. Dans ce protocole, renseigne le ministre Mamadou Talla, il est indiqué qu’il ne devrait pas y avoir plus de 20 élèves dans une salle de classe. En plus de cela, les élèves vont s’asseoir à un par table tout en respectant la distanciation sociale (un mètre d’écart entre eux). Devant les salles de classe, on mettra du gel hydro-alcoolique et des matériels de protection. A cela s’ajoute un dispositif de lavage des mains devant les établissements scolaires où il y aura également des thermo flashs. Avec le protocole médical, il est prévu la distribution gratuite de deux millions de masques pour les élèves et les enseignants en raison de 3 masques lavables pour chacun.
La présence des personnes qui souffrent de maladies chroniques comme le diabète, l’asthme et de maladies cardiovasculaires n’est pas obligatoire. Cette disposition concerne aussi bien l’élève que l’enseignant. Il reste, à en croire le ministre de l’Education Nationale, à distribuer le protocole dans toutes les écoles. «Des CRD ont été tenus dans toutes les régions pour s’occuper de la désinfection des établissements avant la reprise des cours. Nous sommes allés plus loin aussi en mettant en place des comités de veille dans les écoles qui vont s’occuper des questions sanitaires dans les écoles», informe Mamadou Talla. Il assure que son ministère ne va courir aucun risque de laisser les personnes présentant des signes de maladies chroniques de regagner les salles de classe. Se montrant particulièrement rassurant, il estime qu’il est hors de question de reprendre les cours si les conditions prévues par le protocole médical ne sont pas remplies.
A propos du transport des enseignants qui ont regagné leurs localités d’origine depuis l’arrêt des cours, le ministre de l’Education nationale a pris des mesures. Au Sénégal, nous savons combien d’enseignants quittent Dakar pour aller dans les régions. Ils sont au total 4 484 enseignants. Nous connaissons également ceux qui viennent des régions pour enseigner à Dakar. Ils sont au total 1 660 enseignants. Et nous connaissons également ceux qui vont d’une région à une autre. En tout, c’est plus de 19 900 enseignants qui doivent quitter un lieu vers un autre pour enseigner», dit-il avant d’ajouter que le ministre de l’Intérieur sera saisi pour leur délivrer l’ensemble des autorisations.
Dans la même veine, il informe que son collègue des Transports Oumar Youm se chargera de voir comment transporter les enseignants vers leurs lieux à partir du 26 mai. «Demain (Ndlr : aujourd’hui vendredi 22 mai), j’ai une réunion avec le ministre des Infrastructures, des Transports terrestres et du Désenclavement pour faire le dispatching, et informer les enseignants du jour et de l’heure où ils doivent quitter leurs localités pour retourner vers leurs lieux d’enseignement», indique Mamadou Talla. Pour ce qui est des examens, le ministre de l’Education nationale indique que ses services sont en train de réfléchir sur les dates à retenir. «Je suis en train de discuter avec les acteurs de l’éducation pour trouver une date convenable. Il y avait des dates qui ont été retenues, mais comme il y a des changements, le calendrier scolaire aussi va changer.
Officiellement, les cours devraient s’arrêter le 31 juillet. D’ici à cette date, nous sommes dans l’année scolaire et si nous devons la dépasser, il faut nécessairement un autre décret pour réorganiser les dates», explique-t-il.