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2 août 2025
LES SÉNÉGALAIS MENACÉS D'INTERDICTION D'ENTRÉE AUX ÉTATS-UNIS
Passeports "douteux", coopération défaillante, dépassements de visas : l'administration Trump brandit une série de griefs sécuritaires pour justifier l'interdiction d'entrée potentielle de citoyens de 36 pays, dont le Sénégal
(SenePlus) - L'administration du président américain Donald Trump envisage d'étendre considérablement ses restrictions de voyage en interdisant potentiellement l'entrée aux citoyens de 36 pays supplémentaires, dont le Sénégal, selon un câble diplomatique interne du département d'État consulté par l'agence Reuters.
Parmi les nations qui pourraient faire l'objet d'une interdiction totale ou partielle figurent plusieurs pays africains, notamment le Sénégal, aux côtés de l'Angola, du Bénin, du Burkina Faso, du Cameroun, de la Côte d'Ivoire, de la République démocratique du Congo, de Djibouti, de l'Éthiopie, de l'Égypte, du Gabon, de la Gambie, du Ghana, du Liberia, du Malawi, de la Mauritanie, du Niger, du Nigeria, du Soudan du Sud, de la Tanzanie, de l'Ouganda, de la Zambie et du Zimbabwe.
Cette mesure représenterait une extension significative de l'interdiction entrée en vigueur plus tôt ce mois-ci, qui concernait déjà 12 pays : l'Afghanistan, le Myanmar, le Tchad, la République du Congo, la Guinée équatoriale, l'Érythrée, Haïti, l'Iran, la Libye, la Somalie, le Soudan et le Yémen.
Dans le câble diplomatique signé par le secrétaire d'État américain Marco Rubio, le département d'État a identifié "36 pays préoccupants qui pourraient être recommandés pour une suspension totale ou partielle d'entrée s'ils ne respectent pas les critères et exigences établis dans les 60 jours", selon le document consulté par Reuters et d'abord rapporté par le Washington Post.
Cette directive s'inscrit dans le cadre de la répression migratoire lancée par Trump au début de son second mandat, qui a notamment inclus l'expulsion vers El Salvador de centaines de Vénézuéliens soupçonnés d'appartenir à des gangs, ainsi que des efforts pour refuser l'inscription d'étudiants étrangers dans les universités américaines.
Le département d'État a soulevé plusieurs préoccupations concernant les pays visés. Parmi celles-ci figurent l'absence d'un gouvernement compétent ou coopératif de la part de certains pays mentionnés pour produire des documents d'identité fiables, ainsi que la "sécurité douteuse" des passeports de ces pays.
Certains pays, précise le câble, ne coopèrent pas pour faciliter le rapatriement de leurs ressortissants des États-Unis qui ont reçu l'ordre d'être expulsés. D'autres voient leurs citoyens dépasser la durée de validité des visas américains qui leur sont accordés.
Le document évoque également des cas où "les ressortissants du pays étaient impliqués dans des actes de terrorisme aux États-Unis, ou dans des activités antisémites et anti-américaines". Le câble précise toutefois que toutes ces préoccupations ne s'appliquent pas à chaque pays listé.
Un haut responsable du département d'État a déclaré à Reuters : "Nous réévaluons constamment les politiques pour assurer la sécurité des Américains et que les ressortissants étrangers respectent nos lois". Le responsable a refusé de commenter les délibérations internes spécifiques.
"Le département d'État s'engage à protéger notre nation et ses citoyens en maintenant les plus hauts standards de sécurité nationale et de sécurité publique à travers notre processus de visa", a ajouté l'officiel.
Cette nouvelle initiative rappelle la politique mise en place lors du premier mandat de Trump, qui avait annoncé une interdiction de voyager pour les ressortissants de sept pays à majorité musulmane. Cette politique, qui avait connu plusieurs versions, avait finalement été confirmée par la Cour suprême en 2018.
L'entrée de personnes provenant de sept autres pays - le Burundi, Cuba, le Laos, la Sierra Leone, le Togo, le Turkménistan et le Venezuela - fait également l'objet de restrictions partielles depuis le début du second mandat de Trump.
Pour le Sénégal et les autres pays concernés, les prochaines semaines seront déterminantes pour éviter une interdiction qui pourrait considérablement affecter les liens avec les États-Unis et les communautés diasporiques installées en Amérique.
LA SONAC DANS LE VISEUR DE THIERNO ALASSANE SALL
56 millions d'euros décaissés sur la base de garanties potentiellement invalides. C'est ce que dénonce le député dans une question écrite au ministre des Finances, pointant du doigt les pratiques de la SONAC dans un marché d'électrification rurale
(SenePlus) - Le député Thierno Alassane Sall a adressé une question écrite au ministre des Finances et du Budget concernant des irrégularités présumées dans l'émission de garanties d'assurance par la SONAC (Société Nationale d'Assurance du Crédit et du Cautionnement) pour un marché d'électrification rurale.
Selon la question parlementaire datée du 12 juin 2025, la société espagnole AEE POWER EPC a obtenu, "par le truchement d'une offre spontanée", un marché portant sur l'électrification de plusieurs localités rurales du Sénégal, notamment dans les régions de Kaffrine, Kédougou, Louga, Saint-Louis et Tambacounda.
Le montant total des avances décaissées s'élève à 56 millions d'euros, répartis comme suit :
28 millions d'euros pour l'avance de démarrage
28 millions d'euros pour l'avance sur dépenses engagées
7 millions d'euros pour la garantie de bonne exécution
Le cœur de la controverse porte sur les conditions d'émission des garanties par la SONAC. Selon le député, ces garanties auraient été délivrées "dans des conditions contrevenant aux exigences de transparence et à l'orthodoxie des principes régissant les assurances".
Le parlementaire cite l'article 13 du Code des Assurances des États membres de la CIMA, qui stipule clairement que "la prise d'effet du contrat est subordonnée au paiement de la prime par le souscripteur" et qu'il est "interdit aux entreprises d'assurance de souscrire un contrat d'assurance dont la prime n'est pas payée".
Plusieurs acteurs ont alerté sur cette situation :
La société AEE POWER Sénégal a saisi l'ARCOP (Autorité de Régulation des Commandes Publiques) le 29 août 2024
La banque espagnole Santander, qui finance le marché, a également fait une dénonciation le 30 septembre 2024
L'ARCOP elle-même a demandé à la SONAC, le 12 juillet 2024, de fournir "dans les 72 heures" la preuve des paiements des primes par AEE POWER EPC
Selon la question parlementaire, "tout porte à croire que ces demandes persistantes émanant d'Institutions officielles et accessoirement d'autres intervenants dans le contrat n'ont suscité aucune réaction de la part de SONAC".
Se fondant sur l'article 92 du règlement intérieur de l'Assemblée Nationale, le député Thierno Alassane Sall demande au ministre des Finances de fournir des éléments de réponse sur :
Les conditions de délivrance des garanties SONAC
Les dates précises auxquelles les garanties ont été délivrées
Le moment où la prime a été effectivement perçue par la SONAC
Les raisons pour lesquelles la SONAC n'a pas répondu aux interpellations de l'ARCOP
par Cheikh Faye
LA RUPTURE COMMENCE PAR LA RÉDUCTION DU TRAIN DE VIE DE L’ÉTAT
Nous assistons à des pratiques de recasement massif d’une clientèle politique naguère fortement décriées par Sonko et son parti. Des institutions inutiles et budgétivores sont maintenues contrairement aux promesses de rationalisation
Les obligations en dollars du Sénégal continuent leur chute inexorable. Cette chute occasionne des pertes pour les investisseurs. Elles sont estimées à 7,3% selon une dépêche de Reuters citant JP Morgan. Il est bon de rappeler que cette dépréciation des obligations en dollars du Sénégal a pour origine les déclarations dénonciatrices et inopportunes d’Ousmane Sonko sur l’état de dégradation avancée des finances publiques sénégalaises en plus d’un maquillage des chiffres jusqu’ici publiés. La tentative de confirmation de ces accusations au moyen d’un rapport, contesté et contestable, de la Cour des comptes n’a fait qu’empirer cette situation notamment en renforçant la méfiance des marchés internationaux de capitaux et en accroissant le scepticisme des institutions internationales.
En effet, Ousmane Sonko et son gouvernement se montrent incapables d’apporter des preuves irréfutables de leurs allégations issues d’un réel audit des finances publiques mené sur la base des normes et règles de l’art qui font autorité en la matière au plan international. On se rend compte, quelques mois après sa publication, que le rapport de la Cour des comptes ne servait qu’à alimenter le débat politicien à l’intérieur du Sénégal. Une stratégie qu'Ousmane Sonko a usé et abusé pour alimenter des polémiques politiciennes stériles qui ne profitent qu’à lui et à ses intérêts partisans. Les récentes déclarations de la Directrice du Département des communications du FMI laissent apparaître, de façon claire, que le Sénégal ne pourrait pas compter sur un décaissement du FMI tant que les résultats d’un véritable audit ne lui seraient pas remis. Donc, la marge de manœuvre sur le levier «ressources» se rétrécit, de jour en jour, comme peau de chagrin, en dépit des fréquentes opérations de « suul bu kii, sulli bu kee » pour lever des fonds sur le marché obligataire ouest-africain. Il ne reste, alors, qu’à agir sur le levier des «dépenses». Ce que Ousmane Sonko et son gouvernement ne semblent pas être prêts à faire.
En effet, aucun signe extérieur ne montre une réduction du train de vie de l’état. Depuis avril 2024, les recrutements dans la Fonction publique ne cessent de croître. Si certains pourraient se justifier (FDS, enseignants, etc.), nous assistons à des pratiques de recasement massif d’une clientèle politique naguère fortement décriées par Ousmane Sonko et son parti. Des institutions inutiles et budgétivores sont maintenues contrairement aux promesses de rationalisation parce ce qu’elles offrent l’opportunité, tout simplement, de récompenser les militants(es) et soutiens de postes de PCA et de DG. Autrement dit, un partage du gâteau autrefois véhément dénoncé ! Plus de 8 milliards de nos pauvres francs dévalués sont utilisés pour l’achat de véhicules au profit des parlementaires qui bénéficient déjà d’une indemnité de transport très substantielle susceptible de leur garantir, facilement et individuellement, un prêt automobile auprès de n’importe quelle institution financière de la place. Plus de 5 milliards de francs CFA ont été ponctionnés de nos ressources publiques pour « indemniser », sans décision de justice, des condamnés et prévenus liés à la dégradation de biens publics et privés, de violences et voies de fait sur des personnes et de meurtres comme ceux des deux sœurs brûlées vives dans un moyen de transport public.
Des dizaines de milliards de francs CFA continuent d’alimenter les fonds politiques, rebaptisés fonds spéciaux, en dépit des promesses de réforme, voire de leur suppression Ousmane Sonko vient de se permettre une virée diplomatique (pour rappel, la diplomatie est un domaine réservé du chef de l’État) par jet privé dont nous n’avons aucune idée sur les coûts subséquents. Aujourd’hui, c’est le président Bassirou Diomaye, au mépris des règles de rationalité et d’économie, qui s’est déplacé à Saint-Louis à bord de l’avion de commandement alors que le trajet s’effectue facilement à l’aide d’une escorte de l’escadrille présidentielle. Autant de dépenses inutiles, voire somptuaires qui contrastent avec la rupture chantée et promise. Hélas, le « nguuru » est en train de prendre le pas sur l’engagement de rupture.
MONDIAL EN TERRE INCONNUE
Délais de visa de 15 mois, supporters interdits d'entrée, prix prohibitifs : la Coupe du monde 2026 risque-t-elle de tourner au fiasco ? À un an du tournoi, les États-Unis courent après le temps pour résoudre une équation complexe
(SenePlus) - La promesse est grandiose : "le plus grand événement sportif de l'histoire de la planète", selon Landon Donovan, ancienne star de l'équipe nationale américaine. Mais à douze mois du coup d'envoi de la Coupe du monde 2026, coorganisée par les États-Unis, le Canada et le Mexique, les défis s'accumulent pour les organisateurs américains qui accueilleront 78 des 104 matches du tournoi élargi à 48 équipes.
Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche complique l'équation. Si le président affiche ostensiblement son soutien au tournoi - une réplique du trophée trône dans le Bureau ovale lors de ses conférences de presse -, ses politiques migratoires inquiètent la FIFA et les organisateurs.
L'administration Trump a signé des décrets interdisant l'entrée sur le territoire à des citoyens de plus d'une douzaine de pays, dont l'Iran, déjà qualifié pour la compétition. Bien que des exemptions soient prévues pour les grandes compétitions sportives concernant les athlètes et leur entourage, ces interdictions de voyage menacent d'exclure les supporters de nations comme l'Iran, mais aussi le Venezuela et Haïti, tous deux encore en lice pour décrocher leur billet, révèle The Athletic.
Plus préoccupant encore : les délais d'obtention de visas touristiques. En Colombie, l'attente atteint actuellement 15 mois pour un rendez-vous, 10 mois en Équateur et 9 mois et demi au Costa Rica. Une situation d'autant plus problématique que de nombreux fans attendent habituellement le tirage au sort des groupes - probablement organisé à Las Vegas début décembre - pour réserver leurs voyages et hôtels, car c'est seulement alors qu'ils sauront dans quelles villes joue leur équipe.
Les villes hôtes américaines attendent toujours de savoir si leurs coûts seront compensés par une enveloppe fédérale de 625 millions de dollars qu'elles réclament conjointement pour assurer la sécurité du tournoi. Une demande justifiée par les risques terroristes : une lettre signée par 48 membres du Congrès en décembre 2024 avertissait que la taille du tournoi en faisait "une cible particulièrement attractive pour les acteurs malveillants".
Les enjeux financiers sont colossaux pour les municipalités. Le comté de Miami-Dade prévoit ainsi des coûts de 46 millions de dollars entre subventions, services de police et dépenses liées à l'organisation de sept matches de Coupe du monde au Hard Rock Stadium. Un défi d'autant plus sensible que ce même stade avait connu des scènes chaotiques lors de la finale de la Copa América l'été dernier.
Pour les fans, la facture s'annonce salée. La FIFA appliquera un système de tarification dynamique, où les prix fluctueront en fonction de la demande. Seuls les forfaits hospitalité sont actuellement disponibles, avec des tarifs débutant à 3 500 dollars par personne et pouvant grimper jusqu'à 73 200 dollars.
Un fossé béant avec 1994, quand les États-Unis avaient déjà accueilli la Coupe du monde : les billets coûtaient alors entre 25 et 475 dollars et avaient attiré plus de 3,5 millions de spectateurs pour un tournoi à 24 équipes - soit la moitié de la taille de celui qui arrive dans douze mois, rappelle The Athletic.
Cette inflation s'explique par les ambitions financières de la FIFA, qui vise 13 milliards de dollars de revenus sur le cycle se terminant en 2026, contre 7,6 milliards entre 2019 et le Mondial qatarien de 2022.
Contrairement au Qatar qui avait offert la gratuité des transports publics aux détenteurs de billets, les villes américaines adoptent des approches divergentes. Dallas confirme que les bus et systèmes ferroviaires seront gratuits pour les fans, avec 100 bus gratuits mis en service. Houston, en revanche, ne prévoit pas de transport gratuit.
La géographie complique la donne : certains stades de la Coupe du monde américaine ne sont pas facilement accessibles par les transports publics, comme le Hard Rock Stadium de Miami. Le Levi's Stadium en Californie se trouve à environ 43 miles de San Francisco, l'AT&T Stadium d'Arlington au Texas à environ 18 miles de Dallas et le Gillette Stadium à 25 miles de Boston.
Malgré ces défis, les organisateurs misent sur l'attractivité du tournoi. Chris Canetti, président du comité d'organisation de Houston, prédit que "chaque match se vendra à guichets fermés", comparant l'événement au Super Bowl américain.
Alex Lasry, directeur général du comité organisateur New York/New Jersey, insiste sur l'enjeu : "La Coupe du monde n'est pas un tournoi domestique. C'est LA Coupe du monde. Un des éléments les plus importants est d'avoir le monde entier qui vient aux États-Unis. Cela génère non seulement un impact économique sur 40 jours, mais aussi 5, 10, 15 ans après".
À un an du coup d'envoi prévu le 11 juin 2026, les États-Unis tentent de concilier ambitions politiques et réalités organisationnelles pour ce qui s'annonce comme le plus grand défi logistique de l'histoire du football mondial.
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L'AFRIQUE EN QUÊTE DE SOUVERAINETÉ
L'économiste et ancien ministre togolais Kako Nubukpo, décrypte les mutations d'un continent qui, entre héritage colonial et aspirations souveraines, redéfinit ses alliances et ses modèles de développement
L'Afrique contemporaine traverse une période de mutations profondes qui redéfinissent ses rapports au monde et à elle-même. L'analyse de l'économiste Kako Nubukpo, directeur de l'observatoire de l'Afrique sub-saharienne, révèle un continent en pleine transformation, animé par une double dynamique : une aspiration croissante à la souveraineté et une recherche de nouveaux modèles de développement.
Au cœur de cette transformation se trouve la jeunesse africaine, véritable force motrice d'un changement politique et social sans précédent. Cette génération porte une demande forte de souveraineté qui transcende les frontières nationales et les divisions régionales traditionnelles. Contrairement aux analyses qui se focalisent sur l'instabilité politique, Nubukpo identifie cette aspiration comme le trait le plus caractéristique du continent aujourd'hui.
Cette jeunesse ne se contente plus d'un rôle passif dans la construction de l'avenir africain. Les manifestations observées en 2024 au Kenya, au Nigeria et en Afrique du Sud témoignent d'une volonté claire de participation active à la vie économique, sociale et politique. Cette mobilisation révèle une tension fondamentale entre des élites qui privilégient souvent des modèles de gouvernance verticaux et une base populaire qui réclame plus de démocratie participative.
L'Afrique contemporaine se trouve prise dans une double injonction particulièrement complexe. D'un côté, les pressions internes exercées par une population jeune et dynamique qui exige des emplois, une meilleure éducation et des services de santé de qualité. De l'autre, les attentes externes des grandes puissances qui cherchent à maintenir leur influence sur le continent.
Cette situation crée un paradoxe : alors que les puissances occidentales prônent la démocratie libérale, les alternances politiques en Afrique n'ont pas toujours généré les alternatives économiques et sociales espérées. Cette déconnexion entre promesses démocratiques et réalités économiques alimente une recherche d'alternatives politiques.
L'influence chinoise croissante sur le continent s'explique moins par une attraction idéologique que par un pragmatisme économique. Quand les institutions occidentales traditionnelles - Banque mondiale, FMI, grandes puissances européennes - ont fait défaut pour financer les infrastructures africaines, la Chine a comblé ce vide avec des investissements massifs et concrets.
Cette présence chinoise ne constitue pas nécessairement une rupture avec l'Occident, mais plutôt une diversification des partenariats qui s'inscrit dans une logique de non-alignement. L'Afrique cherche à éviter de nouveaux rapports de dépendance exclusive, préférant jouer sur la multiplication des options géopolitiques.
La France face au défi de la transformation
Les relations franco-africaines illustrent parfaitement les tensions contemporaines du continent. Si les liens linguistiques et administratifs demeurent forts, particulièrement avec les 14 pays francophones d'Afrique de l'Ouest et du Centre, la France fait face à des critiques persistantes concernant son incapacité à rompre avec certaines pratiques héritées de la période coloniale.
Le franc CFA symbolise cette économie d'empire que beaucoup d'Africains perçoivent comme un vestige du passé colonial. Pour une part croissante de la population, cette monnaie continue de renvoyer au "franc des colonies françaises d'Afrique", entretenant un sentiment de dépendance économique.
Face à ces défis, l'Afrique explore des voies alternatives qui s'inspirent du concept de Sud global incarné par les BRICS. Cette recherche ne traduit pas nécessairement une adhésion aux régimes autoritaires, mais plutôt une volonté d'arbitrage entre promotion des droits politiques et survie économique.
Le continent présente aujourd'hui une mosaïque de modèles : des démocraties comme le Ghana, l'île Maurice, les Seychelles ou le Botswana coexistent avec des modèles plus dirigistes comme le Rwanda, salué pour sa gouvernance efficace et ses succès technologiques, ou le Maroc, qui développe une stratégie africaine ambitieuse basée sur trois piliers : le transport aérien, le secteur bancaire et la promotion d'un islam modéré.
Malgré cet optimisme, certaines régions demeurent préoccupantes. La République démocratique du Congo, malgré ses immenses ressources naturelles, peine à décoller économiquement et reste marquée par l'instabilité dans ses régions orientales. Le Soudan, la Somalie et la zone sahélienne, avec ses millions de déplacés, illustrent les défis sécuritaires qui entravent le développement.
L'analyse de Nubukpo se conclut sur une note résolument optimiste. Avec ses ressources naturelles exceptionnelles, notamment la forêt du bassin du Congo - deuxième poumon de la planète -, sa diaspora dynamique et la mise en place progressive de la zone de libre-échange continentale africaine, l'Afrique dispose d'atouts considérables.
Cette vision positive s'appuie sur une réalité démographique et économique : le continent attire désormais l'attention du monde entier, non plus seulement comme pourvoyeur de matières premières, mais comme marché émergent et force géopolitique en devenir.
Les belles feuilles de notre littérature par Amadou Elimane Kane
LÉOPOLD SÉDAR SENGHOR OU LA SONORITÉ PLURIELLE DU CHANT AFRICAIN
EXCLUSIF SENEPLUS - Chantre de la Négritude, voix des sans-voix, passeur de mémoire : l'ancien président a fait de la poésie son "activité majeure". Son œuvre colossale puise aux sources de la tradition africaine pour réinventer l'art du verbe
Notre patrimoine littéraire est un espace dense de créativité et de beauté. La littérature est un art qui trouve sa place dans une époque, un contexte historique, un espace culturel, tout en révélant des vérités cachées de la réalité. La littérature est une alchimie entre esthétique et idées. C’est par la littérature que nous construisons notre récit qui s’inscrit dans la mémoire. Ainsi, la littérature africaine existe par sa singularité, son histoire et sa narration particulière. Les belles feuilles de notre littérature ont pour vocation de nous donner rendez-vous avec les créateurs du verbe et de leurs œuvres qui entrent en fusion avec nos talents et nos intelligences.
Choisir d’écrire sur l'œuvre poétique de Léopold Sédar Senghor est une gageure à relever tant la production est colossale et tant le poète a écrit sur l’art poétique.
Et la poésie c’est, selon le dictionnaire, un genre littéraire associé à la versification et soumis à des règles prosodiques particulières, variables selon les cultures et les époques, mais tendant toujours à mettre en valeur le rythme, l'harmonie et les images.[1]
C’est aussi un art du langage en vers, de ses rythmes et figures, par opposition à la prose. Et si l’on remonte à l’antiquité, et particulièrement chez les Grecs, la poésie, du grec ancien poíêsis, c’est la création, c’est l'action de faire. La poésie est souvent considérée comme le premier des genres.Pour les Grecs, la poésie était d’inspiration divine et le poète enfant des Muses.Horace a défini la poésie comme une « peinture parlante ».[2]
Ainsi, depuis des millénaires, la poésie demeure comme un art fondamental de la parole et d’une certaine vision du monde qui se fabrique à travers le langage, la sonorité, le mouvement des mots et leur puissante émotion à traduire des sensations qui vibrent par leur propre re-création.
Mais laissons parler Léopold Sédar Senghor qui donne sa définition de la poésie. La poésie est, dans notre vie, non pas le métier, mais l’activité majeure : la vie de notre vie, sans quoi celle-ci ne serait pas vie.[3]
Et Léopold Sédar Senghor invoque aussi l’appartenance cosmogonique de la poésie négro-africaine, faite de symbolisme et de rythmes, une alliance créatrice qui a tant inspiré les poètes de tout bord. La culture négro-africaine est faite d’une force naturelle de l’inspiration. La première naissance au monde est poétique, l’initiation est poétique, les images ailées et esthétiques transcendent le réel pour toucher au sublime. Ainsi, la poésie négro-africaine, comme chez les Grecs, est la genèse du vivant, sans être toutefois un art de l’imitation car elle investit le verbe pour recomposer encore et toujours une représentation augmentée du monde.
Et si l’on s’attarde un instant sur la création de Léopold Sédar Senghor, car devant l'opulence poétique on est bien obligé de choisir, on voit bien cette invention rythmique accordée aux symboles africains :
Les Masques sont ici en majuscule tout comme les Ancêtres qui sont les gardiens de la mémoire, de l’histoire et du logos. Et l’Esprit continue de respirer car la prière aux morts est le gage de l’éternité poétique, donc la continuité humaine.
Le poète se saisit ici du singularisme du chant africain pour le rendre plus vivant à nul autre pareil. La magie du verbe est immortelle et renaissante, semble dire Léopold Sédar Senghor.
L’inspiration cosmogonique est une force tellurique qui ne cesse de renaître, comme les trésors terrestres qui s’accompagnent de la symbolique féconde et nourricière.
Élé-yâye ! De nouveau je chante un noble sujet ; que m’accompagnent kôras et balafong !
Princesse, pour toi ce chant d’or, plus haut que les abois des pédants !
Tu n’es pas plante parasite sur l’abondance rameuse de ton peuple.[5]
Seule la terre porte les hommes vers les lignées qui se succèdent, en scandant les chants harmonieux des récoltes africaines qui abreuvent la faim et éduquent l’esprit par leur incroyable intelligence :
L’aigle blanc des mers, l’aigle du temps me ravit au-delà du continent.
Je me réveille je m’interroge, comme l'enfant dans les bras de Kouss que tu nommes Pan.
C'est le cri sauvage du soleil levant qui fait tressaillir la terre
Ta tête noblesse nue de la pierre, ta tête au-dessus des monts le Lion au-dessus des animaux de l’étable
Et c’est à ce sol, à l’origine de la fondation, que le poète rend hommage, sans oublier les créations initiales. Ainsi, il foule le temple de l’histoire pour s’assurer qu’il n’est plus en errance, sur ce petit angle occidental, lavé de ses contagions de civilisé.
Je marcherai par la terre nord-orientale, par l’Égypte des temples et des pyramides
Mais je vous laisse Pharaon qui m’a assis à sa droite et mon arrière-grand-père aux oreilles rouges.
Vos savants sauront prouver qu’ils étaient hyperboréens ainsi que toutes mes grandeurs ensevelies.[7]
Car le poète est aussi un passeur de vérité, celui qui sait nommer la souffrance qui coule dans les cratères de la terre assiégée par des cavaliers barbares, sans foi, sans loi, sans mémoire.
Mais toutes les ruines pendant la traite européenne des nègres
Mais toutes les larmes par les trois continents, toutes les sueurs noires qui engraissèrent les champs de canne et de coton
Mais tous les hymnes chantés, toutes les mélopées déchirées par la trompette bouchée
Toutes les joies dansées oh ! toute l’exultation criée.[8]
Chantre de la Négritude avec Aimé Césaire et Léon Gontran Damas, Léopold Sédar Senghor est encore la voix de ceux qui n’ont point de bouche, les frères d’Afrique, les frères d’Amérique, les frères des Antilles, ceux qui se sont tus à force d’être massacrés, mais toujours tête haute, comme sept mille nègres nouveaux, sept mille soldats sept mille paysans humbles et fiers.
Vous Tirailleurs Sénégalais, mes frères noirs à la main chaude sous la glace et la mort
Qui pourra vous chanter si ce n’est votre frère d’armes, votre frère de sang ?
Je ne laisserai pas la parole aux ministres, et pas aux généraux
Je ne laisserai pas - non ! - les louanges de mépris vous enterrer furtivement.
Vous n’êtes pas de pauvres aux poches vides sans honneur
Mais je déchirerai les rires banania sur tous les murs de France.[9]
Des luttes anti-coloniales, en passant par la seconde guerre mondiale, à la libération des États africains, le poète inscrit ses mots sur les murs pour les générations à venir, pour la postérité de l’histoire qui parfois s’écrit en marge des vérités trop crasses à dire, pour laisser parler les hommes tombés sur le terrain d’un combat devenu le leur, comme en avril 1940 :
Entre la fraîcheur extrême du Printemps et la torpeur promise de l'Été, laisse-nous savourer la douceur éphémère de vivre
Entre la fleur qui s’effeuille qui décline et les blés en bruissements ardents, respirer le regret de vivre aigre-doucement.
Avant oui avant l’odeur future des blés et les vendanges dans l’ivresse, que nous ne foulerons pas
Que nous goûtions la douceur de la terre de France[10]
Et pour échapper à ces terres noyées de sang, de part et d'autre des continents, le poète reprend le chemin avec sa canne de sagesse pour rejoindre les sonorités éthiopiques, car seul le verbe délivre du soufre du volcan. Le poème devient l’unique source du langage pour parfaire le royaume africain resté innocent de la sauvagerie et des guerres. Même si la terre originelle se souvient de tout, elle continue sa ronde de merveilles inassouvies et de beauté séculaire.
Princesse, ma Princesse ! Me reviennent déjà sous les griffes de l’Harmattan
Les nuits brèves de l'Été, fleuries d’étoiles bleues comme de libellules
Et les chemins au bord du lac de lune
Troublé à peine par les jeux des poissons, idéogrammes du silence.[11]
Et les chants peuvent reprendre, ils deviennent Chaka, un poème dramatique à plusieurs voix pour mieux entendre la mélopée plurielle de la terre africaine :
Tam-tam au loin, rythme sans voix qui fait la nuit et tous les villages au loin
Par-delà forêts et collines, par-delà le sommeil des marigots…
Et moi je suis celui-qui-accompagne, je suis le genou au flanc du tam-tam, je suis la baguette sculptée
La pirogue qui fend le fleuve, la main qui sème dans le ciel, le pied dans le ventre de la terre
Le pilon qui épouse la courbe mélodieuse. Je suis la baguette qui bat laboure le tam-tam.[12]
Alors de cette poésie musicale aux résonnances durables, aux courbes grammaticales enjambant les vers, les rimes, les allitérations plurielles, par-delà le classicisme, trouvant un rythme génésiaque, le chant africain de Léopold Sédar Senghor se déploie dans le temps, avec une prosodie inventive qui allie la parole aux paysages, aux aurores, à la fertilité de la terre et au timbre des femmes et des hommes pour toujours chanter la Négritude debout.
Comme les lamantins vont boire à la source, Léopold Sédar Senghor se repaît de la terre africaine, comme un mythe ou comme une histoire naturelle, comme l’émergence du continent de la pleine lune qui, s’il est meurtri est toujours renaissant, est celui qui musicalise l’harmonie de l’univers.
Et si l’on écoute encore un instant la promesse - prophétique on l’espère - de Léopold Sédar Senghor, il est maintenant temps de rendre la parole à tous les hommes de tous les continents, de toutes les races, de toutes les civilisations pour redonner au poíêsis sa pleine lumière pour continuer de construire nos idéaux, de créer, de faire flamboyer cette vision poétique pan-humaine qui tient compte de toutes les trajectoires.
Amadou Elimane Kane est écrivain, poète.
Oeuvre poétique, Léopold Sédar Senghor, Poésie, éditions du Seuil-Points, 1964, 1973, 1979, 1984 et 1990
LE FOOTBALL M’A DONNÉ DES FRÈRES ET DES SOEURS AUX QUATRE COINS DU MONDE
EXCLUSIF SENEPLUS - J’ai eu la chance de parcourir presque tous les grands stades d’Europe. Et partout, j’ai vécu ce miracle de la rencontre. Le football n’efface pas les conflits, mais il montre une autre voie
Du coiffeur de Salah au professeur d’anglais , de Luis Díaz, des tribunes de Munich aux rues de Paris, chaque rencontre m’a appris une chose : le football ne juge pas, il relie.
Il y a des émotions que les mots ne suffisent pas à traduire. Celles que l’on ressent dans un stade de football, au cœur d’une foule en liesse, en sont l’exemple parfait. Le football n’est pas qu’un sport. C’est un langage universel, une culture, parfois même une religion — mais surtout, c’est un lien. Un lien puissant entre les peuples, les générations, les cultures.
Ce que j’aime dans le football, ce n’est pas seulement la beauté d’un geste technique ou la rigueur tactique. C’est ce moment où des inconnus chantent ensemble, se prennent dans les bras, vibrent à l’unisson. C’est cette fraternité spontanée, sincère, qui naît dans les tribunes ou dans un bar à l’autre bout du monde. Peu importe la couleur de peau, la religion ou la langue : quand le ballon roule, tout le reste s’efface.
J’ai eu la chance de parcourir presque tous les grands stades d’Europe. Et partout, j’ai vécu ce miracle de la rencontre. Des Américains, des Chinois, des Australiens… devenus de véritables amis. Des amitiés nées dans une tribune, dans un hall d’hôtel, sur une place animée un soir de match. Avec eux, j’ai partagé des émotions, des rires, des débats passionnés. Et parfois, des histoires incroyables.
Par exemple, c’est dans une loge VIP que j’ai rencontré le coiffeur de Mohamed Salah, un homme simple et chaleureux. J’ai aussi échangé avec le chef cuisinier du gardien Alisson Becker, passionné de nutrition et de tactique. À Londres, j’ai dîné avec le professeur d’anglais de Luis Díaz, qui m’a raconté la soif d’apprentissage du joueur colombien. Et lors d’un événement, j’ai discuté longuement avec le conseiller en communication de Roberto Firmino, un homme visionnaire, convaincu que le football est un vecteur de paix et de culture.
Mais l’un des moments les plus forts que j’ai vécu récemment, c’est à Munich, lors de la finale de la Ligue des Champions. L’ambiance y était électrique, mais aussi incroyablement fraternelle. Des supporters de tous horizons, de toutes nationalités, chantant ensemble dans les rues, partageant un repas, une bière, un souvenir. Ce soir-là, dans cette ville en liesse, j’ai une nouvelle fois ressenti la puissance du football. Non pas celle du trophée ou de la compétition, mais celle de l’union humaine, de l’émotion collective.
Je me souviens aussi de cette soirée magique à Paris après une victoire du PSG. Les rues vibraient. Des chants en arabe, en français, en anglais s’élevaient dans le ciel. Des enfants, des grands-parents, des fans venus d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine… tous réunis. Il n’y avait plus de différences, seulement une joie pure, partagée.
Dans un monde où tout semble divisé, le football reste un des rares espaces où l’on se retrouve. Il n’efface pas les conflits, mais il montre une autre voie. Il rappelle que ce qui nous rassemble est plus fort que ce qui nous oppose.
Ce sport m’a tout donné : des souvenirs inoubliables, des rencontres improbables, et cette certitude que l’humain, au fond, cherche toujours à se connecter à l’autre. Tant qu’il y aura des stades, des chants, des regards croisés entre deux supporters de continents différents, le football restera ce qu’il a toujours été pour moi : une célébration vivante, vibrante, universelle de l’humanité.
Bassirou Sakho est Conseiller Sportif.
QUI A TUÉ YAMBO OUOLOGUEM ?
L'écrivain malien, Prix Renaudot 1968, a-t-il été victime d'un lynchage médiatique raciste ou d'une justice littéraire légitime ? Cinquante ans après l'affaire qui a brisé l'auteur du "Devoir de violence", un documentaire rouvre le dossier
(SenePlus) - L'histoire de Yambo Ouologuem ressemble à un roman tragique. Celle d'un jeune Malien brillant qui conquiert Paris et New York par son talent, avant de sombrer dans l'opprobre et de finir ses jours reclus dans son village natal. Le journaliste Kalidou Sy consacre un documentaire saisissant, "La Blessure", à ce parcours fulgurant suivi d'une chute vertigineuse, révélant les mécanismes d'exclusion qui continuent de marquer les rapports entre l'Afrique et l'Occident dans le domaine culturel.
À l'automne 1968, le prix Renaudot couronne pour la première fois de son histoire un roman africain : "Le Devoir de violence" de Yambo Ouologuem. L'événement fait sensation. Fils unique d'une famille dogon du centre du Mali, formé dans l'élite française (classes préparatoires, École normale supérieure), Ouologuem incarne alors la réussite d'un parcours d'exception.
Le succès dépasse le cadre littéraire. Comme le rapporte Afrique XXI, "Ouologuem est alors un dandy qui, bientôt, conquerra New York et les milieux lettrés nord-américains. L'homme porte beau et parle brillamment tant en français qu'en anglais." Les archives montrent un homme élégant, "une cigarette au bout des doigts, maniant l'argutie et la provocation comme un escrimeur le fleuret moucheté."
En 1972, tout bascule. Un article d'un étudiant australien, repris par un chercheur américain puis publié dans le prestigieux Times Literary Supplement, accuse Ouologuem d'avoir "copié" des passages du roman "It's a Battlefield" de Graham Greene. L'accusation fait tache d'huile : la presse française dénonce alors des "démarcages" à l'égard de Greene mais aussi de Schwarz-Bart, Maupassant, Lautréamont.
Pour celui qui avait conquis les salons parisiens et new-yorkais, c'est le début d'une chute aussi brutale que son ascension avait été fulgurante. Selon le témoignage de Fanta Tembely, sa cousine, cité par Afrique XXI, "honteux, il ne sort plus qu'à la nuit tombée, habillé de noir." L'homme se brise : plusieurs témoignages rapportent une hospitalisation en milieu psychiatrique.
Mais le documentaire de Kalidou Sy va plus loin que le simple récit biographique. Il interroge la dimension politique et postcoloniale de cette affaire. Julie Levasseur, doctorante à l'Université de Montréal, livre dans le film une analyse incisive : "L'emploi du plagiat ou de la réécriture est une réplique à la domination coloniale [...] marquée par le fait d'extraire des ressources, de les exploiter, les exploiter et en tirer profit sans redistribuer ni reconnaître même leur provenance."
Cette lecture subversive transforme l'accusation de plagiat en acte de résistance : "Ce que l'auteur fait dans Le Devoir de violence, c'est vraiment, à son tour, puiser dans les œuvres européennes et aller glaner des extraits par-ci par-là, les reformuler, les hachurer, les transformer, les reprendre à sa manière pour raconter son histoire."
Le documentaire n'élude pas la dimension raciste des attaques subies par Ouologuem. Comme le souligne Afrique XXI, "ce racisme, mis en sourdine lors de l'attribution du prix Renaudot, se libère quatre ans plus tard lorsque l'occasion est donnée de charger l'auteur malien du plus dégradant – mais logique aux yeux des critiques français – comportement littéraire : avoir 'emprunté aux riches', c'est-à-dire aux Blancs."
Bernard Pivot, futur "pape des médias littéraires", figure parmi "les plus offensifs dans cette mise au pilori", selon l'analyse du site d'information africain.
De retour au Mali dans un "état physique et psychique déplorable", Ouologuem opère une transformation radicale. Lui qui n'était pas musulman se convertit à un islam rigoureux, renie ses œuvres de jeunesse, notamment "Les Mille et Une Bibles du sexe", et refuse désormais "tout apport occidental, y compris médical."
Son fils Ambibé raconte comment leur grand-mère les envoyait secrètement à l'école française, en cachette de leur père. Jusqu'à sa mort le 17 octobre 2017, l'ancien conquérant des capitales occidentales restera cloîtré dans son village de Sévaré.
Plus de cinquante ans après l'affaire, les blessures ne sont pas refermées. Le documentaire de Kalidou Sy, acclamé au Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou, n'a été programmé en Europe que par TV5 Monde Afrique. "Pour une partie du monde culturel français, l'affaire Ouologuem semble continuer à appartenir seule à l'histoire africaine", constate amèrement Afrique XXI.
Même en Afrique, "Le Devoir de violence continue à faire l'objet de réserves, de silences et de malaises", notamment pour sa dénonciation des élites africaines dans la traite négrière.
Le parcours de Yambo Ouologuem interroge ainsi les limites de l'universalisme culturel proclamé par la France et révèle les mécanismes d'exclusion qui continuent d'opérer dans les rapports culturels entre l'Afrique et l'Occident. Comme le conclut Jean-Pierre Orban dans Afrique XXI : "La blessure est loin d'être refermée."
PAR CHEIKH TIDIANE MBAYE
QUAND LA RÉPUBLIQUE DEVIENT UNE RUE, ANATOMIE D’UN DÉSORDRE INSTITUTIONNEL
Le régime actuel, dans sa manière de fonctionner, donne parfois l’impression d’avoir confondu l’État avec une rue publique — un espace où tout se dit, tout se fait, sans règles claires ni boussole institutionnelle.
La République, dans son essence, repose sur un ensemble de principes structurants : la séparation des pouvoirs, la légalité, l’égalité devant la loi, la protection des libertés et la responsabilité des institutions. Or, ce que nous observons aujourd’hui au Sénégal semble bien éloigné de cette vision. Le régime actuel, dans sa manière de fonctionner, donne parfois l’impression d’avoir confondu l’État avec une rue publique — un espace où tout se dit, tout se fait, sans règles claires ni boussole institutionnelle. Loin d’un simple dysfonctionnement passager, cette situation révèle une crise plus profonde : celle de la banalisation de l’autorité, de la fragilisation des institutions et de la montée d’un désordre normalisé.
1. L’État devenu scène de spectacle
L’espace public est aujourd’hui dominé par les vidéos de coulisses politiques, les révélations de complots présumés, les enregistrements fuités, les confrontations en direct sur les plateaux, et les discours impulsifs de responsables étatiques. La République est descendue dans l’arène, au point d’adopter les codes de la rue : rapidité, émotion, invective, improvisation. Les décisions institutionnelles sont parfois annoncées via les réseaux sociaux avant d’être formalisées, tandis que les lois semblent être adaptées au gré des rapports de force du moment.
Ce théâtre permanent détourne l’attention des citoyens des vrais enjeux : la santé, l’éducation, l’emploi, la justice sociale. Quand le pouvoir donne l’image d’un espace sans rigueur, cela contamine tout le corps social.
2. La verticalité de l’autorité affaissée
Dans une République solide, l’autorité est régulée, mesurée, mais ferme. Elle n’est ni autoritarisme ni laxisme. Or, ce que l’on constate, c’est une verticalité molle ou, parfois, capricieuse. Les ministres s’expriment comme des militants ; les hauts fonctionnaires se contredisent ; des groupes proches du pouvoir semblent au-dessus des lois, tandis que des opposants ou simples citoyens font l’objet de poursuites sélectives.
La rue publique, par définition, est un lieu sans autorité structurée. Tout le monde y parle fort, chacun y impose sa loi. C’est cette image que renvoie un régime où la hiérarchie administrative est brouillée, où les contre-pouvoirs sont neutralisés, et où les décisions manquent de cohérence et de lisibilité.
3. Les institutions otages des émotions collectives
Un des traits caractéristiques du régime actuel est sa sensibilité aux émotions populaires. La pression des réseaux sociaux, les buzz médiatiques, les réactions de la vox populi semblent parfois dicter la conduite des autorités. Cela donne l’impression que le pouvoir gouverne à vue, au lieu de gouverner par principe et par vision.
C’est ici que la rue remplace la République : quand l’État cherche à plaire à l’instant au lieu de construire dans la durée, il devient vulnérable à l’humeur du jour. Or, la République, c’est justement la capacité de résister à l’émotion pour faire triompher la raison, le droit et la justice.
4. La société en mode désordre légitimé
Ce régime de confusion en haut engendre des comportements de défiance en bas. Le citoyen perd confiance en l’État et développe des stratégies de contournement : défiance, clientélisme, corruption, incivilité, recours à la violence ou à l’illégalité. Le modèle d’un État devenu “rue” contamine l’école, la famille, l’entreprise, les médias. Le désordre n’est plus l’exception, il devient la norme. C’est le règne de ce que j’appelle la disharmonie sociale, où les valeurs, les institutions et les pratiques sont désalignées.
Pour une reconquête de la République
Il est urgent de rebâtir la République, non comme un slogan, mais comme un projet politique et social. Cela implique un retour à la rigueur institutionnelle, à la transparence, à la séparation des pouvoirs, à l’exemplarité morale et à la pédagogie politique. La République, ce n’est pas la perfection, mais c’est l’ordre dans la liberté, la loi au-dessus des humeurs, et la responsabilité au-dessus des intérêts. À défaut, le Sénégal risque de devenir non pas une Ré-publique, mais une rue publique permanente, où chacun fait sa loi au détriment du vivre-ensemble.
PAR JULES SOULEYMANE SÈNE
À QUAND LES GRANDES ENSEIGNES À LA SÉNÉGALAISE ?
Il est temps de réinventer la grande distribution, par et pour les Sénégalais. Il ne s’agit plus seulement d’accueillir des enseignes internationales, mais de bâtir nos propres champions de la distribution moderne.
Dans un contexte où le contrôle des circuits de distribution devient un enjeu stratégique mondial, le Sénégal doit faire le choix audacieux et visionnaire de créer ses propres enseignes de grande distribution, portées par des sénégalais, pensées pour le marché sénégalais, au service des producteurs sénégalais.
Il est temps de réinventer la grande distribution, par et pour les Sénégalais. Il ne s’agit plus seulement d’accueillir des enseignes internationales, mais de bâtir nos propres champions de la distribution moderne. Ces enseignes à la sénégalaise peuvent prendre la forme de supermarchés, d’hypermarchés ou de marketplaces hybrides, enracinés dans les réalités économiques, sociales et culturelles du pays.
Elles porteront une vision nationale ; une stratégie de sourcing local prioritaire ; une gouvernance sénégalaise, avec des capitaux nationaux et/ou issus de la diaspora.
Ces grandes enseignes deviendront forcément un catalyseur pour la production nationale. Les grandes surfaces sénégalaises peuvent devenir des piliers de la souveraineté alimentaire et industrielle, en structurant la demande autour des produits agricoles locaux (riz, mil, légumes, fruits, etc.) ; des produits transformés "Made in Sénégal" (jus, épices, conserves, produits laitiers, etc.) ; des produits artisanaux et industriels issus de PME sénégalaises.
Ces enseignes deviendront ainsi des débouchés fiables pour les producteurs, avec des engagements de volume, des contrats pluriannuels, et une montée en qualité progressive. Un excellent moyen de contrôle des prix.
Ces grandes enseignes avec un modèle adapté à notre sociologie car elles seules peuvent mieux comprendre les besoins des consommateurs. Tarification sociale, accessibilité des produits de première nécessité ; valorisation des produits culturels (ex : thiéré, nététou, feuilles locales) ; intégration des logiques de commerce de proximité dans les quartiers populaires et ruraux.
Elles peuvent aussi créer des formats innovants, comme des superettes mobiles, des points de vente mixtes (marché + digital), ou des plateformes de livraison locales.
Le fait de penser à créer des champions économiques nationaux, de développer ces grandes enseignes à la sénégalaise, c’est créer des milliers d’emplois qualifiés (achats, logistique, informatique, gestion, marketing) ; mais aussi former une nouvelle génération de professionnels du retail ; stimuler l’entrepreneuriat et les partenariats public-privé ; contribuer à la montée en puissance des investisseurs nationaux et de la diaspora.
L’État peut jouer un rôle clé à travers des incitations fiscales et foncières ; des facilités d’accès au financement via le FONSIS, la BNDE ou les banques islamiques ; un appui technique à la formalisation et à la digitalisation.
Une ambition pour l’Afrique francophone car une grande enseigne née au Sénégal peut demain s’étendre dans toute la sous-région : Guinée, Mali, Côte d’Ivoire, Bénin. C’est l’opportunité de bâtir un champion africain du commerce moderne, inspiré du modèle sénégalais, fondé sur la fierté nationale, l’excellence opérationnelle et l’inclusion économique.
L’avenir de notre économie ne se joue pas uniquement dans les ministères ou sur les marchés financiers, mais aussi dans nos étals, nos supermarchés, nos circuits de distribution. Il est temps de penser une grande distribution made in Sénégal, ambitieuse, moderne, inclusive et souveraine.
Créer nos propres grandes enseignes, c’est reprendre la main sur nos flux économiques, valoriser notre production nationale et bâtir un avenir économique entre nos propres mains.
Beaucoup diront que Senchan existe et la question dont certains posent est "Pourquoi le modèle Senchan tarde à décoller"
Dans un contexte où le consommer local est sur toutes les lèvres, une question dérange mais mérite d’être posée : pourquoi le Sénégal peine-t-il à faire émerger ses propres enseignes de grande distribution ? Pourquoi n’a-t-on pas encore vu naître un "Senchan" solide et populaire, capable de rivaliser avec les géants internationaux installés sur notre sol ?
Ce n’est pourtant pas faute d’idées. Ce n’est pas non plus faute de talents.
Mais la réalité est là : le modèle économique local de grande distribution peine à décoller. Et les raisons sont à la fois techniques, économiques et culturelles.
Il arrive souvent que nos modèles soient mal calqués .Beaucoup d’initiatives locales se sont contentées d’imiter ce qu’elles voyaient ailleurs et ceci donne comme résultat des formats de supermarchés pensés pour d’autres marchés, avec des charges élevées, une gestion rigide, et une clientèle ciblée trop étroite. Le tout, sans les marges de manœuvre financières dont disposent les multinationales comme Auchan. A dire qu'on ne bâtit pas une souveraineté économique sur la copie.
Il faut inventer un modèle à la sénégalaise, hybride, souple, enraciné dans nos habitudes de consommation, et connecté à notre tissu productif réel.
L'autre difficulté c'est des fournisseurs mal organisés donc laissés à eux même.
La chaîne de valeur commence à la base : champs, ateliers, PME, artisans. Or, ce maillon est aujourd’hui trop fragile. Les producteurs locaux ne sont pas assez accompagnés pour livrer en temps, en qualité, en volumes. Le packaging est souvent rudimentaire, les délais mal respectés, les normes absentes. Cela pénalise toute la chaîne et rend difficile l’approvisionnement régulier des points de vente et tout ceci donne comme résultat les rayons de nos supermarchés dits locaux sont encore trop remplis de produits importés, quand le made in Sénégal attend dehors, sans accès structuré au marché.
Le manque d’investissement patient
Créer une grande enseigne, ce n’est pas ouvrir une boutique. C’est créer un écosystème. Cela demande des entrepôts, des plateformes logistiques, des logiciels de gestion, du personnel formé, de la publicité, et surtout… du capital patient.
Aujourd’hui, nos entrepreneurs ne trouvent ni les financements adaptés, ni l’accompagnement stratégique pour structurer leur projet à l’échelle nationale. Pendant ce temps, d’autres acteurs, mieux armés, prennent le marché, quartier par quartier.
Le Senchan devait être plus qu’un magasin mais un projet de société. Créer une grande enseigne sénégalaise, ce n’est pas seulement vendre du lait, du riz ou des produits frais.
C’est affirmer notre capacité à organiser notre propre économie.
C’est créer des emplois, renforcer nos filières agricoles, réduire notre dépendance aux importations, et donner un débouché réel à nos producteurs.
Mais cela demande une chose, du courage collectif.
Le courage de changer de paradigme.
Le courage de soutenir ceux qui osent.
Le courage, pour l’État, d’investir dans l’économie réelle.
Et pour les consommateurs, d’accepter parfois de payer un peu plus, pour soutenir beaucoup mieux.
La bataille du marché est une bataille politique
L’enjeu est simple ,voulons-nous rester des clients éternels dans notre propre pays ?
Ou voulons-nous, enfin, devenir maîtres de notre distribution, de notre chaîne de valeur, de notre destin économique ?
Il est temps de faire du "Senchan" et d'autres enseignes un symbole de souveraineté.