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31 juillet 2025
LA FONDATION OPEN SOCIETY LANCE UN NOUVEAU CYCLE D’ENGAGEMENT
À travers trois nouveaux programmes lancés à Dakar, la Fondation Open Society renforce son engagement en Afrique pour une gouvernance plus inclusive, une gestion équitable des ressources et une paix durable.
La Fondation Open Society a officiellement lancé, ce lundi 21 juillet à Dakar, trois programmes phares visant à renforcer la gouvernance démocratique, la souveraineté économique et la consolidation de la paix sur le continent africain. Intitulées « Avenir Démocratique en Afrique », « Avenir des Ressources en Afrique » et « Paix Transformatrice en Afrique », ces initiatives s’inscrivent dans la continuité d’un engagement de plus de 40 ans pour les droits humains, la justice sociale et l’inclusion.
« Je vois tant de talent, d’énergie et d’innovation à travers tous les secteurs œuvrant pour une Afrique démocratique et prospère », a déclaré Binaifer Nowrojee, présidente de Open Society Foundations, saluant le rôle central des acteurs africains dans la construction de leur propre avenir.
Une nouvelle génération de programmes
Conçus pour durer entre cinq et huit ans, les trois programmes accordent la priorité aux dynamiques locales, en plaçant les jeunes, les femmes et les communautés au cœur des processus de transformation. « Nous ne sommes pas ici pour imposer des solutions, mais pour soutenir et amplifier les efforts déjà engagés sur le terrain », a affirmé Alex Soros, président du Conseil d’administration de l’Open Society Foundations. « Le changement réel vient de la base. »
Réinventer la gouvernance démocratique
Le programme Avenir Démocratique en Afrique, déployé dans sept pays (dont le Sénégal, le Nigeria et le Kenya), entend promouvoir une gouvernance fondée sur les valeurs de dignité, de justice et de solidarité, inspirées de la philosophie « Ubuntu ». Il soutiendra les initiatives locales qui œuvrent à restaurer la confiance dans les institutions et à réinventer le leadership politique, notamment par l’art, le numérique et l’action citoyenne.
« Les manifestations de la génération Z au Kenya et les mouvements dirigés par des jeunes au Sénégal et au Nigeria envoient un message puissant : un appel à la responsabilité et à la dignité », a souligné Chukwuemeka Eze, directeur du programme.
Souveraineté sur les ressources naturelles
Avec le programme Avenir des Ressources en Afrique, OSF cible les pays riches en minerais stratégiques pour favoriser une exploitation au service des populations locales. L’accent est mis sur la transparence, la justice environnementale et la collaboration avec des institutions africaines telles que l’Union africaine.
« La richesse minérale de l’Afrique doit nourrir les opportunités et non l’exploitation », a déclaré Brian Kagoro, directeur général à OSF. Il a plaidé pour une meilleure redistribution des bénéfices, notamment dans les zones d’exploitation artisanale, souvent parmi les plus marginalisées.
Une paix ancrée dans les communautés
Le programme Paix Transformatrice en Afrique vise à recentrer les politiques de paix sur les réalités des communautés concernées, en particulier dans des zones fragiles comme le Sahel, la RDC ou le Soudan. Il valorise la justice réparatrice, les mécanismes traditionnels de règlement des conflits et le rôle des femmes dans la médiation.
« Il est temps de placer les communautés, en particulier les femmes et les jeunes, au cœur des processus de paix », a affirmé Michelle Ndiaye, directrice du programme, dénonçant l’échec des solutions imposées par les élites.
En filigrane de ces initiatives, la Fondation Open Society réaffirme son plaidoyer pour une architecture économique mondiale plus équitable et une Afrique pleinement actrice de sa trajectoire.
Avec ces programmes, OSF entend soutenir des transformations durables, ancrées dans les réalités locales, tout en donnant les moyens aux acteurs africains de mener le changement sur leurs propres termes.
PAR SEYDOU KA
FRANC CFA, DÉCHIRER LE VOILE ?
Le 17 juillet 2025 marque un tournant dans la longue relation (400 ans) entre la France et le Sénégal. Ce jour-là, l’ancienne puissance coloniale a officiellement restitué ses deux dernières installations militaires, notamment la base aérienne de Ouakam..
Le 17 juillet 2025 marque un tournant dans la longue relation (400 ans) entre la France et le Sénégal. Ce jour-là, l’ancienne puissance coloniale a officiellement restitué ses deux dernières installations militaires, notamment la base aérienne (Ba 160) de Ouakam, où étaient logés les derniers Éléments français au Sénégal (Efs). Lors d’un cérémonial militaire ponctué d’une levée de couleurs sénégalaises, le général de division Pascal Ianni, à la tête du commandement français en Afrique, a remis symboliquement les clés du camp Geille au chef d’état-major général des Armées sénégalaises, le général de corps d’armée Mbaye Cissé.
Cet épisode est l’acte final d’un long processus qui s’est accéléré ces derniers mois à la demande des nouvelles autorités sénégalaises, marquant ainsi la fin de 200 ans de présence militaire permanente française au Sénégal. Sur les images diffusées par la télévision sénégalaise, on voit l’officier français, le regard perdu dans le lointain, comme s’il contemplait le poids de l’histoire et la gloire passée de la France. Il avait le regard et les lèvres fermées, l’air grave, presque penaud. À l’opposée, le chef de l’armée sénégalaise, dont la grande taille est amplifiée par la contre-plongée de la caméra, semble porté par la gravité du moment.
Ce n’est là qu’une impression, peut-être trompeuse, probablement influencée par l’effet d’optique amplifié par le symbolisme du moment. La seule certitude, c’est qu’on assiste à un moment historique. Comme ces archives audiovisuelles en noir et blanc prêtées par l’Ina (Institut national de l’audiovisuel) à nos télévisions nationales à l’occasion de chaque fête de l’indépendance. Mais dans notre longue relation avec la France, l’histoire nous enseigne à ne pas nous arrêter aux symboles, l’essentiel se trouve peut-être ailleurs. Après avoir accordé l’indépendance (symbolique) en 1960 à ses anciennes colonies d’Afrique, la France a maintenu en place l’essentiel de ses leviers de dominations par une présence militaire donc, mais aussi sur le plan économique et monétaire. Ainsi, ce qui devait être un tournant n’a été finalement que le prolongement (néocolonialisme) de la domination française sous une autre forme, plus insidieuse, parce plus discrète, avec bien sûr la complicité des dirigeants africains. Toutefois, le symbole est important.
Chaque parcelle de liberté acquise doit être célébrée et préservée jalousement. Après le départ des derniers Éléments français d’Afrique de l’Ouest, le franc Cfa reste le dernier dispositif de ce que Jacques Foccart a nommé la Françafrique. Là également, le changement a été amorcé depuis plusieurs années, notamment avec la réforme de 2019 ayant entrainé la fermeture du compte d’opérations et le retrait des représentants français des instances décisionnaires de la Bceao. Mais les critiques se sont multipliées ces dernières années, réclamant une véritable souveraineté monétaire. Ce mouvement porté par des militants panafricains, des économistes, mais aussi par des dirigeants africains souverainistes rend le statu quo actuel intenable. L’économiste français Jean-Baptiste Say (1767-1832) disait que « la monnaie n’est qu’un voile ».
Alors faudrait-il déchirer ce « voile » que constitue le franc Cfa ? C’est à ce dilemme que sont confrontés aujourd’hui les dirigeants ouest-africains. Dans son important ouvrage qui vient de paraître, « Le choix de la souveraineté monétaire du Sénégal. Quelles implications » (L’Harmattan Sénégal, 2025, 337 p.), l’économiste sénégalais Serigne Momar Seck analyse les différents scénarios qui s’offrent à notre pays : une réforme monétaire au sein de l’Uemoa ou de la Cedeao (la création de l’eco) ou une sortie du Sénégal de la Zone franc en battant sa propre monnaie. Chaque option comporte des avantages, mais aussi d’énormes risques (en particulier la dernière). Aux dirigeants sénégalais et ouest-africains de façon générale d’être à la hauteur de ce moment historique et de faire les bons choix pour éviter un énième virage raté dans notre longue histoire avec la France. L’enjeu, c’est de profiter de ce tournant pour rebâtir un « partenariat rénové », mutuellement bénéfique et surtout porteur de progrès pour les populations africaines.
LE PROJET RADIUS HARMONISE SES PROCÉDURES POUR ACCÉLÉRER L'AGROÉCOLOGIE
Des délégués de six pays se sont réunis pour consolider les compétences en gestion et harmoniser les procédures. L'enjeu : assurer une mise en œuvre efficace et transparente de cette initiative d'envergure.
Financé par l’Union européenne via l’initiative DeSIRA+, le projet RADiUS a réuni ce lundi 21 juillet à Dakar une cinquantaine de représentants de six pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre. Objectif : renforcer les capacités en gestion financière, passation des marchés, communication et gestion des connaissances, pour garantir une mise en œuvre rigoureuse et harmonisée du programme.
L’atelier, qui se poursuit jusqu’au 25 juillet, s’adresse aux membres du consortium chargé de piloter ce vaste projet, considéré comme une pierre angulaire de la transition agroécologique dans la région.
Organisé par le Conseil ouest et centre africain pour la recherche et le développement agricoles (CORAF), il vise à consolider les compétences techniques des responsables administratifs et communicationnels des institutions partenaires, en alignant leurs pratiques sur les standards du CORAF et de l’Union européenne.
« Ce que nous cherchons ici, c’est à prévenir les risques liés à la multiplicité des règles, en renforçant la compréhension mutuelle et en harmonisant nos approches », a souligné Dr Moumini Savadogo, Directeur exécutif du CORAF, lors de la cérémonie d’ouverture.
Il a insisté sur l’importance de construire une culture commune « de rigueur, de transparence et de performance » au sein du consortium.
Une dynamique stratégique pour le projet RADiUS
Au-delà des aspects techniques, l’atelier s’inscrit dans une séquence stratégique pour la dynamique collective de RADiUS (Réseau en Agroécologie pour promouvoir la Durabilité des Systèmes alimentaires), qui regroupe des institutions du Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire, Sénégal, ainsi que le CIRAD et Catholic Relief Services (CRS).
Le projet RADiUS vise à transformer les systèmes alimentaires régionaux en s’appuyant sur des pratiques agroécologiques, des outils innovants et un renforcement des capacités institutionnelles.
Représentant le recteur de l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD), le Pr Ismaïla Diouf a souligné la portée politique et scientifique de cette rencontre. « Il devient impératif de repenser nos modèles de production et de gouvernance des ressources », a déclaré Pr Diouf
L’UCAD entend jouer un rôle moteur, notamment en accompagnant la mise en œuvre du dispositif CKM (Communication and Knowledge Management), essentiel pour capitaliser les innovations et structurer une mémoire collective, a-t-il assuré.
Un consortium diversifié, une vision commune
Les participants – venus de centres de recherche, d’universités ou d’organisations de développement – incarnent la diversité géographique et disciplinaire du projet. Certains membres, comme ceux du CIRAD basés en France, ont suivi les échanges en ligne.
« Cette diversité reflète l’esprit de collaboration que nous voulons impulser à tous les niveaux. C’est aussi un gage de notre capacité collective à porter une vision partagée pour des systèmes alimentaires durables, ancrés dans nos réalités locales », a affirmé Dr Savadogo.
Au cœur des travaux : l’harmonisation des procédures, la maîtrise des outils de suivi financier et la diffusion efficace des résultats pour assurer leur pérennité. L’un des objectifs majeurs est de permettre la montée en échelle des innovations agroécologiques à l’échelle régionale.
« Si nous nous accordons dès maintenant sur les méthodes, les procédures et les principes, alors nous avons toutes les chances d’atteindre les résultats attendus », a conclu Dr Savadogo.
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QUAND LES MOTS TUENT LE DÉBAT
Insultes, invectives et arrestations arbitraires : le débat public agonise sous les coups d'une violence verbale qui gangrène l'espace politique. Diagnostic d'une démocratie empoisonnée, avec Demba Gueye et Gorgui Wade Ndoye
L'émission "Soir d'Info" a consacré ce lundi un débat approfondi aux tensions croissantes dans le discours politique sénégalais, mettant en lumière une crise qui dépasse le simple cadre partisan pour toucher aux fondements même de la démocratie.
Selon le Dr Demba Gueye, analyste politique et maître de conférence en analyse du discours à l'université Cheikh Anta Diop de Dakar, les dérives verbales qui caractérisent actuellement l'espace public sénégalais ont une origine claire : "le fait des acteurs politiques de tout bord, que ce soit l'opposition mais surtout les gouvernants".
L'expert explique que le débat public souffre d'une personnalisation excessive. "Au Sénégal à longueur de journée, on va vous parler de Macky Sall, on va vous parler d'Ousmane Sonko, on va vous parler de... Autrement dit, on parle des personnes plutôt que du débat technique", déplore-t-il.
Cette approche génère un cercle vicieux : "Et lorsqu'on parle des personnes, on personnalise le débat politique. Et quand on personnalise le débat politique, il est évident que ça tourne en invective, ça tourne en insulte".
Pour le Dr Gueye, ces dérives ne sont pas fortuites. Elles constituent souvent une stratégie délibérée : "quand l'homme politique n'a pas de solution, il peut utiliser ce qu'on appelle la diversion". Les dirigeants utilisent alors la provocation "pour véritablement faire oublier la réalité économique que vivent les populations".
Cette analyse rejoint celle de Gorgui Wade Ndoye, journaliste accrédité auprès des Nations-Unies à Genève et initiateur du "Gingembre littéraire". Depuis Genève, il rappelle que "nous sénégalais nous avons vendu pour nous-même et pour le reste du monde l'idée que nous sommes le pays de la teranga", soulignant la contradiction entre cette image et la réalité actuelle du débat public.
Un point particulièrement critique soulevé lors du débat concerne la tendance des dirigeants actuels à justifier leurs propos en invoquant une supposée séparation entre leurs fonctions officielles et leurs activités partisanes. Le ministre de l'Énergie avait notamment déclaré n'être ministre que "du lundi au vendredi".
Le Dr Gueye rejette catégoriquement cette approche : "c'est un jeu de dédoublement que les autorités, les nouvelles autorités essayent de nous habituer... La politique ce n'est pas du théâtre. La politique ce n'est pas un jeu".
Il insiste sur le fait que "quand on est ministre de la République, on n'est plus un homme ordinaire ou une femme ordinaire. On a des obligations qui sont imposées".
Le débat a également abordé la question des arrestations de citoyens pour délits d'opinion. Pas moins de cinq personnes sont actuellement privées de liberté pour s'être exprimées librement : Moustapha Diallo, Bachir Fofana, Abdou Karim Gueye, Badara Gadjaga entre autres. Le Dr Gueye qualifie ces arrestations d'abusives et même de "ridicules", soulignant qu'"en tant qu'analyste du discours, j'ai des problèmes pour trouver qu'est-ce que c'est qu'une parole offensante ? Qu'est-ce que c'est qu'une dérive verbale ?"
Gorgui Wade Ndoye partage cette position : "Je suis contre qu'on mette des journalistes en prison pour des délits d'opinion... ce n'est pas le Sénégal du 21e siècle que nous voulons".
Si l'ancien président Macky Sall porte une part de responsabilité dans la situation actuelle, les invités soulignent que la responsabilité est collective. Ndoye précise : "il n'est pas le seul, l'opposition sénégalaise a surfé sur la promotion de 'Gatsa Gatsa', les médias qui ont laissé des paroles qui n'avaient pas leur place dans nos médias se prospérer ont aussi une responsabilité".
MINISTRE EN SEMAINE, MILITANT LE WEEK-END
La récente déclaration de Birame Soulèye Diop illustre une dérive inquiétante au Sénégal : la confusion assumée entre posture d'État et militantisme partisan. Une ambiguïté qui fragilise les institutions démocratiques
Au Sénégal, la confusion entre les postures d’homme d’État et d’homme politique crée un malaise démocratique profond. Des déclarations chocs de ministres, des attaques contre les institutions sous couvert de militantisme et une législation comme l’article 254 qui entretient le flou entre critique et offense. Autant d’éléments qui nourrissent un climat d’ambiguïté. Retour sur une dichotomie devenue système, entre institutionnalisation de l’arbitraire et instrumentalisation de la liberté d’expression.
Le 19 juillet 2025, à l’université d’été du Pastef tenue à l’université Gaston Berger de Saint-Louis, le ministre sénégalais de l’Énergie, Birame Soulèye Diop, lançait une déclaration polémique : ‘’Quiconque insulte Ousmane Sonko, insultez-le en retour. Quiconque insulte le président de la République, insultez-le en retour, car la réplique est permise.’’
Des propos qui ont aussitôt embrasé l’espace public où bon nombre d’observateurs se sont indignés de voir un ministre, censé incarner l’autorité de l’État, tenir un discours de militant belliqueux. Dans une tentative de justification, Birame Soulèye Diop a tenu à clarifier sa position : ‘’Je suis ministre du lundi au vendredi, le week-end je suis militant.’’
Ce prolongement de son raisonnement, au lieu d’apaiser, a relancé le débat sur la confusion assumée de certains responsables publics. Car dans un État de droit, peut-on vraiment cloisonner les jours de militantisme et ceux d’institution ? L’État peut-il être mis en veille le samedi pour laisser place au passionnel ?
Ousmane Sonko, Premier ministre ou citoyen libre ?
Quelques semaines plus tôt, c’est le Premier ministre lui-même, Ousmane Sonko, qui s’était aventuré dans les mêmes zones de flou. Attaquant violemment la magistrature dans une sortie publique, il s’était empressé de préciser qu’il s’exprimait ‘’en tant que citoyen’’ et non en tant que chef du gouvernement.
Ce type de déclaration pose une équation double : une personnalité politique peut-elle revêtir et ôter sa casquette institutionnelle selon les circonstances ?
Pour beaucoup d’analystes, cette posture est dangereuse, car elle autorise l’usage de la tribune gouvernementale pour des règlements de comptes ou des discours partisans, tout en déniant la responsabilité institutionnelle en cas de dérapage.
Pour le citoyen lambda, cette dichotomie crée une grande confusion. Lorsqu’un responsable public prend la parole, qui parle ? Le ministre, le militant, l’ami personnel, ou le simple citoyen ? Et surtout, qui doit être tenu pour responsable, en cas de dérive ? Le militant du samedi peut-il déclencher une procédure judiciaire contre un opposant le lundi, au nom de l’État qu’il sert en semaine ?
Cette ambivalence crée une forme d’impunité morale : les responsables politiques refusent d’endosser les conséquences de leurs propos, au motif qu’ils ne s’exprimaient pas en tant qu’hommes d’État, tout en usant des moyens de l’État pour se protéger ou riposter.
L’arme de l’article 254 : un couvercle sur la liberté
Cette situation est d’autant plus préoccupante que le Sénégal dispose d’un arsenal juridique qui permet de criminaliser certaines opinions sous couvert d’atteinte à l’autorité de l’État. L’article 254 du Code pénal, relatif à ‘’l’offense au chef de l’État’’, a ainsi été utilisé à de nombreuses reprises contre des opposants, des journalistes ou de simples citoyens.
Des figures comme Assane Diouf, Badara Gadiaga ou encore l’ancien ministre El Hadj Amadou Sall ont été poursuivies en vertu de cette disposition. Pourtant, lorsque l’on attaque le Premier ministre ou un ministre, il est difficile de savoir s’il s’agit d’une attaque contre une institution ou contre un homme politique.
Pour beaucoup de citoyens, ce flou alimente une judiciarisation sélective. Lorsqu’un citoyen critique violemment un ministre, il est souvent poursuivi pour offense. Mais lorsque ce même ministre attaque violemment une autre institution, comme la justice, il peut se retrancher derrière son droit à la liberté d’expression.
Pour le journaliste Mamadou Ndiaye, ce deux poids, deux mesures alimente le ressentiment et fragilise la confiance dans les institutions. En flou, la subjectivité de la notion d’’’offense’’ et le risque d’arbitraire dans son application. ‘’En effet, comment définir juridiquement une offense sans tomber dans la censure ? La justice française, embarrassée par cette disposition, rendait souvent des non-lieux ou des peines symboliques, preuve de son obsolescence’’.
La posture d’homme d’État : une exigence permanente
Pour lui, au-delà des textes, c’est la posture qui fait la crédibilité. Être homme d’État, c’est incarner en permanence l’institution que l’on représente, même en dehors des heures de bureau. ‘’Un Premier ministre ne cesse pas de l’être une fois sorti de son bureau. Un ministre ne devient pas un militant le week-end. C’est une fonction continue, qui impose une discipline verbale, une hauteur de vue et un sens de l’intérêt général’’, explique-t-il.
Cette posture n’est pas une camisole, mais une exigence républicaine. Elle suppose que l’on s’élève au-dessus des passions, que l’on s’interdise certaines paroles, certains tweets, certains clashs. C’est ce qui distingue l’homme d’État du simple acteur politique.
Le risque, à ne pas faire cette distinction, est de transformer l’État en outil partisan. Il ajoute sans ambages : ‘’Lorsqu’un ministre utilise sa fonction pour réprimer les opposants, mais invoque son militantisme pour attaquer ses adversaires, il fausse le jeu démocratique. Il brouille les repères et fragilise la séparation entre État et parti.’’
Dans ce climat, la redevabilité devient presque impossible. Les citoyens ne savent plus à qui s’adresser ni qui interpeller. Le ministre ? Le militant ? Le chef de parti ? Le citoyen engagé ? Cette pluralité d’identités brouille les lignes de responsabilité.
La démocratie sénégalaise, pour se renforcer, doit exiger de ses dirigeants une clarté de rôle. Il ne s’agit pas d’empêcher les ministres de penser ou d’avoir des convictions, mais de leur rappeler que la parole publique engage et que toute prise de position, même en civil, a des répercussions politiques.
LE GOUVERNEMENT ANNONCE UN RECRUTEMENT DE 500 ENSEIGNANTS-CHERCHEURS
Cette mesure s’inscrit dans le cadre de l’Agenda national de Transformation de l’Enseignement supérieur (ANTESRI) et vise à améliorer le taux d’encadrement dans les universités publiques.
Face au déficit criant d’enseignants dans le secteur universitaire, le gouvernement a annoncé un recrutement exceptionnel de 500 personnels d’enseignement et de recherche (PER). L’annonce a été faite ce lundi par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI), dans un communiqué officiel.
Cette décision s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre de l’Agenda national de Transformation de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (ANTESRI), lancé par le Président de la République le 17 juillet 2025. Le recrutement vise notamment à renforcer le taux d’encadrement dans les universités publiques et à répondre aux besoins croissants dans des filières jugées prioritaires, en cohérence avec la stratégie de développement national « Sénégal 2050 ».
Selon le MESRI, cette initiative traduit l’engagement fort des autorités en faveur du développement de l’enseignement supérieur, un secteur considéré comme stratégique pour le développement du capital humain et l’innovation. Le ministère a également insisté sur les principes de transparence, de mérite et d’excellence académique qui guideront l’ensemble du processus de sélection.
En application des instructions du Premier ministre, les filières concernées et les quotas de recrutement seront définis dans les meilleurs délais, en concertation avec les universités, les établissements publics d’enseignement supérieur et les institutions partenaires.
Ce recrutement massif représente un tournant pour l’enseignement supérieur sénégalais, confronté depuis plusieurs années à un sous-encadrement chronique. Il s’agit également d’un signal fort en faveur de la qualité de la formation universitaire, dans un contexte de massification des effectifs étudiants.
Avec cet effort inédit, le gouvernement entend impulser une nouvelle dynamique dans les universités publiques, renforcer la recherche scientifique et préparer le pays à relever les défis du développement durable et de l’économie de la connaissance.
AFFLUX DE RÉFUGIÉS À LA FRONTIÈRE SÉNÉGALAISE
Des centaines de déplacés ont trouvé refuge à Bakel après avoir fui les exactions de leurs propres forces armées. Leurs témoignages révèlent l'ampleur d'une crise humanitaire silencieuse
(SenePlus) - Dans le département de Bakel, à l'est du Sénégal, un drame humanitaire se joue discrètement. Des centaines de Maliens et de Burkinabè affluent quotidiennement vers cette région frontalière, fuyant les exactions commises dans leurs pays respectifs. Leurs témoignages, recueillis par RFI, révèlent l'ampleur d'une crise qui dépasse les frontières.
À Wouro Thierno, petit village sénégalais où sont hébergés la plupart de ces déplacés, les récits se ressemblent tragiquement. Oumar Boly, originaire d'un village de l'ouest du Burkina Faso, garde encore en mémoire le jour où sa vie a basculé. Parti aux pâturages comme à son habitude, il n'imaginait pas qu'à son retour, il découvrirait l'horreur.
"Nous sommes partis à cause des violences. Un jour, il y a eu des massacres dans notre village. Dans notre famille, ils ont tué six personnes parmi lesquelles mes deux géniteurs", confie-t-il à notre correspondant Moussa Oumar Barry. Son témoignage est d'autant plus troublant qu'il identifie précisément les auteurs : "Les auteurs étaient habillés en tenue militaire. Il s'agit bien des VDP [Volontaires pour la défense de la patrie] parce qu'au Burkina, les VDP et les militaires font des patrouilles nuit et jour."
Cette accusation directe contre les forces censées protéger la population illustre la complexité du conflit qui déchire le Sahel. Les Volontaires pour la défense de la patrie, ces supplétifs de l'armée burkinabè, sont régulièrement accusés d'exactions contre les populations civiles.
Du côté malien, les témoignages confirment la même urgence de fuir. Pathé Coumbel et sa famille, originaires de la région de Kayes, ont abandonné du jour au lendemain leurs champs préparés pour la saison des pluies. La peur était plus forte que l'espoir d'une récolte.
"Nous avions déjà préparé nos champs parce que nous sommes tous des cultivateurs. Nous avons vu qu'ils ont tué deux jeunes Sénégalais innocents que nous connaissions. Étant père de famille, je me suis dit 'Face à cette situation, inutile de rester ici'", témoigne-t-il, selon les informations rapportées par RFI.
Ce témoignage souligne une dimension particulièrement préoccupante : les violences ne visent pas uniquement les ressortissants maliens ou burkinabè, mais touchent également des citoyens d'autres nationalités, y compris sénégalaise.
Face à cet afflux de déplacés, les habitants de Wouro Thierno ont fait preuve d'une solidarité remarquable. Sans attendre l'aide internationale, ils se sont organisés pour construire des abris de fortune. "Pour accueillir ces déplacés du Mali et du Burkina Faso qui ont fui les violences, les villageois de Wuro Thierno se sont organisés pour leur construire des cases en banco, avec des toits en paille", rapporte notre correspondant.
Cette initiative locale témoigne de la capacité de résilience des communautés sahéliennes, mais révèle aussi l'absence criante de structures d'accueil officielles pour faire face à cette crise humanitaire grandissante.
Les habitants de Ndaharatou, autre nom donné à Wouro Thierno, confirment l'accélération récente de cette crise migratoire. "Depuis plusieurs semaines, le nombre de réfugiés qui viennent du Mali et Burkina a augmenté depuis la dégradation de la situation sécuritaire dans ces deux pays", confient-ils aux équipes de RFI.
Cette recrudescence des arrivées coïncide avec l'intensification des violences dans la région, particulièrement depuis les coups d'État militaires au Mali (2020 et 2021) et au Burkina Faso (2022), qui ont fragilisé davantage la situation sécuritaire dans ces pays.
Le département de Bakel, stratégiquement situé à la frontière avec le Mali, devient ainsi un refuge naturel pour ces populations en détresse. Mais cette situation pose de nouveaux défis au Sénégal, pays traditionnellement stable de la région, qui doit désormais gérer un afflux croissant de déplacés dans des conditions précaires.
SÉCURITÉ ALIMENTAIRE, UN NOUVEAU GUIDE ÉDUCATIF POUR LES ÉCOLIERS SÉNÉGALAIS
Fruit d'une collaboration entre le Comité National du Codex, la FAO et plusieurs ministères, cette initiative vise à transformer l'éducation en levier de prévention, formant les plus jeunes à des pratiques d'hygiène alimentaire essentielles.
Un atelier de validation du guide sur la sécurité sanitaire des aliments (SSA), conçu pour les écoles élémentaires, s’est tenu ce jeudi à Dakar. Une initiative du Comité National du Codex, en collaboration avec la FAO et plusieurs ministères sectoriels. L’objectif : former les plus jeunes aux bonnes pratiques d’hygiène alimentaire afin de bâtir une société plus résiliente face aux risques sanitaires.
Réunissant des représentants institutionnels, des experts techniques et pédagogiques, ainsi que des membres de la société civile, l’atelier a été l’occasion de passer en revue un guide pratique et des supports didactiques qui ambitionnent d’introduire la culture de la sécurité sanitaire des aliments dès le cycle primaire.
« Les estimations de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) nous rappellent une réalité que nous ne pouvons ignorer : plus de 91 millions de personnes tombent malades chaque année en Afrique en consommant des aliments contaminés, entraînant un bilan tragique de 137 000 décès annuels, soit un tiers de la mortalité mondiale liée aux maladies d'origine alimentaire », a d’emblée souligné Dr Adjaratou Diakhou Ndiaye, secrétaire permanent du Haut conseil national de sécurité sanitaire One Health à la Primature.
Elle a ainsi insisté sur l’importance de l’éducation en matière de sécurité alimentaire : « En formant nos jeunes élèves aux bons réflexes d’hygiène et de sécurité alimentaire, nous ne leur transmettons pas seulement des connaissances, nous les dotons d’une autonomie essentielle, nous en faisons de futurs citoyens conscients, acteurs du changement et ambassadeurs de la santé dans leurs familles et communautés. » Elle a également souligné la portée de cette initiative dans la réalisation des Objectifs de Développement Durable (ODD).
Pour sa part, Pr Amadou Diop, Président du Comité National du Codex, a indiqué que la dimension éducative est fondamentale. Il a aussi insisté sur la nécessité d’un contenu pédagogique adapté : « Cet atelier n’est pas une simple formalité : il s’agit de s’assurer que le contenu de ce guide et de ces supports est pertinent, adapté et accessible pour nos apprenants. »
Le guide, fruit d’un long travail de concertation entre techniciens, pédagogues et spécialistes de la santé publique, intègre des modules simples, adaptés au niveau des enfants. Il aborde les règles d’hygiène de base, le stockage des aliments, la cuisson sécurisée, et même les dangers invisibles comme les microbes ou les moisissures.
L'intégration de la sécurité sanitaire des aliments dans les programmes scolaires, facilitée par ce guide, est bien plus qu'une mesure sanitaire, elle est perçue comme un investissement stratégique dans le capital humain de la nation.
L'Inspecteur Amadou Adama Ndiaye, Responsable Pédagogique de la Division du Contrôle Médical Scolaire (DCMS) du Ministère de l'Éducation nationale, a martelé cette conviction : « L'objectif est clair : faire de l'école un terreau fertile pour une culture de prévention durable.» Il a précisé que ce guide s'inscrit en parfaite cohérence avec les engagements majeurs du Sénégal.
Le Dr Mamadou Ndiaye, représentant de la Coordonnatrice sous-régionale par intérim de la FAO pour l’Afrique de l’Ouest, a mis en lumière l'importance cruciale d’une approche intégrée : « La sécurité sanitaire des aliments est l'un des fondements les plus critiques de la santé publique, de la nutrition, du commerce agroalimentaire et du développement durable.» Il a souligné que les défis liés aux maladies d'origine alimentaire exigent « des réponses coordonnées, multisectorielles et durables, impliquant les autorités, les professionnels de la chaîne alimentaire, les consommateurs et les médias ».
Poursuivant sur le rôle crucial de l'éducation et de ses outils, le Dr Ndiaye a affirmé : « Assurément, 'un enseignant, un livre, un stylo, peuvent changer le monde'.»
Le guide sur la sécurité sanitaire des aliments (SSA), conçu pour les écoles élémentaires se compose de trois modules essentiels : la sécurité sanitaire des aliments, les contaminations et maladies d’origine alimentaire, et les bonnes et mauvaises pratiques d’hygiène.
Les participants à l’atelier ont été invités à formuler des recommandations visant à parfaire les outils pédagogiques avant leur intégration dans les programmes scolaires. L’objectif final : renforcer la culture de prévention sanitaire chez les jeunes générations et, par ricochet, dans toute la société sénégalaise.
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BARTH MET LA JUSTICE AU DÉFI
Dans une sortie remarquée ce lundi 21 juillet, l'ex-maire de Dakar interpelle directement la Cour suprême et lui lance un ultimatum : qu'elle se prononce sur sa révocation ou assume un "silence complice"
(SenePlus) - Dans une conférence de presse tenue ce lundi 21 juillet, l'ancien maire de Dakar Barthélémy Dias a lancé un appel solennel à la Cour suprême du Sénégal, l'exhortant à se prononcer sur la légalité de sa révocation et à "rendre justice au peuple de Dakar".
Barthélémy Dias a saisi la Cour suprême pour excès de pouvoir le 16 décembre 2024, après avoir contesté l'arrêté préfectoral du 13 décembre devant la cour d'appel. Dans sa déclaration, il a rappelé avec insistance que la Cour d'appel a rejeté son recours le 31 décembre 2024, mais maintient que sa démarche devant la Cour suprême reste valide.
"Je rappelle que l'article 135 du code général des collectivités locales stipule clairement qu'un maire ne peut être révoqué que par décret présidentiel, et seulement en cas de crime ou de faute grave après une procédure contradictoire", a martelé Dias, soulignant qu'aucune de ces conditions n'a été respectée dans son cas.
L'ancien édile a voulu élever le débat au-delà de sa personne : "Il ne s'agit pas de moi. Il ne s'agit pas de mon mandat de maire. Je suis d'abord un citoyen sénégalais. Je ne suis pas n'importe quel citoyen sénégalais. Je suis un élu. Je ne suis pas n'importe quel élu. Je suis le maire de la capitale du Sénégal."
Il a particulièrement insisté sur le caractère unique de Dakar : "Je voudrais vous rappeler que Dakar est la seule ville du Sénégal citée dans la Constitution du Sénégal. Dakar ne peut pas être la seule ville du Sénégal aujourd'hui qui ne dispose pas d'un maire élu au suffrage direct. C'est anormal, c'est illégal et c'est manifestement antidémocratique."
Dans une formulation particulièrement directe, Barthélémy Dias a présenté trois options à la Cour suprême : confirmer la légalité de l'arrêté préfectoral en citant les textes juridiques applicables, rendre justice au peuple de Dakar en respectant son vote, ou "s'emmurer dans un silence qui ne dirait pas son nom".
"J'espère qu'on en arrivera pas là", a-t-il ajouté, avant de lancer un avertissement : "J'espère que la justice de notre pays que le président Bassirou Diomaye Faye a dit être libérée ne sera pas une justice coupable d'un déni."
L'interpellation de la Cour suprême s'inscrit dans un contexte plus large de tensions politiques au Sénégal. Dias a dénoncé "la confiscation du vote populaire du peuple de Dakar", rappelant qu'il est "le seul maire ciblé parmi plus de 500 maires au Sénégal".
Il a également annoncé son intention de "mettre en place une coalition et une vaste coalition d'acteurs politiques de tout bord, d'acteurs de la société civile" pour faire face à ce qu'il perçoit comme une dérive autoritaire.
La procédure de destitution a été initiée par un partisan du pouvoir, qui a saisi le préfet de Dakar à propos de la condamnation définitive de Barthélémy Dias à deux ans de prison pour un homicide en 2011. Cependant, l'ancien maire conteste la validité juridique de cette procédure, arguant qu'elle ne respecte pas les dispositions du code général des collectivités locales.
Par MODOU MAMOUNE FAYE
DJIBRIL DIOP MAMBÉTY, DÉMIURGE ET PYGMALION DU SEPTIÈME ART
EXCLUSIF SENEPLUS - Il était "devenu un mythe bien avant d'avoir rejoint l'autre monde". Ce dandy de Colobane, qui conseillait aux cinéastes "de ne pas essayer de plaire s'ils veulent être universels", incarnait le cinéma africain avant-gardiste
Le talentueux réalisateur sénégalais, Djibril Diop Mambéty, est décédé le 23 juillet 1998 à Paris à l’âge de 53 ans. C’était il y a exactement 27 ans, jour pour jour. Ce cinéaste de rupture, doublé d’un artiste profondément engagé, a eu une carrière bien remplie, même s’il n’a réalisé que deux longs-métrages, « Touki Bouki » et « Hyènes ». Néanmoins, il laisse derrière lui une cinématographie faite de nombreuses autres œuvres (courts-métrages et documentaires) devenues des films cultes qui continuent de marquer le septième art africain et mondial.
Paris, jeudi 23 juillet 1998. Une belle journée d’été, joviale et ensoleillée. Nous étions une centaine de passionnés du septième art, bien calés dans les sièges d’une salle de projection du Forum des Halles où se déroulait un festival de cinéma. Au programme de cet après-midi, un film du réalisateur Africain-Américain Spike Lee sur la ségrégation raciale dans l’Amérique des années 1960. Un documentaire poignant. Des images fortes, parfois insoutenables : églises de la communauté noire incendiées par des militants racistes du Ku Klux Klan en cagoule, corps d'enfants calcinés, témoignages troublants... Nous suivions les images qui défilaient sur le grand écran, mais avions l’esprit ailleurs, le cœur meurtri. Quelques instants plus tôt, nous venions en effet d’apprendre une nouvelle bouleversante : Djibril Diop Mambéty venait de mourir. Le grand cinéaste sénégalais, l’un des réalisateurs africains les plus doués de sa génération, avait rendu son dernier souffle à Paris où il mettait la dernière main au montage de son tout nouveau court-métrage, « La petite vendeuse de Soleil » qui, hélas, sera sa dernière œuvre. Il est mort dans un hôpital de la capitale française où il se faisait soigner pour des complications respiratoires. C’est Mahama Johnson Traoré, une autre icône du cinéma sénégalais (décédé quelques années plus tard, le 8 mars 2010 à Paris), qui annonça la triste nouvelle. La voix tremblotante, les yeux embués de larmes, il pouvait à peine sortir un mot de la bouche, tellement il était secoué. La nouvelle ne tarda pas à faire le tour des rédactions du monde entier.
Vingt-sept ans sont passés depuis la disparition de Djibril Diop Mambéty, mais nous gardons toujours en mémoire les moments fort instructifs passés avec lui dans les couloirs et les dédales des festivals, de Carthage à Ouagadougou, en passant par Sousse et Dakar. À l’époque, nous étions jeune journaliste au quotidien Le Soleil et découvrions avec enthousiasme le monde du cinéma africain avec ses stars naissantes et ses œuvres balbutiantes dont certaines ont marqué notre carrière. Nous nous rappelons les fous rires de Mambety (oui, ça lui arrivait de rigoler malgré son flegme légendaire) quand une histoire l’amusait, comme lorsque dans le restaurant d’un hôtel de Sousse, en Tunisie, nous lui avions raconté les facéties du peintre Mbaye Diop au Théâtre national Daniel Sorano, devant le président Abdou Diouf qui lui remettait le Grand Prix des Arts. Nous nous souvenons aussi de ses débats passionnés autour du cinéma avec son collègue Ben Diogaye Bèye au restaurant La Forêt, durant l’édition du Fespaco 1997, sans doute son dernier séjour à Ouaga. Ou ce moment surréaliste, au festival de Carthage, à Tunis, quand son court-métrage « Le Franc » fut sacré Tanit d’or en 1994. Ce jour-là, Mambéty était au fond de l’immense salle du Colisée où se déroulait la cérémonie de clôture. Et quand le président du jury prononça son nom, il déploya sa taille imposante, sous les applaudissements, et marcha majestueusement, sans se presser, jusqu’à l’estrade où le rejoignit son frère, le musicien Wasis Diop, et le réalisateur tunisien Férid Boughedir. Dans la salle devenue subitement silencieuse, ces quelques minutes durèrent une éternité...
Près de 30 ans après sa mort, le monde du septième art garde un souvenir impérissable de cet homme si simple et si attachant. Cet homme qui disait souvent : « Si j’avais un conseil à donner aux cinéastes africains, je leur dirais de ne pas essayer de plaire s’ils veulent être universels ». Mais qui était réellement Djibril Diop Mambéty ? La question mérite d’être posée tellement sa personnalité était enveloppée d’un halo de mystère. Il était devenu un mythe bien avant d’avoir rejoint l’autre monde. De Colobane, quartier populaire et coloré de Dakar, « cet épicentre de la marginalité » (comme l’écrit si bien le comédien Nar Sène dans « Djibril Diop Mambéty : la caméra au bout... du nez », un essai consacré au cinéaste) où il naquit le 23 janvier 1945, jusqu’à Paris où il mourut le 23 juillet 1998, ce fils d’imam (guide religieux musulman) a parcouru un long chemin et mené une vie bien remplie. Sa carrière, il l’a commencée très tôt, à 17 ans. L’adolescent du Dakar du début des années 1960, dans les premiers moments de l’Indépendance, mit sur pied le premier café-théâtre sénégalais après avoir quitté le lycée en 1966. Très vite, il intégra le fameux Théâtre national Sorano de Dakar. Bon comédien, Mambéty commença à jouer dans des films, mais son rêve était d’en réaliser lui-même.
Un cinéma avant-gardiste
Un rêve qui ne tarda pas à prendre forme avec « Contras’ City » en 1969, un court-métrage concocté avec peu de moyens, mais qui fit tilt dans le milieu des professionnels du cinéma. Des critiques avertis sentaient déjà en lui un démiurge naissant. Puis il y eut un autre court-métrage, « Badou Boy », un an plus tard. Une chronique colorée et trépidante de la vie quotidienne du Dakar des années 1970. L’année 1973 fut déterminante dans la carrière de Mambéty. Il réalisa son premier long-métrage, « Touki Bouki » ou le voyage de l’hyène, qui apporta un nouveau souffle au cinéma africain. L’histoire paraît simple : Mory (Maguèye Niang) et sa copine Anta (Myriam Niang), deux jeunes tiraillés entre le désir de vivre pleinement leur amour et l’appel du large qui leur fait miroiter un Occident si lointain. Le film fut présenté la même année à Cannes (Quinzaine des réalisateurs) et reçut à Moscou le Prix de la critique internationale.
Le sujet traité dans ce long-métrage (l’attrait que l’Occident exerce sur les Africains) est toujours d’actualité, au moment où des milliers de jeunes n’hésitent pas à affronter l’océan, dans de frêles embarcations, pour rejoindre les rives européennes. Il faut reconnaître au cinéma de Mambéty son caractère avant-gardiste, novateur et parfois même prémonitoire. « Le rôle de Djibril dans le milieu artistique sénégalais est celui du voyant, du clairvoyant. Il marche comme un lion, d’un pas dandinant, donne toujours l’impression de ne rien voir, de ne rien entendre, alors qu’en vérité il est l’un des rares artistes de ce pays à être doué de qualités de voyance et de clairvoyance », disait de lui son ami, l’artiste Issa Samb dit Joe Ouakam, l’un des fondateurs du célèbre laboratoire culturel Agit’Art, décédé le 25 avril 2017 à Dakar. Aussi bien dans sa construction narrative que dans sa démarche cinématographique, « Touki Bouki » (devenu culte) fut une véritable rupture qui, jusqu’à nos jours, continue d’inspirer les cinéastes d’Afrique et d’ailleurs. Rien que pour cela, Mambéty peut être considéré comme un démiurge du 7éme art !
Après « Touki Bouki », ce fut une longue traversée du désert. Et ce n’est que seize ans plus tard, en 1989, qu’il sortit de sa léthargie (voulue ?) pour réaliser « Parlons grand-mère », un making-of « documentarisé » sur le tournage de « Yaaba », le deuxième long-métrage du cinéaste burkinabé Idrissa Ouédraogo. Dans ce film bourré de poésie, il pose un regard plein d’humour et tout aussi tendre sur le personnage principal, une vieille femme symbolisant la sagesse africaine dans toute sa splendeur. Pour la première fois de sa carrière, Mambéty tourne hors du Sénégal, hors de Dakar, cette cité qui l’a vu naître et grandir, cette ville qu’il aimait d’une sorte d’amour-haine qui se reflétait bien dans ses œuvres. Il suffit de (re) voir « Badou Boy », « Contras’ City », « Le Franc » ou « La petite vendeuse de Soleil » pour s’en convaincre. Dans son essai cité plus haut, Nar Sène écrit avec justesse : « Toute son existence, Mambéty ne cessa d’attirer l’attention sur ce monde sulfureux, le sien. Celui-là qu’il connut le mieux pour s’y être souvent dissout, ce monde gourd et lourd avec son cortège de mendiants, de lépreux, d’éclopés, de clochards, d’alcooliques invétérés, déambulant ici et là sur les trottoirs de Dakar, ou dans les bidonvilles périphériques, avec leurs spectres de macchabées, sortis de l’enfer de la déglingue. Les films de Mambéty ventilent une scatologie de la société. C’est pourquoi on les sent ». L’année 1992 marqua son grand retour avec la sortie de « Hyènes », son deuxième et dernier long-métrage. Cette adaptation à l’écran de « La visite de la vieille dame » du Suisse Friedrich Dürrenmatt (pièce de théâtre en trois actes, écrite en 1955) fut un immense succès, aussi bien dans les salles que dans de nombreux festivals. Cerise sur le gâteau, il fut sélectionné officiellement, en 1992, au festival de Cannes. Les critiques furent unanimes : ce chef-d’œuvre est le film le plus achevé de Mambéty, celui dont la densité du sujet, l’esthétique et la direction des acteurs frisent le parfait. On revoit avec plaisir le jeu poignant de feu Mansour Diouf incarnant Dramane Dramé et l’on s’étonne lorsqu’on apprend que c’était là sa première apparition à l’écran. Ce dernier avoua lui-même que Mambéty l’a longtemps épié, à son insu, avant de lui confier le rôle principal. Un choix déroutant qui avait étonné bon nombre de professionnels du cinéma qui pensaient que Mansour ne serait pas à la hauteur. On se rappelle l’une des réparties mémorables de Dramane Dramé quand le maire de Colobane (feu Makhourédia Guèye) lui tend un fusil en lui disant : « Sokh naa ko » (il est chargé) et qu’il lui répond : « Sokhla wou mako » (je n’en ai pas besoin). En fait, Mambéty savait bien user des subtilités de sa langue, le Wolof, pour rendre les dialogues de ses films croustillants et plein de sous-entendus. Et cette beauté du langage, cette force des dialogues, aucun sous-titrage ne peut le restituer fidèlement.
Clin d’œil aux enfants de la rue
Pour Djibril Diop Mambéty, faire du cinéma n’est pas si difficile que ça. Il suffit juste de fermer les yeux et de voir l’obscurité. « Mais si tu fermes les yeux encore plus fort, tu commences à voir de petites étoiles. Certaines d’entre elles sont des personnes, d’autres des animaux, des chevaux, des oiseaux. Maintenant, si tu leur dis comment bouger, où aller, quand s’arrêter, quand tomber, tu as un scénario. Une fois fini, tu peux ouvrir les yeux : le film est fait », expliquait-il, avec amusement, dans un documentaire qui lui est consacré. Après le succès planétaire de « Hyènes », il se consacra à la réalisation d’une trilogie sur ce qu’il appelait l’histoire des petites gens. Il commença avec « Le Franc » (1994) qui raconte l’odyssée burlesque et pleine de philosophie de Marigo, un infortuné joueur de « congoma » rêvant d’argent facile et de succès dans un Dakar où se côtoient vaches en errance et sachets plastiques virevoltant au gré du vent. Puis il y eut « La petite vendeuse de Soleil » (1998) dans lequel la fragile Sili, handicapée des jambes, décida de gagner sa vie en vendant des exemplaires du quotidien « Le Soleil ». Elle s’agrippe à ses béquilles comme une bouée de sauvetage qui lui permet de venir à bout de la rivalité des garçons et de leurs quolibets. Un clin d’œil à tous les enfants de la rue, mais aussi à tous les desperados, ces damnés de la terre qui pourraient être gagnés par le découragement devant une vie qui ne leur fait pas de cadeaux. Autant de personnages dont la bravoure et le courage renvoient à Yadikone, un Robin des Bois sénégalais qu’admirait le cinéaste. « Il a rêvé d’une Afrique libre et grande où celui qui a faim ne sera pas piétiné », disait-il. Sa trilogie sur l’histoire des petites gens devait s’achever par « L’apprenti voleur », mais Mambéty fut fauché par la mort un certain 23 juillet 1998 à Paris. Lui qui disait qu’il avait un rendez-vous de dix mille ans avec le cinéma, ne pensait certainement pas mourir si tôt, à 53 ans.
Il y a des pans de la vie de Djibril Diop Mambety que peu de gens connaissent. Le Zimbabwéen Keith Shiri, critique de cinéma, raconte ainsi l’anecdote suivante. Lors du montage de « Touki-Bouki » à Rome, il fut arrêté par la police italienne qui lui reprochait d’avoir participé à une manifestation antiraciste. Il fut détenu pendant cinq semaines et ne sera libéré qu’après l’intervention du Parti communiste italien et de plusieurs de ses amis dont le cinéaste Bernardo Bertolucci et l’actrice Sophia Loren. A son retour à Dakar, il eut la désagréable surprise de recevoir une note très salée représentant les honoraires des avocats du... Parti communiste italien. Lui qui pensait que ces derniers l’avaient défendu gratuitement ! Sa vie était ainsi faite. Elle alternait les hauts et les bas, les moments de plaisir et les périodes de vaches maigres, le spleen et l’euphorie. Mais contre vents et marées, il continuait de faire son cinéma, sans calculs ni ambitions démesurées. Juste pour le plaisir de fabriquer des images et de faire rêver ses contemporains.
La romancière et cinéaste Franco-sénégalaise, Laurence Gavron (décédée le 14 septembre 2023), qui a rencontré Djibril Diop Mambéty pour la première fois en février 1989 au Fespaco de Ouagadougou, lui a consacré un film intitulé « Ninki Nanka, le Prince de Colobane ». Elle le décrit comme « un personnage fascinant, agaçant parfois, grandiose, généreux et déroutant, beau dans ses vêtements indigo ou noirs, ses chemises à jabot, ses pantalons larges, ses grands manteaux ». En 1991, raconte-t-elle dans un texte publié dans le quotidien « Le Soleil » en 2008 à l’occasion de la célébration des 10 ans du décès du cinéaste, elle l’avait revu à Paris lorsqu’il s’apprêtait à tourner « Hyènes ». Il lui demanda si elle voulait faire un film pendant le tournage, une sorte de making of. « Après réflexion, je lui dis que ce qui m’intéresse le plus, ce serait de tenter de réaliser un film autour de lui, une sorte de portrait », se souvient-elle. Elle se servit du tournage comme toile de fond pour le voir enfin au travail, dix-huit ans après « Touki Bouki ». Ce qui interpellait véritablement Laurence Gavron, c’était ce poète au grand cœur, ce dandy haut en couleurs, fils d’un imam de Colobane, devenu un cinéaste mondialement connu. Elle se mit alors sur les traces de Djibril et de son passé. Après le montage, il fallait avoir son autorisation pour y inclure des extraits de ses films. L’équipe l’avait convoqué pour le visionnage du documentaire. Il arriva, un peu angoissé, s’assit presque sans un mot. Le film débute par une image du père de Djibril, en plan moyen, racontant un rêve qu’il a eu avant le tournage de Hyènes. « Dès qu’il aperçut son père sur l’écran, il se figea, demanda qu’on arrête tout, disant qu’il était d’accord pour signer ce qu’on voudrait et disparut sans voir le reste des images », raconte Laurence Gavron. Il était extrêmement ému de voir son père, qui n’avait jamais été filmé auparavant, en train de parler de lui, de son frère Aziz (le musicien Wasis Diop), du tournage, etc. Dans le film, le père se souvient d’un fils toujours pensif et qui tournoyait dans la cour de leur concession de Colobane. Face à cet enfant qui faisait des gestes incompréhensibles, écrivait sur des feuilles avant de les déchirer, il lui demandait souvent ce qui n’allait pas et Djibril lui répondait toujours : « Papa, j’essaie juste de comprendre le monde… ». Mambéty adorait sa famille, son père, sa maman Mame Binta Ndiaye qui l’encourageait dans son désir de faire du cinéma et, avec une affection particulière, sa grand-mère Mame Béty que l’on aperçoit aussi dans « Ninki Nanka », au milieu de la maison familiale.
Dakar le faisait vibrer, l’inspirait
Ce qui caractérisait le plus Mambéty, c’était son immense humanité. Les acteurs, amateurs ou professionnels, qu’il a toujours mis en valeur dans ses films, ces hommes et femmes de la rue, ces « gueux », ces enfants dépenaillés, ces petites gens qu’il croisait au Plateau à l’image de son inséparable ami Billy Congoma, sont comme un morceau d’humanité. Ils sont vrais et n’ont jamais été égalés dans aucun autre film sénégalais, affirme Laurence Gavron. Ils adoraient Mambety et ce dernier le leur rendait bien. Ils constituaient sa cour à lui, des gens simples et sincères avec qui il se baladait dans les rues et ruelles de Dakar jusqu’au bout de la nuit et à qui il donnait tout : la parole, le droit à une image plus vraie que nature, pas trompée ni tronquée, le droit à une existence dans sa vérité crue, souvent faite de misère, mais également de beauté. « Il aimait être en compagnie de gens qui l’aiment et qu’il aime, mais détestait être flatté », affirme son ami et complice, le cinéaste Ben Diogaye Bèye. Les films de Djibril Diop Mambety évoquent toujours l’existence de ces petites gens, de leurs rêves, à travers la vie quotidienne d’un petit garçon de la ville dénommé « Badou Boy », le désir d’ailleurs de Magaye Niang dans « Touki Bouki », son envie de partir, d’aller en France et puis, au dernier moment « l’impossibilité viscérale de quitter Dakar, sa ville, son univers qui lui est si cher, qui lui est indispensable pour respirer ». Cette métaphore renvoie à Djibril lui-même qui, dans les dernières années de sa vie, résidait entre le Sénégal, la France et la Suisse, mais revenait toujours se ressourcer à Dakar, cette ville qui le faisait vibrer, l’inspirait. A ceux qui lui demandaient pourquoi il faisait des films, il rétorquait : « Je tourne... Je tourne encore... Je ne suis pas encore satisfait. Un jour viendra où la terre elle-même s’arrêtera de tourner ; en ce moment, moi aussi... ». Ce jour est peut-être arrivé un certain jeudi 23 juillet 1998 à Paris, en plein été…